Dès le petit matin du samedi 21 juin 2014, la presse et les chaînes d'information ont fait une partie de leurs titres sur deux sondages BVA réalisés pour I télé et Le Parisien/Aujourd'hui en France. Ces deux études d'opinion illustrent largement le piège de la phraséologie médiatique.
La première portait sur les « députés frondeurs » et l'identité des personnalités représentant le mieux la gauche. C'est la première thématique qui est importante.
En effet, tels qu'ils ont été présentés sur I télé et dans Le Parisien, les résultats de ce sondage indiquaient des chiffres contrastés sur le soutien de l'opinion aux « frondeurs », ces 41 parlementaires socialistes qui préférèrent s'abstenir sur la feuille de route économique présentée par le gouvernement le 29 avril dernier et qui avec une cinquantaine d'autres proposent des amendements visant à corriger le PLFR et PLRFSS soumis par Manuel Valls en ce début d'été.
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- 52% des « sympathisants de gauche » les soutiennent contre 44 ;
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- 61% des « sympathisants socialistes » les désapprouvent ;
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- les Français, toutes sensibilités confondues, seraient partagés : 47% désapprouvant, 45% soutenant.
Mais la question posée à l'échantillon de 952 Français majeurs les 19 et 20 juin, était-elle « soutenez-vous les députés frondeurs ? », comme le laissent entendre les médias ? Non, une lecture un peu sérieuse et honnête de la fiche de cette étude ne permet pas de faire une telle réponse.
Voici la question posée aux répondants :
« Une quarantaine de députés socialistes ainsi que des députés verts et communistes pourraient s’allier pour voter contre ou s’abstenir lors de l’examen des budgets rectificatifs et de financement de la sécurité sociale à l‘Assemblée nationale.
Vous personnellement, êtes-vous plutôt favorable ou plutôt opposé à cette alliance ? »
Ainsi, les agents de BVA ont, si l'on veut un peu pousser le trait, demandé aux Français interrogés et notamment parmi eux aux sympathisants socialistes : « soutenez-vous une démarche qui visent à mettre en minorité le gouvernement à l'Assemblée Nationale en montant dans son dos une alliance à rebours avec ses opposants de gauche ? » Voilà une formulation qui pourrait faire hérisser le poil à nombre de « sympathisants socialistes » et c'est exactement ce que l'on retrouve dans le résultat du sondage. En tout cas, la question est aussi honnête que si on avait posé celle-ci en miroir : « soutenez-vous les courageux députés “frondeurs”qui proposent d'appliquer les engagements de campagne de François Hollande, que celui-ci semble avoir définitivement trahi en menant une politique sociale-libérale affichée avec Manuel Valls ? », sans fondement et contre-productif n'est-ce pas ?
Évidemment, une telle stratégie – si elle existait – peut convenir aux électeurs écologistes (71% favorables) ou du Front de gauche (80% favorables), puisqu'ils désapprouvent de plus en plus violemment l'orientation gouvernementale et même sa composition. La vraie information politique contenue dans ce sondage l'est donc par ricochet, puisqu'elle ne concerne ni les « frondeurs » ni ceux qui s'interrogent sur la portée de leur(s) initiative(s) dans l'opinion : c'est une bonne moitié des parlementaires écologistes (avec Jean-Vincent Placé et François de Rugy notamment) qui ont désapprouvé le départ de Pascal Canfin et de Cécile Duflot du gouvernement en avril et qui pestent contre les critiques de leur parti contre le pacte de responsabilité ; ces parlementaires écologistes sont donc non seulement en contradiction avec leur parti, mais ils le sont avec 71% des « sympathisants écologistes ». Pour une fois, il semble (en dehors d'un probable choix de conviction) que le parti EELV ait mieux compris les choix de son électorat que ses parlementaires.
De fait, cette étude ne nous apprend rien d'autre sur la relation des « frondeurs » à l'opinion. Si la question avait été « Êtes-vous favorables aux propositions parlementaires de l'Appel des 100 ? » ou « Soutenez-vous la démarche des “députés frondeurs”qui souhaitent déposer des amendements pour corriger le pacte de responsabilité du gouvernement ? », alors peut-être que l'on aurait pu gloser sur la nature et l'importance du soutien ou de la désapprobation de l'opinion à l'égard de ces parlementaires. Les sondés n'ont pas pu répondre à une question qu'on ne leur a pas posée.
Personne dans ces conditions ne peut afficher sérieusement que les « frondeurs » seraient donc soutenus par 52% des « sympathisants de gauche » ou désapprouvés par 61% des « sympathisants socialistes » (ces derniers représentant la moitié des premiers). S'il venait à l'idée des instituts Ipsos, Ifop, Harris ou BVA de faire un vrai sondage sur la question du soutien à cette démarche, il convient d'ici là que « l'appel des cent » fasse connaître plus largement ses propositions dans l'opinion.
Jusqu'ici le seul sondage grandeur nature qui est une signification, ce sont les deux cinglantes défaites essuyées par la gauche aux municipales puis aux européennes : si l'on fait une analyse sérieuse et détaillée des résultats, elles démontrent que l'électorat socialiste – celui de François Hollande au 1er tour de l'élection présidentielle – s'est abstenu massivement lors de ces deux scrutins ; elles démontrent également que l'électorat de gauche ne fait pas une distinction forte entre la gauche et les socialistes, la théorie des deux gauches irréconciliables de Mélenchon n'est donc pas valide aux yeux d'un électorat finalement unitaire. La gauche peut bien mourir comme le dit Manuel Valls, mais de la politique qu'il mène avec François Hollande.
C'est d'ailleurs ce que raconte la deuxième partie du sondage qui concerne les personnalités représentant le mieux la gauche selon les « sympathisants » de gauche : avec 33 et 32% Martine Aubry et Jean-Luc Mélenchon arrivent largement en tête. Ils représentent dans l'esprit collectif une aspiration plus ou moins fantasmée à une alternative politique à François Hollande et Manuel Valls (9 et 16%) ; les représentants de l'exécutif sont extrêmement bas, ce qui démontre le décrochage (peut-être irrémédiable) du propre électorat du Président de la République et malgré des premières fastes dans les sondages les raisons profondes du déclin annoncé du Premier Ministre.
Un mot encore sur le deuxième sondage BVA publié samedi matin. Ils visent prétendument à mesurer le rapport des Français aux « réformes ». La traduction rapide nous proposent que les Français souhaitent amplifier les réformes (74%, dont 67% à gauche et 84% à droite) mais ne veulent plus faire de sacrifices (63%).
Une fois encore c'est le contenu de ses réformes qui n'est pas explicité, ni dans les questions, ni dans le rapport fait dans les médias (ici I télé puisque le sondage était commandé par la chaîne d'infos). Il ne suffit pas de citer les dossiers sur lesquels il faudrait faire les réformes – « marché du travail, les retraites, les règles d’indemnisation du chômage » – encore faut-il s'interroger dans quel sens les Français de droite et de gauche (avec leur diversité) souhaiteraient aller. Cela éclairerait sans doute sur l'apparent hiatus entre le soutien à l'amplification des réformes à 74% et le refus à 63% de faire de nouveaux sacrifices pour « réduire le déficit de la France ». Les sujets sur lesquels sont notés les sacrifices à faire – « retraites, impôts, statut, services publics »– indiquent pour le coup que les réformes engagées précédemment sont vraisemblablement désapprouvées par les Français, notamment à gauche, et qu'au-delà de ces réformes antérieures c'est l'orientation générale sociale-libérale de la politique du gouvernement qui est en cause. BVA conclue son analyse sur une phrase à double sens : « La réforme n’est pas forcément synonyme de “sacrifices”pour les Français. Ce mot peut même, pour certains, signifier qu’il faut réinjecter de l’argent public ». En effet, si l'on souhaite que le mot « réforme » regagne pleinement son acception positive, c'est peut-être en regardant du côté des « frondeurs » et d'une gauche unie que se trouve la solution.
Frédéric Faravel