Dans un article publié le samedi 13 juillet 2013 et intitulé « Francois Hollande, chef de tout mine de rien », le quotidien Libération s'interroge sur la méthode de gouvernement du Président de la République.
En voici quelques extraits :
« […] depuis un mois, il ne fait plus de doute pour personne que le chef de l’État est plus que jamais le chef de tout. Et donc de sa majorité. Et il le sera de plus en plus. […] Mais ce faisant, Hollande retombe dans cette contradiction institutionnelle : chef de l’État ou chef de la majorité ? “Il oscille entre les deux en permanence“, reconnaît un dirigeant socialiste. Mais c’est presque obligatoire, selon ce pilier du PS : “Les institutions ont évolué : pour les Français, le patron, c’est le président, point barre. Alors président de tout, c’est normal.“ […] Et comme la gestion du PS par Harlem Désir est jugée “consternante“ par la plupart des ministres, y compris ses anciens soutiens… il y a comme un vide.
Chapelles. A l’Élysée, on reconnaît que cette première année parlementaire a été “à la limite du dérapage ou du burn out“. Beaucoup de psychodrames, mais pas de crise. L’agitation récente au sein du PS, qui a vu s’agréger plusieurs chapelles pour rappeler au Président son engagement pour une grande réforme fiscale, annonce-t-elle une volonté d’en découdre avec le gouvernement ? ″Non, il n’y a pas d’alternative à la majorité actuelle. Rien que de très normal à ce qu’il y ait des débats“, balaie un proche du chef de l’État.
Hollande compte beaucoup sur lui-même et sa connaissance du PS. “C’est un politique à l’ancienne, confie un proche. Un artisan, un peu solitaire, qui écoute beaucoup mais décide seul, et qui n’aime pas que d’autres portent sa parole.“ Ce qui fait dire à ce poids lourd de la majorité : “Tout le système Hollande est fondé sur la hollandie. C’est une erreur : aujourd’hui, tout remonte à lui. Et il n’est pas protégé, il n’y a ni cible ni fusible.“ »
Tout est décrit dans ces quelques lignes. Mais alors que le quotidien de centre-gauche glose à l'envie sur ce qui semble être la fin de la « présidence normale » – posture inventée pour marquer la différence avec la présidence « ventilateur » de Nicolas Sarkozy, mais impossible à tenir dans le cadre des institutions de la Ve République –, un élément important de la situation est finalement éludé.
Il y aurait en effet bien plus à dire sur le rapport du PS au pouvoir que la dénonciation implicite de la gestion du Parti par le premier secrétaire actuel et le rappel de la connaissance intime des rouages de la Rue de Solférino par le titulaire de la charge suprême.
« Un artisan, un peu solitaire, qui écoute beaucoup mais décide seul »
Certains auront été jusqu'à dire que François Hollande dirigeait le pays comme un président de Conseil Général – peu crédible – ou plutôt regardait sa majorité comme il avait géré le PS lorsqu'il en était le Premier Secrétaire. Cette seconde hypothèse est sans doute plus vraisemblable. Non pas que la carrière politique du Président de la République ait commencé lorsqu'il devint premier secrétaire délégué en mai 1997, non pas que le personnage soit resté bloqué à un rang inférieur à celui qu'exige sa fonction actuelle ; mais il est évident que la charge du Premier secrétariat exercée pendant onze ans, dont six sans tutelle, l'aura profondément marqué, alors même qu'il avait été choisi par Lionel Jospin pour son connaissance de l'organisation et sa capacité à servir d'édredon du Parti.
Or c'est l'une des caractéristique de l'exercice hollandais du pouvoir. Cet homme de parti a toujours soigneusement évité de faire valider à l'organisation qu'il dirigeait, puis dont il a reçu le soutien pour la conquête du pouvoir, des positions franches. Les congrès à la mode Hollande ont toujours accouché de textes d'orientation ou de synthèse assez tièdes, au point que le Parti était arrivé, sans programme et sans colonne vertébrale, nu face à la tornade Ségolène en novembre 2006. Et au lendemain d'une nouvelle défaite prévisible en mai 2007, aucun travail n'a été conduit pour relever le Parti avant un congrès de Reims qui s'apparenta à une bérézina qui aurait pu être définitive.
Le seul débat interne qu'il tenta d'assumer fut celui sur le référendum interne sur le TCE (automne 2004), entaché de graves irrégularités (pour ne pas dire de fraude), auquel il avait été acculé par son opposition interne, et qu'il chercha à utiliser pour marginaliser celle-ci. Malheureusement, la faiblesse de sa victoire par ailleurs contestée ne pouvait affronter la révolte d'un peuple de gauche qui désavoua très majoritairement la position officielle du PS et qui empêcha le premier secrétaire de sévir contre ses opposants.
Il est vrai que telles avanies vous vaccinent pour un moment.
« Tout le système Hollande est fondé sur la hollandie. C’est une erreur : aujourd’hui, tout remonte à lui »
La Hollandie est encore une forme d'OVNI de la galaxie PS. Voilà un homme qui fut pendant 11 ans premier secrétaire et qui n'a jamais organisé autre chose qu'un petit groupe d'amis (parfois très anciens) pesant modérément dans le parti, pour l'aider à diriger ou à conquérir, sans jamais le dépasser.
Quelle différence avec les Mitterrand (qui lui aussi savait cultiver les amitiés anciennes), les Fabius (le pro des réseaux d'élus), les Rocard, ou les Strauss-Kahn… ou même avec Martine Aubry, qu'on sait pourtant peu enthousiaste à l'organisation d'un courant (ce qu'elle avait fini par admettre plus ou moins finalement). À part « Tonton », cela a peu réussi aux autres me direz-vous…
Et de fait, c'est parfaitement isolé, étrillé sur son bilan à la tête du PS, marginalisé et moqué par tous ceux qui voyaient déjà DSK à l’Élysée, ou qui avaient considéré que ses synthèses molles démontraient une absence de convictions, qu'il est parti à la conquête de la Présidence. Et qu'il a su utiliser avec ses rares soutiens une procédure qu'il dénonçait lui-même. La Primaire citoyenne offrait à François Hollande l'espace pour contourner le Parti, dont il avait pourtant besoin, et fonder sa candidature après l'élimination de DSK. La Primaire n'a pas tranché de ligne politique, pas plus que les congrès sous Hollande ne le faisaient. La Primaire a sélectionné celui que les électeurs de gauche venus voter considéraient comme le mieux placé dans les sondages pour battre Sarkozy.
Martine Aubry aurait sans doute eu avantage à être désignée par les militants socialistes, portant la légitimité d'un projet construit sous sa férule. Le candidat issu de la Primaire pouvait lui piocher allègrement dans ce projet que ses amis avaient implicitement dénoncé à longueur de conventions (notamment celle sur « l'égalité réelle ») sans jamais assumer cependant ouvertement une ligne contradictoire.
Le candidat Hollande n'était pas tenu par le Projet socialiste, il a rédigé seul ses 60 engagements (étonnant parfois ses propres amis lorsqu'il s'est agi d'affirmer le recrutement de 60 000 postes en 5 ans dans l’Éducation Nationale). Peu de mois après son élection, les exégètes de la "pensée hollandaise" expliquaient déjà qu'il était d'ailleurs le mieux placé pour interpréter la portée et la signification de ses engagements.
D'ailleurs, à nouveau le congrès de Toulouse reprenait les bonnes vieilles habitudes de 1997-2008 : pas de lignes affirmées. Ce qui permit à de nombreux cadres de la motion 1 de monter à la tribune du congrès pour vitupérer contre le faux débat sur la compétitivité imposé par le patronat (on se souviendra de Jean-Marc Ayrault, au premier rang devant la tribune, raturant des pages entières du discours qu'il avait préparé, à l'écoute de celui de Martine Aubry ovationnée) quelques jours avant que le Premier Ministre n'annonce, en parfaite concordance avec le Président, le Pacte de compétitivité.
La ligne était tranchée dans le sens choisi par Hollande et la Hollandie (elle avait sûrement mûrie depuis plusieurs mois si ce n'est des années) mais elle n'avait jamais été débattue et assumée dans un cadre collectif.
Comment faire vivre le PS avec la Présidence Hollande ?
Harlem Désir a été imposé dans des échanges au sein des salons feutrés de la République, préféré à Jean-Christophe Cambadélis. Difficile dans ces conditions d'être autonome du Palais.
Les rares initiatives prises par la nouvelle direction de la Rue de Solférino – comme le projet de référendum sur les institutions et la moralisation de la vie publique – ont été superbement ignorées. Le Premier Secrétaire choisi est raillé par ceux-là mêmes qui l'ont imposé, y compris quand il tenta d'imposer, avec il est vrai trop peu de subtilité, une correction des scores sur la convention « notre Europe » (la mise sous tutelle des fédérations des Bouches-du-Rhône, du Pas-de-Calais et de l'Hérault étaient passées par là) qui contraignait le Parti à adopter une ligne plus offensive que celle souhaitée par l'exécutif. La correction du texte de la direction par tweet matignonesque s'avéra donc inopérante, mais elle avait démontré que le PS n'était pas dirigé du bureau d'Harlem Désir.
On a pu voir également à quel point les prises de positions du Parti Socialiste sont tenues en grande estime, quand, au lendemain du vote par le Bureau National d'un texte sur les retraites qui se démarquait du très néfaste rapport Moreau, la ministre des affaires sociales (rescapées des débris du courant strauss-kahnien) expliquait que la position du parti qui a fait élire la majorité parlementaire était « une position parmi d'autres ». On a pu voir également l'attention que portait le Président de la République à la position du parti qu'il avait conduit pendant 11 ans quand il réaffirmait le 14 juillet 2013 qu'il était nécessaire de rallonger la durée de cotisation, là où le PS indiquait qu'il n'était pas nécessaire et utile d'envisager cette solution avant 2020. « Rien que de très normal à ce qu’il y ait des débats » donc, surtout quand on n'en tient pas compte.
On aborde à nouveau les contradictions et la schizophrénie du PS face aux institutions de la Vème République. Bien que Michel Debré ait associé Guy Mollet à la rédaction de ce que Mitterrand qualifiait de «coup d’État permanent», cette constitution a causé la scission de la SFIO en 1958-1959 et l'identité démocratique profonde du PS (dont il a hérité de la définition du socialisme démocratique par Léon Blum lors du congrès de Tours de 1920) reste rhétive au présidentialisme et son fonctionnement serait plus adapté à un régime parlementaire primo-ministériel.
De fait, le PS se retrouve désarmé tout à la fois face au « monarchisme républicain » de la Vème qu'il soit mitterrandien ou "normal" et à la mutiplicité des présidents d'exécutifs locaux, tanguant comme le dit Emmanuel Maurel entre le "crétinisme présidentialiste" et le "crétinisme localiste". Plus personne ne parle désormais au PS de la VIème République : certainement pas le titulaire actuel de l'Elysée qui comme tous les aspirants à la haute fonction a toujours préféré l'idée d'un régime présidentiel, et plus du tout le bouillonnant Arnaud Montebourg qui préfère aujourd'hui déclarer sa flamme aux gaz de schiste (qu'il avait pourtant condamné auparavant).
Au moment où certains au PS commence à redécouvrir timidement sur la question fiscale que le Parti Socialiste ne peut être un parti comme les autres et doit porter l'aspiration au socialisme démocratique, sauf à se transformer progressivement en un sous Parti Radical, il est temps que les responsables socialistes fassent l'inventaire de son rapport au pouvoir, quitte à imposer au Président de la République son propre agenda.
C'est la condition nécessaire (mais pas suffisante) pour éviter une bérézina électorale en 2014 et 2015 et permettre la réélection de François Hollande en 2017.
Frédéric Faravel
pour mémoire, deux citations de Léon Blum qui rappelle la mission du socialisme démocratique :
1919 : "On est socialiste à partir du moment où l'on a considéré ce fait essentiel : le patronat et le salariat s'engendrant l'un l'autre et s'opposant l'un à l'autre, à partir du moment où l'on se refuse à accepter ce fait comme nécessaire et éternel, à partir du moment où l'on a cessé de dire : “ Bah !, c'est l'ordre des choses ; il en a toujours été ainsi, et nous n'y changerons rien ”, à partir du moment où l'on a senti que ce soi-disant ordre des choses était en contradiction flagrante avec la volonté de justice, d'égalité, de solidarité qui vit en nous."
1920 : "Ouvrez votre carte du Parti. Quel est l’objet que le parti socialiste jusqu’à présent se donnait à lui-même ? C’est la transformation du régime économique."