L'émotion suscitée par l'horreur de la tuerie de Toulouse a conduit à la suspension de la campagne des élections présidentielles. Il est assez naturel que l'accumulation des faits - assassinats et tentative d'assassinat visiblement ciblés de militaires français d'origine maghrébine et antillaise à Toulouse et Montauban, meurtre de sang froid d'un enseignant et de 3 enfants dans une école de Toulouse - en quelques jours, l'horreur indicible du massacre perpétré dans un école (situation inédite), et enfin le caractère vraissemblablement xénophobe et antisémite de ces actes justifient une pause pour mettre à la Communauté nationale de s'incliner devant les morts et d'exprimer sa réprobations des crimes commis.
Certains entourages des candidats s'interrogent désormais : est-il possible de reprendre la campagne électorale normalement ? Les commentateurs et chroniqueurs de tout poil glosent sur le tournant que ces drames représentent et la "nouvelle campagne" qui s'ouvrirait dans le contexte d'une "situation bouleversée". La peur étreint le pays. La peur étreint les politiques et rien ne serait pire que les responsables politiques - qui doivent apporter une vision et une séreinité au pays - soient aujourd'hui tétanisés. Il est temps que la gauche reprenne le combat politique ; il est temps que la gauche vainque la peur... et ce pour trois raisons au moins...
La gauche doit vaincre la peur pour que la démocratie n'abdique pas.
En effet, il serait catastrophique qu'un individu - ou même un groupe, si cela s'avérait le cas - criminel puisse bénéficier de la satisfaction immonde et narcissique d'avoir perturbé durablement le fonctionnement de notre République. Les Français ont droit à un vrai débat démocratique, les Français ont le devoir de se mobiliser pour exercer leur droit de vote en connaissance de cause... quelle que soit l'intensité de l'ignominie que notre société subit. Lors des attentats d'Oslo, Anders Bering Breivik visait à terroriser l'ensemble des forces démocratiques et à faire taire particulièrement les travaillistes norvégiens. Sa "croisade" personnelle était une attaque directe contre la démocratie. La démocratie doit être plus forte que la peur pour infliger la plus forte défaite à celui qui a abattu nos concitoyens.
Opposons à tous les Breivik d'ici et d'ailleurs ce qu'Edwy Plenel a appelé dans Médiapart "nos fraternités".
La gauche doit vaincre la peur parce que celui qui voudrait passer pour "le président qui protège" a besoin que nous ayions peur.
Que la communauté nationale manifeste par des rassemblements et des minutes de silence pour exprimer sa douleur, son effroi, sa compassion pour les victimes et leurs familles, sa condamnation intégrale des crimes commis depuis une semaine, cela est parfaitement normal. Qu'un Président de la République "normal" appelle ses concitoyens à le faire devant l'ampleur inédite du drame, c'est nécessaire.
Mais je ne peux m'empêcher d'éprouver un malaise intense devant la manière dont a été décrétée par le Président de la République sortant et son ministre de l'Education Nationale cette minute de silence. Tout d'abord parce qu'elle a été imposée de manière globale et sans discernement : Est-il sain, même en faisant la plus grande confiance aux premiers serviteurs de la République que sont les enseignants, que des enfants de maternelle ou même de certaines classes d'école élémentaire soient confrontés du jour au lendemain à une actualité violente et abjecte dont ils n'ont pas eu forcément connaissance (parce qu'ils ne sont pas branchés 24h/24 sur les chaînes d'information continue) et dont il faut peut-être d'ailleurs les protéger un peu plus longtemps que d'autres ? Est-il suffisant, par ailleurs, de se contenter d'une minute de silence pour des élèves plus âgés dans les collèges ou les lycées, sans qu'il n'y ait aucune consigne gouvernementale (comme ce fut a contrario et à raison le cas en 1989 à la suite de la profanation du cimetière juif de Carpentras, à la demande de Lionel Jospin, ministre de l'Education Nationale de François Mitterrand) pour l'après ? Pas de discussions, pas de pédagogie, pas de retour sur la signification profonde de l'antisémitisme, des valeurs de la République qui doivent rassembler, etc. Entre le trop et le pas assez, cette "cérémonie" scolaire de ce matin a de quoi laisser interrogatif.
D'autant plus interrogatif quand on regarde la manière dont le Président de la République est intervenu ce matin dans un collège du Marais à Paris à deux pas du mémorial de la Shoah. "Ce qui s'est passé à Toulouse dans une école confessionnelle, avec des enfants d'une école juive, aurait pu se passer ici [au collège-lycée François-Couperin]. Ces enfants sont exactement comme vous", a déclaré le chef de l'Etat, ajoutant : "L'assassin s'est acharné sur une petite fille. Il faut réfléchir à ça."
Le Président de la République cède ici à nouveau de façon inappropriée au candidat UMP. Il instrumentalise clairement les peurs d'enfants, et à travers de la population française dans son intégralité. Le Président-candidat cherche à être le candidat qui sera "le Président qui protège" et pour cela il a besoin que la peur dure. Un candidat depuis 24 heures n'a pas arrêté de faire de la politique.
La gauche doit vaincre la peur car notre pays a été trop abîmé et doit être réparé.
Depuis plus de 5 ans, depuis les préliminaires de la précédente campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'est empoyé à instrumentaliser les peurs et la xénophobie. Du "ministère de l'immigration & de l'identité nationale" à la polémique fumeuse sur l'abattage rituel - qu'il soit halal ou kasher -, en passant par les faux débats dans les préfectures ou organisés par l'UMP sur laïcité travestie en cache sexe pour une stigmatisation des musulmans, ou encore l'inégalité des civilisations selon Claude Guéant, le Sarkozisme aura hâté et généralisé à un niveau rarement connu la lepénisation des esprits.
Nicolas Sarkozy a recyclé tous les poncifs du Front National en version soft mais certaine ; de cette manière, il a facilité l'opération de banalisation du Front National entreprise par Marine Le Pen. Il a donc contribué à la banalisation des idées national-populistes, libéré la parole xénophobe et permis la construction de passerelles entre l'extrême droite et ses propres soutiens de la "Droite Populaire".
En banalisant une xénophobie bon teint, il a poussé à la radicalisation et à l'expression plus forte de la radicalité ultra-nationaliste. Ce n'est pas la première fois que Jean-Marie Le Pen cite Brasillach dans un meeting, mais jusqu'ici c'était toujours de manière détournée ; il n'est pas étonnant qu'il se sente autorisé aujourd'hui à afficher le nom de son auteur préféré sous les caméras de toutes les télévisions du pays ; le vieux leader nationaliste n'est pas gâteux et ses propos sont toujours calculés.
Libérer la parole xénophobe et briser les tabous humanistes et républicains ne peut, par ailleurs, que favoriser le passage à l'acte d'individus à la rationnalité déviante et qui étaient tentés par l'action violente et terroriste pour satisfaire leurs instincts racistes. On ne peut pas dissocier les drames de ces derniers de l'ambiance nauséabonde qui s'est peu à peu répandue durant le mandat de Nicolas Sarkozy.
Seule la gauche peut entamer le chemin pour guérir culturellement le pays de cette maladie de l'âme que cet individu manipulateur lui a instillé. Plus que jamais c'est une bataille culturelle que les socialistes et leurs partenaires politiques, écologistes, radicaux, citoyens et du Front de gauche devront mener pour faire reculer la haine, la xénophobie, les communautarismes et la peur.
Mais le racisme banal n'est pas le seul mal dont notre pays aura à guérir. Sarkozy a mis à mal l'idée même de solidarité et de progrès, dans un pays dont le peuple avait toujours eu le principe d'égalité chevillé au corps. Les services publics ont été dénoncés, ont été fragilisés volontairement parce qu'ils incarnaient non pas une dépense publique honnie, mais une certaine idée de la République : la droite sarkoziste confond liberté et individualisme, elle confond égalité républicaine et relativisme, solidarité et assistanat... Partout où les services publics et donc les solidarités nationales reculent, le communautarisme progresse pour les remplacer et cette évolution satisfait une partie de la droite française. Les chômeurs sont montrés du doigts pour les mêmes raisons. Cela permet également de faire porter aux victimes du système ultra-libéral la responsabilité de leur sort, plutôt que d'interroger les politiques économiques menées depuis plus de trente ans en France, en Europe et dans tous les pays développés depuis tant d'années.
Nous avons besoin de reprendre la campagne électorale car il faut convaincre les Français que nous pouvons remettre à l'ordre du jour une véritable politique industrielle, qui rompe avec la soumission aux intérêts de l'économie financière, et qui recrée durablement de l'emploi. Nous avons besoin d'une campagne électorale pour dire que nous devons investir dans l'avenir et dans l'école plutôt que d'appliquer sans discernement une règle stupide de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Nous avons besoin d'une campagne électorale pour rappeler aux Français que la progression des droits sociaux, que l'amélioration des conditions de travail ne sont pas incompatibles bien au contraire avec l'efficacité économique. Nous avons besoin d'une campagne électorale pour réconcilier les Français avec l'égalité, la solidarité et le progrès, qui sont des conditions essentielles de la bataille culturelle que j'évoquais plus haut.
Nous avons également besoin d'une campagne électorale au plus vite parce que nous devons dire aux Français la vérité sur l'Europe et dénoncer les mensonges de Merkozy. Ce matin dans sa chronique "Géopolitique"quotidienne sur France Inter, Bernard Guetta rappelait que les évènements de ces derniers jours n'étaient séparables de l'environnement culturel et politique dans lequel s'enfonçait depuis plusieurs années déjà notre continent :
"Il y a quelque chose de pourri au royaume d’Europe et cela est d’autant plus inquiétant que les causes en sont profondes.
Encore minoritaire mais toujours croissante, une partie des Européens a peur d’un siècle où elle ne reconnaît plus, de ces puissances émergentes dont la concurrence ferme les usines, de ces pays arabes en ébullition, de ces multinationales plus fortes que les Etats-nations et de cette Union européenne qui se bâtit si loin d’eux. A défaut de comprendre - car personne ne se soucie de s’adresser à leur intelligence - que ces changements sont irréversibles et que l’Union est faite pour affirmer une puissance publique européenne à même d’affirmer l’Europe, ces Européens accusent l’étranger de ces étrangetés, veulent fuir dans un passé révolu et refermer les frontières nationales dans l’espoir de retrouver les cadres familiers d’une sécurité passée et mythifiée. Toute une partie de l’Europe a peur et la peur est mauvaise conseillère."
Depuis des années, la construction européenne se perd car les peuples considèrent que son évolution néo-libérale et technocratique se fait en dépit de leurs intérêts, de leurs libertés et de leurs aspirations. Un divorce croît entre les citoyens et une construction politique inédite qui devrait au contraire représenter l'espoir. Il faut dire qu'on a souvent menti à ces peuples, qu'on a plusieurs fois bafoué leur voix, que certains ont clairement été humiliés et qu'ils ne sont pas associés concrètement à sa construction. Le projet de Traité Merkozy ne peut qu'accroître cette fracture en revenant à des institutions intergouvernementales et technocratiques, et en édifiant en règles indépassables des présuposés libéraux qui devraient être régulièrement validés ou invalidés par un débat démocratique.
François Hollande, Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon ont tous les trois la prétention de rétablir la souveraineté populaire en Europe. Ils ont raison : c'est l'unique et la seule possibilité de réconcilier les peuples européens avec l'Union européenne et d'enrayer la lente dérive vers la résurgence de puissants national-populismes.
Alors oui plus que jamais après les meurtres de Toulouse, la Gauche doit vaincre la peur, reprendre le combat démocratique au plus vite et proposer à la France de sortir de l'ornière sarkoziste qui la mène à sa perte.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral du Parti Socialiste du Val-d'Oise aux relations extérieures