Comme beaucoup de socialistes, j'ai découvert avec stupéfaction ce samedi 7 mars, après une alerte du site egale.eu l'existence d'un communiqué de presse publié le 26 février dernier par Laurent Dutheil, secrétaire national du PS à la laïcité, qui promeut notamment :
"- La création d’une instance de dialogue avec les représentants de l’islam de France ;
- Le développement de l’enseignement privé confessionnel musulman;
- L’incitation à l’édification de nouveaux lieux de culte.
En outre, le Parti socialiste approuve la création d’une Fondation pour « promouvoir les réalisations de l’islam de France »."
Ce communiqué visait à apporter son soutien aux annonces du Ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve lors du Conseil des ministres du 25 février 2015, relatives à la promotion du dialogue avec l’islam en France et approuve ses propositions pour l’exercice de la liberté de religion dans le respect des règles de la République. L'auteur du communiqué se félicite de la convergence d’analyses avec le gouvernement dans ce domaine et se réjouit que les mesures que ce dernier a dévoilé, reprennent largement celles du rapport sur la «Cohésion républicaine», feignant de croire que ce dernier s'en soit inspiré. Il y voit "une initiative sans précédent de concorde nationale" et dénonce ceux qui instrumentalisent la laïcité et encourage son dévoiement. Cet argumentaire jésuitique est proprement consternant : en effet, comment ne pas voir et ne pas comprendre que ces propositions sont en contradiction avec le caractère laïque de notre République ? Comment peut-on prétendre renforcer la cohésion républicaine en appelant à toujours plus de repli communautaire ? Comment imaginer que la concorde nationale soit renforcée en renvoyant nos concitoyens de culture musulmane, ou supposée telle du fait de leur couleur, de leur nom ou de leur origine géographique, à un essentialisme confessionnel au lieu de les intégrer pleinement dans l’école publique laïque ?
La République française n'est pas neutre, elle est laïque ! Ce n’est pas à l’Etat d’inciter à la création d’établissements privés, financés sur fonds publics, qu’ils soient musulmans ou autres. Sans même parler qu'en période de contraintes budgétaires, qu'avec mes camarades socialistes je combat par ailleurs, cela reviendrait en outre à ponctionner les financements destinés à l’enseignement public.
On ne peut donc que désapprouver totalement de telles propositions qui me paraissent en contradiction avec ce qu'ont toujours défendu les socialistes : la priorité absolue à l'école publique laïque, la stricte séparation des Églises et de l'Etat qui permet la liberté de conscience et l'émergence d'un espace public libéré de la pression religieuse.
Ce communiqué pour le moins tendancieux est passé inaperçu au regard des conséquences de l'actualité législative après l'adoption forcée du projet de loi Macron. Il est étonnant que la parole publique du Parti socialiste n'ait pas été l'objet par sa direction d'un contrôle plus sérieux au regard de l'importance du sujet.
De la même manière, il n'est pas acceptable que le pré-rapport du groupe de travail "cohésion républicaine", sur lequel s'appuie Laurent Dutheil pour soutenir son communiqué, puisse être considéré comme la parole du PS : une présentation d'étape liminaire, qui n'est pas allée au fond et qui ne pouvait appeler à aucune réaction dans une salle inattentive et uniquement concentrée dans l'attente de l'intervention du Premier ministre, devant le rassemblement national des Secrétaires de section le 1er février n'est en rien une validation politique par les instances du parti. Il est par ailleurs choquant et lamentable que le secrétaire national à la laïcité ait voulu se prévaloir de la signature des membres de son groupe de travail sans leur soumettre le contenu de ce pré-rapport : plusieurs responsables socialistes (et non des moindres, puisqu'il s'agit de députés ou de secrétaires nationaux) ont depuis contesté avoir été informés du contenu de ce pré-rapport et donc y avoir donné leur accord, indiquant qu'ils avaient pris connaissance du communiqué et du pré-rapport par les réseaux sociaux ce 7 mars ; c'est d'autant plus criant que certains comme Emmanuel Maurel, député européen, et principal animateur du courant de gauche du Parti socialiste, ont toujours exprimé des positions claires et diamétralement opposées à celles que prétend imposé sans légitimité aucune le Secrétaire national à la Laïcité du PS.
Sur le fond et sur la méthode, il devra donc s'expliquer devant les instances du PS. Je ne peux imaginer tant les faits et les propos sont accablants qu'il puisse rester un jour de plus dans ses fonctions une fois que les instances du parti auront examiné cette situation.
Plus largement, la direction du Parti Socialiste doit clairement se remettre en cause : comment imaginer que le communiqué de presse mis en cause puisse encore rester en ligne sur son site officiel ? comment imaginer qu'elle reste sans réagir au regard des dysfonctionnement qu'elle a permise en son sein ? comment dans le même peut-il laisser passer chez certains de ses parlementaires des appels à mettre en oeuvre les statistiques ethniques et l'attribution des logements sociaux sur cette base, alors qu'il n'a eu de cesse de menacer ceux qui lui rappeler quels avaient été nos engagements de campagne en terme de politique économique et sociale ?
Mais au-delà, il est nécessaire d'interpeler notre gouvernement, qui jusqu'ici pourtant avait plutôt été exemplaire dans sa manière d'aborder les conséquences des attentats tragiques du début du mois de janvier et dans la réaffirmation des valeurs républicaines et laïques au coeur de notre société, au regard des annonces du Ministre de l'intérieur : ce n'est pas à l'Etat d'organiser une confession, ce n'est pas à l'Etat de soutenir des fondations pour faire la promotion d'une religion, ce n'est pas à l'Etat d'encourager le développement de l'enseignement confessionnel.
Alors que nous entendons chaque jour des admonestations et des injonctions à l'égard des Français et tout particulièrement du peuple de gauche à se mobiliser et à faire barrage par leur vote à la progression électorale de l'extrême droite, abstraction faite de tout débat sur la nature et la portée de la politique économique et sociale du gouvernement qui nourrit largement la désespérance de nos concitoyens et donc l'absention et le vote FN, ces annonces et la confusion qui en résulte sont un mauvais coup porté aux candidats socialistes et même à toute la gauche à deux semaines du premier tour d'élections départementales qui s'annoncent plus que difficiles. Comment imaginer que les réseaux laïques ne soient pas atteints la confiance qu'ils portaient encore aux candidats du parti du gouvernement ? sans parler des cris d'orfraie du PRG et du MRC, qui mettent un peu plus à mal la cohésion d'une majorité parlementaire déjà largement rétrécies. Espérons que les rappels à l'ordre des responsables socialistes qui ont dénoncé cette situation ubuesque suffisent à éteindre provisoirement l'incendie.
Il ne fait pas de doute qu'une fois passées les élections départementales, il faudra remettre cette question au coeur du débat politique et socialiste. On s'en serait pourtant bien passé.
Frédéric FARAVEL