Depuis plusieurs semaines maintenant, une bonne partie du débat public – malgré ce que racontent nos concitoyens réactionnaires – se concentre sur le projet de loi, qui va être présenté au Parlement en janvier prochain, sur le mariage et l'adoption pour tous. Ce débat ne surgit pas maintenant : Le « mariage pour tous » était un des 60 engagements de François Hollande, élu président de la République, grâce à la majorité des suffrages des citoyens français.
L'égalité et la sécurité
Il s'agit bien évidemment d'avancer dans la réalisation de l'égalité et de donner enfin accès à leurs droits aux couples homosexuels et aux enfants issus de ces couples – ceux qui vivent déjà dans le cadre de ces (pas si) nouvelles familles, et ceux qui viendront à y vivre. Il s'agit bien évidemment du mariage civil, indépendamment, donc, de toute considération privée ou religieuse. Et, si les associations confessionnelles sont bien entendu parfaitement autorisées à prendre part au débat public (pour peu qu'il ne s'agisse pas d'une action de prosélytisme), elles (celles qui s'opposent à cette réforme) s'affolent pour peu de choses puisque l’État n'interviendra jamais, grâce au principe de laïcité, pour leur demander de marier des couples homosexuels si elles n'en ont pas envie.
Parce qu'il s'agit d'assurer à toutes et à tous cette égalité sur tout le territoire de la République, lorsque la loi sera votée, elle devra être pleinement appliquée partout en France, quels que soient les états d'âme de certains élus locaux. Il serait particulièrement choquant que certain(e)s de nos concitoyen(ne)s soient pénalisé(e)s à cause des convictions privées de quelques élus locaux où que ce soit en France. La République est laïque, à Paris, à Landernau, à Orange, à Pointe-à-Pitre ou à Castres.
Pour ma part, je me réjouis également de l'autre pendant de la loi qui va permettre l'adoption par tous les couples. En premier lieu, parce que cela va apporter une sécurité juridique et affective aux enfants qui vivent déjà avec leurs deux pères ou leurs deux mères (merci au passage à Christianne Taubira de l'avoir rappelé de belle manière au Palais Bourbon) :
- que l'un vienne à disparaître et voilà ces enfants protégés d'une seconde séparation douloureuse ou de procédures juridiques souvent destructrices ;
- que le couple se sépare et cela évitera aux enfants de se voir éventuellement retirer les liens qu'ils avaient construits avec celui ou celle des parents qui n'avait pas de lien biologique direct, mais dont personne ne peut contester les liens d'affection et d'amour.
En second lieu, parce que les couples homosexuels qui souhaiteront adopter :
- pourront sortir de l'hypocrisie que leur impose aujourd'hui l'administration quand l'un se déclare « célibataire » et se voir parfois autoriser à adopter sur la base de cette fiction ;
- pourront offrir un foyer aimant et tout autant capable d'apporter une éducation de qualité que les couples hétérosexuels qui disposent d'un agrément.
Le Zapatérisme est encore loin
Formellement, seuls le mariage et l'adoption pour tous figuraient noir sur blanc dans le petit livret du candidat François Hollande compilant ses « 60 engagements ». Il s'était cependant engagé lors de multiples déclarations publiques, oralement et dans des magazines, par sa propre voix ou par l'intermédiaire de sa porte-parole Najet Vallaud-Belkacem, à autoriser l'accès de la Procréation Médicale Assistée (PMA) aux couples de lesbiennes.
Un trouble s'est donc emparé d'une partie des soutiens du président de la République, enregistrant sur ce terrain un recul, quand a été constaté que la PMA ne figurait pas dans le projet de loi. On nous a expliqué que la PMA appartiendrait à une loi plus large sur la bioéthique. Mais la polémique enflant, le Président a dû revenir sur le sujet : « Si j'avais été favorable [à cette mesure], je l'aurais intégrée dans le projet de loi » mais le Président dans sa grande mansuétude laisse le Parlement libre d'adopter les amendements qu'il jugera utile. Le contraire eût été étonnant par ailleurs dans une pratique démocratique que le nouvel hôte de l’Élysée souhaite démarquer de celle de son prédécesseur.
[Au passage, on aura tout de même appris que c'est le Président de la République qui rédige les projets de loi : note pour plus tard].
Ce qui est inquiétant dans cette séquence, c'est le Président contredit les engagements répétés du candidat en indiquant qu'il n'est pas « favorable » à une mesure qu'il appelait de ses vœux quelques mois plus tôt. Ce qui est inquiétant, c'est qu'au-delà du débat qui peut exister légitimement à gauche sur la PMA – on a vu 27 députés PS demander à ne pas figurer parmi les signataires de l'amendement du groupe SRC – il témoigne d'une frilosité, d'une pusillanimité de l'exécutif sur une réforme qui met en jeu l'égalité.
Car je le redis, c'est bien là-aussi l'égalité des citoyens devant la loi qui est en jeu. Les opposants, mêmes de gauche, dénonce dans l'ouverture de la PMA aux lesbiennes une démarche qui vient contrecarrer le caractère médical et réparateur qu'on lui avait donné à l'origine. Or, si nos camarades veulent bien s'arrêter 30 secondes sur le sujet, il y a bien longtemps que cette considération a été dépassée dans nos débats à gauche : il ne s'agit pas de donner un droit exorbitant aux lesbiennes mais le PS a pris position pour l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, quelles que soient leur orientations sexuelles. Donc si l'on avance vers l'élargissement de l'accès à la PMA aux femmes hétérosexuelles, pourquoi le refuser aux couples lesbiens ? Pourquoi ralentir sur ce sujet alors que dans tous les pays où le mariage et l'adoption pour tous a été légalisé, cela s'est accompagné de l'ouverture de la PMA aux couples lesbiens.
Ainsi à ceux qui craignent que notre gouvernement sombre dans le Zapatérisme en limitant le progrès aux questions sociétales pour oublier les questions économiques et sociales, je réponds que nous sommes « malheureusement » encore en retrait par rapport à Zapatéro.
La gauche au pouvoir ne peut pas se permettre de donner l'impression de se déjuger ou de reculer sur une mesure qui si elle est sociétale est bien symbolique comme élément de clivage et de distinction entre la gauche et la droite. Alors que l'exécutif est soumis à une pression médiatique et « lobbystique » du patronnat et des marchés financiers tout recul sur un symbole sera pris comme un encouragement à élargir les brèches du Traité Merkozy et du Pacte de Compétitivité.
D'un point de vue politique, et malgré les chroniques de Thomas Legrand sur France Inter qui dénonce une erreur stratégique du PS, les combats économiques, sociaux et sociétaux de la gauche se rejoignent ; pensons y sérieusement alors que le Patronnat et la droite ont décidé de pousser les feux du rapport de force au maximum autour de la « conférence sociale », une volonté de confrontation bien éloignée de l'appel béat du pouvoir à un « compromis historique ».
La marchandisation du corps humain est incompatible avec l'égalité, incompatible avec la République
Une partie de la droite et de la gauche se rejoignent enfin dans ce débat en expliquant que l'accès des couples lesbiens à la PMA ouvre forcément la voie à la Gestation pour autrui (GPA) et aux mères porteuses. En effet, autoriser la PMA pour les lesbiennes signifierait créer une inégalité pour les gays qui ne peuvent physiquement y avoir accès. Il faudrait alors leur offrir la GPA en compensation… Je suis pour ma part consterné par la médiocrité de cet argument qui joue sur le retournement absurde des arguments de quelques lobbys homosexuels et intellectuels égarés.
Les socialistes considèrent dans leur immense majorité qu'il faut ouvrir la PMA à toutes les femmes, il s'agit donc d'établir l'égalité entre les femmes quelles soient hétérosexuelles ou homosexuelles.
La légalisation des mères porteuses impliquent la location des organes d'une personne ; il s'agit d'entrer dans une logique de marchandisation du corps, voire de la personne humaine entière. Trafic d'organes, prostitution, esclavage, sont autant d'aliénation qui rentrent dans cette logique de marchandisation, dont la GPA serait une version moderne et bobo.
Le Parti Socialiste et toute la gauche ont heureusement pris vigoureusement position, après débat, contre les mères porteuses et la GPA : elle ne sera pas ouverte pas plus ouverte aux couples hétérosexuels qu'aux couples homosexuels, il n'y a ici aucune rupture d'égalité, l'égalité n'est pas affaire de « compensation » et elle ne saurait supporter d'être confondue avec une proposition indigne.
Et c'est pourquoi je tiens à dénoncer fermement les propos désastreux et selon moi lamentables de Pierre Bergé qui, le 17 décembre dans une interview au Figaro, déclarait : « Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? ». Le milliardaire ne pouvait rendre plus mauvais service à la cause de l'égalité que cette déclaration.
Mais est-ce vraiment l'égalité que Pierre Bergé vise ? Il appartient sans doute à cette infime catégorie de la population déconnectée des réalités, soit par la fréquentation des puissants, soit par l'argent qu'elle possède, qui croit être de gauche en confondant égalité et consommation, et qui croit peut-être que l'égalité sera atteinte quand on aura accordé aux salariés les émoluments suffisants pour leur permettre de consommer sans trop se poser de questions, et surtout sans les interroger à nouveau sur l'orgine et l'utilisation de leur trop grande richesse. Avec Bergé et ses amis "une autre marchandisation est possible".
Pierre Bergé vient de décrire la négation parfaite de la mission historique du socialisme : Il est temps de tordre le cou à cette pseudo gauche libérale-libertaire qui, en comparant la location du ventre d'une femme à la force du travail de l'ouvrier, rabaisse l'une au rang de marchandise et renvoie le second à l'aliénation prolétarienne que plus de 150 ans de luttes sociales n'ont pas encore suffit à réduire.
Frédéric FARAVEL