Voici près d'une semaine que le débat public français est focalisé sur une nouvelle déclaration polémique du Ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. Ce dernier a estimé, mardi 24 septembre, sur France Inter que les Rroms «ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres» et qu'«une minorité de familles veut s'intégrer en France».
Après celles lancées cet été, alors qu'avait été diffusé à la presse un courrier à l'exécutif dans lequel il dénonçait l'inspiration supposée laxiste du projet de loi pénale portée par sa collègue Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Manuel Valls récidive, choisissant obstinément d'imposer à l'exécutif sa feuille de route, son calendrier et ce qu'il croit être ses intérêts en terme d'image.
Ce dernier a même réussi le tour de force avec la complicité d'une partie de la presse de faire passer Cécile Duflot, qui a ouvertement critiqué cette prise de position détonante lors des journées parlementaires des écologistes, de fauteuse de trouble.
Pourtant, à chaque fois, c'est bien le Ministre de l'Intérieur qui provoque volontairement le désordre en enfourchant sur divers thèmes des positions parfaitement démagogiques, voire ouvertement populistes. Plus largement, la liberté de ton dont dispose Manuel Valls et la relative complaisance ou indulgence dont il bénéficie de la part de l'exécutif démontrent que celui-ci est entré dans une dérive libéral-sécuritaire, qui rend aphone le parti socialiste mais qui reste résistible, peut et doit être renversée.
La circulaire du 26 août 2012
La victoire de François Hollande le 6 mai 2012 a mis fin à une période sombre pour la République Française.
Le quinquennat de Nicolas Sarkozy avait débuté par l'institutionnalisation d'une ligne politique nauséabonde, qu'il avait peu à peu imposée dans le débat public depuis 2002 : la création du ministère de l'immigration et de l'identité nationale portait dans l'exécutif une stratégie national-populiste, qui n'a cessé de légitimer pendant 5 ans le discours du Front National, tout en participant à sa dédiabolisation. Le discours de Grenoble en 2010, qui faisait des Gens du Voyage et des Rroms des boucs émissaires explicitement désignés à la vindicte populaire, fut le moment de franchissement définitif des lignes rouges républicaines ; la stratégie buissonnienne de la campagne présidentielle de 2012 n'était pas une nouvelle étape de cette dérive à droite mais une simple confirmation.
La circulaire interministérielle NOR INTK1233053C du 26 août 2012 «relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites» mettait fin à la dérive de l'action de l’État. Son préambule marque explicitement les principes sur lesquels sa mise en œuvre est fondée :
«L'action de l’État relative aux campements illicites s’inscrit dans le respect des principes fondateurs de la République.
En premier lieu, le respect des décisions de justice ne saurait être mis en question. Il revient au préfet d’exécuter celles-ci, lorsqu’il est ordonné par le juge qu’il soit mis fin, au besoin avec le concours de la force publique, aux occupations illicites de terrains. Lorsque la sécurité des personnes est mise en cause, cette action doit être immédiate. Dans les deux situations, au-delà de la responsabilité de l’État, il en va des fondements même du contrat social dans notre Nation.
Il convient également, au regard de ces principes, d’assurer un traitement égal et digne de toute personne en situation de détresse sociale. Il vous incombe donc, en initiant le travail le plus en amont de la décision de justice qu’il est possible, de proposer des solutions d’accompagnement en mobilisant prioritairement les moyens de droit commun de chacun des partenaires. Cela suppose, dans une logique d’anticipation et d’individualisation, l’établissement, chaque fois que possible, d’un diagnostic et la recherche de solutions d’accompagnement, dans les différents domaines concourant à l’insertion des personnes (scolarisation, santé, emploi, logement/mise à l’abri...).»
Tous ces principes sont parfaitement fondés et légitimes. Sur cette base, il est parfaitement légitime que les maires, quelles que soient leurs orientations politiques (PCF, EELV, PS, UMP ou UDI), demandent le démantèlement des campements illicites qui se trouvent sur leur territoire communal. Cela n'en fait pas des soutiens objectifs aux propos récents du Ministre de l'Intérieur ou des otages du supposé angélisme incohérent de leurs formations politiques quand celles-ci les dénoncent.
Le problème provient directement de la mise en œuvre du démantèlement des camps. Dès les premiers mois de l'action du gouvernement, on a pu constater ici et là que la hiérarchie dans les priorités des démantèlements était souvent liée à l'orientation politique voire à l'identité géographique des communes dont les maires demandaient les démantèlements : priorité aux soutiens politiques et au département du Ministre, priorité moins évidente pour les communes dont les Maires étaient critiques ou supposés tels pour le ministre (qu'ils soient membres du PCF, d'EELV, ou même du PS).
Plus grave, la circulaire du 26 août 2012 n'est pas appliquée correctement (pour rester poli). C'est Dominique Baudis, défenseur des droits (qui agit en tant que tel, mais dont on n'oubliera pas qu'il est une personnalité de centre-droit et que sa mise au point sonne comme un camouflet pour une gauche qui n'applique pas ses propres directives). Dominiqué Baudis a dénoncé dès le 27 septembre dernier, dans un contexte qu'il a qualifié de difficile, «l'irrationnalité des arguments, des comportements et des prises de position ; […] on ne peut pas réduire à un problème national ce qui est un défi adressé à tout notre continent». «Cette circulaire interministérielle d'août 2012 n'est pas appliquée dans tous les cas, loin s'en faut, [ne demandant] pas autre chose que l'application de toute la circulaire». Il dit avoir été saisi de 4 000 cas de personnes dont les droits ont été ignorés au moment des démantèlements des camps en un an. «Quand le bilan (général et personnalisé) n'est pas réalisé, le démantèlement se passe mal». Un constat que le défenseur des droits avait déjà fait en juillet dernier. Il avait envoyé ses recommandations au gouvernement. «Hélas, à ce jour, nous n'avons toujours pas de réponse» de Matignon, a-t-il regretté.
Amalgames et méconnaissance des Rroms
Malheureusement, l'embardée du Ministre de l'Intérieur le 24 septembre démontre qu'au-delà du non respect par la puissance publique de ses propres principes d'action (qui nécessiterait sans doute un regard plus appuyé du Premier Ministre et du Président sur l'action du ministère) Manuel Valls décide de chevaucher les pires amalgames sur une population fragile, afin de s'aligner sur l'opinion supposée de catégories sociales elles-mêmes soumises à une grande violence économique et sociale.
La dénonciation sans nuance des «modes de vie extrêmement différents des nôtres» et qu'«une minorité de familles veut s'intégrer en France» dénote soit d'une mauvaise foi absolue soit d'une méconnaissance tragique des populations concernées. Les Rroms qui quittent la Roumanie et la Bulgarie pour l'ouest de l'Europe le font dans une logique évidente d'immigration économique, renforcée par des pratiques discriminatoires ethniques, mais aussi économiques et sociales.
Ce qui est mis en cause c'est le nomadisme jugé inadapté à la société moderne. Dans le même registre, voici plusieurs mois que le patron de L'Express, Christophe Barbier, explique sur toutes les ondes (et encore récemment sur France Info) que le nomadisme est incompatible avec l'idéal républicain qui se confondrait avec un idéal de vie sédentaire. Encore une fois, ce type d'expression est erroné car cela introduit une confusion entre les Gens du Voyage, qui vivent depuis plusieurs siècles sur le territoire national et sont citoyens français et les Rroms d'Europe orientale. Les citoyens français «Gens du Voyage» se voient avec de telles prises de position niés dans leur mode de vie nomade alors qu'il est permis par les lois de la République contrairement à ce qu'indique M. Barbier.
A contrario, les Rroms, dont on dénonce le supposé nomadisme, sont des populations qui ont adopté depuis plusieurs décennies, et plus encore, un mode de vie sédentaire dans leurs pays d'origine. Soumis à l'exploitation réelle de multiples groupes mafieux, ils viennent rechercher en France un mieux-être économique et non imposer la possibilité d'exercer un nomadisme anarchique, irrespectueux du droit et de la République. La précarité territoriale des immigrants Rroms est d'abord dûe à leur exploitation et à l'inapplication de la circulaire d'août 2013 : le démantèlement sans préalable social atomise un peu plus les groupes qui étaient contraints à ces campements illicites, renforçant ainsi la main-mise des groupes maffieux sur ces familles, tout en les éloignant des outils de l'intégration que sont la scolarisation des enfants, l'accès au logement provisoire puis pérenne, et l'accès à l'emploi.
L'amalgame actuel entre Gens du Voyage et Rroms nous ramènent 3 ans en arrière, c'est-à-dire à l'amalgame sarkoziste du discours de Grenoble, qui cherchait à dresser une partie des citoyens français contre d'autres citoyens français nomades en les assimilant à une population migrante, exploitée, discriminée, dont on entretient plus ou moins sciemment la précarité institutionnelle, économique et sociale.
Cécile Duflot était donc parfaitement fondée à dénoncer les propos de son collègue de l'Intérieur. Elle rappelle Hollande et le gouvernement à leurs engagements : le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault pourrait expliquer à Manuel Valls qu'à Nantes l'insertion ça marche, et que la ligne Buisson-Sarkozy est indigne d'un ministre qui se dit républicain. À ce titre, il est effectivement lamentable que Manuel Valls et ses soutiens d'une part, et certains collaborateurs du Président de la République d'autre part, cherchent à déguiser parfois des discussions de fond en couac gouvernemental.
Car en effet, il ne s'agit pas d'un couac mais d'un débat de fond : «On ne peut pas considérer et on ne peut pas dire qu'il y a des catégories de population où leur origine justifierait qu'elle ne puisse pas s'intégrer [...] que leur pratique et leur mode de vie sont un dérangement pour leur voisin. […] Parce que quand on dit ça, on est au delà de ce qui met en danger le pacte républicain. […] Quand tous, nous avons dit que le discours de Grenoble [de Nicolas Sarkozy] était un scandale absolu, nous ne pouvons pas laisser penser que nous pourrions utiliser les mêmes méthodes […]. Et ça ce n'est pas la responsabilité des ministres mais c'est la responsabilité du président de la république. […] Parce qu'au-delà de son programme, il a été élu pour réparer des blessures douloureuses, […] des blessures qui ont visé des grandes catégories de personnes, des musulmans considérés comme pas intégrés ou pas intégrables, comme posant un problème à l'identité nationale, des blessures causées aux Rroms, populations parmi les plus stigmatisées d'Europe. […] Ce rôle essentiel qui a été confié au président de réparer les blessures, d'apaiser les tensions... c'est le pacte de valeurs qui a fondé cette majorité.»
retrouver l'intervention intégrale de Duflot ici
Jean-Marc Ayrault n'a finalement pas dit autre chose devant les parlementaires écologistes en rappelant la nécessité d'appliquer la circulaire gouvernementale, circulaire dont on a vu que son application posait question. Ainsi, Manuel Valls contrevient tout simplement à ligne gouvernementale par ses propos et il est dramatique qu'il ait fallu attendre l'intervention de Cécile Duflot pour que le Premier Ministre rappelle à tous le cadre de la politique gouvernementale, alors que le Président de la République reste silencieux.
Comment imaginer que dans un pays comme le nôtre nous ne soyons pas en mesure de travailler à l'intégration de 15 à 20 000 personnes ? Comment imaginer que le Ministre de l'Intérieur puisse proférer de tels amalgames, démontrant sa une stratégie de communication populiste à visée personnelle, sans qu'il soit remis clairement à sa place, et pire encore que soit organisé avec l'indulgence de l'exécutif les pétitions de soutien à son égard ?
Laisser ainsi passer tels débordements valide le discours et les thèses de l'extrême droite, bien plus que le supposé angélisme dénoncé par Manuel Valls. Dominique Bussereau a résumé à sa manière la situation : «Valls est le meilleur ministre de l'UMP», aphorisme cinglant qui démontre à la fois la dérive de l'aile droite du PS et le niveau de décomposition politique à l’œuvre dans le principal parti de droite.
D'aucun dénoncent également le point Godwin qui aurait été atteint par certains responsables politiques comme Daniel Cohn-Bendit, mais qu'on le veuille ou non le rapprochement avec les commentaires exprimés sur l'immigration des juifs d'Europe centrale dans les années 1920-1930 est saisissant : les familles yiddish fraîchement immigrées étaient également jugées non intégrables et incompatibles avec la société française du fait de leur misère sociale, de leur langue, de leur habillement et de leur mode de vie. Manuel Valls n'est ni Laval, ni Maurras, mais en entretenant les amalgames au plus haut niveau de l’État, il entretient la peur et le rejet de ces populations, il nourrit les réflexes xénophobes d'une population française fatiguée et tentée plus que jamais par le vote FN.
La tentation de l'ordre avant la justice
Le Parti Socialiste et la gauche ont longtemps été accusés d'être incompétents ou angéliques en terme de politique de sécurité publique. Pourtant, l'articulation nécessaire entre police d'ordre et police de tranquillité publique, entre prévention et répression, entre justice et police, était déjà inscrite dans les orientations de la gauche dès les lignes fixées par Gilbert Bonnemaison dans les années 1970-1980. Et en matière de sécurité publique, il me paraît difficile d'expliquer que des personnalité comme Pierre Joxe furent suspectes de laxisme.
Dès octobre 1997, lors de la convention de Villepinte sur la sécurité, Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement font de la sécurité une priorité (ce qui ne signifie d'ailleurs pas que la gauche ait considéré auparavant que cela n'en était pas une). Invoquant le «droit à la sûreté» de la Déclaration des Droits de l’Homme, le Premier Ministre et son ministre de l’intérieur déclarent que «la sécurité est une valeur de gauche» et que la gauche agira pour que les catégories populaires ne soient plus les oubliées d'une insécurité quotidienne dont elles souffrent plus fortement que le reste de la population. La création de la police urbaine de proximité, supprimée ensuite par Nicolas Sarkozy, en avait été une des traduction les plus concrètes.
Il n'y a donc pas à avoir de mauvaise conscience à gauche dans ce débat, notamment quand on mesure les résultats plus que douteux de la décennie Sarkozy sur ce terrain. Au contraire, le démantèlement de la police de proximité, l'accumulation de lois "faits divers", ou encore la "politique du chiffre", ont profondément déstabilisé la sécurité publique et perverti notre système judiciaire (peines planchers) lui-même affecté par une réforme violente de sa géographie administrative, une réduction de ses moyens et des contraintes inutiles (jurys citoyens en correctionnelle).
La réforme pénale préparée et portée par Christiane Taubira était donc parfaitement nécessaire ; d’autant qu'il n'y a pas à gauche de débat entre défenseurs de l'ordre, d'un côté, et de la justice, de l'autre, opposition parfaitement artificielle et populiste. Là encore, la polémique sournoise (une lettre confidentielle adressée au Président de la République mais transmise aux médias), engagée par le ministre de l'Intérieur en plein milieu de l'été, fut profondément démagogique et dommageable à la gauche et l'efficacité de l’État. Là encore, il donnait contre son camp des arguments et des citations réutilisables par la droite et le FN contre la remise en ordre d'une Justice républicaine traumatisée pendant 10 ans et presque sciemment rendue inefficace par l'expérience sarkoziste.
Une fois encore, dans une stratégie de communication politique déjà mise en œuvre dans sa méthode par l'ancien Président de la République, l'actuel ministre de l'Intérieur recherchait le soutien d'une opinion déboussolée contre son propre camp. Il réintroduisait du même coup le soupçon contre sa famille politique dans l'opinion. Le bougisme vallsien a succédé en la matière au bougisme sarkozyste, sauf qu'ici la triangulation se fait contre les principes démocratiques et humanistes de la gauche.
Pire, les amis de Manuel Valls tentaient de dresser contre l'angélisme supposé de la gauche le réalisme supposé des élus locaux du parti (procédé réutilisé hier dans Le Journal du Dimanche concernant les Rroms). Dans une tribune parue le 21 août 2013 dans Libération et intitulée « La gauche affranchie », les proches du Ministre dénonçait « Le récit de la gauche […] soit faible soit inadapté. Faible parce qu’il reposait trop souvent sur l’idée de restauration […]. Inadapté parce qu’il a longtemps fait l’impasse sur les questions identitaires qu’elle a voulu réduire trop souvent à leur dimension sociale. » Ainsi, deux limites étaient franchies : revenir sur des politiques réactionnaires étaient assimilées à une « restauration » mal venue – il eut donc fallu poursuivre le chemin de la Réaction –, la sécurité (comme auparavant l'immigration) serait désormais liée à la question identitaire (c'est sans doute pour cela que Manuel Valls défend l'interdiction du simple voile à l'université). Tout cela sous le gage du «réformisme», car on l'aura compris le gouvernement de Jean-Marc Ayrault est au main de dangereux révolutionnaires droits-de-l'hommistes.
Pour eux, «La gauche affranchie, c’est donc celle qui décide de porter haut et fort les valeurs d’autorité, de respect et d’ordre.» Si cette tribune pouvait être noyée dans quelques phrases creuses sur la défense de l'éducation, de la laïcité et des valeurs républicaines, il n'y était pas une seule fois question de justice républicaine ou de justice sociale, deux notions au cœur du projet de la gauche… les signataires préférent sans doute à la justice sociale la défense du monde de l'entreprise, car «La gauche affranchie, c’est celle qui, au fond, se met au service de ceux qui créent de la richesse, notamment des entreprises et tout particulièrement des petites et moyennes, qui souffrent de charges excessives» (charges plutôt que cotisations, n'est-ce pas).
Cette "gauche affranchie" ne retient plus que l'ordre et l'autorité, qui sans la justice sont incapables d'instaurer une société démocratique et républicaine, incapables de d'entretenir et de consolider le lien social, le "vivre ensemble". Le même appel à l'ordre et à l'autorité avait déjà secoué le parti socialiste en 1933 quand Marcel Déat et les «Néos» (socialistes) avaient lancé leur offensive contre Léon Blum et la majorité de la SFIO lors de son XXXème congrès. Certains dérivèrent plus loin ensuite.
Cette tribune introduit là encore une suspicion dramatique : si les amis du Ministre de l'Intérieur en appellent ainsi à l'ordre et à l'autorité, c'est que le reste de la gauche soutiendrait des positions libertaires et abandonneraient les classes populaires victimes de l'insécurité. Et comme le ministre est minoritaire face à ses "irresponsables", une nouvelle fois la droite et le FN pourront dénoncer la chienlit social-démocrate à l’œuvre.
La réalité est pourtant tout autre. L’État se doit de reprendre pied dans tous les territoires qu'il a abandonné précédemment : les populations ont droit à des services publics forts et de qualité (de l'éducation à la justice en passant par la police), qui ont été mis à mal pendant 10 ans, laissant souvent seuls les élus locaux face à des habitants souvent légitimement excédés. En ce sens, la polémique sur la supposée absence d'action de Jean-Claude Gaudin (quels que soient ses tords), qui opposait le ministre de l'Intérieur au maire UMP de Marseille, ne pouvait être que contre-productive car elle renvoyait tous les maires face à leurs administrés sur des compétences pourtant régaliennes.
D'autre part, si la création de Zones de Sécurité Prioritaires était une initiative nécessaire, elles ne peuvent pas être à elles-seules le viatique de la politique de sécurité publique du gouvernement. Pour revenir sur la polémique marseillaise, on connaît les limites de la mauvaise répartition des effectifs policiers entre police de maintien de l'ordre et police de proximité : en aucun cas, la présence temporaire ou durable d'effectifs de gendarmes mobiles ou de CRS dans un quartier soumis à l'insécurité ou au trafic de drogue ne permet de résoudre la situation.
La question qui est posée à la gauche est celle du niveau des effectifs durables dans les commissariats des quartiers populaires ; mais là encore, ceux-ci continuent d'encaisser la baisse engagée dans les années précédentes. La RGPP a beau être annulée, des objectifs de "rationalisation" ou de "modernisation" des services publics continuent de menacer l'existence de certains commissariats de quartiers populaires et la pérennité de leurs effectifs, donc de leurs heures d'intervention et de présence sur le terrain. Interrogé sur le sujet lors de la même émission de France Inter du 24 septembre durant laquelle il s'en est pris aux Rroms, le Ministre de l'Intérieur n'a pu fournir aucune réponse convaincante.
Enfin, il convient de tenir un discours cohérent à gauche. Trop de responsables socialistes locaux défendent dans leurs programmes pour les élections municipales la création de service de Police Municipale ou l'augmentation de leurs effectifs, voire désormais leur armement. L'existence des Polices Municipales est parfois nécessaire, mais il faut savoir subtilement doser son effort : trop fréquemment, la création de ces services ou l'augmentation de leurs effectifs accélèrent la diminution parallèle des effectifs de Police Nationale dont l'action pour la sécurité et la tranquillité sont pourtant indispensables, d'autant que les Polices Municipales ne peuvent agir sans le concours de la Police National et dans les cas les plus lourds (comme le trafic de drogue ou les violences) sont parfaitement incompétentes (au sens administratif du terme).
Ainsi, la préservation de la sécurité républicaine et de la tranquillité publique ne sera en aucun cas le résultat de la course à la vidéosurveillance, de la création de polices municipales, ou de la multiplication des cars de CRS, mais de l'inscription durable sur les territoires d'effectifs de Police National ou de Gendarmerie.
La fuite en avant social-libérale ouvre l'espace pour la dérive sécuritaire
Le discours de la "gauche affranchie" est finalement assez clair et cohérent : «La gauche affranchie est aussi une gauche qui n’a plus peur d’être réformiste et qui ne réduit pas son action à la seule intervention de l’État en se demandant en permanence si ce qu’elle fait est vraiment de gauche. La gauche affranchie, c’est celle qui, au fond, se met au service de ceux qui créent de la richesse, notamment des entreprises et tout particulièrement des petites et moyennes, qui souffrent de charges excessives».
Pour cette aile droite assumée du PS, la mission historique du socialisme démocratique disparaît derrière une volonté de "modernisation", c'est-à-dire d'une adaptation ou d'une transformation du modèle républicain français et universaliste selon les exigences du néo-libéralisme mondialisé. L'appel à l'ordre et à l'autorité vise ainsi à remplacer la fonction d'émancipation des classes populaires que c'était fixé à l'origine le parti socialiste ; la protection sociale et économique, l'intervention de l’État social républicain laisse la place au seul État répressif censé "protéger" les citoyens.
Alors que Manuel Valls n'a fait que 5% aux primaires citoyennes, qu'il n'a jamais confronté son orientation politique à un congrès du PS, il pèse d'un poids terrible sur les débats de ce parti. C'est lui le véritable surmoi du PS et non une supposée domination de la pensée marxiste. Ce non dit d'une ligne social-libérale et sécuritaire qui pèse sur le PS s'est traduit lors du congrès de Toulouse lorsque la motion majoritaire de ce parti désormais aphone a intégré dans ses représentants au sein des instances nationales un nombre disproportionné d'amis politiques du Ministre – disproportionné car la ligne qu'ils défendent est somme toute éloignée de ce qui était écrit dans leur motion.
Mais c'est pourtant leurs idées qui tiennent qu'on le veuille ou non le haut du pavé dans l'action gouvernementale. Avec le CICE et les 20 milliards offerts sans contreparties aux entreprises sous prétexte de compétitivité mais surtout pour faire "baisser le coût du travail" ; avec l'accord national interprofessionnel qui a gravement affecté le code du travail afin d'offrir au patronat de plus fortes marges de manœuvre ; avec le projet de réforme des retraites, qui parce l'"on vit plus longtemps, donc on doit cotiser plus longtemps" propose d'allonger la durée de cotisation jusqu'à 43 ans. Dans le même temps, la question des salaires et celle du pouvoir d'achat sont devenues quasiment tabou, sauf par l'entremise du débat imposé par une aile droite du PS un peu large encore sur le "ras-le-bol" fiscal.
Pourtant en terme de "ras-le-bol fiscal", bien qu'on ait enfin décidé de ré-indexer l'année prochaine le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, il n'est pas prévu de limiter les efforts des classes moyennes et populaires mais ceux des entreprises : après les cadeaux fiscaux déjà réalisés, il est désormais envisagé de compenser leur hausse de cotisations sur les retraites par une baisse des cotisations employeurs sur la branche famille. N'oublions pas que la hausse de la TVA prévue pour le 1er janvier prochain est censée financer le CICE… On n'a pas entendu cette aile droite là se joindre à d'autres - Maintenant la Gauche, un Monde d'Avance ou La Gauche Durable - qui réclamaient une véritable réforme fiscale en commençant par la progressivité de la CSG (première étape avant sa fusion espérée avec l'impôt sur le revenu) ou par le gel des hausses de TVA qui vont d'abord pénaliser les classes moyennes et populaires.
Non, depuis plusieurs semaines, les sociaux-libéraux du PS se sont attaqués à la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires ou encore réclament une nouvelle brèche dans le code du travail sur la question de l'ouverture des magasins le dimanche.
Personne pour répondre qu'au-delà de l'application de loi et d'une décision de justice (la circulaire sur les campements illicites disaient "le respect des décisions de justice ne saurait être mis en question") – qui devrait être chères à ceux qui réclament de l'ordre et l'autorité – il y aussi des principes de protection des salariés, qui sans un code du travail forcément déséquilibré en leur faveur se trouveraient à la merci du bon vouloir de l'employeur, autre et plus grave déséquilibre social. Personne non plus pour rappeler que si des salariés se plaignent d'être mal payés, et doivent pour vivre accumuler heures supplémentaires ou travail dominical, c'est qu'il y a sans doute un problème dans notre pays de sous-rémunération qui mériterait la convocation urgente d'une conférence nationale sur les salaires et l'emploi.
Non, ce matin (lundi 30 septembre 2013), les ministres concernés étaient convoqués pour réfléchir à des adaptations de la législations… et personne n'a moufté !
Selon les défenseurs de cette liberté d'entreprendre et d'écraser les salariés, ce sont les "angélistes" du PS et les partis qui se situent à sa gauche (EELV, PCF) qui auraient perdu le contact avec les "vrais gens" et ne chercheraient plus à répondre à leurs préoccupations. Ils conviendraient pour cela de durcir le ton sur les questions de sécurité, d'identité et d'immigration, ceux qui contesteraient cette ligne étant des bobos désincarnés, parfois marxistes mal dégrossis. Les questions de progrès sociétal devraient également être abandonnées, mariage pour tous, PMA, régulation des drogues, etc. allant à l'encontre des préoccupations essentielles des Français.
En réalité, les sociaux-libéraux n'ayant pas les moyens au travers de leur politique de satisfaire les attentes des catégories populaires – emplois, pouvoir d'achat, services publics forts de proximité –, ils leur offrent un succédané populiste de l'action politique : le langage sécuritaire et autoritaire, une logorrhée antifiscale. Plus grave, certains n'ont pas même la volonté de satisfaire ces classes populaires : le salarié moderne est celui qui est corvéable et adaptable à merci, dont le salaire et la protection sociale ne plombent plus la compétitivité de l'entreprise qui pourra alors créer des richesses et de l'emploi avec des individus jetables.
Le discours sécuritaire et identitaire est donc un dérivatif bien venu pour détourner l'attention de cette partie de la population.
Mais cette stratégie est erronée : elle ne permet pas de reconquérir l'électorat ouvrier du nord et de l'est de la France qui choisit peu à peu de confirmer son vote par Marine Le Pen. Ce n'est qu'en apportant durablement des réponses économiques et sociales à cette population excédée que l'on pourra la détourner du Front National et permettre ensuite de lui faire entendre un discours éthique qui déconstruit la véritable stratégie de l'extrême droite.
Celle-ci, n'en déplaise à Malek Boutih qui cherchait à convaincre les socialistes du contraire à La Rochelle le 24 août 2013, s'est toujours nourrie de la misère et de la détresse sociales. En menant une politique sociale-libérale qui désespère les classes populaires et en faisant sonner à leurs oreilles les sirènes sécuritaires et identitaires, l'aile droite du PS et tout particulièrement les amis du Ministre de l'Intérieur pavent le chemin qui mènera à notre défaite collective en 2014 et 2017, et légitiment toujours plus le discours d'une extrême droite maquillée de dédiabolisation. Ils porteront, si on ne les arrête à temps, la responsabilité de l'accession au pouvoir d'une droite extrêmisée alliée à l'extrême droite.
Frédéric FARAVEL