Le parti islamiste Ennahda est en passe d'obtenir un score de 30 à 40 % pour les élections à l'assemblée constituante qui doivent donner un nouveau cadre politique à la Tunisie issue de la Révolution de Jasmin. La Presse internationale a énormément contribué à édulcorer l'image d'Ennahda comparant ce parti à l'AKP turc. Ce n'est pas la presse internationale qui a fait voter les Tunisiens ; les classes populaires ont souvent tendance en période de trouble à se réfugier dans des solutions conservatrices et parfois réactionnaires, d'autant que les forces progressistes populaires sont intrinsèquement faibles.
La Tunisie de 2011 est dans l'état de la France en 1871.
La République n'est pas une évidence et les forces de la réaction sont puissantes ; les "paysans" français de 1871 sont les prédécesseurs des classes populaires sous-employées de la Tunisie profonde, qui sort comme la France post-impériale de la soumission à une dictature proto-fasciste. La seule chance de la Tunisie est que personne ne peut faire peur à la population en dénigrant une quelconque "Commune de Paris" à la manière tunisienne.
L'avenir de la Tunisie dépend maintenant de l'attitude des partis laïcs. Le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki (gauche nationaliste) pourrait obtenir 15 à 16% ; Ettakatol - Front Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL), parti membre consultatif de l'Internationale Socialiste - atteindrait 15 % (certains de nos camarades du PS français étaient candidats pour Ettakatol dans la diaspora franco-tunisienne). Le Parti démocratique progressiste (centre gauche) fait cependant les frais de son histoire de parti de l'opposition officielle face au RCD de Ben Ali. Plusieurs petits partis laïcs se partagent les miettes même si quelques voix pro-islamistes viendront renforcer Ennahda issues d'une liste manipulée par un homme d'affaires américano-tunisiens.
Les partis républicains en France ont mis quelques années à opposer un front commun contre les monarchistes qui étaient majoritaires au Parlement français au lendemain de la chute du Second Empire. Mais la chance des républicains français étaient la division de la Réaction en France entre monarchistes "Légitimistes" et "Orléanistes" et Bonapartistes. La Tunisie n'a pas cette chance : Ennahda est uni. En France, les républicains modérés ne soutenaient pas les différents monarchistes, mais aujourd'hui Marzouki négocie déjà avec Ennahda et nos camarades d'Ettakatol pourraient avec le Parti ouvrier et communiste tunisien de Hama Hammami renforcer une coalition autour des islamistes chargée de rédiger la constitution.
Les partis laïcs doivent faire bloc. Il n'est pas aujourd'hui question de mettre en oeuvre un programme politique mais de rédiger une constitution républicaine et démocratique qui ne peut être pleine si les islamistes la rédigent. Si le CPR et le FDTL s'allient avec les islamistes, ils seront les fossoyeurs de la Révolution de Jasmin. En tout état de cause, les partis socialistes européens devraient demander à l'IS de mettre en suspend le statut d'Ettakatol.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral aux relations extérieures du Parti Socialistes du Val-d'Oise