Je voudrais rappeler en introduction que, comme beaucoup d'entre vous, je ne pensais pas – et je m'étais exprimé en ce sens lors des réunions fédérales qui ont précédé les scrutins – que nous subirions un telle défaite. Je me disais que nos élus locaux, nos municipalités avaient plutôt bien mis en œuvre les projets fondés sur la thématique du «bouclier social» – thématique d'ailleurs reprises pour les régionales de 2010 et les cantonales de 2011 – et qu'au regard de l'appréciation positive de leurs bilans locaux (c'était ce qui ressortait des contacts avec les habitants), les municipalités dans lesquelles nous étions bien installés seraient probablement reconduites.
Je pensais que nous avions peu de chances de conquérir de nouvelles communes, que certaines villes arrachées de peu en 2008 étaient en danger, mais que la localisation du scrutin nous éviterait une sanction brutale et injuste des équipes municipales. J'ai voulu croire, comme beaucoup d'entre vous, les sondages qui validaient cette analyse et qui annonçaient des scores plutôt élogieux pour la plupart de nos maires.
Force est de constater que nos électeurs ont largement démenti toutes les études d'opinion. Car il ne faut pas se tromper sur les mécanismes de notre défaite.
Quels sont les faits ?
Les Français n'ont pas voté pour la droite, contrairement à ce que laissent entendre quelques chroniqueurs ou éditorialistes ; ils n'ont pas demandé que l'on retourne en arrière ; avant toute chose, ils n'ont pas voté à gauche, ils n'ont pas voté socialiste. Quelques chiffres (villes de plus de 10 000 habitants, source Ministère de l'Intérieur) pour étayer mon propos :
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-> la droite n'a pas progressé en chiffre absolu, en nombre de suffrages exprimés, entre 2008 et 2014 ; et lorsque les pourcentages présentent une progression celle-ci est extrêmement faible – en six ans, la droite passe de 45,3 % à 45,9 % des suffrages exprimés ;
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-> a contrario, c'est la gauche qui s'effondre en suffrages exprimés et en pourcentage ; elle passe de 50,9 % en 2008 à 43,8 % en 2014.
Le différentiel de participation est également frappant (strate et source identiques) :
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-> là où François Hollande rassemblait plus de 60 % des suffrages exprimés le 6 mai 2012, l'abstention atteint 43,1 % ;
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-> là où François Hollande était entre 50 et 60 %, elle s'établit à 40,5 % ;
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-> enfin, là où François Hollande comptait moins de 50 % des suffrages exprimés, l'abstention n'est plus que de 38,6 %.
Ce sont donc bel et bien les électeurs de gauche qui ont fuit les urnes les 23 et 30 mars derniers. Et tout particulièrement, les électeurs socialistes, les électeurs du premier tour de François Hollande. Deux enseignements complémentaires : dans les communes où « tout » nous indiquait que nous pouvions progresser cette année, nous perdons les 23 et 30 mars du terrain ; dans les villes conduites par le PCF, que l'union se soit faite dès le premier tour ou ensuite, ce sont également dans les bureaux de vote les plus favorables au PS que la gauche rassemblée perd des voix (et parfois perd la ville, même si le PCF se maintient plutôt bien).
Nos candidats – d'opposition ou en place – ont pourtant dans la plupart des cas mené de bonnes campagnes avec des projets sérieux. Ce n'est pas eux qui portent la responsabilité essentielle de la déroute.
Quelle analyse ?
Le Premier Secrétaire fédéral a évoqué l'opposition croissante entre les classes moyennes et les classes populaires, qui mettait à mal notre assise électorale fondée sur leur alliance. Opposition qui se serait exprimé violemment lors de cette campagne. Je me permettrais deux remarques à ce sujet.
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-> La première est que depuis de nombreuses années, tout a été fait pour opposer ces catégories sociales les unes aux autres. La droite au pouvoir et dans l'opposition, et l'extrême droite, porte une grave responsabilité dans cette situation car ils n'ont cessé d'opposer les Français les uns aux autres. Mais la gauche elle-même porte une responsabilité dans sa politique fiscale vis-à-vis des classes moyennes et parfois dans l'alignement de son discours sur l'assistanat et autres gentillesses sur les classes populaires ;
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-> deux postures antinomiques et caricaturales illustrent le piège dans lequel la gauche s'est enferrée : l'addition de «l'impasse Terra Nova» (le Premier fédéral a évoqué sa fameuse note sur la stratégie électorale : abandonner les classes populaires pour privilégier l'alliance des classes moyennes supérieures, des minorités ethniques et sexuelles, etc.) et de l'impasse «gauche populaire» (quand celle-ci était un groupe d'intellectuels… bien que l'attelage parlementaire qui lui a succédé ait repris certaines de ses antiennes erronées). Dans le premier cas, il faudrait cesser de rechercher le vote des classes populaires car elles seraient devenues intrinsèquement conservatrices et en soi incapables d'accrocher au discours positif et optimiste de la gauche démocratique. Dans le second cas, il faudrait abandonner toute ambition sociétale qui braquerait les classes populaires et éloignerait leur vote de la gauche. Dans les deux cas, cela revient à mépriser les catégories populaires et à considérer que nos compatriotes sont idiots. Cette double impasse illustre malheureusement l'incapacité actuelle de la gauche et des socialistes à penser et porter une action universelle, portant tout autant sur les questions économiques et sociales, que sur les libertés publiques et individuelles et l'évolution nécessaire de la société française (ce qui s'est traduit par une communication gouvernementale et partisane qui indiquait que le seul marqueur de gauche appuyé de l'action gouvernementale se réduisait au "mariage pour tous").
Cette opposition n'est pas seule en cause. Et cessons de dire que le gouvernement a manqué de pédagogie pendant 22 mois.
Si une partie conséquente des électeurs socialistes a ostensiblement boudé les urnes aux municipales, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas conscience de la situation ou qu'ils auraient mal compris les réformes engagées par le gouvernement. Il faut voir là non une incompréhension mais un désaveu cinglant des décalages entre nos engagements et la politique menée : les électeurs socialistes n'attendaient pas la ratification du Traité Merkozy sans modification majeure, n'attendaient pas le Pacte de Compétitivité et le CICE (qui contredit la motion 1, arrivée largement majoritaire au congrès de Toulouse, le Pacte de Compétitivité ayant été annoncé à peine quelques jours après que ce congrès se soit achevé dans la « Ville rose »), n'attendaient pas l'ANI – et la loi qui l'a transcrite sans que les parlementaires aient réellement le droit de faire leur travail – instaurant la flexibilisation de l'emploi, n'attendaient pas l'allongement de la durée de cotisation pour les retraites et n'attendaient pas l'annonce du pacte de Responsabilité et la confirmation du sillon social-libéral du gouvernement.
L’écœurement de certains de nos électeurs est tel qu'il atteint l'action politique en général. Dans les communes communistes, lorsque les listes d'union étaient conduites par des Maires qui contestaient la politique gouvernementale, certains ont choisi de ne pas aller voter, pas même pour un élu qui protestait contre l'orientation libérale de certaines décisions. Ailleurs ils ont préféré s'abstenir plutôt que de voter pour d'autres listes, y compris de gauche. Et dans quelques cas, là où, à la fois, la participation a augmenté et le vote FN a progressé, certains ont choisi de voter directement pour les listes FN-RBM. Voilà un constat inquiétant pour notre démocratie.
Trouver les moyens du sursaut ?
La question qui est devant nous est de savoir si nous avons les moyens d'éviter que la bérézina des municipales ne se reproduisent – peut-être en pire – en mai prochain pour les élections européennes et mars 2015 pour les élections régionales et départementales.
Concernant les européennes, l'enjeu est d'autant plus important que le rôle du Parlement européen va s'accroître et que c'est sa majorité qui déterminera la couleur politique de la prochaine Commission Européenne. C'est essentiel si l'on veut croire encore possible la réorientation de la construction européenne. Les sociaux-démocrates européens devraient voir leur représentation s'accroître – ce qui n'est pas bien difficile au regard du niveau auquel ils s'étaient effondrés en 2009 –, cependant cette progression ne sera sans doute pas dûe au score des listes socialistes en France. Doit-on adopter une posture fataliste d'ici le scrutin qui se tiendra dans un mois et trois semaines ou adresser un message aux Français qui leur fasse entendre que nous comprenons leurs attentes et que nous sommes capables d'y répondre ? Les citoyens français et européens attendent que soit restaurée leur souveraineté populaire, c'est-à-dire leur capacité à maîtriser leur destin collectif, à faire évoluer leurs conditions de vie. Or, depuis de nombreuses années, nous – socialistes français – donnons l'impression que même si l'on peut faire le constat que les anciennes souverainetés nationales sont peut-être dépassées en tant que telles, nous n'avons rien fait – au contraire – pour qu'ils retrouvent une prise sur les événements et les décisions au niveau européen, qu'ils retrouvent leur souveraineté populaire. Nos électeurs ont désormais la certitude que quels que soient les messages politiques qu'ils adressent, ils n'influent plus sur la course des choses tant au niveau national qu'au niveau européen.
Concernant les régionales, je serai bref et lapidaire. Si l'on applique le résultat des municipales de 2014 au scrutin qui aura lieu dans un an, nous ne conservons aucune – AUCUNE – région dans le pays.
Comment éviter la reproduction de la déroute essuyée aux municipales ? Comment retrouver la voie de la réussite ? Cette réussite passe par des actes forts qui disent tous une seule et même chose aux Français : «Non, il n’y a pas qu’une seule politique possible. Il n’y a pas de fatalité». Nous réussirons à retrouver l’adhésion des Français à trois conditions :
1) A l’échelon européen, il est temps de desserrer l’étau des contraintes du pacte de stabilité. Il faut enfin engager le rapport de force avec la Commission en lui notifiant le refus de respecter dans les délais les critères de déficit restrictifs qu’elle nous assigne. Les Français se moquent d’être présentés comme les mauvais élèves de l’Europe libérale. Au contraire, ils plébisciteraient un gouvernement qui se donne comme objectif d’être l’acteur déterminé de la réorientation du projet européen.
2) Plutôt qu’à la «politique de l’offre» et qu’à la réduction drastique des dépenses publiques, la priorité doit revenir à la croissance, à l'emploi, au redressement productif. La transition écologique doit en être le fil conducteur. Plutôt que le pacte de responsabilité, privilégions la relance par l’investissement. Le MEDEF refuse toute contrepartie pour le monde du travail, son président indique que l'essentiel des baisses de cotisation annoncées iront aux dividendes (ça, c'est un sacré partenaire!?), et ledit « pacte » est par ailleurs désormais minoritaire chez les syndicats de salariés (la CFE-CGC ayant retiré sa signature). Il est aussi extrêmement coûteux pour les finances publiques. N'ayons pas peur d’abandonner cette voie. La mobilisation générale pour l’emploi passe par la relance de l'investissement public et de la consommation.
3) Il n’y aura pas de réussite de la gauche si elle ne parvient pas à se rassembler. Le changement ne peut devenir une réalité sans la prise en compte des aspirations de la majorité sociale à laquelle nous devons notre majorité politique acquise en 2012. Pour le traduire en actes, la gauche ne réussira qu’avec un nouveau contrat majoritaire qui rassemble au service de la France toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la défaite de la droite lors des élections présidentielles et législatives de 2012. Or je ne peux que constater que l'annonce conjuguée des enseignements tirés par le Président de la République de ces municipales et son choix de nommer Manuel Valls (sans que je préjuge à l'avance de la qualité technique du travail du nouveau gouvernement ou que je rentre dans un débat vain sur le casting de ce gouvernement) a réduit l'assise politique de l'exécutif, en suscitant le refus des écologistes de participer au gouvernement et en motivant certains parlementaires socialistes à ne pas déclarer automatique leur vote de confiance au regard du maintien de l'orientation gouvernementale.
Ces trois axes forts, l'exécutif doit les mettre à l’agenda politique dès les premiers jours du nouveau gouvernement. Ils sont la condition sine qua non de la réussite du quinquennat.
Enfin, il faut discuter de l'état du Parti Socialiste, des missions assignées à notre Parti et de la méthode qu'il a adoptée jusqu'ici pour les accomplir. Il faut un PS actif et pleinement conscient de son rôle. Les institutions de la Vème République créent l'autocensure du PS majoritaire alors qu'il doit anticiper les débats. Harlem Désir pense que le rôle du PS est relayer docilement et sans réflexion les décisions de l'exécutif quelles qu'elles soient : on a vu où cela nous a mené. Il faut vraiment réancrer à gauche le parti et la majorité... Il est temps de redonner la parole aux militants socialistes, il est nécessaire que les socialistes s'expriment sur des choix politiques pour lesquels ils n'ont jamais été consultés : non seulement cela n'était pas présent lors des primaires citoyennes, mais toutes les décisions prises après le congrès de Toulouse sont en contradiction avec le texte de la motion majoritaire du Parti !
Par ailleurs, j'ai bien entendu certains camarades vouloir se concentrer sur la structuration associative des équipes qu'ils ont constitué à l'occasion de ces municipales malheureuse – et je comprends leur réaction et leur volonté de maintenir le lien avec colistiers et sympathisants, alors que ces campagnes ont été le plus souvent de qualité avec une véritable dynamique humaine. Cependant, je vous appelle à réfléchir sérieusement à nos priorités : faut-il s'attacher d'abord à structurer des associations très larges et parfois plus ou moins dépolitisées ou à réinvestir et renforcer le Parti Socialiste pour qu'il retrouve ses fondamentaux politiques et le sens profond de sa mission ?
Frédéric FARAVEL
Mandataire fédéral de Maintenant la Gauche Val-d'Oise