Alors que 99% des responsables du Parti Socialiste, de ses parlementaires et la totalité des ministres promettaient un congrès administratif, sans d'autre enjeu que de valider une modification de sa direction décidée ailleurs, sans d'autre discours que d'affirmer un soutien à la réussite du gouvernement (ce que tous les socialistes souhaitent), les militants socialistes ont déjoué les pronostics.
Ils les ont déjoués en apportant près de 14% des suffrages à la motion 3 "Maintenant la Gauche" portée par Emmanuel Maurel (alors qu'on annonçait que le ralliement des amis de Benoît Hamon à la motion autoproclamée du rassemblement signifiait un effondrement de la gauche du PS) et près de 12% à la motion 4 "Osez. Plus loin, plus vite", portée par Stéphane Hessel et Pierre Larrouturou. Ils ont amplifié ce message en apportant près de 28% des suffrages à Emmanuel Maurel qui disputait à Harlem Désir le poste de Premier Secrétaire... Ce dernier a ainsi réussi l'exploit de réunir sur son nom moins de suffrages que ceux reccueillis par la motion dont il était le premier signataire.
Ainsi, avec la motion 3, les militants socialistes ont mis tous les débats sur la table... pas sous le tapis : la nécessité d'une réorientation réelle de la construction européenne, malgré l'adoption contre-nature du Traité Merkozy par les parlementaires UMP et PS ; l'interrogation du bien fondé de la marche forcée pour la réduction des déficits publics alors que notre pays frôle la récession ("3% c'est pas maintenant !") ; la nécessaire augmentation des revenus pour les classes moyennes et populaires ; la manière de s'engager réellement dans la transition énergétique avec la sortie du nucléaire et l'interdiction de l'exploitation des gaz de schiste ; la poursuite de l'approfondissement de la démocratie par la VIème République que tous les responsables socialistes semblent avoir oublié...
La plupart des débats ont donc été tranchés par les militants lors des votes des 11 et 18 octobre. Les réflexes légitimistes qui existent dans le Parti Socialiste ont permis à la motion 1, conduite par Harlem Désir, d'afficher formellement une majorité confortable. Elle est cependant minée, nous le savons, par de très graves dissensions internes sur le fond et entre personnalités concurrentes (Peillon, Moscovici, Montebourg, Valls, Rebsamen, etc.) qui attendent que la succession de François Hollande soit ouverte pour 2022. Mais il est marquant que la motion qui souhaite durablement ancrer le PS à gauche soit sortie renforcée de ce congrès alors qu'on l'annonçait mourrante en septembre. Avec 14%, elle réunit l'essentiel des suffrages de la motion C en 2008, sans le soutien de Benoît Hamon, Henri Emmanuelli, de Jean-Luc Mélenchon (depuis parti fonder le PG) et de la 20ne de parlementaires de la sensibilité "Un Monde d'Avance". Avec 28%, Emmanuel Maurel rassemble sur son nom plus de suffrages qu'aucune motion ou qu'aucun candidat de la gauche du PS dans l'histoire de ce parti (Rappelons que Benoît Hamon n'avait reccueilli que 22,5% en novembre 2008).
Cependant, quand on connaît l'organisation des congrès socialistes, on pouvait s'attendre à ce que ces messages ne soient pas forcément visibles. On risquait de s'ennuyer ferme, après des débats dans les sections et les fédérations de qualité.
C'était sans compter la nécessité pour de nombreux cadres socialistes de tenir compte du message des militants et de faire face à la contre-offensive des conservateurs et du patronnat. Face au débat imposé sur la compétitivité, les socialistes ont fait front pour rappeler que nos priorités ne sauraient se satisfaire des exigences de puissances de l'argent et qu'il était temps de développer une véritable politique industrielle française et européenne.
Martine Aubry elle-même est venue rappeler qu'augmenter la CSG et la TVA pour compenser une baisse des cotisations patronales ne serait pas un "choc de compétitivité" mais un choc contre le pouvoir d'achat des Français, donnant ainsi raison à une bonne partie des analyses de la motion 3. Au passage, nous avons pu voir, tout au long du discours de Martine Aubry, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault raturer de nombreux paragraphes de son discours ; l'ex-première secrétaire a fait une forte intervention, saluée avec enthousiasme par les congressites, contraignant le Premier Ministre à faire un "discours de la méthode".
C'est à Emmanuel Maurel qu'est revenu assez logiquement la mission de rappeler le rôle des socialistes, juste après l'intervention de Martine Aubry. « Pour nous, contrairement à la droite, le pouvoir n’est ni une évidence, ni une fin en soi. Un moyen au service d’une cause qui nous dépasse. Nous n'avons rien oublié de ce qu'il y a de beau et de spontané dans le socialisme, ce cri de la conscience humaine qui se dresse face aux injustices, cette révolte de tous les outragés, des gens de peu et des gens de rien. Nous n'avons rien oublié de ce qui fait que nous sommes là : Le combat inlassable contre le fascisme, contre le racisme, pour les libertés publiques. Le combat pour une société laïque émancipée de la tutelle de tous les clergés. Et quand je dis clergés, je ne parle pas seulement de religion, je parle aussi de l’argent, du tout marché, qui s’insinue partout, jusque dans les écoles. Une société laïque, c’est aussi une société qui se refuse à accepter que l’argent soit la mesure de toute chose, qui met l’homme au coeur de ses préoccupations.
Nous n’avons rien oublié de notre mission historique ; la redistribution des richesses, la réduction des inégalités, l’approfondissement de la démocratie.
Nous n'avons pas oublié d'où nous venons, et pourquoi nous sommes là.
Nous n'avons rien oublié du message de nos illustres prédécesseurs. Notre héritage, c'est le partage! Oui, nous sommes les héritiers des partageux! Partage des richesses, bien sûr mais aussi partage des savoirs (le rôle de l'éducation, la priorité à la culture), partage des pouvoirs : la démocratie jusqu'au bout dans l'entreprise, sur le lieu de travail, et toutes les formes de la démocratie : la démocratie directe, la démocratie participative, parce que nous n'avons jamais eu peur du peuple souverain ! »
Emmanuel Maurel - Congrès de Toulouse par PartiSocialiste
C'est à nous d'apporter des réponses aux attentes sociales des Français et cette réponse est indispensable dans le temps du mandat sous peine de les voir se détourner de nous.
Mais la dynamique avait été enclenchée la veille lors de l'Assemblée Générale de la motion 3 dans la salle Capitole, derrière de vagues paravents. Ce manque d'intimité n'a pas empêché les camarades de la motion 3 de débattre. Emmanuel Maurel a attaqué fort en « Soyons fiers de ce que nous avons fait. Ce n’est qu’un début, nous allons faire vivre ensemble un beau courant de pensée dans le Parti socialiste, nous allons être utile à la gauche ! ». Toutes les interventions qui ont suivi ont confirmé cette dynamique.
Gérard Filoche, a rappelé le rôle historique du PS comme lieu de formation militante et de lien fort avec le mouvement social. Il a rappelé que les questions politiques sont devant nous sont un « concentrée de politique : l’augmentation des salaires, c’est le premier signe de redistribution de la richesse. » Il a appelé à la « constitution d’un courant organisé de manière démocratique ». Marie Noëlle Lienemann a estimé que nous avons fait la preuve que le Parti socialiste ne se résignait pas à être aphone ou godillot : « Vous avez fait le plus important vous avez créé un rapport de force. » « Quelle tête aurait ce congrès si personne n’avait posé la question de l’austérité, du rôle de l’état stratège. Nous avons posé les bonnes questions. Tout reste à faire. (…) Les français ont dit que l’économie devait être maitrisée par la politique. (…) Notre compétitivité est menacée par la privatisation des outils de production et l’abandon de la recherche publique. » Nicolas Pagnier a exprimé sa fierté au regard du contenu de notre motion entre la gauche du parti et la gauche écologiste du parti on n’oppose pas le progrès social et l’écologie. Il a souhaité que nous engagions une campagne dans le parti socialiste pour l’organisation d’une convention nationale sur la transition énergétique. Olivier Thomas a demandé que le congrès continue dans la durée et que nous marquions le congrès comme nous l’avons fait dans les débats de sections et les débats fédéraux, et il a proposé que nous fassions une résolution de congrès sur la compétitivité. Gérard Berthiot a souhaité rappeler que sur la question des dépassements d’honoraires, la reculade que nous venons de connaître est un signal inquiétant. Il a proposé de préparer une résolution sur les licenciements boursiers. Ugo Lanternier a expliqué comment la motion était passée d’une situation marginale à devenir un pivot de la fédération de Seine Saint Denis et a fait part de son optimisme pour la suite. Thomas Risser a souhaité attirer l’attention de tous les délégués sur la faible participation aux votes du congrès. Il a fait part de son inquiétude sur la capacité du parti à redonner la parole aux militants. Sur la question de la précarité il a complété en indiquant que les inégalités salariales et la précarisation étaient également installées dans la fonction publique. Claude Touchefeu a indiqué qu’elle était fière du travail accompli. Et a rappelé le moment douloureux et difficile du choix vis-à-vis d’UMA. « On a réussi à ne pas faire enterrer la gauche du Parti. Il ne s’agit pas simplement d’avoir marqué ce congrès. Il faut que nous nous donnions des temps de campagne à l’intérieur du Parti sur ce que nous avons demandé sur les 3 campagnes » Nous avons donc décidé de préparer une résolution sur la compétitivité et le pouvoir d'achat. cliquez sur le lien pour télécharger la résolution
Durant la journée du samedi, les militants "activistes" du PSE avaient également commencé à débattre des conditions politiques pour que le Parti des Socialistes Européens proposent une véritable alternative démocratique et sociale concertée aux politiques conservatrices et austéritaires en Europe, déconnectée des vieilles lunes sociales-libérales à la Tony Blair et à la Gerhard Schröder (comme pouvait le laisser espérer l'intervention de Sigmar Gabriel, président du SPD, la veille devant le congrès).
Cependant, à notre grande surprise, dimanche matin, la nouvelle direction du PS autour d'Harlem Désir avait refusé que la résolution dont nous avions achevé la rédaction la veille soit soumise au vote du congrès. Pour la première fois, alors que tout se passait bien jusque là, un congrès du Parti Socialiste se terminait sans voter de résolution ; une résolution qui par ailleurs allait dans le sens des dizaines d'intervenants qui s'étaient succédés à la tribune pendant deux jours, dans le sens des délégations syndicales de PILPA et SANOFI reçues la veille !
Au lieu de cela, il avait été décidé que s'exprimeraient 10 représentants de la motion 1 à la gloire du nouveau Premier Secrétaire... Il y a de quoi être quelque peu étonné de telles pratiques anachroniques.
Pourtant, le discours d'Harlem Désir est venu apporter une conclusion positive et forte à ce Congrès de Toulouse : le Premier Secrétaire semble vouloir s'engager fermement dans la contre-offensive contre la droite et l'extrême droite, soutenir nos revendications sur le mariage pour tous et le droit de vote des étrangers... Harlem Désir a également proposé que deux conventions soient soumises aux militants sur la réorientation européenne et la transition énergétique, deux conventions exigées depuis le début du congrès par la motion 3. C'est donc prometteur, mais nous jugerons aux actes et surtout nous rappellerons que la contre-offensive doit être portée face au patronnat et à l'argent qui corromp.
On ne sait pas encore comment agira Harlem Désir... Aura-t-il la force pour imposer son leaderhsip face aux chapelles de ministres ? si oui il saura trouver en nous des partenaires... Aura-t-il l'intelligence de faire autre chose que d'être le porte-parole du gouvernement ? si oui il pourra compter sur nous pour préparer l'avenir... Saura-t-il élargir le rassemblement de la gauche à toutes les forces qui veulent la transformation sociale ? si oui, il nous trouvera à ses côtés...
Frédéric FARAVEL
Mandataire fédéral de la motion 3 dans le Val-d'Oise
NB : aux côtés d'Emmanuel Maurel, qui représentera la motion 3 au conseil et au bureau nationaux du PS, Adélaïde Piazzi siègera dans la commission nationale des conflits et Frédéric Faravel au sein du bureau national des adhésions.