L'Assemblée nationale débattra demain d'une proposition de résolution du groupe socialiste en faveur de la reconnaissance de l'Etat de Palestine. Ce texte n'a évidemment aucune portée en droit international et n'est qu'une invitation des parlementaires à ce que la République française le fasse.
Le groupe socialiste du Sénat a déposé une proposition de résolution, identique à celle des députés, mais les socialistes ayant tardé à le faire, les groupes écologistes et communistes avaient déjà déposé la leur. Le calendrier sénatorial aidant, c'est la proposition du groupe socialiste qui sera examinée en premier autour du 8 décembre, tirant ce dernier d'un beau guêpier, car nombreux étaient les sénateurs socialistes qui auraient été sinon tentés de voter (voire de signer la proposition communiste déjà inscrite pour la séance du 11 décembre).
Ces précisions, qui peuvent paraître décalées avec le sujet, sont pourtant importantes ; en effet, si l'adoption de la proposition de résolution socialiste ne fait aucun doute à l'Assemblée Nationale, elle n'est évidemment pas automatique au Sénat dont la majorité a été reconquise par la droite le 28 septembre dernier. Or en déposant (enfin !) leur propre proposition de résolution, les sénateurs socialistes ouvrent une possibilité non négligeable de faire voter une résolution demandant que la République française reconnaisse l'Etat palestinien par les deux chambres, en profitant de la division de la droite sur ce dossier (les sénateurs UDI et UMP n'auraient vraissemblablement pas voté - pour de mauvaises raisons - les propositions de résolution communiste et écologiste).
Les mauvaises raisons de voter ou de rejeter la résolution
J'ai pu entendre certains discours assez lamentable chez certains parlementaires - heureusement isolés -, soit en faveur, soit contre la propositions de résolution. La bêtise peut effectivement habiter les deux camps.
Ainsi, certains expliquent qu'il faudrait voter cette résolution parce qu'elle est attendue "par une partie de notre électorat". Le sous entendu est à peine voilé comme quoi nous tiendrions là l'un des derniers messages possibles en direction des Français d'origine maghrébine et/ou de confession musulmane.
Ce discours est odieux, car il ancre notre conception de la politique dans des méthodes clientèlistes et communautaristes. Il fait le pari qu'un nombre important de nos compatriotes détermineraient, dans les quartiers populaires, essentiellement leurs choix politiques en fonction du conflit israélo-palestinien. Ce serait enfin utiliser cette cause comme une diversion des attentes réelles - essentiellement économiques et sociales - des classes populaires.
Il est vrai qu'à force d'entretenir par de tels discours ou sous entendus, d'avoir ce mépris déguisé sur les attentes d'une "partie de notre électorat", certains finissent par correspondre à la description que ces mauvais élus font d'eux. Mais ils sont minoritaires et que l'on ne se trompe pas, le vote de la résolution ne nous évitera pas le ressentiment d'un électorat socialiste populaire (celui du premier tour de la présidentielle) qui se sent floué par la tournure prise par les choix économiques du gouvernement. Sans amélioration réelle des conditions de vie de nos concitoyens, il n'y aura aucune bouée de sauvetage communautariste.
Certains ont expliqué a contrario qu'ils refuseraient de voter cette résolution ou toute autre, tant que le Hamas continuerait de menacer l'existence de l'Etat d'Israël. D'autres encore, dans un raccourci détestable, en faisant référence aux manifestations contre les bombardements de Gaza, faisaient de l'ensemble des manifestants des individus ayant un penchant coupable pour l'antisémitisme, et que voter la résolution équivaudrait à céder en France devant les Islamistes et les groupuscules communautaristes et/ou fascistes antisionistes (!?).
En arriver à un tel amalgame est consternant de la part de membres de la représentation nationale. Dans le second cas, on est dans la même logique mais renversée que ceux qui veulent satisfaire "une partie de l'électorat". C'est enfermer certains Français dans une logique communautariste et raciste. C'est aussi être incapable de penser que l'on peut, d'une part, refuser la dérive militaire du gouvernement Netanyahu et être solidaire d'une population doublement opprimée (par le Hamas et le blocus israélien), et, d'autre part, soutenir l'existence d'Israël, vivant en paix et en sécurité avec son voisin palestinien.
Concernant la première réfutation, elle frise le non sens. C'est placer le Hamas sur un même rang que la République française et soumettre la position de la République française à l'évolution d'un mouvement terroriste, fasciste et islamiste, qui non seulement veut détruire l'Etat d'Israël et jeter tous les Israéliens "juifs" à la mer mais opprime également la population palestinienne de la bande de Gaza. Au contraire, le vote de cette résolution affaiblirait le Hamas et redonnerait une chance à un processus qu'il veut détruire.
Il n'y a en définitive qu'une seule bonne raison de voter pour cette résolution, c'est de considérer que son contenu est juste et que parce que son contenu est juste cela doit être la position de la République française. On est loin d'une position qui serait déterminée en fonction du sentiment supposé d'électorats "musulmans" ou "juifs" qu'on inciteraient plus encore à s'affronter dans notre pays avec les raisonnements déviants que j'ai décrits plus haut.
L'utilité de la résolution
L'adoption simultanée (ou même uniquement par l'Assemblée Nationale) de ces résolutions a-t-elle une réelle utilité dans la période ?
Elle me paraît déterminante car l'exécutif français semble avoir oublié l'engagement n° 59 du candidat François Hollande : "Je prendrai des initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine. Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l’État palestinien."
Le Président de la République ne saurait se sentir déchargé de sa promesse de campagne par le simple fait que la Palestine a été reconnue comme Etat non membre de l'ONU par son Assemblée Générale le 29 novembre 2012. Il est nécessaire que cette reconnaissance s'inscrive dans une réalité concrète du droit international, et c'est ce qui a motivé la Grande Bretagne ou la Suède de sauter le pas récemment.
La pression des deux chambres est d'autant plus nécessaire dans ce contexte, alors que la position de la France a paru évoluer dans le mauvais sens lors des premiers jours du dernier conflit armé dans la bande de Gaza, semblant abandonner l'équilibre de sa position traditionnelle et cautionner la réponse militaire disproportionnée du gouvernement Netanyahu (j'avais déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet cet été). Bien que soutenues à distance par le ministère des affaires étrangères (dont les services avaient proposé des rédactions particulièrement débilitantes et vides de sens) et Laurent Fabius, les initiatives parlementaires ont l'avantage de recentrer la position française sur le conflit israléo-palestinien et de placer l'exécutif face à une pression importante pour opérer la reconnaissance de l'Etat palestinien.
La reconnaissance par la France de l'Etat palestinien, qui devrait donc en découler, est déterminante, parce que dans la situation actuelle, seule la pression internationale permettra de débloquer les négociations de paix aujourd'hui au point mort.
Sortir de l'impasse actuelle
Cela fait plusieurs années que les négociations israélo-palestinienne sont dans l'impasse. Après les échecs de Shimon Peres et d'Ehud Barak à assumer l'héritage d'Yitzhak Rabbin, la droite israélienne n'a cessé de jouer sur la dégradation de la situation. Même la rupture d'Ariel Sharon d'avec sa famille politique, pour créer Kadima - un parti centriste - à l'occasion de l'évacuation unilatérale de la bande de Gaza, s'est faite dans la négation de l'existence d'un partenaire politique. L'évacuation de Gaza, la construction du mur de séparation, l'accélération de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est sont les facettes de la volonté de transposer en Israël et en Palestine un nouvel Apartheid.
L'impasse n'a amené qu'à renforcer les extrêmistes dans chaque camp. Chaque attentat palestinien est aujourd'hui utilisé comme un prétexte par Benyamin Netanyahu pour en faire porter la responsabilité à Mahmoud Abbas et tenter de le décrédibiliser aux yeux de la communauté internationale. C'est la même stratégie qu'Ariel Sharon et Netanyahu avaient appliqué avec Yasser Arafat et le résultat que l'on connaît.
Loin de moi l'idée que le Fatah (parti du président de l'Autorité palestinienne) soit exempt de responsabilité. La corruption de son appareil explique en grande partie la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza et la progression actuelle des extrêmistes du Hamas ou d'autres groupuscules en Cisjordanie.
Mais la stratégie du rapport de force et de la violence militaire disproportionnée n'a pas apporté la paix à Israël et elle n'a pas sécurisée d'avantage la situation politique du Premier ministre israélien. La gauche qui ne s'est jamais remise de l'assassinat d'Yitzhak Rabbin, puis des inconséquences et des trahisons successives de Shimon Peres et d'Ehud Barak, est effectivement dans les choux, mais le Likud ne s'en porte pas mieux. Il a été concurrencé dans le précédent mandat par Isroël Beitenu d'Avigdor Lieberman, il a dû institutionnaliser sa coalition avec lui pour les élections de législatives de 2013, mais a commencé à être talonné par une nouvelle force d'extrême droite HaBayit HaYehudi conduite par Naftali Bennett dont l'électorat s'assoie essentiellement sur les anciens immigrants russes, partisans de la manière forte. La poussé surprise des centristes de Yesh Atid conduit par Yaïr Lapid - qui s'est construite sur les décombre de la gauche et de Kadima - ne saurait masquer que le gouvernement actuel de Benyamin Netanyahu est le plus à droite qu'Israël ait jamais ; plus le temps passe, plus le premier ministre israélien devient l'otage de son extrême droite, à qui il ne cesse de donner des gages. Il souhaite notamme faire adopter par la Knesset une déclaration instituant «L’Etat d’Israël [comme] patrie nationale du peuple juif», ce qui revient à nier l'existence des arabes israéliens et leur dénier tout droit sérieux à être des citoyens égaux dans l'Etat d'Israël. Tzipi Livni, sa ministre de la Justice, chef du micro parti centriste Hatnuah, et ancienne leader de Kadima, a dénoncé un tel projet comme attentatoire à démocratie israélienne et publié sur sa page facebook un extrait de la déclaration d'indépendance de l'Etat d'Israël dont seraient barrées toutes les formules rendues caduques par une telle loi. Cette affaire rend encore plus prégnante la question de la définition de la citoyenneté israélienne ; Ehud Barak à la fin de son mandat de premier ministre avait voulu engager un débat national sur la définition d'une laïcité israélienne, mais il n'avait dans cette opération qu'une visée tactique visant à diviser la droite israélienne entre ses composantes sécularisées et religieuses : la manœuvre avait donc fait long feu. Et le débat a été décrédibilisé pour de nombreuses années.
Comme preuve de l'échec de la politique violente de Netanyahu, nous pouvons constater avec tristesse les attentats et assassinats qui reprennent à Jérusalem. Depuis plusieurs mois, les attaques contre la ligne de tram (qui longe la ligne verte entre l'Est et l'Ouest de Jérusalem) à la voiture bélier ont recommencé, comme pour marquer la démarcation que le gouvernement israélien nie. L'assassinat voici quelques jours de rabins et de militaires israéliens dans et devant une synagogue de Jérusalem Est a été ouvertement encouragé et salué par le Hamas, et faisait suite à la volonté les jours précédents de groupes extrêmistes hassidiques d'occuper l'esplanade des mosquées.
La réponse de Netanyahu face à ce drame a été d'un non sens supplémentaire : armer une partie de la population israélienne pour faciliter l'auto-défense, dénoncer Mahmoud Abbas comme cible à abattre. Hamas et extrême droite israélienne se nourrissent l'un de l'autre et risque désormais d'emporter avec eux non seulement le processus de paix mais l'existence des deux Etats.
On comprendra que dans ces conditions, sauf miracle, ce n'est pas de Palestine et d'Israël que peut venir le déblocage de la situation, mais d'une pression internationale déterminée qui permettent aux tenants de la paix chez les Palestiniens et les Israéliens de relever la tête, alors qu'ils sont aujourd'hui écrasés par la violence des extrêmistes.
Le choix de la République française de reconnaître l'Etat de Palestine et de réaffirmer ce qui est écrit sur la coexistence de deux Etats et qui a toujours été la position française est donc aujourd'hui crucial.
Frédéric FARAVEL