Tous les matins entre 6h45 et 9h, j'écoute avec attention France Inter... La qualité des émissions de la station publique n'est pas contestable, malgré la dérive autoritaire qui avait marqué l'arrivée de Jean-Luc Hess et de Philippe Val à la tête de Radio France et de la principale antenne de celle-ci.
Cependant, je ne peux que constater avec déplaisir que mon agacement s'accroît à mesure que nous nous entrons dans la période de la campagne présidentielle. Toutes les chroniques, tous les commentaires de journalistes parfois chevronnés (ce qui porte à se demander sur la qualité du chevronnage de nos écoles de journalisme) tendent à avancer dans le même sens, celui d'une ambiance sociale-libérale, si tant est que l'on puisse encore dire qu'il y a quelque chose de social dans l'affaire... ah si je suis mauvaise langue : nous avons eu tout de même droit à un traitement "compassionnel" des débats en cours entre la commission européenne et et le conseil des ministres sur la question de l'abondement de l'aide alimentaire dans l'Union.
En fait, mon agacement m'a donné l'idée de ce petit article en entendant hier matin la chronique "politique" de Piotr Smolar, journaliste au Monde, régulièrement invité par Audrey Pulvar. Notre chroniqueur dénonçait une "gauche conservatrice" qui se serait donnée en spectacle lors du premier débat télévisé des Primaires Citoyennes, car jouant selon lui sur les recettes et solutions habituelles des socialistes pour "séduire" l'électorat traditionnel du Parti Socialiste - les enseignants notamment. Piotr Smolar attend donc des socialistes des propositions iconoclastes, non au regard du mainstream politique et du cours du monde tel qu'il va actuellement, mais au regard de la pensée socialiste. Bref Piotr Smolar demande aux socialistes de ne pas être socialiste. Selon ce critère, il y a fort à parier que bientôt seul Manuel Vals puisse trouver grâce aux yeux de tels commentateurs, puisqu'il est le seul à s'éloigner des principes traditionnels de la gauche républicaine. Et Audrey Pulvar d'ironiser sur le courage en politique: "Oh là, vous en demandez trop, Piotr...", bel exemple de message discréditant l'ensemble des responsables politiques sans distinction, c'est dommage de la part d'une journaliste qui recevait jusqu'ici tous les compliments possibles et qui avait reçu le "soutien" unanime de tous les responsables politiques pour son éviction de l'antenne d'I-télé et son éloignement sur France Inter, lorsqu'Arnaud Montebourg avait déclaré sa candidature à la primaire.
Donc selon Piotr Smolar et Audrey Pulvar, il n'y aurait eu aucune proposition en rupture lors de ce débat, c'est faire peu de cas des propositions suivantes :
- la légalisation du cannabis par Jean-Michel Baylet, même si certains peuvent considérer qu'il s'agit d'une proposition accessoire ;
- les propositions finalement assez précises de Montebourg sur la démondialisation ;
- les propositions très claires et courageuses de Martine Aubry sur la sortie du nucléaire, la fin du cumul des mandats pour les parlementaires (bien qu'Audrey Pulvar et Piotr Smolar nous expliquent après avoir dit que c'était important, que la résolution du PS et d'Aubry sur ce sujet serait insignifiante et n'engagerait que ceux qui y croirait, alors même qu'on a vu les handicaps qu'Aubry rencontrent avec les élus locaux pour assumer courageusement cette proposition), une ligne claire sur la politique économique et budgétaire pour la croissance...
Ajoutons à cela que sans parler du débat des primaires d'autres propositions existent et sont suffisamment fortes pour animer le débat politiques chez au moins chacun des 3 candidats que j'ai cité plus haut : la réforme de l'éducation nationale selon Martine Aubry (cliquez ici) ou Arnaud Montebourg, les propositions de Montebourg, Baylet et Aubry sur l'Europe devraient être portées à la connaissance de Piotr Smolar.
Enfin, en quoi cela serait-il conservateur de rompre avec une politique qui a préparé pendant 35 ans (depuis les USA et la Grande-Bretagne) la catastrophe économique et financière que nous subissons depuis 2008, politique qui s'est amorcée en France à compter de 1986 et qui connaît depuis 2000 une montée en puissance néfaste pour l'Europe, la France et le Monde. Peut-être que s'il faut saluer uniquement la rupture avec une pensée économique sociale-démocrate alors Piotr Smolar nous fera bientôt une ode à François Holande et Manuel Vals, qui propose de rester dans les clous de l'austérité qui mène l'Europe à l'abîme.
Dimanche soir, à la fin de son interview très polissée sur TF1, Dominique Strauss-Kahn faisait la leçon aux gouvernements européens, coupables de créer plus de dégâts encore avec les remèdes qu'ils imposent à la Grèce et à la Zone Euro. Cette proposition était sonnée au coin du bon sens... Enfin ! l'institution qu'il dirigeait encore le 14 mai dernier n'a-t-elle pourtant participé à la mise en place des politiques d'austérité imposées à la Grèce et qui enfoncent plus encore ce pays dans la crise ! Mais qui sur France Inter pour le souligner ? Non lundi matin, France Inter parlait "chambre 2806" et "pacte"...
Le lundi soir, lors d'un meeting en Charente-Maritime, François Fillon dénonce la proposition de DSK pour que les membres de l'Union Européenne prennent leurs pertes dans l'affaire grecque. On entend donc le discours du Premier Ministre ce mardi matin à la radio, mais quelle analyse ? Qui explique que peut-être les politiques imposées par le couple Franco-Allemand - qui paraît pourtant le plus doux envers Georges Papaandréou - à la Grèce ne lui donne pas le temps de transformer son Etat et son économie, et achèvent au contraire de le détruire ? Non à part Bernard Maris, la station publique préfère débiter l'antienne des grecs tricheurs, jouisseurs et voleurs, jusqu'à la nausée...
Barack Obama présente un nouveau plan de relance de l'économie américaine dont une partie des recettes doit être prélevés sur les plus riches et les entreprises. Quelle est la chronique de Dominique Seu ? L'analyse de ce plan ? L'analyse des divergences entre Fillon et DSK sur la Grèce ? Non ! Il relaie la nouvelle campagne du gouvernement expliquant que les riches français n'échappent pas tant que ça à leur devoir fiscal...
Il ne faudrait pas que France Inter n'ait pas retenu la leçon du débat sur le référendum sur le projet de Traité Constitutionnel Européen, qui l'avait faire une campagne affirmée pour le "Oui" jusqu'à l'absurde et lui avait fait perdre (temporairement une partie de son auditoire). Pour l'instant, seul Bernard Maris et Bernard Guetta semble l'avoir compris.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral du Parti socialiste du Val-d'Oise
en charge des relations extérieures