Depuis une dizaine de jours, pour bon nombres de socialistes et de commentateurs politiques, la situation politique du pays, de la gauche, du Parti socialiste a fortement évolué. En effet, pour tous ceux qui avaient considéré que seul Dominique Strauss-Kahn pouvait permettre d'incarner l'alternance face à un Nicolas Sarkozy impopulaire, ses empêchements judiciaires – qui devraient durer quelle que soit l'attention portée à la présomption d'innocence d'une part et au respect de la parole de la victime présumée d'autre part – bousculent évidemment leurs analyses politiques.
Pour ceux qui comme moi et de nombreux camarades de la Motion C considéraient que Martine Aubry, Première secrétaire du Parti socialiste était la plus légitime pour porter le projet socialiste, le rassemblement de la gauche et l'alternative en 2012, il est également évident qu'ils ne seront pas bousculés dans leurs convictions et dans leurs analyses. Notons au passage que parmi les responsables politiques et les journalistes, ils étaient nombreux à avoir considéré la Première secrétaire comme quantité négligeable, quand ils ne faisaient pas tout simplement « campagne » pour la pousser hors du cadre.
Cette évolution soudaine, brutale et imprévue de la situation politique devrait rappeler à la gauche que la culture de l'homme ou de la femme providentiel(le) n'est pas la sienne. 2002 et 2007, avec des personnalités aussi différentes que Lionel Jospin ou Ségolène Royal, nous l'avaient clairement et douloureusement appris. La tendance de certains à mettre tous nos œufs dans le même panier – celui de notre camarade DSK – n'était ainsi sans doute pas la meilleure conseillère. On peut à se titre remarquer qu'évidemment les Français – selon les enquêtes d'opinion – semblaient favoriser DSK pour porter l'alternance en 2012, mais à y regarder de plus près il ne s'agissait pas d'une attente spécifique vis-à-vis de la personnalité de DSK. Les enquêtes d'opinion qui ont été réalisées depuis le dimanche 15 mai démontrent que cette attente d'alternance, que la volonté de se débarrasser se reportaient aisément et quasiment totalement sur les deux présidentiables socialistes aujourd'hui les plus en vue, François Hollande ou Martine Aubry.
À ce stade, il faut prendre garde à ne pas se laisser emporter. Les sondages ne sont que des sondages et l'on sait trop ce qu'ils ne signifient pas à un an de l'échéance électorale ; il serait également sage de ne pas porter attention aux sondages qui d'ores-et-déjà prédisent des résultats de second tour. La campagne des élections présidentielles de 2012 ne sera pas un chemin pavé de pétales de roses. Elle sera dure et violente, quel que soit le candidat. Il est probable que Nicolas Sarkozy est encore quelques ressources lorsque la campagne sera lancée. Enfin, Marine Le Pen se tient en embuscade et la colère des catégories populaires pourraient si nous nous en désintéressons se tourner vers le national-populisme et l'extrême droite plutôt que vers la social-démocratie.
Parier sur un « 21-Avril à l'envers » serait à ce titre passablement délétère. Il y a fort à parier que notre candidat(e) ne serait pas crédité au second tour d'un score aussi flatteur que les 82 % de Jacques Chirac en 2002, au regard de l'absence de réflexes républicains d'une bonne partie de l'électorat radicalisé de Nicolas Sarkozy. Surtout le mandat que recevrait le/la président(e) élu(e) dans ces conditions serait toujours entaché de confusion sur le projet à mettre en œuvre. Nous porterions par ailleurs le flanc à une critique – dont les fondements ont pu d'ailleurs être alimentés par les ambigüités de certains responsables socialistes –, celle d'avoir recherché cette situation afin de ne pas avoir à rassembler toute la gauche pour éviter de marquer notre programme. Une telle situation politique ouvrirait le quinquennat sous des auspices déplorables et serait gros de désillusions pour l'avenir qui nourriraient ensuite les envolées populistes.
Notre stratégie doit donc nous amener à tout faire pour privilégier un clivage politique clair qui permette de confronter les projets d'une droite conservatrice et d'une gauche de transformation sociale. Elle doit nous amener à d'ores-et-déjà tout mettre en œuvre pour faire reculer dans l'opinion, notamment dans les classes populaires, et dans les votes le Front National. Et nous n'avons pas de meilleurs outils aujourd'hui pour cela que de faire l'intense promotion du Projet socialiste, qui sera définitivement adopté samedi 28 mai 2011 après plus de deux ans de travail autour de Martine Aubry, travailler au rassemblement de la gauche et sensibiliser les électeurs de gauche pour des primaires ouvertes à gauche.
Et quand je dis « primaires ouvertes à gauche », il s'agit dans mon idée – au travers des discussions en cours avec nos partenaires politiques écologistes et communistes notamment – de les inciter eux-mêmes à y voir un facteur de dynamique pour l'ensemble de la gauche, à défaut que leurs organisations souhaitent y participer en tant que telles. Cela signifie également de ne pas hésiter à appeler les sympathisants et électeurs d'Europe-Écologie Les Verts et du Front de Gauche à participer massivement aux votes d'octobre. Il s'agit dès la désignation de celui ou celle qui sera évidemment et d'abord – vues les circonstances – le/la candidat(e) socialiste de créer une dynamique de rassemblement de la gauche pour préparer la dynamique de second tour.
Alors pendant tout le mois de juin, il faudra que les socialistes et leurs sympathisants se mobilisent pour sensibiliser les électeurs à ces primaires. Peut-on cependant mener une campagne de sensibilisation aux primaires tout en faisant dans le même mouvement campagne pour un(e) concurrent(e). Évidemment non : ce type d'acrobaties ferait perdre toute crédibilité aux militants qui s'y essaieraient et plus largement au dispositif. Alors il faut que les socialistes respectent entre eux des règles clairs ; un calendrier a été établi, il ne s'agit plus aujourd'hui d'en discuter l'opportunité pas plus qu'il faudrait remettre en cause le principe même des primaires, c'est trop tard. Les candidatures et leurs parrainages doivent être déposées entre le 28 juin et le 13 juillet. Qu'on s'y tienne et que tous les candidat(e)s potentiels cessent d'ici là de faire campagne pour privilégier la parole unitaire du Parti Socialiste dans son expression vis-à-vis des Français et dans son travail de rassemblement de la gauche.
C'est la faute politique qui entache depuis qu'elle a débuté la campagne de François Hollande. Non seulement il a dénigré la rénovation du PS, dénigré le travail intense de préparation du projet, présenté à Clichy-la-Garenne non pas le projet des socialistes avec son intonation personnelle mais son projet individuel, bref il joue sur des registres assez déloyaux... mais au-delà toute personne qui considère aujourd'hui que le temps de la campagne est venue sème la confusion (c'est vrai aussi pour Montebourg). L'été et l'automne suffiront pourtant aisément. Alors que nous devrions populariser notre projet il ne faudrait pas que nous donnions le bâtons pour nous faire battre en permettant des constructions journalistes imaginaires. Dans ce registre par ailleurs, je mets en garde ceux qui seraient autour de candidats plus ou moins déclarés tentés d'encourager des élucubrations médiatiques pour favoriser leur poulain : quand un rassemblement commence à s'opérer autour de la Première secrétaire, il est puéril et contre-productif d'alimenter chez les journalistes l'idée qu'un processus d'exclusion serait en cours et de se victimiser. C'est d'autant plus ridicule quand on est autant entouré de barons locaux et de grands élus que l'ancien Premier secrétaire et actuel Président du Conseil général de Corrèze.
Sachons faire des primaires un outil utile et pas une foire d'empoigne, c'est le sort de la France et des Français qui est en jeu.
Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral aux relations extérieures du Parti Socialiste du Val-d'Oise