Ceux qui aimeraient infléchir la ligne du gouvernement, de l’aile gauche du PS au Front de gauche, se sont retrouvés mercredi 12 décembre 2012 pour un premier dialogue. C'est enfin un début de dialogue entre l’aile gauche du PS et le Front de gauche, en passant par les écolos. À la sortie de ce colloque qui se tenait dans une salle parisienne, Emmanuel Maurel, le nouveau leader de tous ceux qui veulent ancrer à gauche le PS, avait le sourire aux lèvres. « C’est la première fois depuis qu’on est au pouvoir qu’il y a tous les partis de gauche autour d’une table ».
En plus de la présence de Pierre Laurent, patron du PCF, Martine Billard, la co-présidente du Parti de Gauche, Denis Baupin pour EELV, quelques économistes et autres politiques se sont réunis à l’invitation de Marie-Noëlle Lienemann et du club Gauche Avenir. Au menu, débat sur la relance et sur le rapport Gallois.
« Rien de grand dans ce pays ne se fait sans l’unité de la gauche », a rappelé Emmanuel Maurel. « Rien ne serait pire que de créer une frontière artificielle » entre gauche ″responsable″ et gauche protestataire. Contre un « renversement d’alliance » et la création d’une hypothétique « troisième force » (on a vu ce qu'avait donné la ″troisième force″ sous la IVème République) entre un « centre introuvable » et une « gauche qui renoncerait à être elle-même », il était utile de réaffirmer l'aspiration à l’unité à un moment où ceux qui refusent la ligne « social défaitiste », comme il la qualifie, peine à se faire entendre et à peser. Cette réunion pourrait donc marquer « le début d’un processus de convergence ».
Dans une soirée où les mots “nationalisation” ou “interdiction des licenciements boursiers” ont le vent en poupe quand ceux de “rapport Gallois” ou “pacte de compétitivité” cristallisent le rejet, Emmanuel Maurel, après avoir plaidé pour « un choc de solidarité », pouvait conclure sa rapide intervention sous les applaudissements de Pierre Laurent. « Le dialogue à gauche est urgent pour trouver des issues à la crise », explique le patron des communistes qui soulignait au passage « son plaisir d’être ici ».
Jusque-là, difficile de dire que les propositions du PCF ou ses amendements ont trouvé une oreille attentive du côté de la majorité. Pierre Laurent exprimait un “regret” : il voudrait que la gauche « cesse de fonctionner comme nous le faisons, comme si le débat était clos par les 60 engagements » de François Hollande. « Les idées, les débats, les forces existent pour d’autres choix que ceux faits aujourd’hui. Il faut se mettre en mouvement », alors que le gouvernement cède facilement devant Mittal et les “pigeons” tout en exigeant un « compromis historique » des syndicats de salariés. « Nous devons travailler à une alternative, au rassemblement de la gauche et faire des contre-propositions », défendait Marie-Noëlle Lienemann qui rêve d’un « nouveau Front populaire ».
La semaine suivante c'est Marc Dolez, député PG du Nord, qui apportait à sa manière le débat au sein des forces politiques qui cherchent à réorienter la politique gouvernementale. « je ne crois pas à la thèse de deux gauches irréconciliables ni au mythe du recours [à propos d'une majorité alternative à gauche, thèse défendue par Jean-Luc Mélenchon, également ex-PS]. Je ne me résoudrai jamais à considérer que le gouvernement va échouer et que nous serons là à ramasser les morceaux. Si la social-démocratie devait s'effondrer, je crains que ce ne soit au profit de la droite extrême. » Cette divergence stratégique avec le tribun du Front de Gauche justifiait son départ du parti qu'il avait co-fondé avec lui.
Il est assez symptomatique que les mots employés par le député du Nord soient assez semblables à ceux portés par le courant « Maintenant la gauche » dans le PS.
Car l'enjeu reste le même depuis l'élection de François Hollande à la présidence de la République (et même en partie depuis la conclusion des primaires citoyennes). Soit le bulletin de François Hollande n'a servi qu'à « dégager » Nicolas Sarkozy et certains pourront s'amuser à dire comme Siné que le gouvernement nous déçoit alors qu'on attendait rien de lui. Soit le bulletin de François Hollande était le passage obligé pour un changement politique réel qui ne pouvait attendre une hasardeuse émergence d'une autre gauche, capable de rebondir sur les ruines de l'échec de François Hollande.
C'est mon cas.
Hollande Primaires, Hollande Bourget, Hollande Élysée
Car François Hollande a mené une campagne assez différente pour l'élection présidentielle de celle qu'il avait menée pour les primaires socialistes. Le discours du Bourget et une bonne partie des « 60 engagements » avaient choisi de répondre à l'impatience du peuple de gauche, de tenir compte qu'au-delà du rejet de Nicolas Sarkozy, les Français voulaient exprimer leurs attentes économiques et sociales à l'occasion de l'élection présidentielle. La promesse de renégocier le traité Merkozy était le débouché de cette logique, tout comme le refus de considérer que le problème de compétitivité de l'industrie française découlait du « prix du travail » et donc logiquement la volonté d'engager une véritable politique de redressement productif.
Las, il aurait fallu retenir le Hollande des primaires, qui n'avaient pourtant pas validé son programme, mais la construction de la posture médiatique de "l'homme qui est capable de battre Sarkozy". Pourquoi avait-il tant et tant tenu à affirmer contre vents et marées qu'il faudrait impérativement et quelles que soient les conditions économiques ramener le déficit public à 3 % du PIB dès 2013 et à l'équilibre en 2017. Martine Aubry avait alors pourtant démonté une partie de ce raisonnement… sans résultat dans les urnes. Mais nous aurions dû nous rappeler que ces 3 % et ce 0 % dans le calendrier décrit par François Hollande correspondait à celui établi par le traité Merkozy. C'est vraisemblablement sans réelle volonté sérieuse de renégocier le traité que notre Président est parti à Bruxelles ; de fait, il n'a pas été modifié d'une virgule et le pacte de croissance concédé en parallèle n'était pas contraignant et a explosé en vol depuis sous la pression à la baisse du budget de l'Union Européenne.
Attention, je ne dis pas que le Président de la République ne modère pas les ardeurs austéritaires absolues de nos voisins allemands et néerlandais, qu'il n'essaie sur le plus long terme de trouver des alliés pour donner des missions à l'Union européenne qui ne soient pas limitées à faire la police dans les budgets nationaux. Mais Hollande président ressemble étonnamment à Hollande premier secrétaire (quand il ne gérait que les rapports avec nos camarades du PSE) : il part dans les négociations européennes en ayant adopté la posture du compromis avant d'entrer dans le rapport de force avec des voisins, ce qui le force régulièrement à reculer encore sur l'idée du compromis qu'il avait en tête.
Ainsi, je ne crois pas qu'il faut être étonné ; le Président de la République mène aujourd'hui la politique avec laquelle il se sent pleinement en phase. Le Pacte de Compétitivité qui contredit toute la campagne des élections présidentielles représente sans doute fidèlement sa volonté et ce qu'il croit juste de faire. Le pataquès autour de la nationalisation de Florange correspond sans doute à la mise en application de sa pensée, même si incidemment il a permis le retour de l'idée de capital public dans le débat national.
Mais comme disait Dany Lang, membres du collectif « Les économistes atterrés », le mercredi 12 décembre en présence de toute la gauche, ces politiques de l'offre et cette rigueur de gauche qui ne dit pas son nom sont voués à l'échec. La pusillanimité de l'exécutif sur les réformes sociétales – dont certains s'inquiètent qu'elles n'offrent un fondement de substitution à une gauche désarmée sur les questions économiques – font douter une partie des soutiens du président de la République et donnent à penser à ses opposants patronaux et politiques qu'il suffit de hausser un peu le ton pour le faire reculer.
Enfin, l'insistance – à la limite du harcèlement – à appeler à un « compromis historique » autour de la conférence sociale alors que les syndicats sont désunis revient à les affaiblir face à une patronat à l'offensive. C'est profondément contre-productif car le gouvernement aurait eu grand besoin d'alliés syndicaux solides. Syndicats solides dont il aurait besoin pour adopter des réformes sur le travail, ce qu'il s'est interdit de faire jusqu'ici au prétexte castrateur d'attendre la fin de la négociations.
Y a-t-il un espace pour un « Hollandisme révolutionnaire » ?
Si l'on veut réussir le changement, François Hollande va devoir changer de politique. Quand le résultat des politiques d'offre et d'austérité aura démontré comme dans le reste de l'Europe leur caractère néfaste, le Président de la République aura deux choix :
- persévérer pour ne pas se déjuger mais avancer plus sûrement vers l'échec ;
mener une politique de transformation profonde du pays et de la construction européenne en rupture avec la vulgate libérale.
Durant la campagne électorale, Emmanuel Todd, démographe et historien et alors soutien d'Arnaud Montebourg, avait plaidé pour la solution du « Hollandisme révolutionnaire ». Il avait indiqué que le Président de la République mènerait à peu de choses près la même politique que celle qu'il conduit aujourd'hui, mais que confronté au durcissement des difficultés et à l'ingratitude des marchés, il devrait – même à son corps défendant – se résoudre à adopter les solutions politiques prônées à l'époque par Montebourg et la gauche du PS (celles d'hier avec Hamon et d'aujourd'hui avec Maurel). La référence historique lui servant de modèle était le Front populaire – celui que Marie-Noëlle Lienemann appelle à renouveler – qui avait eu un programme électoral très léger et défensif, mais qui sous l'effet de la crise et du mouvement social avait dû mener des politiques beaucoup plus radicales.
Il y a cependant plusieurs bémols à porter à cette analyse.
En 1935 et 1936, alors que se construit le « Rassemblement Populaire » cette alliance électorale défensive contre les conservateurs et la menace fasciste entre Radicaux, Socialistes et Communistes, la SFIO de Léon Blum et Paul Faure défendait des réformes profondes de la société et de l'économie française, que ses partenaires refusaient de voir inscrit dans le programme électoral : les radicaux les refusaient par convictions, les communistes les refusaient pensant ainsi ne pas effrayer un électorat qu'il voulait séduire pour élargir leur base (anciens combattants, petits artisans, catholiques). Ainsi Léon Blum était plutôt dans de bonnes dispositions pour dépasser le programme chétif qu'on lui avait imposé, lorsque les grèves du printemps 1936 permirent au gouvernement de Front Populaire d'imposer les nationalisations, les congés payés et les conventions collectives.
Il n'est pas dit que la majorité des parlementaires socialistes et la majorité du gouvernement soit prêts aujourd'hui intellectuellement et idéologiquement à engager un tel retournement.
Il n'est surtout pas dit que le mouvement social puisse aujourd'hui se développer et pousser à une radicalisation de la politique du gouvernement. Les confédérations syndicales sont engagées – sont piégées – depuis des mois par la conférence sociale, face un MEDEF beaucoup plus brutal qu'ils ne l'avaient imaginés. Tant qu'ils seront pris par ces négociations, ils ne seront pas disponibles pour travailler à la construction d'un nouveau rapport de force social.
Mais les salariés eux-mêmes sont-ils disposés à engager le bras-de-fer ? Les difficultés sociales et les pertes de pouvoir d'achat incitent pour le moment les Français à faire le dos rond, d'autant qu'ils ont bien conscience de la réalité des difficultés macro-économiques à surmonter. Les mobilisations grecques, espagnoles et portugaises se déroulent dans un climat plus catastrophique, car les peuples de ces pays n'ont plus grand chose à perdre ; cependant, cette situation est riche de dangers que je ne souhaite pas à mon pays.
Paradoxalement, c'est le moment où les groupes politiques qui veulent construire une politique socialiste démocratique et moderne qui n'aurait pas abdiqué devant le libéralisme doivent et peuvent se rendre le plus utiles. Je suis convaincu que la grande majorité des militants socialistes et la grande majorité des sympathisants de gauche sont mal à l'aise avec les ruptures constituées par l'adoption du traité Merkozy et la validation du Rapport Gallois, mal à l'aise avec le social-défaitisme qui a conduit à l'abandon de Florange dans les mains de Mittal. Ils sont donc ouverts à modifier les équilibres internes à la gauche et à bousculer les parlementaires qu'ils ont investis.
Les propositions que « Maintenant la Gauche » a porté pendant le congrès du PS sont désormais au cœur du débat public national. Elles permettent de freiner la dérive sociale-libérale et sont en train de faire changer le rapport de force intellectuel (dominé voici un an encore par les débats sur l'identité nationale...). Emmanuel Maurel et ses amis ont par ailleurs une tâche essentielle : celle de maintenir le liens avec toutes les forces de gauche, alors même que le gouvernement et le président ont choisi de ne pas rassembler la gauche (le pilonnage des candidats du Front de Gauche aux législatives n'était pas un accident). Ce sont ces contacts qui permettront de rassembler la synthèse politique nécessaire pour mener une nouvelle phase du quinquennat Hollande. Espérons cependant que le débat politique soit plus productif qu'il ne l'a été jusqu'ici car sinon le rééquilibrage attendu pour les élections locales de mars 2014 et 2015 risque de s'avérer catastrophique : or les Français ont besoin de collectivités locales de gauche pour maintenir un « bouclier social » qui n'a pas été reconstruit au niveau national ; la seconde phase du quinquennat Hollande serait affaiblie dès le départ si les élections municipales s'avéraient une sanction trop rude et trop généralisée.
« Maintenant la Gauche » et ses partenaires doivent entamer ensemble une campagne de mobilisation autour de thèmes divers mais essentiels dans la période : licenciements boursiers, droit de vote des étrangers, salaires, valorisation du capital public, transition énergétique radicale, renforcement des services publics (La Poste, l'hôpital).
La route est étroite, mais il n'en existe pas d'autres.
Frédéric Faravel
Mandataire fédéral de la motion 3 dans le PS Val-d'Oise