Cinq mille pages de conclusions, plus de 2 500 témoignages, un coût dépassant 190 millions de livres (230 millions d'euros), 12 ans d'enquête pour reconnaître que la responsabilité du drame incombe aux soldats qui "ont perdu le contrôle d'eux-mêmes", a expliqué M. Cameron. Au nom du pays, "je suis profondément, profondément désolé, a-t-il déclaré. Ce qui s'est passé n'aurait jamais dû se passer". Son discours, retransmis en direct à Londonderry, a soulevé des hourras d'enthousiasme dans le millier de personnes regroupées devant l'écran géant diffusant l'adresse du chef du gouvernement.
Le 30 janvier 1972, des parachutistes britanniques avaient fait feu dans une foule de catholiques manifestant à Londonderry pour la défense de leurs droits civiques. Treize personnes avaient succombé sur le coup, une autre plus tard à l'hôpital. Une enquête menée sitôt les faits avait jugé que les soldats avaient riposté à des tirs de manifestants. Aucune arme n'avait cependant été retrouvée et aucun militaire blessé.
Durant leur enquête, les membres de la commission Saville ont entendu l'ex-premier ministre britannique Edward Heath, l'ancien chef d'état-major britannique Mike Jackson, et l'actuel vice-premier ministre nord-irlandais, Martin McGuinness, qui a confirmé lors de son audition qu'il appartenait en 1972 à l'IRA. Il n'est pas exclu que le rapport débouche sur des poursuites judiciaires à l'encontre de cadres de l'armée. Personne, toutefois, ne pourra être incriminé par son propre témoignage devant les juges.
La presse avait annoncé que le rapport allait innocenter les victimes mais il restait à savoir si elle allait accréditer la thèse des soldats incriminés qui avaient dit avoir fait feu parce que des "terroristes" de l'IRA (Armée républicaine irlandaise) s'étaient infiltrés dans la foule, parmi les manifestants. Sur ce point, le rapport diffusé après le discours de M. Cameron a conclu qu'aucun des treize catholiques tués le jour-même, et un quatorzième mort plusieurs mois plus tard, "ne représentait une menace de mort ou risquait de provoquer des blessures graves". Le texte accuse également des soldats d'avoir "en toute connaissance de cause fait des fausses déclarations afin de tenter de justifier leurs coups de feu".
MARCHE SYMBOLIQUE
Dans la matinée de mardi, les familles des victimes ont repris symboliquement le défilé qui avait été interrompu en 1972 à Londonderry, que les séparatistes catholiques préfèrent appeler Derry. Brandissant des photos en noir et blanc des victimes, les proches des victimes ont marché lors d'une procession silencieuse depuis le monument dédié au "Dimanche sanglant", sur Rossville Street, jusqu'au guildhall (mairie). Des milliers de personnes se sont ensuite rassemblées devant le bâtiment officiel pour assister sur écran géant au discours de David Cameron.
"On peut dorénavant proclamer au monde que les morts et les blessés du Bloody Sunday… étaient innocents, abattus par balles par des soldats à qui on a fait croire qu'ils pouvaient tuer impunément", a déclaré sous les applaudissements Tony Doherty, dont le père Paddy comptait parmi les morts.
Le Bloody Sunday est considéré comme l'un des faits les plus marquants des trente ans de "troubles" entre catholiques et protestants, qui ont fait 3 500 morts environ, et auxquels a mis fin un accord de paix signé en 1998. Entré dans la culture populaire avec la chanson du groupe irlandais U2 puis le film du cinéaste britannique Paul Greengrass, le Bloody Sunday symbolise aux yeux des nationalistes irlandais l'arbitraire de l'ennemi britannique. Quelles qu'elles soient, les conclusions de Lord Saville promettent d'être polémiques, dans une société encore divisée malgré les progrès accomplis. Elles fourniront aussi un test de la stabilité du gouvernement d'union entre protestants et catholiques.