La gauche a gagné l'élection présidentielle. La gauche a remporté les élections législatives et ainsi les Français ont offert au Président de la République une majorité pour mettre en oeuvre le changement qu'il a promis. Même le Parti Communiste Français, réuni hier en conférence national, alors qu'il votait le soutien sans participation, a pris comme slogan : "Réussir le Changement !".
François Hollande a fait des promesses (très) raisonnables, dira-t-on ; François Hollande a également fait des propositions qui font débat à gauche comme le retour à l'équilibre budgétaire en 2017 et son contrat de génération. Malgré cela, les attentes sont immenses dans un pays tant abimé par 10 ans de gouvernements conservateurs, dont 5 de sarkozisme.
La victoire à la présidentielle était un marche-pied indispensable pour espérer transformer le pays et l'Europe. Sans la conquête démocratique du pouvoir, il n'y avait pas d'horizon du changement comme le croient le NPA ou LO. Alors comme le disent nos camarades communistes, donnons nous les moyens de réussir.
En 1936, arrivant pour la première fois au pouvoir, quelques responsables socialistes s'étaient dits "enfin, les difficultés commencent". Nous ne sommes plus dans le même contexte, la gauche - localement et nationalement - est une habituée du pouvoir, même si elle en a été écartée nationalement pendant 10 ans. Dans ce cas, Martine Aubry a raison de dire "non, ce ne sont pas les difficultés qui commencent, mais les solutions qui arrivent". Les solutions arrivent parce que les socialistes ont travaillé pendant 3 ans à un projet alternatif au sarkozisme et au lepénisme ; mais toutes les solutions ne sont pas encore là car la complexité de notre monde est profonde et parce que des propositions du projet socialiste n'ont pas été reprises dans le projet présidentiel.
Dans ces conditions, le congrès du Parti Socialiste - au sein des débats de toute la gauche - qui se tiendra cet automne est essentiel. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire un congrès en catimini, au cours duquel les débats qui nous traversent seraient abordés en quelques jours. Nous avons besoin d'un parti de débat qui ne soit pas atone sous prétexte de ne pas gêner le gouvernement.
Plusieurs débats incontournables doivent donc être abordés lors du congrès du PS, ce qui invalide par avance toute idée de motion unique qui serait un préalable irrépressible au rassemblement des socialistes et de la gauche.
Voici les débats que nous devons animer :
- Économie :
- Le PS a ouvert une réflexion sur le "Juste échange", concept qui a commencé à irriguer les débats entre social-démocrates européens, il est désormais dépasser réellement les axiomes éculés du libre-échange ;
- François Hollande le disait lui-même l'austérité ne peut être l'horizon donné à nos citoyens, mais alors quelle alternative politique économique et financière mettre en œuvre alors même que le nouveau ministre de l'économie s'apprête à faire des propositions assez classiques en la matière ;
- L’échec de l’organisation d’un système productif soumis aux seuls marchés réhabilite le rôle de la puissance publique. En matière de restauration économique, la création du ministère du "redressement productif" est un signe encourageant, mais c'est encore un concept de politique industrielle à rendre concret ;
- Le service public doit être rétabli dans sa puissance légitime pour garantir l’égalité pour tous et un véritable exercice de nos droits sur l’ensemble du territoire : nous ne pouvons pas éluder la question du statut de La Poste ou de la SNCF, ou encore la question d'un pôle public de l'énergie ;
- Social & Solidarité :
- les salaires (SMIC, plafond dans le privé, échelle des salaires), les droits des salariés et les conditions de travail ne doivent plus être un sujet tabou ;
- en termes de droit, de santé, de sécurité, d'immigration, d'éducation, c'est la justice et la portée des valeurs républicaines qui doivent reprendre le dessus, comme cela était proposé lors de la convention nationale "Pour l'égalité réelle" ;
- Europe : Nous devons reprendre le chemin vers une Europe démocratique et sociale (protectionnisme européen intelligent, mutualisation des dettes, modification des statuts de la Banque Centrale Européenne ou possibilité pour le Parlement Européen de modifier facilement ses statuts, légitimité démocratique de la commission, relance européenne, eurobonds, un parlement européen représentant la souveraineté populaire européenne...). Cela commence par la nécessité de soumettre à référendum le nouveau Traité européen, si jamais il avait été renégocié après les propositions de François Hollande (dans le cas contraire, il serait hors de question de rentrer dans une procédure de ratification) ;
- Renforcer notre démocratie : il est temps de reprendre le chemin pour une VIe République primo-ministérielle et parlementaire, sujet qui semble avoir disparu de nos échanges ; nous devons aussi entamer une réelle rénovation démocratique consolidée et approfondie des pratiques politiques. La moralisation de la vie politique française (95% de nos élus sont honnêtes) doit être une des priorités de nos mandats ;
- Raffermir la République : comment construire une "gauche populaire" ? L'abstention massive des catégories populaires, quelles que soient leurs origines géographiques ou culturelles, alors que les plus privilégiés adoptent avec constance un "vote de classe" pour défendre leurs intérêts. Cette abstention massive rend d'ailleurs peu opérant les discours analysant les dernières élections comme une reconquête de l'électorat populaire par le Front de Gauche ou le Parti Socialiste. Dans le même temps, la structuration et la consolidation du vote FN notamment dans ces catégories de population nécessitent d'apporter des réponses aux angoisses des Français sans jamais céder sur les valeurs républicaines et sans jamais tomber dans le piège de l'instrumentalisation de l'insécurité ou de l'immigration. Il faut trouver une alternative qui fasse pièce aux discours ethnicisants frontistes, sarkozistes, d'un côté, et terra-novistes de l'autre, pour ne chercher qu'une seule chose : rassembler les Français en fonction de leurs intérêts économiques et sociaux et de l'égalité d'accès aux services publics, sur tout le territoire. Bref dans un discours républicain intégrateur ;
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- Raffermir le rassemblement à gauche : Le mirage de l'alliance centriste s'est éloigné en même temps que le naufrage de François Bayrou. Les élus centristes sont en train de se recomposer en binôme plus ou moins dépendant d'une UMP post-sarkoziste qui se cherche entre fidélité à la République et tentation frontiste. Mais le PS aurait tort de sombrer dans la suffisance et l'hégémonie. Le score de Jean-Luc Mélenchon a démontré qu'il existait un espace politique pour une gauche radicale et démocratique, qui malgré ses critiques (parfois justifiées) vis-à-vis du PS ne manquent pas à la gauche. Il n'est pas non plus question de remettre en cause l'accord patiemment élaboré avec Europe Écologie - Les Verts qui donne une coloration riche à la nouvelle majorité parlementaire et qui doit nous rappeler que hors des élections présidentielles l'audience politique des écologistes est désormais très large dans de nombreux territoires. À nous de consolider le rassemblement de la gauche, en entretenant un débat franc et ouvert avec chacun de nos véritables partenaires, en organisant des convergences politiques et programmatiques avec eux et également en améliorant les modes de représentations politiques de nos concitoyens ;
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- La question de l'organisation socialiste européenne et internationale : Le PSE doit faire face à la crise de l'Union européenne et la déshérence d'un de ses membres - le PASOK - sous l'effet des diktats des conservateurs européens. La clarification politique entamée par le PSE sous l'impulsion de son ancien président Poul Nyrup Rassmussen n'a pas atteint le groupe Socialistes & Démocrates au Parlement européen, où nos camarades continuent la cogestion avec les conservateurs. L'internationale socialiste n'a pas d'orientation claire ; son organisation est vérolée par la présence de partis qui n'ont plus rien de socialistes, alors qu'il a fallu exclure en catastrophe sous la pression légitime des "printemps arabes" le RCD de Ben Ali et de RND de Moubarak en 2011 !?! tout cela doit être remis sur la table pour que l'action internationale et européenne des socialistes s'ouvrent à de véritables organisaitons progressistes capables de penser la transformation sociale à l'échelle globale, et que nous devenions collectivement capables de dialoguer avec ONG et partenaires sociaux afin de bâtir un monde plus équitable et plus vivable.
Frédéric FARAVEL
Secrétaire fédéral aux relations extérieures du PS Val-d'Oise