Depuis plusieurs mois, toute la gauche est à nouveau bousculée par les contradictions qui s'expriment en son sein sur les questions de l'immigration et de l'intégration. Ceci serait moins dramatique si nous n'étions pas aujourd'hui en charge de conduire les destinées de la République.
Quel effroi lorsque en septembre dernier, le Ministre de l'intérieur Manuel Valls, un socialiste, a expliqué sur une radio publique qu'une catégorie de la population résidant sur le territoire de la République n'avait «pas vocation à s'intégrer» mais retourner dans leurs pays d'origine (la Bulgarie, la Roumanie, essentiellement), sur la base de leur «culture trop différente». Cette déclaration ethnicisante n'est pas conforme selon nous à la tradition républicaine d'une part et aux valeurs humanistes de la gauche d'autre part.
L'expulsion d'une famille rrom au Kosovo, alors que leur pays d'origine n'était pas clairement identifié, l'interpellation de la jeune Leonarda Dibrani en marge d'une activité scolaire, avant sa reconduite à sa frontière, a suscité une grave polémique dont toutes les retombées ne sont pas encore connues. L'arbitrage final et public du Président de la République – après avoir pris connaissance des résultats de l'enquête administrative demandée par le Premier Ministre, qui a démontré à la fois une application stricte du droit mais également un manque de discernement dans l'appréciation humaine de la situation – est également troublante : en proposant à la jeune fille et «à elle seule» de rentrer en France pour poursuivre sa scolarité, nous sommes en contradiction avec le droit international, avec la convention internationale des droits de l'enfant.
Non seulement la droite et l'électorat conservateur, qui n'auraient en tous les cas jamais soutenu la décision gouvernementale, accusent désormais le Président de laxisme, mais surtout une large partie des militants et des électeurs socialistes ont mal à leurs valeurs humanistes.
Mais au-delà de la légitime émotion que l’expulsion de cette famille, alors que sa volonté d’intégration se traduisait clairement par la scolarisation assidue des quatre enfants, suscite, il est temps d’interroger notre politique en matière d’immigration irrégulière.
Le cas de la famille de Leonarda n'est que la partie émergée de centaines d'expulsion de famille de sans papier, dont les enfants sont le plus souvent scolarisés dans les écoles de la République.
Ce n’est pas seulement l’application des textes qu’il faut discuter, mais aussi les textes eux-mêmes. C’est aussi l’état du droit en matière d’immigration que cette triste affaire révèle. Le parlement devait légiférer, mais les délais ont été repoussés.
Pendant cinq ans, les socialistes ont, aux côtés des associations, milité pour un assouplissement des critères de régularisation des sans papiers et l’abandon d’une politique du chiffre. L’abrogation du délit de solidarité, celle de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers ou encore la circulaire d'août 2012 sur les campements nomades illicites (qui s'adresse essentiellement aux populations Rroms) ont incontestablement marqué une rupture avec le sarkozysme. Mais ces mesures sont peu ou mal appliquées.
Pour l’essentiel, la politique de l’immigration menée aujourd’hui est malheureusement comparable à celle de la période précédente, car notre législation continue à « fabriquer des sans papiers » et des familles ni régularisables, ni expulsables. Un des problèmes provient de ce que l'immigration relève de la compétence du ministère de l’intérieur. Penser l’immigration au seul titre de la sécurité est en soi un non sens. Ce n’est pas au ministère de l’intérieur de définir une politique migratoire. Quand tout est entre les mains du ministère de l’intérieur, cela donne une vision presque policière de l’immigration.
Aujourd’hui, il faut aller plus loin.
Car «l'affaire Leonarda» ne peut pas masquer le drame récent de Lampedusa, qui a rappelé après bien d'autres naufrages, que la mer méditerranée était en train de devenir un cimetière marin pour des milliers d'immigrants originaires du Moyen Orient et d'Afrique. La réponse de l'Union Européenne, en cette circonstance, n'a pas été à la mesure du défi : en proposant uniquement d'augmenter les crédits de l'agence Frontex, dont le rôle est de surveiller les frontières extérieures de l'UE, les Européens démontrent qu'ils ne cherchent qu'à repousser au loin ces migrants, quelle que soit leur situation sanitaire ou humanitaire, condamnant des dizaines de milliers d'entre eux à la misère et parfois à la mort.
Soyons clair : il n'est pas possible de dresser sur la Méditerranée un "mur" comme les Américains ont échoué à en dresser un sur le Rio Grande. Il n'est pas possible de décréter la fin des flux migratoires au regard de la détresse économique, politique, humanitaire et sanitaire des populations concernées. Cette question ne peut donc pas se régler par les seules réponses policières. Personne ne peut penser qu’à l’inverse, ce sujet sera réglé sans frontières et sans entraves. La question du développement avec le soutien des Européens des pays au sud de la Méditerranée est une donnée essentielle du problème : mais ne nous y trompons pas, le rythme et la qualité de ce développement ne suffiront pas à stopper ces flux migratoires. À nous de définir comment on régule la mobilité légitime des personnes et comment nous nous donnons collectivement, Français et Européens, les moyens d'accueillir dignement ces migrants.
Dans ce cadre, il faut d’abord définir notre projet européen. On ne peut plus continuer à organiser la concurrence entre nous, à nous exclure les uns les autres, selon l’origine ou le degré de pauvreté. Pourtant, on continue avec une logique européenne qui nous impose de nous faire du mal.
Le Parti Socialiste, ses parlementaires et notre gouvernement doivent retrouver la boussole qui semble leur faire défaut aujourd'hui et qui doit nous conduire collectivement à réformer en profondeur notre politique migratoire. Cette boussole n'est pourtant pas loin : elle a été réactualisée en conformité avec les valeurs émancipatrices et humanistes de la gauche lors des conventions que le PS a organisées en 2010 et 2011, validée lors de l'adoption du projet socialiste en juin 2011.
Il est temps d’agir.
Frédéric FARAVEL