Depuis hier soir et l'annonce de l'assassinat d'Hervé Gourdel par les "soldats du Califat" en Kabylie, je lis sur les réseaux sociaux des déclarations à l'emporte pièce toutes plus affligeantes les unes que les autres. Qu'elles émanent parfois de responsables politiques, qui sont censés avoir un peu de recul et de jugeotte, me paraît d'autant plus consternant.
Pour la plupart, elles se fondent sur l'idée que l'ensemble des religions - tout particulièrement les trois "religions du livre" - seraient intrinsèquement violentes et totalitaires. D'aucuns condamnent en soi Dieu (quelle que soit la forme que lui donnent les humains), la foi et les différentes confessions en raison des exactions qui sont et ont pu être commises en leur nom tout au long de l'Histoire. C'est oublier que les textes "révélés" sont avant tout sujet à interprétation et exégèse, donc les enseignements qui en sont tirés sont largement facteurs du regard humain qui se porte dessus. Si certains veulent avoir une lecture littérale des passages et citations les plus violents du Coran, de "l'Ancien Testament" ou des Evangiles, c'est leur seule responsabilité qui est en cause. Ce serait comme lire Nietzsche et en tirer la conclusion que seule une minorité aristocratique de l'humanité aurait droit de vivre et de gouverner, en oubliant que le grand philosophe allemand n'appelait qu'au dépassement de soi, dans un message profondément anti-militariste et anti-autoritaire...
Dans le même mouvement, ils exigent que les "croyants" prennent enfin leurs responsabilités et combattent avec la dernière des fermetés ceux qui massacrent au nom de Dieu. C'est donc que les religions ne seraient pas en soi totalitaires puisque des "fidèles" pourraient avoir une autre vision de la foi que celle qui conduit au massacre. Mais c'est à nouveau les comparer aux assassins, donc les insulter, tout en oubliant les combats incessant entre tous ceux qui ont toujours cru au message d'Amour contenu dans les textes incriminés, qui ont toujours combattu les intégrismes, et qui souvent ont été les premiers à en faire les frais, qui d'ailleurs le payent encore aujourd'hui.
Je suis dans le même ordre d'idée fort mal à l'aise quand j'entends des responsables politiques ou des représentants d'organisation diverses exiger des musulmans français qu'ils suivent l'exemple de leurs correligionnaires anglophones qui ont lancé depuis quelques semaines sur les réseaux sociaux la campagne #notinmyname, pour condamner les exactions et la perversion des "fous de Dieu" au Moyen Orient et partout ailleurs. Ce n'est pas de l'extérieur d'une "communauté" qu'il convient d'indiquer à ceux qui en sont membres quel est leur rôle, leur tâche, leur devoir. C'est à eux seuls de se déterminer en fonction de leur conscience et de déterminer quel est le meilleur viatique pour être utile et efficace dans le combat contre l'intolérance et la violence. Pour ma part, je préfère que nous nous prononcions d'abord et avant tout en tant que citoyens français, membres de la seule communauté qui vaille, la communauté républicaine. Si je participe de manière personnelle et privée à la vie d'une organisation confessionnelle, c'est en son sein que je parlerai des choix et des alternatives qui nous sont posées, pour éventuellement déboucher sur la parole publique de l'organisation concernée ; mais hors d'elle je ne suis qu'un citoyen français, un républicain aux convictions socialistes, qui seules doivent s'exprimer en mon nom propre sur la place publique. Cette réaffirmation de la prégnence de la communauté républicaine est d'autant plus nécessaire quand un de nos concitoyens a été mise à mort, lâchement égorgé, parce qu'il en était membre.
Enfin, j'ai pu aussi lire que le gouvernement, voire le Parti Socialiste, porterait une part de responsabilité dans l'assassinat d'Hervé Gourdel. C'est abject ! C'est vouloir trouver des excuses à ses assassins, c'est considérer qu'ils leur aurait manqué un prétexte si la France n'était pas intervenue au Mali et en Irak. Mais ces "fous de Dieu" n'auront jamais besoin de prétextes pour appliquer leur doctrine de mort ! Leur idéologie politique qui veut se draper du voile de la religion n'est rien de moins qu'un "nouveau" fascisme qui cherche par tous les moyens à instaurer son pouvoir territoriale et/ou culturel sur l'ensemble de la planète ; il renouvellera ses massacres quelles que soient les forces qui s'opposent à lui et le fera d'autant plus aisément que nous ferions preuve de faiblesse ou d'indifférence à son égard. Nous n'aurons de repos que lorsque nous aurons éradiqué un tel ennemi. Eradiquer cela veut dire remporter de manière radicale et définitive la bataille politique et culturelle qui se joue à l'échelle mondiale. Cela veut dire rétablir la stabilité et l'Etat de droit là où les interventions militaires américaines, fondées sur l'idée du "choc des civilisations", ont apporté tout au long des années 2000 le chaos et la division.
Frédéric Faravel