La question territoriale est définie comme une « ambition » majeure de François Hollande depuis le début de son quinquennat. L'actualité brûlante de la réforme territoriale a été rouverte par la conférence de presse présidentielle du 14 janvier dernier et la déclaration de politique générale du Premier Ministre Manuel Valls le 8 avril 2014. Le débat fait rage depuis quelques jours après la présentation, souvent décrite comme maladroite, par François Hollande dans une tribune parue dans la Presse Quotidienne Régionale le 3 juin.
« Hasard du calendrier », ces débats violents se dérouleront au momentdes investitures socialistes pour les élections sénatoriales septembre 2014. Cet article se fixe pour objectifs d'analyser la situation actuelle dans le temps long.
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1/ Dès les premiers mois du gouvernement Ayrault, elle a connu des atermoiements substantiels.
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2/ Une accélération soudaine a été donnée lors de la conférence de presse du Président de la République en janvier dernier, puis lors de la déclaration de politique générale de Manuel Valls.
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3/ Au stade actuel, sans contester en soi le bien fondé d'une réforme territoriale, de nombreuses interrogations restent en suspend tant sur les motivations profondes de la réforme que sur la méthode employée.
Rappelons l'engagement fort du candidat François Hollande durant la campagne de l'élection présidentielle, ce dernier mettant en avant son expérience d'élu local comme Maire de Tulle puis président du Conseil général de la Corrèze.
Engagement 54 - J’engagerai une nouvelle étape de la décentralisation en associant les élus locaux. Je ferai voter une loi sur le renforcement de la démocratie et des libertés locales. Elle prévoira notamment l’abrogation du conseiller territorial et la clarification des compétences. Un pacte de confiance et de solidarité sera conclu entre l’État et les collectivités locales garantissant le niveau des dotations à leur niveau actuel. Je réformerai la fiscalité locale en donnant plus d’autonomie aux communes, aux départements et aux Régions, en contrepartie d’une plus grande responsabilité. Une véritable péréquation sera mise en œuvre.
I.1. Revenir sur le conseiller territorial :
Le pays était alors soumis à la précédente loi de réforme territoriale voulue par Nicolas Sarkozy, votée en 2009.
Celle-ci impliquait la création d'un élu « local » hybride, le conseiller territorial qui siégerait à la fois au conseil régional et au conseil général et serait élu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, selon un découpage qui restait à définir. L'argument principal était de réduire le nombre d'élus locaux, désignés ainsi à la vindicte populaire. En réalité, il s'agissait de préparer à terme la disparition du Conseiller général et surtout de réformer un mode de scrutin en appliquant une solution que Sarkozy jugeait plus favorable à son camp politique (intuition confirmée par les élections régionales de mars 2010 puis par les départementales de 2011). On voit tout de suite l'inconvénient de ce conseiller territorial (absence de parité, cumul institutionnalisé par une voie détournée, confusion des missions et des mandats). Les mandats régionaux et départementaux voyaient, dès avant les élections de 2010 et 2011, leurs termes fixés à mars 2014. Les régions et les départements perdaient la clause générale de compétence.
Le second volet de la loi impliquait une nouvelle étape de l'intercommunalité, renforçant ses compétences et rationalisant la carte des communautés (notamment en région parisienne). Cette partie « interco » faisait plutôt consensus entre PS et UMP, sauf sur la méthode qui donnait trop de pouvoir et d'initiative aux Préfets aux détriments des élus locaux concernant l'achèvement de la carte des intercommunalités. Était également contestée une vision confuse de l'évolution des métropoles régionales.
En Île-de-France, la loi sur le Grand Paris venait compléter le dispositif. Également votée en 2009, elle sera adaptée suite au camouflet essuyée par Nicolas Sarkozy aux régionales, le Président ayant perdu le bras-de-fer qui l'opposait à la Région Île-de-France.
Dès l'arrivée au pouvoir, François Hollande, Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls se sont donc attelés à revenir à la situation antérieure en supprimant les conseillers territoriaux. La partie interco et « Grand Paris » étaient laissées en l'état.
Les assemblées régionales retrouvent donc le mode de scrutin appliqué en 2004 et 2010. Les élections régionales et départementales sont repoussées à mars 2015, pour permettre la mise en œuvre d'un nouveau mode de scrutin pour ces dernières. Le choix de l'exécutif est de remplacer le conseiller général par un conseiller départemental, élu au scrutin majoritaire à deux tours sur des tickets paritaires (2 titulaires, 2 suppléants), le nombre de conseillers départementaux devant être équivalents (un de plus maximum) au nombre de conseillers généraux auxquels ils devraient succéder.
Cette solution impliquait de procéder à un découpage électoral, pour créer de nouveaux cantons moins inégaux géographiquement et démographiquement que les anciens. La concertation pour ce découpage a été faite, elle a pris du temps ; exercice difficile, il subit aujourd'hui des recours administratifs coordonnés par tous les conseils généraux de droite. À partir du moment où le scrutin majoritaire était choisi ce redécoupage était absolument nécessaire.
Cependant, on peut rappeler que la position du PS (adoptée dans les années 1970 et jamais réexaminée depuis) avait été de favoriser la proportionnelle départementale. Il est vrai que depuis qu'il a accédé au pouvoir en 1981, le PS n'a jamais cherché à mettre en application cette orientation et que l'immense majorité des élus locaux socialistes défendent le mode de scrutin majoritaire, sans que ce revirement n'ait jamais été soumis à nouveau à la validation des militants socialistes.
I.2. L'avant projet de loi Lebranchu, puis « les projets » de lois Lebranchu
L'ambition de François Hollande pour les territoires devaient se traduire dans un grand projet de loi sur la décentralisation et la modernisation des administrations publiques. Il s'agissait de renforcer la dynamique de métropolisation en supprimant les logiques confuses introduites sous le précédent gouvernement, le renforcement du pouvoir des régions (développement économique et formation professionnelle notamment), le rétablissement de la clause générale de compétence pour toutes les collectivités, le développement des « solidarités territoriales » et de la démocratie locale. Cet avant-projet de loi était dense mais pouvait avoir le mérite de la cohérence en terme de vision d'ensemble. Il permettait également de viser une adoption avant les élections municipales de mars 2014, malgré les évidentes résistances qui seraient rencontrés dans les débats parlementaires.
Finalement, lors d'arbitrages internes à l'exécutif dans lesquels le Président semble avoir beaucoup pesé, il est convenu que Marylise Lebranchu déposera finalement trois projets de lois différents, avec toujours pour objectif de les faire adopter avant les municipales (invraisemblable).
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- Le projet de loi relatif « à la modernisation de l’action publique territoriale et à l’affirmation des métropoles ». Il vise à clarifier les responsabilités des collectivités et de l’État, à affirmer le rôle des métropoles et conforter les dynamiques urbaines et comprend également les dispositions relatives aux transferts et à la mise à disposition des agents de l’État et à la compensation des transferts de compétences de l’État.
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- Le projet de loi « de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi, et de promotion de l’égalité des territoires ». Il renforce les compétences des régions en matière de développement économique (avec notamment le transfert de la gestion des fonds européen) et de formation professionnelle. Il comporte un titre sur l’égalité des territoires (ingénierie, maisons de services publics, aménagement numérique du territoire confié au conseil général, schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services publics sur le territoire départemental).
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- Le projet de loi « de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale ». Il accroît les compétences des régions dans le domaine des transports, organise la gestion du logement étudiant, comporte des dispositions relatives aux langues régionales, à l’engagement écologique et à la transition énergétique, et à l’énergie. Un titre traite de la démocratie locale et de la transparence de l’action locale (responsabilité financière des collectivités, création d’une commission des finances dans les communes de plus de 50 000 habitants, création conseils de développement, développement de l’open data). Un titre IV est consacré au renforcement de l’intégration communautaire. Un titre V définit le cadre national de gouvernance pour l’action publique locale.
Seul le premier projet de loi a été débattu et adopté début 2014. Il a redéfini les rôles respectifs des niveau de collectivités par la consolidation de la notion de « Chefs de file » :
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- la Région « pour l’aménagement et le développement durable du territoire, les développements économique et touristique, l’innovation et la complémentarité entre les modes de transport » ;
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- le Département « pour l’action et la cohésion sociale, l’autonomie des personnes, l’aménagement numérique et la solidarité des territoires ». ;
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- le bloc communal « pour l’accès aux services publics de proximité, le développement local et l’aménagement de l’espace ».
Dans chaque région, la conférence territoriale de l'action publique est chargée de favoriser un exercice concerté des compétences des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics. La conférence territoriale de l'action publique peut débattre et rendre des avis sur tous les sujets relatifs à l'exercice de compétences et à la conduite de politiques publiques nécessitant une coordination ou une délégation de compétences entre les collectivités territoriales et leurs groupements.
Le projet de loi vise à renforcer les intercommunalités mais les Établissements Publics de Coopérations Intercommunales (EPCI – communautés de communes, communautés d'agglomération, communautés urbaines) ne deviennent pas pour autant des collectivités de plein exercice. Il fixe définitivement les modalités de transformation des communautés urbaines en métropoles : « La métropole est un EPCI à fiscalité propre regroupant plusieurs communes d'un seul tenant et sans enclave au sein d'un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d'aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d'en améliorer la cohésion et la compétitivité et de concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional. » La loi maintient également la création de pôles métropolitains, malgré la confusion qu'elle entraîne et qui avait été critiquée sous Sarkozy. La détermination de la représentation électorale des communes au sein des métropoles est renvoyée à un texte ultérieur pour la période 2014-2020.
Certaines métropoles deviennent cependant des collectivités à part entière :
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- Elle confirme la création au 1er janvier 2015 de la Métropole de Lyon (sur un mode plutôt consensuel) qui reprend les compétences du département du Rhône sur son territoire (sauf le SDIS et les archives départementales) ; la métropole de Lyon comptera 1,3 million d'habitants sur les 1,77 million du département.
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- Elle impose contre la droite locale la création de la Métropole Aix-Marseille-Provence au 1er janvier 2016 ; elle compterait 93 communes pour 1,8 million habitants, soit 93 % de la population des Bouches-du-Rhône et elle fusionnera les six EPCI déjà existantes sur son territoire (Marseille-Provence-Méditerranée, Pays d’Aix, Agglopole Provence, pays d'Aubagne, Ouest Provence, pays de Martigues). La nouvelle métropole pourra demander des délégations de compétences au département, à la région et à l’État.
La loi comporte également une large partie sur l'organisation territoriale de la région parisienne, qui a été particulièrement disputée :
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- Création de la Métropole du Grand Paris au 1erjanvier 2016, nouvel EPCI qui n'aura pas un statut de collectivité territorial de plein droit :
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♦ elle comportera toutes les communes des 4 départements centraux de l'Île-de-France, ainsi que les communes de la 2ème couronne appartenant aux EPCI de la 1ère couronne ;
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♦ le communes de la 2ème couronne limitrophes de la future Métropole telle que définit ci-dessus pourront opter au 1er janvier 2015 pour la rejoindre ;
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♦ les compétences de la Métropole : aménagement du territoire métropolitain, PLH (l'essentiel des compétences de l’État en la matière lui seront déléguées), politique de la Ville, développement et aménagement économique, social et culturel d'intérêt métropolitain, protection et de mise en valeur de l'environnement et de politique du cadre de vie ;
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♦ les communes pourront par délibérations concordantes lui déléguer d'autres compétences ;
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les EPCI pré-existants en 1ère couronne disparaîtront pour laisser place à des « conseils de territoires » qui n'auront pas de personnalité juridique sui generis, ce qui pose un problème en terme de gestion des personnels des anciens EPCI qui dépendront tous de la Métropole, mais qui pour une part devront être réaffectés aux « territoires » pour assumer les missions exercées par les ex EPCI qui n'entreront pas dans le champ de l'intérêt métropolitain. La question de la gestion du personnel métropolitain issu des ex EPCI et des communes risque donc d'occuper durant les 1ères années l'installation de la nouvelle métropole ;
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♦ la région Île-de-France est censée établir des schémas et documents prescriptifs supérieurs à ceux qui seront élaborés par la future métropole (aménagement, habitat, environnement), mais l'émergence de celle-ci apparaît comme un concurrent politique notoire qui impactera les capacités du conseil régional à agir.
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- Accélération et consolidation de la carte de l'intercommunalité de la 2ème couronne : les EPCI de l'aire urbaine de la région parisienne doivent atteindre un seuil de 200 000 habitants minimum ; le Préfet de Région doit présent un projet de schéma régional de coopération intercommunale au 1er septembre 2014 et qui doit être validé après consultation de la commission régionale de coopération intercommunale composée par les anciennes CDCI qui avaient été consultées sous le précédent quinquennat. Ces nouveaux EPCI doivent être constitués au 1er janvier 2015. De fait, la méthode qui avait été critiquée violemment sous Nicolas Sarkozy est réitérée à l'échelle régionale et dans un calendrier encore plus resserré.
La question de la péréquation territoriale reste traitée dans les PLF et non dans les projets de lois de réforme territoriale. Cependant, notamment en Île-de-France, les changements profonds induits par les évolutions acquises et à venir interrogent fortement les dispositifs actuels, notamment au regard de la création de la Métropole du Grand Paris en région parisienne.
Cette partie de la loi est celle qui a causé le plus de débats et de difficultés tant au gouvernement qu'à la majorité parlementaire : les élus socialistes ont notamment mis en minorité en septembre 2013 au sein du syndicat mixte Paris Métropole sur la question de la Métropole du Grand Paris par les élus UMP, UDI, Front de Gauche et MRC (plus quelques socialistes, comme François Puponni), le représentant de la région s'étant abstenu et de nombreux élus socialistes n'ayant pas pris part au vote. La droite y avait vu l'opportunité de mettre en difficulté les élus PS, qui avaient modifié à 180° leur discours sur la question pour se ranger à la discipline gouvernementale ; le reste des élus de gauche avait décidé eux de continuer à défendre la position de gauche antérieure et élaborée collectivement qui était de promouvoir la Métropole parisienne comme un EPCI d'EPCI (il suffisait de changer un article du Code Général des Collectivités Territoriales pour cela). Il semble que l'avis de parlementaires socialistes franciliens fraîchement élus et sans expérience de l'administration des collectivités locales (comme Alexis Bachelay) ait alors prévalu à l'Assemblée Nationale, aggravant encore la copie gouvernementale.
Avant même la défaite des élections municipales, François Hollande va imprimer un nouveau rythme à la réforme territoriale en explorant des pistes non évoquées jusqu'ici.
II.1. Une première touche obscure lors de la conférence de presse de janvier :
Lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, alors même que le Conseil Constitutionnel ne s'est pas encore prononcé sur la première loi Lebranchu, le Président de la République remet en chantier les projets de lois suivants : « Les régions se verront confier dans une nouvelle loi de décentralisation un pouvoir réglementaire local pour [leur] donner encore plus de liberté »[…] « Une clarification stricte des compétences sera introduite. Les collectivités seront également invitées à se rapprocher. Les régions d'abord, dont le nombre peut aussi évoluer. [Les départements] devront redéfinirleur avenir dans les grandes zones métropolitaines. »
On perçoit mal alors où le Président de la République souhaite aboutir. En affichant un volontarisme renouvelé sur la question territoriale, il semble cependant vouloir mettre un terme au procès en indécision qui lui ai fait dans la presse et par la droite. Mais dans le même temps, il semble invalider le travail mené sous sa responsabilité et celle de Jean-Marc Ayrault (de fait, Marylise Lebranchu ne maîtrise plus le processus de réforme territoriale qui a été pris en main dès le redécoupage de son avant-projet de loi par l’Élysée et Matignon) et on ne comprend pas comment il pourra trouver les arguments pour « inviter » les départements à se rapprocher après l'échec référendaire de la fusion des départements alsaciens en avril 2013, que la délégation de compétences départementales aux métropoles a été limité à Lyon et à terme à Aix-Marseille-Provence, ou encore que l'idée de la suppression des départements de la petite couronne francilienne a été écartée.
La ligne présidentielle reste floue au sortir de cette conférence. La déroute socialiste aux élections municipales va l'inciter à forcer le trait pour démontrer sa stature présidentielle.
II.2. La déclaration de politique générale de Manuel Valls :
Jean-Marc Ayrault est remplacé après une semaine d'atermoiement par Manuel Valls à Matignon. L'ampleur de la défaite municipale incite le couple exécutif à préciser et à accélérer les décisions territoriales dans la logique de la conférence de presse du 14 janvier. Le besoin d'affirmation d'autorité du Président rencontre le besoin d'image volontariste du Premier ministre.
Ce dernier annonce donc dans sa déclaration de politique générale du 8 avril 2014 :
« Notre indépendance financière passe aussi par des réformes de structures. La France est prête à ces réformes et notamment celle du "mille-feuille territorial".
Je propose quatre changements majeurs susceptibles de dépasser les clivages partisans :
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Le premier concerne nos régions. Il s’inspire du rapport des Sénateurs Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin. Nos régions doivent disposer d’une taille critique. Ainsi elles auront tous les leviers, toutes les compétences, pour accompagner la croissance des entreprises et encourager les initiatives locales. Je propose de réduire de moitié le nombre de régions dans l’hexagone.
Sur la méthode, il s’agit de faire confiance à l’intelligence des élus. Les régions pourront donc proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1er janvier 2017.
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Mon deuxième objectif, c’est l’intercommunalité. Une nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie entrera en vigueur au 1er janvier 2018.
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Mon troisième objectif, c’est la clarification des compétences. C’est pourquoi je proposerai la suppression de la clause de compétence générale. Ainsi, les compétences des régions et des départements seront spécifiques et exclusives.
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Enfin, mon dernier objectif est d’engager le débat sur l’avenir des conseils départementaux. Je vous propose leur suppression à l’horizon 2021. Je mesure l’ampleur de ce changement. Il nous faudra notamment répondre au sentiment d’abandon qui existe dans nos départements et territoires ruraux. Ce changement donnera lieu à un profond débat dans le pays qui associera les élus et les citoyens. Mais il est désormais temps de passer des intentions aux actes.
Pour ce qui concerne l’État, sa présence sur l’ensemble du territoire est indispensable. Le maillage territorial des préfectures, des sous-préfectures, ne sera pas remis en cause, mais il faudra l’adapter progressivement à la nouvelle donne territoriale. C’est la garantie d’un égal accès de tous les citoyens aux services publics. Je veux d’ailleurs rendre hommage à l’ensemble de ces agents, qui sont le visage du service public. »
Prévue initialement le 14 mai 2014, le projet de loi portant à une « nouvelle organisation territoriale de la République » sera présenté le mercredi 18 juin en conseil des ministres (annonce faite le 3 juin en conseil des ministres). Il reprend à la fois le travail engagé pour le deuxième projet de loi Lebranchu en adaptant son contenu aux annonces de la déclaration de politique générale : renforcement du pouvoir réglementaire des régions ; renforcement de ses compétences en termes de développement économique, tourisme, aménagement du territoire ; modalité de redécoupage des régions ; délégation des compétences départementales aux métropoles ; mais la suppression des conseils départementaux, à l’horizon de 2021 ne figure pas en tant que telle dans le projet de loi.
Elle trouve sa place dans l’exposé des motifs. Elle passe par la constitution d’intercommunalités puissantes à l’horizon de 2018. Le seuil minimal (hors zone de montagne et île mono-communales) pour former un groupement est, dans le texte, relevé de 5 000 à 20 000 habitants. Le concept de « bassin de vie » pour ces intercommunalité est à géométrie variable… Le ministère de la Décentralisation a sollicité le Commissariat général à l’égalité des Territoires pour arrêter une définition des bassins de vie.
Les modalités de la suppression des départements sont donc encore incertaines et repoussées à un projet de loi ultérieur. Pendant un temps, il a été envisagé de surseoir à l'élection des conseillers départementaux, le gouvernement ne sachant pas comment présenter leur mission de liquidateurs de la collectivité départementale dans une campagne électorale.
La confusion a également régné sur la date des élections ; après un entretien du président de la République sur RMC et BFM TV le 6 mai 2014, on a cru comprendre que les élections régionales seraient repoussées en 2016 une fois obtenue tout à la fois le vote de la fusion des régions et de la suppression des départements. Finalement, le conseil des ministres a abouti le mardi 3 juin sur la convocation des élections régionales et départementales en novembre 2015 selon les modes de scrutins prévus initialement par loi Valls. Le gouvernement souhaite cependant obtenir la fusion des régions avant cette date, donc avec 18 mois d'avance sur l'annonce du Premier Ministre.
La contradiction est également majeure sur la question de la clause de compétence générale rétablie par la promulgation de la 1ère loi Lebranchu le 28 janvier dernier ; elle sera à nouveau supprimée dans le prochain projet de loi. Les régions se concentreront sur le développement économique, l'emploi, la formation professionnelle, les transports, l'aménagement du territoire ; les départements seront chargés d'« assurer les solidarités territoriales et humaines » en attendant que soit fixée les modalités de leur suppression.
IV.1. Les incertitudes du processus législatif et constitutionnel :
La première d'entre elle est que supprimer purement et simplement le département n’est pas possible sans révision constitutionnelle puisque l’article 72 énumère le département comme collectivité territoriale. Une solution complémentaire a été envisagée par le gouvernement ; elle consiste à retirer des compétences au département pour le vider progressivement de sa substance. Cela reste possible, mais jusqu’à un certain point seulement : une collectivité territoriale doit en effet exercer des compétences « effectives ». Si la suppression du département dans les zones urbaines paraît techniquement réalisable (en transférant les compétences aux métropoles), pour le reste, il semble qu'on n’ait pas envisagé les aspects constitutionnels au préalable, avant de telles annonces. La constitution française est révisable mais on se demande bien de quelle majorité au congrès ou par référendum disposerait le Président de la République. Le président de la République, qui a par ailleurs annoncé dans sa tribune du 3 juin 2014 que les collèges reviendraient aux Régions, convient que « l’objectif doit être une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du conseil général en 2020 », manière de concéder qu'il ne dispose pas aujourd'hui des marges politiques nécessaires (à plus forte raison si le Sénat tombe à droite en septembre).
Le Premier Ministre envisageait dans sa déclaration de politique générale de compter sur l'initiative des conseils régionaux pour faciliter l'élaboration des nouvelles régions. La nouvelle carte territoriale, présentée avec la tribune du Président de la République « prend en compte les volontés de coopération qui ont été déjà engagées par les élus et sera soumise au débat parlementaire ».
Cette affirmation est pour le moins imparfaite : si les fusions des Normandies ou de la Franche-Comté et de la Bourgogne étaient attendues par les élus locaux, la volonté exprimée par les conseils régionaux de Poitou-Charentes et des Pays-de-la-Loire n'a visiblement pas été respectées, non plus que celle du conseil régional de Picardie qui ne souhaitait pas être rattaché à Champagne-Ardennes.
Selon les informations du Journal du dimanche publié le 1er juin, après la phase de regroupement des régions, il serait envisagé de permettre aux départements de changer de région. Mais François Hollande n'évoque pas cela dans sa tribune. Manuel Valls, avait déclaré mardi 3 juin que la réforme va « forcément évoluer à partir du moment où elle [sera] débattue, d'abord au Sénat puis à l'Assemblée nationale ». Au regard du caractère contestable du découpage régional, il est évident que cette possibilité pour tel ou tel département de changer de région créera des tensions. On l'a vu dès le jeudi 4 juin avec les premières manifestations contre le non-rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. Il serait caricatural de n'y voir qu'un nouvel épisode pittoresque de l'aventure hasardeuse des « bonnets rouges ». Le Premier Ministre a mis fin à cette hypothèse en indiquant lors des Questions aux gouvernement les 4 et 5 juin 2014 que les parlementaires n'avaient pas vocation à modifier l'appartenance des Départements à tel ou tel regroupement régional.
Qu'on le veuille ou non, ce débat rouvre celui sur les identités régionales, qui sont faites tout à la fois d'éléments culturels (parfois très marqués comme en Bretagne ou en Alsace), de solidarités locales et d'habitudes de vie (mobilités, emploi, etc.). De fait, il semble que les habitants aient été oubliés de cette réforme de la carte régionale.
Quelles sont donc les motivations avouées de cette réforme ? L’enjeu est « d’offrir une meilleure qualité de service et de moins solliciter le contribuable tout en assurant la solidarité financière entre collectivités selon leur niveau de richesse »écrivait le Président le 3 juin. Or rien n'est dit sur la solidarité financière, les dispositifs de péréquation territoriale étant examinés lors des PLF ; et l'on voit difficilement comment on pourra offrir une qualité de service en réduisant le maillage des services publics sur le territoire : modification de la carte des administrations d’État, suppression du département chargé de l'action sociale, peut-être relayé par les EPCI mais qui sont elles-mêmes appelées à croître en surface et démographiquement.
IV.2. La recherche d'économies d'échelle : rien d'acquis ni d'évident…
« A moyen terme, […]en faisant des économies d'échelle, en supprimant les chevauchements de compétences, les doublons, on peut arriver à une dizaine de milliards d'euros d'économies », a expliqué André Vallini secrétaire d’État à la réforme territoriale à la presse à l'issue du conseil des ministres mardi 3 juin. « 10 milliards, c'est à peu près 5 % de la masse globale des collectivités locales qui est de 250 milliards, ça serait déjà beaucoup, ça va prendre quelques années ».Les économies seraient réalisés sur 5 à 10 ans : donc 1 à 2 milliards par an, ce qui est faible. Première concernée, l’Association des Régions de France (ARF) se montre bien plus prudente que le gouvernement sur l’impact financier du nouveau découpage : « Nous ne ferons pas d’économies sur les régions. Au contraire », affirme ainsi son président, Alain Rousset, pour qui le chiffre de dix milliards d’euros d’économies « n’est absolument pas étayé ». L’ARF reconnaît que des économies sont « potentiellement possibles à long terme (essentiellement sur la commande publique) » mais met en garde contre « les surcoûts immédiats et à moyen terme » liés à la fusion de plusieurs régions. Parmi ces surcoûts, elle pointe notamment le réalignement sur le mieux disant des régimes indemnitaires, des dotations de fonctionnement des lycées et des dispositifs d’aides et de soutien ainsi que la re-territorialisation des services. Et les régions sont appelées à monter en puissance au niveau de leurs compétences (développement économique, soutien aux entreprises, transports régionaux et lycées), en assumant à l’avenir la gestion des grandes infrastructures et certaines compétences départementales qui leur seront affectées (collèges, routes, transports interurbains).
Le transfert des prestations sociales départementales se révèle encore plus complexe. Si les grandes agglomérations et les métropoles peuvent s’appuyer sur des ingénieries existantes, telle la mission locale, qu’en sera-t-il en milieu rural ? De nombreux acteurs militent donc en faveur d’une réappropriation de l’action sociale par l’État par le biais des caisses d’allocations familiales ou des agences départementales.
On peut douter des avantages que l’une ou l’autre de ces solutions apporterait tant en matière d’économies que de qualité de service, car éclater des compétences départementales en autant de groupements de communes est l’inverse de la mutualisation, il faudrait donc recréer des services dans les EPCI et Métropoles. De plus, les dépenses sociales, qui s’élèvent à près de 35 milliards d’euros, sont peu compressibles sans changement structurant des lois. Au final, l’assiette d’économies potentielles du fait de la suppression ne porte que sur la moitié de leurs dépenses (75 milliards d’euros).
Dès lors, quel volume d’économies peut-on attendre de l’effacement des départements ? Plus besoin d’assemblées délibérantes ni d’élus et fin du dispositif nécessaire à leur fonctionnement (bâtiment, cabinet, communication, etc.). Certes, les sommes en jeu restent réduites, contrairement aux frais généraux qui représentent entre 7 et 8 % des dépenses de fonctionnement des départements (56 milliards d’euros), soit plus de 4 milliards dont 1 de masse salariale (35 000 agents sur 365 000 sont affectés à la gestion).
Mais le gain ne sera pas immédiat car, pour continuer à assurer les interventions des départements, il faudra maintenir certains services opérationnels qui ne seront que progressivement mutualisés avec les autres niveaux de collectivité. Un processus long et coûteux à mettre en œuvre… pas de quoi modifier la situation du déficit public.
On peut suggérer trois leviers d’économies à activer. Le 1er consiste à mettre fin à l’exercice des compétences facultatives par les départements (sport, jeunesse, culture et vie associative) qui distribuent 2,2 milliards d’euros de subventions. Le 2ème concerne la mutualisation de la gestion des collèges (4,4 milliards) et des lycées. Une rationalisation de la restauration et de l’entretien diminuerait, a minima, de 6 % le budget éducation des départements. Mais en tenant compte des limites émises par l'ARF. 3ème levier, la réduction de moitié du taux d’absentéisme (10 % en moyenne) pourrait générer 500 à 600 millions d’euros d’économies sur une masse salariale de 12 milliards. Ce taux élevé étant directement lié aux compétences des conseils généraux et aux métiers difficiles qu’elles impliquent, une meilleure Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. réduirait l’absentéisme par une anticipation du reclassement des personnes avant qu’elles ne deviennent inaptes.
Rien de bien convainquant pour soutenir l'argument principal de la réforme.
IV.3. La compétitivité économique : pas assurée…
« La volonté du gouvernement, c'est d'avoir des régions économiquement fortes et cohérentes » indiquait Bernard Cazeneuve sur I-Télé le 3 juin ; Manuel Valls indiquait le même jour sur BFM TV qu'il fallait « rendre nos régions plus fortes et plus compétitives ». Il faudrait atteindre des régions de taille européenne capables d'assurer la comparaison avec les Länderallemands.
Le rédécoupage devrait faire rentrer 4 régions supplémentaires dans le classement des 50 euro-régions les plus peuplées : Champagne-Picardie, Normandie (3,3 millions d'habitants), Alsace-Lorraine (4,2) et Centre-Poitou-Limousin (5,1). Même changement en termes de richesse : avec ses nouvelles régions, la France devrait placer12 des 50 régions européennes au plus fort PIB, contre 8 actuellement. Rhône-Alpes, renforcée de l'Auvergne, passerait ainsi au quatrième rang européen, derrière le centre de Londres, la Lombardie et l’Île-de-France. En revanche, aucun effet sur la richesse de chaque habitant. Après le redécoupage, l’Île-de-France devrait rester, à la 7ème place, la seule française des 50 euro-régions au plus grand PIB par habitant. Rhône-Alpes devrait même perdre 8 places (de 72ème à 80ème) en s'associant à l'Auvergne. Rappelons tout de même que la réforme vient à peine d'être annoncée, et qu'elle est donc susceptible de modifications avant d'entrer en application.
En fait, en terme de développement économique et de soutien à l'innovation par les Régions, le problème restera entier quel que soit le redécoupage et même si on affecte à celles-ci les dotations des Départements. Les collectivités françaises dépensent en moyenne 350 à 400 €/h/an/h quand un Landinvestit dix fois plus. La force de frappe des nouvelles régions françaises pour le développement économique ne sera pas révolutionnée.
Cela réinterroge la question de la dépendance des collectivités françaises et notamment des Régions aux dotations de l’État et du manque de liberté et dynamisme fiscal de ces dernières. Mais cela réinterroge également et surtout toute la logique du pacte de responsabilitéqui, parmi toutes les économies réalisées sur le budget de l’État (50 Mds), prévoit de retirer 11 milliards d'euros au dotations aux collectivités. Comment dans ces conditions pérenniser les investissements des collectivitésqui remplissent le carnet de commande de nombreuses entreprises grâce aux marchés publics ? Comment renforcer le soutien à l'innovation ?
Ces arguments sont pourtant ceux que les socialistes ont répétés durant les 10 années de gouvernement UMP.
IV.4. Une réforme territoriale de gauche est pourtant possible :
L'empilement des structures administratives est effectivement une source d'inefficacité de l'action publiqueet surtout d'incompréhension des habitants. Mais comment expliquer les « conseils de territoires » dans la Métropole du Grand Paris ou encore la subtilité entre Pôle métropolitain et Métropole ? La question de la démocratie locale n'est pas à négliger.Mais comment soutenir que c'est avec des intercommunalités telles quelles sont conçues aujourd'hui et avec les modes de scrutin actuels que les habitants se sentiront représentés par les élus communautaires et métropolitains.
Dire que le Département est une création de la Révolution Française n'est un argument ni suffisant ni nécessaire pour défendre son maintien. Le débat sur la pertinence des Départements en territoire urbain est posée mais en territoire rural les communautés de communes ne sont pas prêtes à le remplacerpour maintenir le maillage territorial, d'autant que la présence de l’État est appelé à s'y réduire avec la nouvelle carte des sous-préfectures. Ces débats ont fait l'objet de discussions technocratiques mais n'ont jamais été publics.
Enfin, les Régions peuvent parfaitement atteindre des tailles supérieures pour rendre plus efficaces les actions dans lesquelles elles sont compétentes. Mais à la condition qu'elles disposent des moyens nécessaires pour cela, et à ce stade on ne respecte même pas l'engagement 54 qui était de consolider les moyens existants.
La question de l'organisation territoriale de la République ne peut se distinguer du pacte républicain qui lie les citoyens à la puissance publique : la réforme doit donc être globale, elle doit partir des demandes et des besoins des habitants (notamment quand il s'agit rendre cohérentes les régions françaises), pour plus de démocratie, une meilleure représentativité (proportionnelle aux législatives et pour les scrutins locaux, fin du pouvoir exorbitant du Président de la République, droit de vote des étrangers aux élections locales, etc.). En somme, une VIème République. C'est loin d'être au programme de François Hollande ; mais ce dernier n'a pas les moyens parlementaires de la politique qu'il propose (3/5èmes du congrès), les socialistes doivent donc s'emparer du débat politique pour proposer une réforme plus cohérente avec leurs convictions et les attentes du pays.