« Pauvre France ». Voilà ce que je me retiens de répéter en boucle depuis hier après une petite dizaine de jours passée loin de l'information en continu et des réseaux sociaux dans la belle région d'Albi. Ne pas se connecter à internet, ne pas avoir la 3G et regarder la télévision avec parcimonie durant quelques jours de congés est salutaire. La consternation n'en est que plus forte en rentrant chez moi et en découvrant d'un bloc l'actualité de la semaine passée.
Pour résumer mon état d'esprit, voici les informations qui m'accablent aujourd'hui, une fois que l'on arrive à dégraisser l'actualité des futilités et de l'infantilisation médiatiques que l'on nous a imposées avec la Coupe du Monde de Foot-Ball ou qu'on nous imposera encore avec les opportunités françaises dans un Tour de France où les locomotives européennes semblent tomber comme des mouches :
Sombre séquence économique et sociale
Le vote d'un projet de loi rectificatif de financement de la sécurité sociale entérinant un pacte de responsabilité, qui n'est rien d'autre que de l'austérité appliqué à la France : 35 députés socialistes seulement se sont abstenus, 13 députés écologistes également. Parmi les premiers, nombre d'entre eux avaient résolu de voter contre ce projet de loi qui est en parfaite contradiction avec nos engagements de campagne ; ils ont été retenus par la menace clairement énoncée d'être exclus du PS. Pour la première fois, on a donc menacé des socialistes d'être exclus du Parti s'ils restaient fidèles au programme sur lequel ils ont été élus.
La nomination définitive de Jacques Toubon sur proposition de François Hollande comme défenseur des droits, après que les commissions parlementaires ont validé sa candidature. Elle a été soutenue par 48 députés et sénateurs (33 contre, 12 blancs). Il aurait fallu deux tiers de voix contre pour repousser sa candidature. Ce vote des deux-tiers était sans doute inatteignable au regard de l'équilibre droite-gauche dans les deux chambres, mais une fois encore l’Élysée a refusé d'écouter la majorité qui l'a conduit au pouvoir et certains parlementaires socialistes qui avaient juré leurs grands dieux qu'ils ne se laisseraient pas faire (la main sur le cœur devant le conseil national du PS le 14 juin dernier) ont sans doute répondu aux pressions amicales de l'exécutif en votant blanc.
Le théâtre d'ombres de la conférence sociale, boycottée par la CGT, FO et la FSU, et soumise à la pression du MEDEF jamais rassasié des concessions que l'exécutif lui accorde. Manuel Valls avait déjà préparé le terrain en multipliant les annonces dans Les Échos et sur BFM TV qui sonnaient comme autant d'abdication devant la pensée néo-libérale dans le seul but d'éviter le boycott... du MEDEF. Il avait réussi en cela à froisser jusqu'à la CFDT, son principal allié syndical jusqu'ici. Est-ce un mérite ou non d'y voir soldé la fin d'une illusion : l'expérience entamée depuis l'automne 2012 à grand renfort de communication sur la rénovation du dialogue social n'a rien à voir avec la social-démocratie revendiquée par François Hollande ; les reculs sur le compte pénibilité retraites – seul point positif de la réforme des retraites de 2013– y mettent un terme.
Et hier, la conférence de presse du Président de la République pour le 14 juillet qui confirme un peu plus l'enterrement des engagements de la campagne présidentielle et de l'esprit de son discours du Bourget : confirmation des menaces sur les seuils sociaux, défense du pacte de responsabilité sans jamais tenir compte du débat actuel au sein de la majorité, nouvelles baisses d'impôt annoncées sans jamais revenir à la promesse de la nécessaire réforme fiscale...
Tout ceci vient marquer à mon sens que s'il y a bien une logique à bout de souffle, c'est celle de la Vème République. Un homme seul décide, qui au passage n'a plus rien du « Président normal » annoncé (si jamais cela a signifié quoi que ce soit), qui s'est une fois de plus moulé dans la monarchie républicaine que la gauche et les socialistes abhorrent pourtant. Un débat parlementaire qui ne peut déboucher librement, les députés de la majorité étant constamment contraints par la logique de soumission à l'exécutif, ce qui interroge gravement sur la portée réelle de notre démocratie. Un Parti lui-même écrasé par cette logique, qui joue les gardes-chiourmes du pouvoir, alors même qu'il est désavoué par celui-ci comme sur les seuils sociaux.
Le piège du Proche Orient
Sans contestation possible, les événements les plus graves de la semaine se sont déroulés en Israël et en Palestine. Après plusieurs semaines rythmées par les enlèvements et assassinats de jeunes israéliens et palestiniens, le conflit s'est à nouveau embrasé le Hamas déclenchant le lancement de nombreuses roquettes sur Tel Aviv, Jérusalem et le sud de l’État hébreux, le gouvernement israélien y répondant par une campagne de bombardements aériens sur la bande de Gaza dont le bilan humain dépasse de loin les précédentes actions militaires de novembre 2012 (près de 200 civils palestiniens tués et près de 1 500 blessés).
Chacun connaît mon dégoût pour la rhétorique antisioniste, qui se développe en Europe à grand pas depuis 20 ans, et qui prend souvent en otage (et à leur corps défendant) nombre de nos concitoyens ulcérés par la politique d'occupation et les réponses militaires excessives des gouvernements israéliens de droite qui se sont succédés après l'attaque cérébrale subie par Ariel Sharon (mais également sous son autorité – car on ne peut oublier ses propres responsabilités sous prétextes qu'il a évacué la bande de Gaza). L'anti-sionnisme n'est aujourd'hui rien d'autre que le faux-nez d'un antisémitisme viscéral mis à jour. Je ne suis pas non plus de ceux qui considèrent que Jacques Chirac a plus fait pour la cause palestinienne et la paix au Proche Orient que ses prédécesseurs : n'oublions pas qu'il est en partie responsable de la perpétuation du conflit lorsqu'il a convaincu Yasser Arafat de refuser l'accord de Paix qu'Ehud Barak (lui-même fossoyeur de la gauche israélienne) lui avait proposé à Paris.
Mais le communiqué de la Présidence de la République à la suite de l'entretien téléphonique entre François Hollande et Benyamin Nethanyahu le 9 juillet dernier est une faute politique grave. Il a ainsi « exprimé la solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza. Il lui a rappelé que la France condamne fermement ces agressions. Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces. » En oubliant de rappeler la position traditionnelle de la France sur le conflit israélo-palestinien, le Chef de l’État a commis un précédent lourd de conséquences qui risque de nous rendre inaudible sur la scène diplomatique et d'attiser les manipulations politiques et communautaristes dans notre propre pays.
L’Élysée a dû se rendre compte de son erreur puisque le lendemain un entretien téléphonique était également organisé avec Mahmoud Abbas, président de l'Autorité Palestinienne dans lequel François Hollande « a exprimé son inquiétude concernant la situation à Gaza et a déploré que les opérations militaires en cours aient déjà fait de nombreuses victimes palestiniennes. La sécurité de toutes les populations civiles doit être assurée et l’escalade doit cesser. Tout doit être fait pour restaurer la trêve établie en 2012.[…] Le Président de la République a salué le sens des responsabilités du Président ABBAS et les efforts qu’il déploie pour parvenir à l’apaisement des tensions. » Mais là encore, l'essentiel est absent puisque la Présidence de la République oublie de condamner la totale disproportion de l'intervention israélienne en réponse aux attaques terroristes du Hamaset de donner un contenu à « l’impérieuse nécessité de reprendre les négociations afin de parvenir à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient » : un État d'Israël dont on garantit la possibilité à ses citoyens (qui doivent tous être réellement égaux qu'ils soient juifs ou non) de vivre en sécurité, un État palestinien viableet souverain, les deux États devant être délimités par la ligne de cessez-le-feu de 1967.
Le trouble reste entier puisqu'hier le Président de la République a été contraint d'apporter une nouvelle touche à la précision de sa position diplomatique devant les journalistes en appelant Israël à « avoir de la retenue ». On est encore loin de qualification de réponse disproportionnée qui serait nécessaire en de telles circonstances.
La consternation se maintient face à l'attitude du gouvernement et du PS face aux diverses manifestations qui ont émaillés la capitale en réaction à l'escalade de la violence au Proche Orient. Le Président de la République en est à refuser l'importation du conflit israélo-palestinien en France « Je ne veux pas qu'il y ait des conséquences en France. Le conflit israélo-palestinien ne peut pas s'importer » ; « Il ne peut pas y avoir de dérives et de débordements, d'intrusion ou de volonté d'intrusion dans des lieux de culte, que ce soient des synagogues comme cela s'est passé hier, mais je dirais la même chose pour des mosquées, des églises, des temples » ;« L'antisémitisme ne peut pas être utilisé parce qu'il y a un conflit entre Israël et la Palestine ». Encore une fois, bien qu'il ne fasse aucun doute que certains manifestants véhiculent de manière organisée l'antisémitisme sous couvert d'antisionisme, c'est une erreur de confondre toutes les personnes qui contestent la politique israélienne avec des antisémites. C'est également une erreur sous prétexte de « redoubler de vigilance »d'envisager d'interdireles manifestations. Cette mesure réclamée par le CRIF, dont on connaît le sens de la (dé)mesure de son président Roger Cukierman, ne ferait qu'aggraver le mythe du complot sioniste diffusé par les organisations islamistes et identitaires.
L'ironie déplacée du Premier Secrétaire par intérim du PS ne nous aide pas plus à limiter cette dérive : « Ce n'est pas parce qu'on parle du Proche Orient qu'il est proche des Français. Il doit rester en Orient ». On peut d'ailleurs regretter qu'à cette occasion le Parti Socialiste ait été frappé des mêmes oublis de sa position traditionnelle sur le conflit alors qu'il aurait dû la rappeler dans son communiqué du 8 juillet à la sortie de son Bureau National : un État d'Israël en sécurité, un État de Palestine viable et souverain.
C'est enfin une erreur de passer sous silence les agissements d'une organisation fasciste connue sous le nom de Ligue de Défense Juive (LDJ), et interdite en Israël et aux États-Unis (!??!!!), lors des violences qui ont été commises ce week-end à Paris. Il y a bien eu des actes de violences commis par des manifestants pro-palestinien et des propos antisémites proférés par ces personnes, ils doivent être poursuivis et condamnés avec la plus grande fermeté pour cela. Mais notamment à proximité de la synagogue de la Rue de la Roquette, ces actes avaient été précédés par des agressions verbales et physiques à caractère explicitement racistes de la part de petits groupes de la LDJ. Le Monde rapporte que les CRS ont « dûséparerdesmembres de laLigue de défense juive(LDJ)et des manifestants qui s'affrontaient aux alentoursde la rue de la Roquette. Huit personnes au total ont étéinterpellées par les policiers en fin de manifestation,pour“violencesvolontaires”sur agent de la force publique » ; cependant de nombreux témoignages convergent pour indiquer que les forces de l'ordre – confondant sans doute les membres de la LDJ avec des fidèles de la synagogue – ont plutôt protégé ces derniers des représailles que certains manifestants voulaient opérer.
Les violences d'un côté comme de l'autre sont inacceptables. Ceux qui les ont commis doivent être punis avec la plus grande fermeté et tomber sous le coups de la loi républicaine et laïque. Avoir donné le sentiment d'un changement de politique diplomatique ne peut qu'aggraver l'échauffement des esprits et importer des violences qui n'ont rien à voir avec notre République sur le sol national. Que la Justice passe donc sur les auteurs des agressions et de violences commises ce week-end à Paris et à Aulnay-sous-Bois, mais il est temps de cesser d'être aveugle et sourd face aux agissements de la LDJ : cette organisation fasciste doit enfin être dissoute par la République et faire l'objet de notre vigilance pour empêcher sa reconstitution sous d'autres formes.
Frédéric FARAVEL