Depuis deux semaines, les médias se font l'écho de l'échec annoncé ou supposé (pour les plus cléments) de la réforme des rythmes scolaires. Chacun y va de son témoignage de parents décrivant des enfants plus fatigués qu'auparavant (on manque cependant de recul et d'études sur le sujet moins d'un mois après la rentrée scolaire), d'enseignants qui se plaignent du manque de concertation et des défauts de transversalité avec les activités périscolaires (ce dont la plupart ne s'était jamais préoccupé auparavant), ou de maires qui jurent que financièrement et organisationnellement c'est impossible à mettre en place que ce soit en 2013 ou en 2014.
Il faut cependant repartir à la base de la réforme des rythmes scolaires, qui est une partie d'une ambitieuse refondation de l'école en cours. Les écoliers français subissent des journées plus longues et plus chargées que partout ailleurs dans le monde. Cette forte concentration du temps d’enseignement est inadaptée, car c'est une source de fatigue et de difficultés d’apprentissage. La réforme doit mieux répartir les heures de classe sur la semaine, alléger la journée et programmer les enseignements lorsque la faculté de concentration des élèves est grande.
Si la volonté farouche de mettre en œuvre ce réaménagement des temps de l'élève/enfant est bien engagé depuis l'installation du gouvernement de gauche et la nomination de Vincent Peillon, comme ministre de l’Éducation Nationale, la réflexion a été menée depuis plusieurs années dans la communauté éducative et fait suite à un rapport commandé par le précédent ministre (UMP), Luc Châtel, qui avait conclu aux conséquences catastrophiques de l'imposition sous Xavier Darcos de la semaine de 4 jours. Car c'est bel et bien une réforme qui fut imposée sans concertation en 2008 et qui eut pour conséquence terrible de surcharger les journées des élèves.
Charybde et Scylla
Ainsi, Jean-Michel Fourgous, maire ultra-libéral de la commune d’Élancourt (78), et Jean-François Copé, président de l'UMP, député et maire de Meaux (le cumul devant lui laisser le loisir de visiter son Hôtel de Ville au moins deux heures par semaine), ont-ils une démarche parfaitement hypocrite quand ils lancent une pétition pour supprimer ou reporter cette nécessaire réforme, dont le principe était déjà acté par leur propre camp politique. On sent là l'instrumentalisation politicienne qui fait peu de cas de l'intérêt des enfants et de leurs familles.
Cette agitation pétitionnaire, si inhabituelle à droite, cache une autre réalité : l'absence de culture de concertation chez les édiles de droite, l'absence de priorité à l'éducation et à l'enfance dans leurs communes.
- Si Jean-Michel Fourgous et d'autres maires de droite qui avaient pourtant choisi septembre 2014 s'agitent aujourd’hui, c'est qu'ils n'imaginent pas assumer d'en préparer la mise en œuvre. Cette réforme est pourtant annoncée depuis l'été 2012, et discutée avec les partenaires nationaux ; le décret du 26 janvier dernier a précisé le cadre de la nouvelle organisation du temps scolaire (notamment le nombre d'heures d'enseignement maximum par jour) et des adaptations locales possibles (mercredi ou samedi, septembre 2013 ou 2014). S'il s'agissait de mettre en œuvre dans sa commune les nouveaux rythmes en septembre 2014, le maire avait au minimum 20 mois pour s'y préparer. Mais cela signifie dialoguer avec les enseignants, avec les parents d'élèves, avec les agents communes, cela suppose une culture de la concertation, et c'est insurmontable pour lui.
Si Jean-François Copé ne veut pas assumer les coûts engendrés par la réforme des rythmes en terme d'aménagement du temps périscolaires, c'est que sa priorité politique est ailleurs. Quand il repointe le bout de son nez sa bonne ville de Meaux, le président de l'UMP a une préoccupation : montrer qu'il est un bon shérif. Le jour où son conseil municipal votait à sa demande le refus de mettre en œuvre la réforme, 17 millions d'euros étaient votés pour investir dans l'augmentation des caméras de vidéo-surveillance ou augmenter le nombre de policiers municipaux, dont les effectifs atteignent déjà 155 agents. Rappelons que Meaux compte 51 000 habitants à la louche, on laissera chacun libre de mesurer les choix budgétaires du maire de Meaux…
L'application de la réforme des rythmes scolaires connaît un autre écueil : confrontée à une injonction réactionnaire et démagogique sur son flanc droit, elle a fait l'objet d'une posture zélatrice d'une minorité de maires de gauche. Lorsque le Président de la République et le Premier Ministre ont annoncé que les communes pourraient choisir de n'entrer dans les nouveaux rythmes qu'en 2014, certains ont choisi de s'afficher comme «les bons élèves» du gouvernement, dénonçant parfois ceux qui choisissaient de prendre un an supplémentaire d'être des fossoyeurs de la refondation de l'école, coupables de «préférer aménager des ronds points» plutôt que d'investir dans l'éducation (je me souviens d'une sénatrice du Val-d'Oise qui a osé proférer ce genre de bêtise).
Or, ce zèle politique ou politicien a fait l'impasse sur la complexité à organiser un nombre déterminant d'acteurs au service des élèves : enseignants, parents d'élèves, associations culturelles ou sportives, agents communaux… résultats les difficultés parfois réelles relevées au début de cet article sont la conséquences directes d'une impréparation et parfois d'une improvisation. Improvisation budgétaire comprise, puisque ces municipalités n'ont eu que quelques mois pour évaluer les coûts supplémentaires qu'impliquaient la réforme, balayant l'obstacle en comptant sur l'aide financière (50€ par élève et par an) promise aux communes précoces.
On pourra toujours dire que les erreurs commises parfois avec légèreté par les zélateurs serviront de contre-exemple aux prochaines, mais elles ont pris le risque inconséquents de dévaloriser l'ensemble de la refondation de l'école dans l'opinion publique.
Que faire ?
L'éducation doit être l'une des priorités absolues de la puissance publique à tous les échelons d'intervention. L'effort budgétaire doit être conséquent tant au niveau de l’État, des Régions, des Départements ou des Communes.
Si l'on veut mettre en place avec un contenu pédagogique de qualité les nouveaux rythmes scolaires, le coût supplémentaire pour une année budgétaire équivaut à 350 000 € minimum pour une commune de 30 000 habitants, pour peu que celle-ci ait déjà une pratique avancée des politiques de l'enfance.
La question financière n'est donc pas anodine. Le gouvernement ferait donc bien d'entendre ces quelques nécessités :
- maintenir sur plusieurs années l'accompagnement financier (50€ par élève et par an) de la mise en œuvre de la réforme et de l'étendre aux communes qui entreront dans le droit commune en septembre 2014 ;
la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales (4,5 Mds € en 3 ans) est évidemment contre-productive dans ce contexte. Leur maintien permettrait tout à la fois de consolider l'investissement porté par les collectivités (66% de l'investissement public) et l'effort budgétaire de celles-ci sur le social et l'enfance ;
il faut renforcer et rationaliser les dispositifs de péréquation financière entre collectivités pour réduire le procès en inégalité territoriale.
Le maître mot du dossier se résume ensuite à des questions de méthode, de cadre et de projet.
Concernant la méthode, il convient de prendre le temps et de faire l'effort d'écouter l'ensemble des partenaires : directeurs d'établissements, équipes enseignantes, associations et fédérations de parents d'élèves, animateurs périscolaires et au-delà tous les services municipaux dont les conditions de travail doivent évoluer (pour 30 000 habitants, vous aurez entre une douzaine et une quinzaine de services différents : techniques, animation, restauration, propreté, et j'en passe…), évidemment associations – et pas seulement celles qui seraient amenées à intervenir dans les activités périscolaires si c'est la pratique locale de le leur confier, mais aussi toutes les associations culturelles et sportives dont les horaires et les services pourraient évoluer au regard des modifications des temps d'une bonne partie de leur public.
Le dialogue et la concertation, cela ne se résume à une grand messe rapidement mené, mais c'est la nécessité d'organiser des dizaines de rendez-vous, de passer des dizaines avec les différents interlocuteurs, parfois de manière croisée, pour faire de la pédagogie sur l'objet de la réforme et trouver ensemble les solutions. Ça prend du temps, c'est parfois tendu, mais in fine sur 20 mois de préparation, c'est la garantie d'une démarche partagée.
Il faut donner des cadres. Les témoignages qui s'étendent sur la fatigue accrue des enfants ont souvent un point commun : la multiplication des rythmes différents d'une journée à l'autre. Un élève, surtout au plus jeune âge, surtout si au regard du territoire concerné les parents sont contraints de partir tôt ou de rentrer tard au travail – ce qui implique dans tous les cas que les enfants ont des journées longues –, a besoin de bornes précises et identifiées dans sa journée : il doit savoir qu'il entrera dans l'accueil périscolaire du matin à telle heure, que la classe commencera à telle heure, que la pause méridienne dure de telle à telle heure, que la classes de l'après-midi s'achève à l'heure dite pour laisser place aux activités périscolaires… et qu'on ne lui impose pas chaque jour un rythme différent.
La demi-journée supplémentaire d'enseignement doit être choisie avec soin et le débat ne peut être celui d'un choix brut entre le mercredi ou le samedi. Il faut trouver un moyen objectif d'évaluer les conséquences de chaque choix et la manière dont les familles s'y adapteront. On peut très bien bâtir sur ces bases avec les associations de parents d'élèves un questionnaire permettant de faire réfléchir les parents sur leur organisation et leur préférence en fonction des différents cas de figure ; si cet outil est construit en concertation avec les associations, il a deux avantages : celui de faire la pédagogie des conditions complexes de mise en œuvre des nouveaux rythmes (au-delà du «moi ça m'arrange comme ça»), celui d'objectiver la perception des enjeux par les familles.
Pour conclure, il faut effectivement appuyer la réforme des rythmes scolaires sur un projet éducatif de territoire réel. Cela implique que les activités périscolaires ne soient pas de la garderie maquillée ; que les équipes pédagogiques d'animation périscolaire disposent des temps suffisant pour mettre en œuvre des activités cohérentes et suivies (le midi, l'après-midi, le mercredi – toute la journée ou l'après-midi) ; que les directions périscolaires travaillent en transversalité avec les équipes enseignantes (on retrouve ici la nécessité du dialogue et de la concertation préalables).
Cela implique aussi qu'on sache tenir compte du rythme de l'enfant. La réforme vise à alléger le nombre d'heures d'enseignement dans une journée et à travailler sur la concentration des élèves, mise à mal dans le format antérieur. On allège pas la journée d'enseignement pour bombarder l'enfant d'occupations qui l'épuiseront tout autant. La peur du vide peut tuer la réforme. Dans cette conception, la pause méridienne est capitale : les enfants doivent disposer de temps de restauration sereins et suffisants ; ils doivent avoir accès bien sûr durant ce temps à des activités de qualités préparées dans les conditions que l'on a décrites plus haut, mais ils doivent également pouvoir profiter d'un temps de repos. La journée de l'élève est suffisamment longue en raison des contraintes économiques et sociales que chacun connaît dans notre société pour que l'on puisse aménager de manière utile son droit à la paresse.
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Il est temps de sortir des caricatures d'une droite hypocrite et des pièges que nous nous sommes nous-mêmes tendus. La refondation de l'école, dont la réforme des rythmes scolaires est une pierre essentielle, mérite mieux que les «à peu près» qui nous sont servis aujourd’hui. Il en va du bien-être et de la réussite des élèves français.
Frédéric FARAVEL