J'avoue, comme simple observateur et militant politique insuffisamment informé, que j'ai été surpris d'apprendre que Jean-Yves Le Drian, notre ministre de la défense, avait précisé en ces termes les objectifs opérationnels de l'intervention française au Mali : désormais donc l'objectif de la France "est la reconquête totale du Mali".
Nous sommes intervenus à la demande du président par interim de la République du Mali, alors que le sud du pays et Bamako se trouvaient sous la menace d'une offensive destructrice des djihaddistes du nord après la prise de Konna voici 12 jours. Il s'agissait de stopper l'offensive et d'éviter la chute complète du Mali dans les mainsde l'islamisme politique radical et violent et de préparer l'arrivée (en l'accélérant) de la force multinationale africaine prévue par la résolution de l'ONU.
J'avais exprimé mon analyse le 14 janvier (vous retrouverez l'article ici), refusant tout pacifisme irrationnel, mais m'interrogeant sur certains points à examiner.
Parmi ces interrogations, il est évident que la pénétration des troupes françaises en est une majeure : s'il s'agit de stopper les dijahaddistes, d'éviter la "contagion" vers le sud, et de faire arriver plus vite une force internationale, nous restons dans un processus assez maîtrisé ; s'il s'agit désormais que l'armée française préside à la "reconquête totale" du nord du pays, alors les risques d'enlisement de la France dans ce conflit (malgré toutes les justifications géopolitiques possibles) deviennent incontrôlable.
Pour ma part, il me paraît difficilement tenable que l'armée française conduise les opérations au nord du Mali et s'engage sur des terrains qu'elle aura du mal à tenir, dans des zones géographiques difficiles où les cachettes sont multiples, propices à une stratégie de guérilla, avec un ennemi insaisissable (tout du moins durant de longues années avec un coût important en hommes, en matériels et donc financièrement). Dans la durée, la présence de l'ancienne métropole finira par être perçue tôt ou tard (notamment chez les Touaregs et les Arabes) comme le retour du "colonisateur" et l'opinion publique nationale se retournera contre notre gouvernement, alors qu'elle le soutient aujourd'hui très largement.
Il me paraît nécessaire que la France se cantonne à tenir la ligne de démarquation actuelle sur un terrain qu'elle maîtrise en attendant que la force africaine soit constituée et formée (et à ce sujet on peut demander une implication plus forte de nos partenaires de l'Union Européenne). Elle sera sans doute plus opérationnelle sur des théâtres d'opération au nord : l'armée tchadienne, notamment, est aguerrie au combat dans les conditions qui attendent les belligérants au nord, une force d'intervention y sera avec elle plus pertinente et efficace.
Autre sujet d'inquiétude devant nous. Pascal Canfin, ministre délégué au développement, rappelait ce matin sur France Inter que l'aide gouvernementale française à l'attention du gouvernement malien était gelée depuis le coup d'Etat militaire de mars 2012. La France est en attente d'une feuille de route précise pour le retour à la démocratie dans ce pays et ne libérera son aide qu'à cette condition. L'aide française à la société civile et aux ONG est par contre évidemment maintenue.
Outre le fait que l'on attende encore cette feuille de route, il faudra discuter posément avec les forces politiques maliennes qui ont appelé la France à la rescousse des contours multiformes de ce retour à la démocratie dans l'unité du Mali : la question de la lutte contre la corruption, la redistribution des richesses et donc la redistribution équitable des revenus provenant des ressources du sol malien. C'est l'un des problèmes posés depuis 30 ans par les conflits avec la population touarègue du nord du pays. La solution durable à la situation actuelle, "gagner la paix" comme le disait Pascal Canfin ce matin, réside évidemment dans un partage équitable des ressources qui n'apparaisse pas comme une exploitation du nord. Or, le président du Parti pour la renaissance nationale, Tiébélé Dramé, expliquait jeudi dernier sur France Inter qu'il était désormais hors de question de discuter avec les Touaregs du MNLA.
Si l'on ajoute à cela l'augmentation des exactions contre les arabes et touaregs maliens résidant au sud du pays, il y a quelques raisons de s'inquiéter sur les conditions de résolution durable du conflit.
Frédéric FARAVEL