Depuis plus de trente ans, la question du droit de vote des étrangers aux élections locales fait partie du débat public. Elle a été intégrée dans les programmes de plusieurs majorité parlementaire sans jamais prendre force de loi jusqu'ici. La réalisation de cette aspiration légitime à l'achèvement de la démocratie française n'a connu qu'une seule avancée : depuis 1992, les étrangers issus des pays membres de l'Union Européenne peuvent être électeurs et éligibles pour les élections municipales et européennes.
À nouveau, cette proposition phare a été au cœur des débats de l'élection présidentielle ; c'est un des 60 engagements du candidat François Hollande, élu le 6 mai dernier Président de la République. Il est donc plus que temps de faire aboutir cette mesure qui a été validée par le suffrage universel des citoyens français. Il est temps de mettre fin par là même à une discrimination qui perdure entre les Européens et les étrangers non-européens.
Cette démarche d'égalité participera au renforcement de l'intégration de ceux qui vivent quotidiennement à nos côtés. On ne peut verser des larmes de crocodiles devant les difficultés de l’intégration, et dans le même instant, refuser d’examiner la forme avancée d’intégration politique qu’offre le vote aux élections locales. Si la France veut redevenir un modèle, elle doit regarder hors de ses frontières pour vérifier que de nombreux autres pays ont agi avec plus d’efficacité et d’humanité. C’est affaire de reconnaissance et de dignité.
Depuis plusieurs semaines, quelques responsables politiques agitent le chiffon rouge du risque du vote communautaire et de la constitution de liste communautariste. Sans aucune naïveté ni complaisance, nous savons d’expérience que les communautarismes prospèrent davantage quand l’égalité est bafouée, la capacité à s’intégrer déniée, et qu’au fond, une part de la cité se mure à sa propre périphérie.
Tout le monde aura pu constater que nos concitoyens d'origine étrangère qui parfois peuvent constituer la majorité du corps électoral de certaines communes n'ont jusqu'ici pas apporté leurs suffrages à de telles listes ; ces listes quand elles ont existé on rassemblé tellement peu de suffrages qu'elles ont été durablement dissuadées de se représenter.
Un citoyen est d’abord une personne qui vit dans la cité et contribue à ses activités. Nos voisins « étrangers » ont les mêmes préoccupations quotidiennes que celles de tous les habitants : le logement, l'emploi, les services publics, la qualité de l'enseignement. C'est cela qui déterminera avant toute autre considération leur choix au moment de voter, et non comme certains essaient de le faire croire de supposés déterminismes ethniques ou confessionnels.
Lorsqu’ils vivent et travaillent en France depuis des années, parce que leurs enfants grandissent avec les nôtres, parce qu’ils participent activement à la vie de la cité dans les associations, les étrangers en situation régulière doivent enfin prendre part aux élections locales comme électeurs ou éventuellement comme candidats.
Pour toutes ces raisons, il est extrêmement décevant que le Président de la République ait lors de sa première Conférence de presse le 13 novembre 2012 pris une certaine distance avec cette revendication essentielle. M. Hollande a repoussé, sinon enterré, sa promesse de campagne. Lors de sa conférence de presse, il s'est montré plus que prudent sur la mise en œuvre de cette réforme – populaire il y a encore quelques mois dans l'opinion, mais qui semble de plus en plus rejetée. "Le gouvernement peut préparer le texte, mais il ne le déposera que si la perspective de son adoption est réunie. Je ne vais pas déposer un texte dont je saurais qu'il sera repoussé", a justifié le président.
On pourrait comprendre que le Président de la République explique une situation politique, les difficultés qui en découlent et décrive l'impasse temporaire à laquelle il se trouve confronté. Mais il est inquiétant qu'il ne s'avance plus que cela, qu'il ne réaffirme pas avec force son engagement et qu'il n'appelle pas les Français et les acteurs politiques de ce pays à lui donner les moyens de faire changer d'avis les quelques politiciens qui ont jugé plus tactique aujourd'hui de s'opposer au Parlement à ce projet, qu'ils admettaient légitimes voici encore quelques mois.
Martine Aubry, dans son allocution devant le congrès de Toulouse, explication que l'action gouvernementale et parlementaire était sans doute plus efficace que les pétitions ; on me permettra d'y apporter un bémol, qu'elle admettra elle-même tant on connaît son attachement pour cette mesure et la force des arguments qu'elle a développés pour la défendre publiquement : en l'occurrence, confrontés que nous sommes à la faiblesse et à la lâcheté de plusieurs responsables politiques de droite et du centre, le Parti Socialiste et le premier d'entre les socialistes devraient absolument prendre l'initiative d'une campagne populaire pour rassembler et élargir le soutien de nos concitoyens, ce qui serait susceptible de modifier une fois de plus l'avis des faibles parlementaires UDI... et dans cette campagne, il n'y a pas de contre-indications à l'utilisation massive d'une pétition.
Si le Parti Socialiste - en tant qu'organisation - ne prenait pas cette initiative nécessaire, c'est alors à l'aile gauche du PS, conduite par Emmanuel Maurel, de prendre ces responsabilités, devant la gauche, devant l'histoire, devant les Français. Et de mener ce qui devrait être l'honneur du militantisme... quitte à forcer la main et la détermination d'un président de la République.
Frédéric FARAVEL