Attaques racistes contre Christiane Taubira, manifestations, sifflets et insultes contre l’État un 11-Novembre jour de commémoration nationale, le gouvernement a raison de faire preuve de fermeté et de rappeler que la République ne doit faire preuve d'aucune indulgence contre ses ennemis.
Depuis l'été 2012, une sorte de "mouvement social de droite" allant de la "Manif pour tous" aux "Bonnets rouges", avec les "pigeons" comme précurseurs, occupe l'espace public, débordant largement une opposition conservatrice et centriste qui reste toujours sans projet, sans leader et sans initiative. L'UMP, et dans une moindre mesure l'UDI (désormais rejointe par le MODEM), en est réduite à suivre les combats de ce mouvement social, sans jamais réussir à prendre la main dessus, et en se trouvant piégée par son discours souvent réactionnaire.
On pourra toujours dire qu'en cela le fond idéologique avait été préparé de longue date à ce tournant réactionnaire par l'action et la synthèse sarkozyste. Il n'en reste pas moins qu'en chevauchant une partie du discours homophobe et anti-Etat de ces mouvements, l'opposition de droite finit par lui accorder une certaine légitimité.
Cependant lorsque les tabous tombent en parole, le tabou de la violence ne tarde pas à tomber lui non plus. C'est ce qui s'est passé en Bretagne où la violence du mouvement des "bonnets rouges" a pu bénéficier pendant plusieurs jours d'une certaine latitude. C'est ce qui ne manquera pas d'arriver (comme les débordements homophobes ont suivi le mouvement anti-mariage pour tous) si la République ne réagit pas avec la plus ferme des déterminations contre les débordements racistes et anti-parlementariste qui s'expriment à l'extrême droite, contre la Garde des Sceaux, comme une sorte de prolongement d'ailleurs de la "Manif pour tous".
Or, la gauche a une part de responsabilité dans cette "chienlit" réactionnaire et conservatrice.
Dès le début du quinquennat, elle a mis en difficulté son camp politique et social, notamment en acculant à la défaite deux grands confédédérations, dont l'une - la CGT - avait appelé à voter pour François Hollande. Avec la transposition dans la loi de l'accord interprofessionnel sur la flexibilisation de l'emploi, mais aussi avec le Pacte de Compétitivité, puis avec le vote bloqué sur la réforme des retraites, le gouvernement donne l'impression d'infliger des défaites à la gauche syndicale.
Mais surtout, il a semé la confusion dans son propre électorat en menant une politique contraire à nombre des engaments de campagne :
- - ratification du traité Merkozy en l'état alors qu'on avait annoncé sa renégociation avant toute ratification ;
- - Pacte de compétitivité fondé sur la baisse du coût du travail, alors qu'on avait expliqué que ce n'était pas le coût du travail qui était en cause ;
- - augmentation de la TVA pour financer la baisse du coût du travail (alors qu'on venait de supprimer la TVA sociale) ;
- - transposition de l'accord emporté par le MEDEF sur la flexibilité de l'emploi ;
- - réforme des retraites contraire au projet du PS de 2011 : "Nous rétablirons l’âge légal de départ à 60 ans (ce qui permettra à ceux qui ont commencé à travailler tôt ou exercé des métiers pénibles de pouvoir partir au même âge qu’avant la loi de 2010) et l’âge de départ sans décote à 65 ans. Nous engagerons la réforme des retraites que nous avons promise aux Français : un financement garanti avec une contribution du capital, le maintien des seniors dans l’emploi, la prise en compte de la pénibilité et de l’allongement de la durée de vie, et surtout un système universel et personnalisé qui permettra à chaque personne de faire des choix et d’organiser sa vie au moyen du compte temps-formation dont chaque Français disposera à partir du 1er janvier 2014. Nous nous donnerons les moyens de réussir cette réforme qui engagera plusieurs générations en menant une concertation avec les organisations syndicales et un débat public avec les Français en vue de décisions qui seront prises avant l’été 2013"
- - abandon d'une réforme fiscale, après une série de mesures isolées et des reculs qui ont accentué la confusion dans ce domaine et surtout lésé réellement une partie des classes moyennes et populaires (dont certains se sont retrouvés contributrices alors qu'elles n'étaient pas imposables préalablement).
D'ailleurs, sur ce dernier sujet, on voit bien comment la confusion jetée dans l'électorat de gauche et l'évitement d'une réforme fiscale profonde a permis de faire coaguler ensemble des protestations qui ne se seraient jamais rencontrées sinon : voir les ouvriers bretons défiler aux côtés de leurs patrons et de certains militants réactionnaires et identitaires à Quimper est assez inédit. Le retrait récent de FO de cette auberge espagnole n'y change rien le mal est fait, les autres syndicats peinant - suite à leur afaiblissement consécutitf à leurs difficultés à se positioner par rapport à la politique gouvernementale - à opérer des contre-feux ou à mobiliser des salariés de plus en plus profondément pessimistes sur des combats positifs.
On se retrouve exactement devant le même dilemne qu'avant mai 2012 : si la gauche n'assume pas son projet politique, ce n'est pas elle qui sera le réceptacle des aspirations et des demandes de changement, a fortiori si elle est au pouvoir. Ni le Front de Gauche, ni les confédérations de salariés n'arrivent aujourd'hui à mobiliser alors que les revendications sociales pourraient les porter (preuve s'il en est que les Français ne comprennent rien à la théorie éculée des "deux gauches" défendues par Jean-Luc Mélenchon), et le confusionnisme qui en découle pourrait rapidement profiter à des mouvements populistes d'extrême droite quelle que soit la région concernée (car on voit bien que le discours autonomiste breton - d'habitude plutôt généreux - est ici remplacé par une version assez négative).
Mais les groupuscules d'extrême droite menacent-ils la République au point que la gauche doivent la défendre dans la rue ? non... Les appels soudains à multiplier les manifestations contre l'extrême droite me paraissent à ce titre une fausse bonne idée ; d'autant que de la part d'une bonne partie des dirigeants du Parti Socialiste, il pourrait bien s'agir d'une médiocre stratégie politique pour rechercher désespèrément le soutien électoral de ceux qui nous désavouent au seul prétexte de faire barrage au FN. C'est là tout le débat qui avait occupé les socialistes lors de la table ronde des universités d'été 2013 sur la manière de combattre l'extrême droite : la majorité espérait que la menace électorale du FN, et du Rassemblement Bleu Marine qui cherche à le camoufler, serait un argument suffisant pour susciter une logique de défense républicaine au seul profit du Parti Socialiste. On en a vu l'inopérabilité d'élection partielle en élection partielle. Le danger FN dans les urnes n'est plus en soi suffisant pour inciter l'électeur de gauche à abandonner une tentation abstentionniste, ni même à reporter ses voix correctement au second tour.
La stratégie d'appeler à un meeting "contre les extrémismes" est par ailleurs encore confuse, car plutôt que d'appeler clairement à combattre le FN et les fascistes, la direction du PS (peut-être par erreur sémantique) tombe dans le même travers que François Fillon lorsqu'il appelle à voter "pour le moins sectaire" en cas de second tour gauche-FN.
L'autre espoir vain sur lequel peut compter le Parti Socialiste, c'est que la droite n'est aujourd'hui pas le réceptacle électoral du désaveu d'opinion dont souffre la gauche gouvernementale (qui entraîne avec elle dans une certaine mesure l'ensemble de la gauche) : la droite n'a pas bonne presse, elle est divisée et l'électeur ne se retournera vers elle pour sanctionner le gouvernement. Le FN/RBM aura également du mal à constituer des listes alternatives dans la plupart des villes et ne pourra engager un combat avec enjeu que dans quelques territoires symboliques comme Hénin-Beaumont, Carpentras ou Brignolles. Mais l'effet des triangulaires pourraient à nouveau être un handicap important pour la droite, d'autant que la plupart des maires de gauche (différent des Collomb et autre Rebsamen) ont en général plutôt assumé leur mission de "bouclier social" face à la crise, ce dont les électeurs pourraient leur être reconnaissant. C'est l'abstention qui peut fortement pénaliser la gauche dans ces élections locales, mais sans doute pas encore suffisamment pour conclure à une défaite cinglante comme en 2001 (défaite que l'on avait éludé, Matignon s'étant persuadé que Paris et Lyon suffisaient à signer la victoire). Il est à craindre que le gouvernement défende dès le 30 mars au soir, que les municipales marquent que le désaveu à son encontre est largement surjoué par un effet médiatique et qu'il n'y a donc pas lieu à changer. C'est alors aux élections européennes qu'avec ce type de discours risque de nous être présenté la note de manière plus cruelle encore, avec un électorat de gauche qui sera d'autant plus désabusé que le gouvernement n'aurait rien infléchi après les municipales : mais là encore on nous dira que les Européennes sont un défouloir et n'ont pas de réelle portée politique nationale.
Pourtant ce qui menace la République, c'est la misère sociale qui gangrène notre société et la désespérance économique qui étreint désormais tout notre pays : c'est là-dessus que surfe le FN. Changer de cap économique c'est répondre aux attentes des Français en rompant avec une logique sociale-libérale qui échoue ; c'est là que les Français attendent la gauche.
Ce n'est qu'en répondant à l'exaspération sociale des Français que nous pourrons briser le miroir aux alouettes du Front National. Tout discours "moralisant" est aujourd'hui inopérant tant que nos concitoyens ont l'impression que la politique qui est menée répond d'abord aux exigences du MEDEF, des agences de notation et des marchés financiers, plutôt qu'à la détresse économique vécue et à la confusion dans la société. Cela ne veut pas dire qu'il soit inutile ou interdit de démonter l'idéologie FN, mais les Français ne s'apprêtent pour 20% d'entre eux (dont certains électeurs de gauche) à voter FN parce qu'ils adhéreraient tous à ses idées nauséabondes. C'est effectivement un sentiment de ras-le-bol qui peut tout emporter, une partie de notre camp social s'estimant trahi et ne voulant pas pour autant s'entendre être catalogué "raciste". Ils sont sans doute dans l'erreur il joue avec le feu, mais alors dans ce cas déconstruisons les propositions du FN pour en démontrer les conséquences économiques et sociales ; et surtout agissons sur la réalité quotidienne de nos concitoyens (emplois, aides sociales, logement, transports, etc.) : nous n'en serons que plus forts ensuite pour rebâtir des cordons sanitaires avec les débordements xénophobes.
Investir pour l'économie et donc reécréer de l'emploi, reconstruire une fiscalité juste, sortir l'Europe de l'ornière austéritaire, c'est redevenir audible auprès des Français, inscrire notre action dans la durée et c'est là le vrai combat efficace contre les populistes et l'extrême droite.
A ce titre, on ne peut que se réjouir de l'annonce de la remise à plat du système fiscal français, en regrettant les quelques 15 mois perdus sur ce dossier. Mais nous ne sommes en rien assurés que ce travail soit suffisant : il faut des mesures fortes, mais il n'est pas garanti que le patronat une fois encore ne trouve pas un rapport de force en sa faveur comme le montre le refus d'intégrer dans la "remise à plat" la TVA. La gauche doit impérativement se mobiliser pour remettre dans le débat fiscal tout ce qui avait été suggéré par le Parti Socialiste en 2011.
Frédéric FARAVEL