Presque deux semaines nous séparent de l'attentat de Charlie Hebdo, des meurtres qui ont suivi, de la prise d'otage antisémite, et la semaine dernière le peuple français nous a démontré à quel point il était éloigné de l'apathie dans lequel on le décrivait confit, démontré qu'il conservait de bons réflexes républicains.
Je ne reviendrai pas directement sur ces événements, je n'arrive pas encore à les évoquer sans être submergé par l'émotion, donc je vais m'éviter cela et vous l'éviter par la même occasion.
L'atmosphère de rassemblement (plutôt que d'union nationale) face au drame, face à l'agression, semble quelque peu perdurer, bien que l'extrême droite et une bonne partie de la droite se soient déjà distinguées par des propos et des propositions abjects.
À gauche, une trêve existe. Rendez-vous compte, Luc Broussy a liké certains de mes statuts et j'ai trouvé qu'Ali et lui avaient eu de l'humour dans leurs commentaires... trop d'amour tue l'amour, il faudra bien que ça s'arrête.
Plus sérieusement, François Hollande, notre Président de la République, et Manuel Valls ont géré avec le gouvernement l'épreuve avec hauteur et une grande maîtrise. Dire le contraire serait perdre toute crédibilité.
J'ai écrit, et je le pense toujours, que Manuel Valls a fait devant l'Assemblée Nationale un excellent discours qui restera dans les annales. Il a été à la hauteur de ce moment, la République en avait besoin. Cela ne gomme pas les divergences, les désaccords que nous avons sur la politique économique, cela n'efface pas nos propositions pour une alternative. Il est cependant nécessaire de se rassembler derrière l'essentiel, lorsque la République est attaquée. Je me réjouis notamment que Manuel Valls ait clairement expliqué pourquoi la réponse de la France serai déterminée mais que nous ne ferions pas l'erreur d'un Patriot Act à la française.
Je me permettrait quelques remarques sur des détails de son intervention :
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un bémol sur le fait d'utiliser le terme « guerre contre le terrorisme » : ce vocabulaire est plus piégeux que l'autre vocable utilisé par le premier ministre « guerre contre le djihadisme ». Ce dernier permet de rappeler qu'il s'agit à l'origine d'un conflit extérieur dans lequel nos ennemis tentent de manipuler certains éléments sur notre territoire. Nous ne devons pas donner prise à une rhétorique de la guerre civile. S'il s'agit aussi d'une bataille idéologique alors les mots que nous utilisons sont importants.
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Le Premier ministre souhaite que les « musulmans français » ne disent plus pour certains qu'ils ont honte de l'être. Malheureusement, la problématique n'est pas celle-là qui reste accessoire. Tout comme les lieux de culte et d'enseignement géré par les institutions religieuses juives, aujourd'hui les mosquées et tous les lieux assimilés par certains à la religion musulmane sont sous une menace accrue de vandalisme et de violence physique. Il est donc question d'assurer comme pour les lieux de cultes juifs, comme pour toute association ou congrégation, la sécurité et non un simple « réconfort moral ». On sait bien d'ailleurs que les agressions « anti-musulmanes » ne sont souvent que le paravent d'un racisme anti-maghrébin et anti-africain plus classiques (nos voisins et compatriotes originaires de ces régions étant assimilés musulmans, quelles que soient leur croyance par ailleurs).
À ce titre, je sais gré à Manuel Valls de ne pas utiliser dans ses interventions le terme d'islamophobie, qui est également piégé, car il mêle dans un même amalgame nauséabond ceux qui s'attachent à la critique de la religion et les vrais racistes. Je regrette que ce vocabulaire soit banalisé trop souvent par nos dirigeants.
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Concernant les mesures annoncées, je comprends que l'on veuille améliorer la riposte contre la propagande djihadiste sur internet. La loi Cazeneuve de novembre dernier le permet : mais au-delà de la fermeture de sites par l'autorité administrative, il conviendra de ne pas écarter la régulation judiciaire et ce sujet doit être réintroduit dans l'élaboration des décrets d'application.
Au passage, on a vu les potentiels dégâts pour le renseignement et l'investigation judiciaire qu'avaient pu causer les attaques punitives des Anonymous ; le blocage d'internet n'est donc pas en soi une solution... qui réside bien plus dans les moyens mis pour le contrôle et le suivi. -
L'action sur les prisons me paraît bien plus prioritaire : on sait que la radicalisation en prison fournit un grand nombre de potentiels candidats au djihad. Mais là aussi, attention à ne pas prendre de mesures contre-productives. Si l'on regroupe tous les potentiels djihadistes avec des radicaux avérés, on risque d'accélérer la radicalisation de certains. Je vous invite à lire l'entretien accordé par le sociologue Fahrad Khosrokhavar dans Le Monde daté du 14 janvier : il faudra faire le tri parmi tous ceux qui rentrent des théâtres de guerre au Moyen Orient pour ne pas mettre ceux qu'il appelle les « déçus » et les « traumatisés », que l'ont peut tenter de réinsérer, avec les plus dangereux et les plus manipulateurs.
Tout cela marque un besoin en locaux pénitentiaires décents, en personnels pénitentiaires et sociaux, en moyens pour le parquet antiterroriste, pour le renseignement intérieur dont on a touché les limites. On l'a dit aussi c'est une obligation de moyens, de recrutements accélérés, de formation, de supports pédagogiques, dans l'éducation nationale et au-delà dans le soutien qu'on apporte à l'éducation populaire.
Cela suppose de traiter les difficultés toujours plus prégnantes de relégation et de ségrégation territoriales. Cela implique que la République sache rappeler à l'ordre, ceux de ses élus – même au PS – qui jouent à instrumentaliser et entretenir les communautarismes, comme un outil de contrôle social et électoral.
Cela suppose enfin de résoudre ce qui gangrène l'ascenseur social depuis trop longtemps dans notre pays ; de redynamiser son économie atone, qui nourrit toujours un peu plus un chômage massif.
Il est temps que le débat politique normal – sur les moyens du service public, sur les moyens de relancer notre économie – reprenne dans notre pays. J'ai entendu des responsables socialistes regretter ce retour à la normale : quelle erreur ! Si la France restait bloquée dans un débat pseudo-consensuel sur les questions de sécurité, alors nos ennemis auraient finalement réussi à avoir eu un peu prise sur nous.
Non ! La démocratie doit reprendre ses droits et nous devons reprendre nos débats, car comme le disait Gilles Finchelstein les problèmes d'avant le 7 janvier n'ont pas disparu.
Frédéric FARAVEL
mandataire fédéral de la motion 3