Ce n'est pas parce que le titre de cet article ressemble à celui d'une recette charentaise, qu'il faut immédiatement considérer que j'y parlerai «cuisine» politique. Non l'édition 2014 des universités d'été socialistes de La Rochelle, qui se sont déroulées du vendredi 29 au dimanche 31 août, ont été plutôt un bon cru. La Rochelle pour un socialiste, c'est l'occasion de se former en assistant et parfois en participant à des débats et à des ateliers – et contrairement à 2013, le PS avait cette année de nouveau fait l'effort d'inviter des intervenants qui ne fleuraient pas bon la consanguinité socialiste – à condition que le programme soit enthousiasmant. C'est aussi l'occasion de retrouver des potes de toute la France, qu'on ne voit que deux ou trois fois l'an et avec qui on a aujourd'hui la chance de rester en contact avec les réseaux sociaux ; se retrouver autour d'une table garnie si possible. C'est également la possibilité de discuter avec d'autres camarades socialistes, de débattre, de s'engueuler, si possible pas devant les caméras des chaînes d'infos en continu qui sont venues assister au festival de Cannes des socialistes (oui parce que pour quelqu'un qui fréquente comme moi régulièrement les UEPS depuis 1996, toutes celles qui sont intervenues depuis 1997 se sont transformées en partie en une sorte de plagiat de montée des marches sur lesquelles certains responsables politiques rivalisent de fausse coolitude ou autoritude). C'est enfin un moment important où en parallèle des rassemblements socialistes, les sensibilités et sous chapelles (il y en a énormément à la hauteur de la balkanisation de la motion dite majoritaire du parti) tentent de se compter ; c'est aussi le moment où le seul courant constitué du Parti – Maintenant la Gauche, courant de la gauche du PS – ayant reçu les suffrages des militants fait le point sur la situation politique.
La Rochelle 2014 méritait donc bien un petit compte-rendu chronologique et forcément subjectif…ah ben oui parce que j'avais oublié de dire que tout de même à La Rochelle on réfléchit et on discute de la situation et de l'avenir de la France, de l'Europe et du monde. Et rien qu'à regarder l'état de la première, on a eu de quoi faire cette année.
Jeudi 28 août 2014 (prolégomènes) :
Un peu plus de 25h nous sépare désormais du discours de Manuel Valls devant les participants de l'université d'été du MEDEF. Ohh, ce n'est pas la première fois qu'un premier ministre socialiste s'y rendait, Jean-Marc Ayrault himselfavait déjà fait le chemin. Mais il est vrai que Manuel a frappé fort : «J'aime l'entreprise !» a retenu la presse, dans ce qui était en fait une déclaration d'amour langoureuse aux revendications libérales du patronat, le Premier ministre confondant ainsi entreprises et entrepreneurs, capital productif et actionnariat et oubliant constamment que ces entreprises vivent car au quotidien des salariés s'échinent à les faire tourner, dans des conditions de travail pas toujours au top et sans aucun pouvoir réel sur la conduite des affaires. Ça promet La Rochelle déjà qu'avec la démission forcée de Montebourg, Hamon et Filipetti, pour une pécadille (pas très maline, c'est Henri des Landes qui l'a dit) qui ne leur aurait attirés aucune remontrance un mois et demi plus tôt, puis la nomination du gouvernement le plus social-libéral que le pays ait connu sous une majorité socialiste, on était servi…
Le plus important n'est pas là pour le moment, mon pote Dylan vient d'arriver à la maison pour qu'on parte ensemble en covoiturage le lendemain. On partage le repas avec Clém c'est un moment agréable.
Vendredi 29 août 2014 (matin) :
Lever 6h, départ 6h37, on roule bien à l'aube en région parisienne à la fin du mois d'août. Avec quelques pauses, nous arrivons un peu avant midi à La Rochelle. Le temps de passer récupérer les petits colliers à fiches plastifiées qui nous identifierons tout au long du week-end comme des socialistes en goguette, et nous prenons le temps de déjeuner entre le village en bois et un des bassins du vieux port.
Vendredi 29 août 2014 (après-midi) :
Les choses sérieuses commencent pour moi dès 13h30 pour un premier briefing, salle Héron, du staff d'organisation de l'université d'été et des membres du collectif national des formateurs du Parti dont je suis. Outre les questions habituelles d'organisation, on évoque la grande nouveauté de ce week-end : les camarades socialistes lambda auront le droit de poser des questions lors des plénières. Ils sont évidemment sélectionnés avant la séance…et très sérieusement accompagnés dans leur démarche par le staff.
À 14h30, on se retrouve sur la terrasse des UEPS avec quelques camarades de Maintenant la Gauche, Bertrand, Dylan, Léo, Martine, Gérald, Charlotte, Geneviève…pour faire le point sur les infos à transmettre à nos camarades sur les différents rdv du week-end. Ambiance détendue et organisée, on est content de se retrouver, on prend un verre ensemble, rien n'empêche de joindre l'utile à l'agréable. On commence à discuter de la situation politique et économique du pays, du remaniement, de la confirmation des errements libéraux et inefficaces du gouvernement. Une journaliste de France 2 vient se greffer à nos discussions, elle en tire finalement peu de choses, comme le font souvent (et ils le feront à plusieurs reprises durant le week-end) les journalistes avec des militants politiques : alors qu'on essaie d'aborder au fond les raisons des difficultés économiques du pays, les solutions qui existent, les mauvaises qui sont privilégiées, France 2 ne retiendra que des considérations électorales ou tactiques : «les socialistes n'ont pas fait campagne et voté pour cette politique, et nos électeurs non plus.» (retrouvez ici le reportage de France 2 dans le JT de 20h du vendredi 29 août 2014à partir de 6'57'')
On fait aussi un point avec nos camarades Marie-Noëlle Lienemann, Paul Quilès et Emmanuel Maurel sur le repas du courant le soir même à la Marée.
Le reste de l'après-midi est gentiment chaotique toutes les 5 mn, on croise un camarade qui veut discuter et échanger sur nos impressions. Chourka m'accroche au stand du PSE pour le lancement de la nouvelle campagne des socialistes européens sur les réseaux sociaux #MyDemocracyMatters : «toi je sais que tu auras des choses à dire !» Voilà qui est fait, mes préoccupations démocratiques européennes : la relance économique plutôt que l'austérité, et préférer les citoyens européens aux gouvernements.
Dans l'après-midi, la presse nous apprend que parmi les signataires de l'appel très creux et ambigus des «200», beaucoup n'avaient pas été consultés, ou sur un texte différent ou avaient donné leur accord avant le remaniement et ont changé depuis d'avis, ou encore que les nouveaux ministres ou sous ministres avaient signé comme députés, mais que leurs suppléant(e)s ne partagent pas du tout leur avis. On apprend aussi que le SO a menacé de se mettre en grève ce week-end à cause des déclarations de Macron sur les 35h, forçant le premier secrétaire du PS par intérim à demander à Matignon de démentir... Matignon le fera avec ambiguïté «on n'y touchera pas sauf si les partenaires sociaux le demandent». Sournois.
17h15 : c'est l'heure de retrouver le collectif national des formateurs pour faire un point avec Émeric Bréhier, secrétaire national du PS en charge de la formation et de la rénovation politique (proche de Pierre Moscovici). Son projet n'est pas inintéressant, il veut muscler le secteur formation en accord avec le Premier secrétaire par intérim du PS et remettre la formation idéologique au premier plan, alors que nous sommes surtout sollicités aujourd'hui pour des formations techniques (prise de parole, conduite de réunion, direction de campagne électorale, communication écrite…), donc on forme des militants de la « prise du pouvoir » mais on ne s'occupe jamais du message qu'ils ont à défendre. Il y a effectivement un malaise depuis longtemps pour moi et je partage l'ambition de notre SN sur le sujet. Mais comment déterminer le base idéologique commune minimum à transmettre alors que notre parti subit avec violence l'affirmation volontariste de politiques libérales par le gouvernement et surtout qui le détermine ? Émeric fera une réponse convenue mais finalement fuyante : on a une déclaration de principes et les états-généraux éclairciront le reste. Je trouve ça un peu court car je ne suis pas sûr que cela permette de répondre pour le contenu de toutes les formations proposées, que les états-généraux ne traiteront pas des questions économiques et sociales, et que cela ne garantit pas l'équité dans l'élaboration concrète des contenus des formations sujet sur lequel il ne m'a pas répondu.
18h45 : je retrouve quelques camarades à l'entrée du restaurant La Marée pour accueillir les camarades de Maintenant la Gauche qui vont dîner ensemble. On attend 130 personnes, on sera finalement 150, et ça se presse déjà devant l'entrée dans une joyeuse désorganisation.
Coïncidence du soir, les amis de Martine Aubry se sont retrouvés pour un apéro sur la terrasse de La Marée, Gilles Pargneaux explique à ses ouailles la bonne nouvelle : «Martine va parler !», il suffit donc d'attendre qu'elle veuille bien le faire…
19h15 : nous sommes installés, Emmanuel Maurel prend la parole avec combativité et détermination «nous ne laisserons pas le Parti Socialiste à ceux qui ne le sont plus !» La salle applaudit à tout rompre, évidemment elle est acquise, mais ça réchauffe de se retrouver ensemble.
Lever tôt et bagnole dans les pattes, je suis crevé, je rentre me coucher après avoir passé un bon moment avec les camarades.
Samedi 30 août (matin) :
8h30, je suis scié ! Avant d'arriver à l'encan les CRS ont établi un barrage filtrant avant même les puces de mer ; les mecs du SO sont là pour faire entrer les militants badgés. Ils partagent avec moi la même sidération devant la disproportion du dispositif. Tout le parking en face de l'Encan est vidé, ni les Rochelais, ni les touristes, ni bien sûr d'éventuels manifestants ne peuvent circuler. Jamais cela n'avait été fait, ni sous Jospin ni sous Ayrault. La parano a dû s'emparer du staff de Manuel Valls pour qu'il exige un tel dispositif.
9h00 : j'ai décidé d'assister à la plénière «Qu'attend le mouvement social de la politique ?» La plupart des camarades de Maintenant la Gauche sont partis à l'université assister à la réunion de «Vive la Gauche !» avec Marie-Noëlle Lienemann et Jérôme Guedj. Bruno Le Roux et Emmanuel Maurel sont là pour le PS, aux côtés de toutes les syndicats de salariés. La plénière est animée par Karine Berger.
Le président du groupe PS s'interroge en plénière sur la représentativité des syndicats puis explique en plénière que les états généraux devront redéfinir la base idéologique des socialistes, eu ben non ça c'est le rôle d'un congrès…un grand blanc suit son intervention. Karine Berger doit demander aux militants présents de bien vouloir applaudir le camarade Bruno ; applaudissements polis mais très tièdes. Bruno est un peu pâle.
Emmanuel prend la parole et rappelle que la thématique des rapports du mouvement social avec la politique pose la question profonde de l'identité du PS. «Faire vivre le dialogue social ce n'est pas réduire la représentation des salariés en changeant les seuils» deux phrases tonnerre d'applaudissements ! Comment expliquer qu'on nous annonce «une loi contre les seuils qui supprimerait des représentants du personnel alors qu'on déplore un manque de dialogue social !»
Il répond au Premier ministre qui devant le MEDEF avait oublié les salariés : «Si nous aimons les entreprises c'est avant tout parce que nous sommes aux côtés des salariés.[…] Les salariés sont d'autant plus productifs qu'ils sont bien protégés et correctement payés !» «Peut-être que le mouvement social n'a pas toujours raison mais on a toujours tort de ne pas le prendre en compte[…] car la mission du PS c'est de donner un débouché politique au mouvement social» et non de transcrire sans recul des négociations sociales sous domination du MEDEF. À chaque fois, Emmanuel Maurel est chaudement applaudi, les syndicalistes sourient.
Le camarade de la CGT interviendra un peu plus tard pour rappeler que sa confédération et certaines autres comptent plus de 600 000 adhérents, soit plus que tous les partis politiques additionnés en France. Voilà pour la représentativité.
Nous quittons l'Encan pour retrouver sur le chemin les centaines de camarades qui reviennent de la réunion de «Vive la Gauche !» ; Marie-Noëlle Lienemann et Jérôme Guedj y ont défendu une position ferme face aux dérives de l'exécutif, les autres frondeurs sont encore un peu ambigus mais tous ont la volonté de porter une exigence de gauche au Parlement pour qu'il cesse d'être dominé et écrasé par un exécutif néo-libéral. On sait que la venue de Christiane Taubira a été chaleureusement accueillie par les quelques 800 militants présents, par sa présence elle a montré que le débat était indispensable, mais on sait pourtant que la presse ne retiendra que ce déplacement et écrasera toute question politique de fond dans son rapport.
Les camarades mettent du temps à rentrer car il faut faire tout le tour du bassin de l'encan pour relier l'université d'été à l'université de La Rochelle ; en effet, la passerelle qui enjambe le bassin a été opportunément relevée ce matin, il paraît que c'était pour des raisons de sécurité et pas du tout pour compliquer la tâche à certains.
Je retrouve Gérald, Martine et quelques autres camarades qui rentrent avec Marie-Noëlle Lienemann et Jérôme Guedj. Ensemble nous décidons de traverser la place qui longe le quai de la georgette. Une imposante manifestation de la CGT s'y déroule depuis le matin. Les manifestants nous accueillent chaleureusement, ravis que des socialistes osent aller à leur rencontre, eux qui sont tenus à l'écart par un solide encadrement des CRS. Le débat s'engage, ils expriment le sentiment de d'incompréhension face à la politique conduite depuis 2 ans, le sentiment de trahison quant au détournement de leur vote du 6 mai 2012, la perplexité quant aux possibilités qui existent de redonner au Parti Socialiste sa mission première. Nous ne désespérons pas, nous expliquons notre volonté de peser pour réorienter la politique gouvernementale et rassembler enfin la gauche, que l'exécutif s'échine pourtant à désunir. Mes camarades repartent et je reste discuter plus longuement avec les militants syndicalistes, pour creuser avec eux les problèmes et les convaincre que rien n'est perdu. Certains sont aussi militants du PG ou du PCF, ils pensent que les querelles sur la stratégie aux municipales a profondément handicapé le Front de Gauche auprès des électeurs. Ils se font des idées, voilà bien une chose qui est à mille lieux des préoccupations de nos concitoyens. Je leur explique pourquoi selon moi la stratégie de Mélenchon est une impasse, qu'elle divise la gauche plus qu'elle ne permet de construire une «alternative» entre deux gauche supposées irréconciliables, alors que notre électorat est profondément unitaire. En quoi, pour le FN, le renfort d'électeurs de gauche dans le nord et l'est du pays est une menace grandissante qui se nourrit de la colère d'avoir vu leur vote de mai 2012 détourné, menace d'autant plus forte, que les électeurs socialistes choisissent toujours plus de s'abstenir. Enfin, que l'enjeu véritable n'est pas tué le PS qui serait irrémédiablement tombé dans les mains des libéraux comme Valls ou Collomb, mais qu'au contraire l'enjeu est dans le PS qu'il ne faut pas laisser à ceux qui ne sont plus socialistes.
Nous nous quittons avec sympathie ; il n'est pas dit que nous militerons ensemble prochainement mais nos discussions sont une base nécessaire pour maintenir les portes ouvertes.
12h45 : Nous nous retrouvons devant l'encan avec quelques camarades du Val-d'Oise : Jean-Pierre Blazy, Gérard Sébaoun (en photo ci-contre), tous deux députés, Maxime Lonlas, Antoine Raisséguier, Steven Dutartre. Nous décidons de partir ensemble pour rejoindre le gymnase Gino-Falorni, où se tient le pot des fédérations départementales socialistes d'Île-de-France. Après un quart d'heure de marche, nous arrivons dans une salle inadaptée, bruyante, surchauffée, sans suffisamment boissons pour accueillir les militants qui s'y pressent par centaines également. La sono rend l'âme avant même les prises de paroles ; nous n'attendons donc pas que Jean-Paul Huchon explique à l'assemblée pourquoi il veut à nouveau être candidat à la présidence de la Région Île-de-France. Nous regagnons le village en bois pour déjeuner en trouvant Dylan en route. Moment convivial où nous discutons de la manière de mieux faire connaître aux militants valdoisiens notre démarche commune, qui n'est pas la constitution d'un nouveau courant mais la volonté de ramener le parti à ses valeurs et le travail législatif en cohérence.
Samedi 30 août (après-midi) :
Je regagne la salle plénière. La table ronde sur l'égalité s'y tient, Benoît Hamon conclut : «on peut échouer parce qu'on a été empêché, qu'on rencontre des obstacles, qu'on est battu. Mais on peut aussi échouer parce qu'on a rien tenté ! Rien n'est perdu !» Je fais partie de ceux qui aurait aimé qu'il explique ce qu'il eut fallu tenter, mais le message est reçu par la salle qui applaudit à tout rompre. Christiane Taubira se livre ensuite à un exercice dans lequel elle est passée maître : émouvoir la salle aux larmes par la beauté et le lyrisme de son verbe…j'avoue ne pas avoir retenu si elle a voulu nous délivrer un message concret.
17h00 : Arrive le moment attendu de la plénière qui doit réunir l'ensemble des partis de gauche du pays. C'est à Marie-Noëlle Lienemann qu'on a fait appel pour animer la table-ronde, ce n'est pas un hasard car elle reste l'une des rares dans le PS à être capable de faire parler et travailler ensemble les différentes composantes de la gauche. Elle rappelle qu'aucun progrès, rien de grand ne peut se faire dans ce pays sans le rassemblement de la gauche, que la menace de l'extrême droite peut être un facteur de rassemblement comme ce fut le cas pour le Front Populaire mais qu'il ne suffit pas à tenir ensemble nos familles si nous n'avons pas de projets communs.
Nous subissons les quatre premiers intervenants : Jean-Luc Laurent (MRC) trop long, Jean-Luc Benhamias (FDES) bordélique qui nous annonce que la raison d'être de son tout nouveau mouvement est uniquement de soutenir le Président de la République, Robert Hue (MUP) chaotique qui soutient le Président tout en dénonçant chaque élément de sa politique, enfin Jean-Michel Baylet (PRG) qui nous fait son numéro de tribun hâbleur franco-occitan et menace la direction du PS qu'il ne reste bientôt plus personne pour les accompagner si ce n'est eux.
Arrive enfin Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, il va faire un tabac ovationné debout à plusieurs reprises par la salle plénière, où n'en déplaise à Luc Carvounas qui se rassurait par un mensonge, les militants de Maintenant la Gauche étaient largement minoritaires : il a failli ne pas venir (il aurait eu tort) car «Le nouveau gouvernement, le discours devant le MEDEF, le détricotage de la loi ALUR, ça fait beaucoup pour la semaine». Pour chaque sujet abordé, il rappelle que «la politique menée par le gouvernement est minoritaire à gauche et dans le pays», que «le contrat[du 6 mai 2012] a été purement et simplement déchiré par François Hollande» mais que nous pouvons nous rassembler car «une autre politique est possible». Difficile pour Emmanuelle Cosse de réussir à enthousiasmer la salle après une telle énergie, pourtant elle va arriver à plusieurs reprises, exprimant une colère partagée par les militants socialistes quand elle a vu la veille le gouvernement céder aux lobbiesimmobiliers et enterrer la loi ALUR, une loi progressiste voulue par les socialistes, préparées ensemble et votées par toute la gauche ! Elle rappelle que nous avons déjà travaillé ensemble socialistes et écologistes pour bâtir un projet commun que François Hollande a depuis foulé aux pieds. Alors les écologistes restent disponibles pour un projet commun, mais s'il s'agit de mettre en œuvre le social-libéralisme il faudra se passer d'eux.
Derrière Jean-Christophe Cambadélis oscillera entre dérision et sermonnage pour tenter de garder une contenance devant la salle. Les leçons seront retenues pour le lendemain.
Samedi 30 août (soirée) :
Il est l'heure de rejoindre la salle municipale du quartier de Tasdon pour l'assemblée générale de Maintenant la Gauche. Nous sommes plus nombreux encore que le repas de la veille, le double assurément.
Emmanuel a rappelé que nous sommes les seuls à exister en tant que courant structuré du PS, fort de deux années d’expression constante sur la politique gouvernementale et de contre-propositions. Il a également exprimé son scepticisme sur la pertinence des États Généraux, après la lecture du document officiel qui s’apparente plus à un QCM qu’à une réelle feuille de route.
La démarche est intéressante. Effectivement, nous devons prendre en compte l’évolution de la société, mais on peut cependant s'étonner d'une telle feuille de route quand la déclaration de principes du PS a été réécrite voici moins de 10 ans.
Si le Premier Secrétaire par intérim prétend résoudre la crise idéologique et culturelle qui étreint toute la gauche européenne, et au-delà, depuis 20 à 30 ans, en 3 mois d’États généraux du PS, il fait preuve d'une certaine naïveté….à moins qu’il s’agisse ici, ce qui est plus vraisemblable, d’une stratégie de diversion.
Nous considérons qu'il ne faut pas bâcler cette démarche, qui exige que l’on prenne le temps de la réflexion et qui nécessite la contribution des militants comme celle d’intellectuels de gauche, dont l’apport peut être déterminant.
C’est un travail de longue haleine. Si le projet va jusqu'à son terme, nous nous y investirons pour que ne soient pas éludés les débats économiques et politiques du moment. Mais nous restons convaincus qu'ils ne sont pas la solution aux défis de la gauche au pouvoir.
Soyons clairs, l’urgence est de définir une ligne politique. Aujourd’hui, des conceptions divergentes traversent le Parti Socialiste. Nous le voyons bien avec la perception de la politique menée par le gouvernement.
Il nous parait donc essentiel d’intervenir en mettant en avant les questions/réponses créant clivage et qui doivent permettre au Parti Socialiste de parler haut et fort. Il doit dire quelle est la politique à suivre dans la période troublée que traversent la France et le monde.
Notre exigence reste avant tout la tenue d’un congrès dans les plus brefs délais, d’ailleurs fixé à mi-mandat présidentiel selon les statuts du Parti.
Gérard Filoche nous a alertés sur la nécessité d’être vigilants dans les débats internes et d’empêcher que se réalise ce que certains souhaitent, c’est-à-dire l’effacement du PS. Jérôme Guedj, Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès ont répondu aux interventions de plusieurs camarades sur la position à adopter vis-à-vis de «Vive la gauche !» et sur les États Généraux. Il ne s'agit pas de construire un nouveau courant mais de rassembler les militants pour soutenir les parlementaires qui veulent redonner du sens à leur action face aux dérives d'un exécutif libéral.
La soirée se termine, avec Aurélie, Élodie, Sébastien², Léo et quelques autres camarades nous partons dîner dans un bar à tapas, rue de la chaîne, non loin de la Tour Saint-Jean de La Rochelle. Un vrai moment de détente et de convivialité, que nous poursuivrons dans un bar à Rhum, rue Saint-Jean.
Depuis quelques heures, des autocars affrétés depuis l'Essonne venaient d'arriver à La Rochelle pour préparer la salle du lendemain, où dansent encore les participants des universités d'été des socialistes.
Dimanche 31 août (matin) :
9h00 : devant l'encan, se pressent déjà des centaines de camarades. Ceux-là n'ont visiblement pas fait la fête la veille au soir.
Quand on arrive dans la grande salle organisée pour accueillir quelques 3 500 auditeurs, tout a été préparé selon un rituel inédit : des petits drapeaux sont installés sur tous les sièges, fanions nationaux, drapeaux blancs au logo du PS, verts et roses du MJS. Le but est évident : mettre en condition l'auditoire pour en faire une foule de supporters et non plus de militants.
Les discours de Jean-Christophe Cambadélis et Manuel Valls dimanche matin, sans surprise, ont montré un écart alarmant entre leurs prises de position qui se voulaient inscrites dans la tradition progressiste de la gauche et la réalité des actes du gouvernement au quotidien. Le Premier Secrétaire par intérim a ainsi noyé le poisson avec un certain talent.
Mais c'est vers le discours du Premier Ministre que tout était évidemment fait pour converger. Personne ne déniera à Manuel Valls son habileté, mais il l'aura mise au service de la confusion et de la malice. Tout d'abord comment supporter que l'émotion du décès du Président du Conseil Régional de Languedoc-Roussillon soit utilisée pour gagner la salle à sa cause en introduction. Ensuite, Manuel Valls a fait une nouvelle démonstration de son adéquation avec Clemenceau plutôt qu'avec Jaurès, dont nous commémorions le centenaire de l'assassinat : il nous a assommé de rappel aux grands et généreux principes républicains, à la grandeur de l’État et à son autorité. Mais comme le disait Jaurès on ne peut séparer la République de l'idéal de justice sociale sans laquelle elle n'est qu'un mot. Et comme Georges Clemenceau, ces principes républicains généreux restent des mots creux quand il s'agit de la situation sociale des salariés du privé, des fonctionnaires, des chômeurs, qui sont les premières victimes de l'inefficacité économique et de l'injustice sociale de la politique de l'offre et de la rigueur budégaire excessive. Manuel Valls réduit la République à son seul mot. Il évite d'aborder précisément les problèmes de fond, la politique de l'offre qu'il défend depuis toujours et qui échoue aujourd'hui en France comme hier ailleurs. Quel socialistes pourrait le contredire quand il s'agit en principe de renforcer l'éducation nationale ? Mais comment supporter la description d'une entreprise où seuls comptent les dirigeants aux yeux du premier ministre, qui oublient les travailleurs qui eux créent véritablement la richesse, y souffrent et s'y voient priver d'un droit de regard efficient sur la conduite des affaires ? Manuel Valls fait de l'entreprise un autre mot creux à destination des médias, alors qu'une partie de la salle siffle sa conception tronquée du monde du travail et de la création, lui donne en pâture à ses suporters les militants socialistes qu'ils qualifient d'irresponsables parce que désormais combattre un patronat irresponsable serait en soi combattre l'activité économique !?!!!
La démonstration de sa volonté de piéger l'assistance, d'en détourner une partie contre l'autre et de tendre artificiellement les comportements, sera faite dans le dernier tiers de sa très longue allocution : il s'offusque des procès d'intention qui serait à de jeunes ministres récemment nommés et tout porte à croire qu'il décrit à la salle le très polémique Emmanuel Macron…quand il cite finalement Najat Vallaud-Belkacem, nouvelle icône gouvernementale de jeunesse et de loyauté, pour offrir son visage ému aux grands écrans de l'encan. Évidemment, certains ont sifflé à l'idée de voir des lauriers tressés à l'ancien banquier et le Premier ministre se fait une joie de dénoncer à la foule de ses groupies ceux «qui ne prennent pas la peine d'attendre la fin de ses phrases».
Tout au long du discours, la tension et l'agressivité est montée dans la salle entre les auditeurs. Moi-même entourés de dizaines de supporters essonniens de Manuel Valls, je ne pouvais pas faire un commentaire sans être sermonné : «de toute façon c'est parce que vous avez voté Martine, vous n'avez toujours pas digéré sa défaite !» (?!!??) Et quand on me dit «le parti tu l'aimes ou tu le quittes !» je réponds «mon parti je l'aime et j'y reste ! Mais lui le déteste !» En effet, combien de fois Valls nous expliqué que le socialisme était une idée du passé et qu'il faudrait abandonner le Parti Socialiste.
Une fois, le discours définitivement terminé, les chaînes d'infos attendent les militants aux abords de la salle. Ceux qui répondent aux questions des journalistes et exposent un regard critique sont immédiatement violemment et verbalement agressés dans une ambiance hystérique devant les caméras. Je m'interposerai pour permettre à un jeune camarade (jamais vu) de terminer son propos ; le journaliste poursuivra avec moi, j'en ferai les frais de la même manière, au point de ne pouvoir entendre les questions qui me sont posées pendant un bonne minute.
C'est donc avec des sentiments mêlés que je quitte La Rochelle ; vendredi et samedi ont été riches en échanges. Le dimanche a été construit pour corriger la réussite des deux premiers jours et faire monter le conflit. C'est assez triste.
Dylan m'a trouvé deux passagers supplémentaires pour remonter à Paris ; nous nous réconfortons devant une côte de Bœuf avant de monter dans la 206.
Frédéric FARAVEL