Le score des élections italiennes, qui se sont déroulées les 24 et 25 février 2013, sidère une partie des commentateurs politiques européens.
La victoire du Parti Démocrate (centre un peu à gauche) est réelle à la chambre des députés : La coalition de "gauche" de Pier Luigi Bersani, qui remporte 29,5% des voix, s'adjuge la majorité des sièges à la Chambre (340 des 630 sièges), grâce à un système qui accorde 54% des fauteuils à la formation arrivant en tête.
Mais au Sénat, où la prime de majorité est accordée par région, les résultats donnent le centre gauche très loin de la majorité absolue des 158 sièges. En termes de voix, la gauche en remporte 31,63% et la droite 30,71%.
La remontée spectaculaire de Silvio Berslusconi et de sa coalition de droite ou le très mauvais score des listes centristes de droite de Mario Monti (9%) ne sont pourtant pas les véritables révélations de ce scrutin. S'il est vrai que Berlusconi doit une bonne partie de son bon résultat à une campagne démagogique, le véritable vainqueur des élections est le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, ancien comique, reconverti dans un rôle tribunicien très vaguement de gauche (salaire minimum, écologie, ...) si l'on considère que son discours s'appuie sur des boucs émissaires (le "système", les immigrés, l'Europe en soi).
Selon les résultats officiels, il obtient aux alentours de 25 % dans chacune des deux chambres, devenant la troisième force politique du pays et devançant même le Parti Démocrate en tant que tel.
Victoire très relative du centre gauche, défaite avérée et sévère du Président du Conseil qui a fait avaler aux Italiens la potion amère de l'austérité, remontée d'un Berlusconi démagogique et victoire d'un populiste inclassable : au-delà de l'ingouvernabilité de l'Italie (il faut disposer de la majorité à la chambre et au sénat, et Grillo refuse toute discussion avec le centre gauche), ce sont les politiques d'austérité qui continuent d'être violemment sanctionnées aujourd'hui en Italie, hier lors des autres scrutins récents dans les Etats de l'Union Européenne.
Jusqu'ici rien de catastrophique ne s'est électoralement produit en Europe :
- les Danois ont donné une majorité relative aux sociaux-démocrates,
- les Belges ont réussi à trouver un compromis fédéral pour que le gouvernement soit dirigé dans un contexte très complexe par le socialiste Elio Di Rupo,
- au Pays-Bas les libéraux ont réussi à entrainer les très centristes travaillistes néerlandais avec eux en coalition sur leur base programmatique,
- les conservateurs grecs ont devancé d'un cheveu Syriza (gauche radicale, mais favorable au maintien de l'euro, n'en déplaise aux Echos et à Dominique Seu) ce qui leur donne - grâce au mode de scrutin - une majorité parlementaire qui leur évite de subir l'éventuel chantage des néo-nazis d'Aube Dorée...
Quel sera le coup suivant ? En Espagne, le rejet du gouvernement conservateur ne donnera pas forcément une chance aux socialistes qui avaient été également rejetés pour les mêmes raisons, le mouvement des indignés n'offrant jusqu'ici aucun débouché politique. Au Portugal, la droite libérale pourrait être pareillement rejetée mais il n'existe pas dans ce pays de tradition d'union de la gauche qui pourrait offrir une véritable majorité alternative. Et le pire est à venir quand les électeurs européens constatent scrutin après scrutin que les orientations fondamentales de la politique économique et financière n'évoluent pas avec les changements de majorité : l'austérité semblant être l'unique horizon des gouvernements qu'ils soient de centre-droit ou de centre-gauche.
La majorité de gauche en France est issue d'une conjonction de phénomènes politiques : rejet du sarkozisme, montée de la candidature du Front de Gauche avec Jean-Luc Mélenchon, campagne de François Hollande marquée par le volontarisme du discours du Bourget qui a fait un temps oublié la ligne qu'il avait défendue lors des primaires citoyennes. Depuis le tournant social-libéral impulsé par l'Elysée a été extrêmement rapide et renvoie une bonne partie de l'électorat de François Hollande aux désillusions de la rigueur et de l'austérité : ratfication du traité Merkozy, Pacte de compétitivité, soutien inconditionnel à l'accord national interprofessionnel MEDEF-CFDT, "couleuvre avalée" sur le budget européen...
Les élections locales de 2014 et 2015 pourrait s'avérer plus difficile qu'un simple rééquilibrage politique en général défavorable... Si en Italie c'est le populisme version Grillo, ambigu certes mais qui ne remet pas en cause les fondements démocratiques italiens, en France c'est vraisemblablement le Front National et les franges les plus réactionnaires de l'UMP qui profiteront de la poursuite de politiques de rigueur qui ne résolvent en rien la question de la dette publique et continue de dégrader la situation économique et sociale. Au-delà des prochaines élections locales, c'est évidemment l'élection de 2017 qui risque d'être dramatique si un tournant de la relance n'est pas rapidement opéré.
La question est également posée à l'échelle de l'Union Européenne. Les politiques libérales, conservatrices, sociales-libérales imposées aux Européens, tant au niveau national qu'au niveau européen depuis plus de 15 ans, sont en train de tuer doucement l'idée généreuse et progressiste de la construction européenne, dont les citoyens s'éloignaient déjà par manque de fonctionnement démocratique et l'absence de prise en compte de la souveraineté populaire.
La gauche européenne a en la matière une énorme responsabilité : si elle n'est pas capable de rompre avec les impasses libérales qui n'ont abouti qu'à l'échec, si elle n'est pas capable de dire que l'austérité ce n'est pas l'Europe en soi mais des choix politiques effectués par des gouvernements et des forces politiques que l'on peut parfaitement déconstruire, si elle n'est pas capable d'offrir une alternative européenne à ces orientations politiques, c'est l'Union Européenne qui finira par sombrer dans les populismes et la récession, avec toutes les nations qui la composent.
Frédéric FARAVEL