La modification nécessaire des politiques européennes pour mettre en œuvre un «nouveau modèle de développement économique, social & écologique»
Notre convention nationale sur un nouveau modèle de développement économique, social et écologique intervient en pleine crise financière, au moment où la zone euro est mise à mal à la suite des mensonges énormes du gouvernement conservateur défait aux dernières élections (mais couvert par de puissants groupes financiers comme Goldman & Sachs) et à la spéculation des marchés financiers sur la dette grecque.
Alors que jusqu'ici l'existence de l'euro avait été un outil unanimement salué en Europe comme facteur de protection économique, l'appartenance de la Grèce à la zone euro ne l'a en aucun cas protégé de la spirale financière et économique des dernières semaines ; pis la lenteur des États européens à réagir face à la situation traversée par un de leurs membres a sans doute aggravé la situation et a permis que les difficultés s'étendent au Portugal et à l'Espagne.
L'enchaînement des faits doit fortement nous interroger en tant que socialistes sur ce que cela signifie profondément de l'état de la construction européenne, de la nécessité de modifier profondément les postulats de base sur lesquels sont bâties les politiques européennes et sur le débat politique que nous devons mener avec nos camarades du PSE.
La crise financière grecque est le révélateur de l'état réel de la construction européenne.
Les États européens ont fait preuve en l'occurrence d'une débauche de lâcheté et d'égoïsmes nationaux. On peut reprocher au précédent gouvernement grec ses mensonges et d'être in fine le principal responsable des malheurs de son peuple, on peut exiger un sérieux plus important au regard des erreurs commises. Mais une sévérité comparable n'a pas été de mise pour les grands groupes financiers que l'on jugeait responsables de l'épisode précédent de 2007-2008. Et surtout, on assiste à l'application précise d'un des principes contenus dans l'ex TCE de punir les États-membres qui ne respecteraient pas les règles du pacte de stabilité. Peu importe le sort des populations, peu importe que les premières victimes du mensonge soient le peuple grec lui-même…
La réalité est plus sordide encore : si l'on a tant tardé à intervenir et soutenir la Grèce qui mettait en œuvre des efforts gigantesques pour réparer les erreurs de la droite, ce n'est pas en aucun cas pour défendre des principes budgétaires et le bien commun européen, mais parce que parmi les deux principaux bailleurs de fonds publics européens se trouvaient en pleine élection régionale : le débat fiscal entamé par la coalition Noire-Jaune de Nord-Rheinland-Westphalen ne pouvait souffrir les mécanismes de solidarité envers un autre État membre ; la chancelière fédérale Angela Merkel ne pouvait supporter que le pendant régional de sa coalition fédéral conservatrice-libérale soit défaite électoralement parce qu'elle aurait mis en œuvre le plus élémentaire réflexe de défense entre deux membres d'une même communauté ; il est vrai que le profil de la majorité du Bundesrat peut évoluer le 9 mai après les élections en Rhénanie du nord, et le Bundesrat vaut bien une Grèce !
Ainsi si on a pris tant de retard, si aujourd'hui on paye 110 milliards d'euros quand voici deux semaines on se serait contenté d'en payer 30, si on a laissé les taux d'intérêt augmenter de manière vertigineuse pour la Grèce, si on a laissé se dégrader la note financière de ce pays, puis du Portugal et de l'Espagne, si on a laissé l'euro atteindre aujourd'hui son niveau le plus bas depuis un an avec les répercussions que cela a sur le prix de l'énergie, c'est parce que l'une des principales dirigeantes européennes avait une élection régionale sur le feu. Voilà le message adressé aux peuples européens : l'intérêt général, le bien commun, le mieux être d'un peuple, la défense des outils européens et de la capacité de l'Europe à rebondir ont été sacrifiés à un intérêt partisan national, maquillé en orthodoxie financière et en rectitude morale.
Ici l'instauration d'institutions communes considérées comme plus efficaces n'a pas eu d'effet ; vous pouvez avoir toutes les institutions que vous voulez quand la volonté politique est absente, quand elle est biaisée, cela ne marche pas. Je dirai même au passage que la complexité du triangle institutionnel européen n'a pas été résolu, aggravé au contraire, et qu'il a prouvé une fois de plus dans cette affaire sa lenteur et son inefficacité.
N'accablons pas trop les Allemands, il n'est pas dit que Nicolas Sarkozy n'applique pas les mêmes erreurs en espérant sauver une majorité au Sénat et n'oublions pas que les gouvernements britanniques et néerlandais ont agi avec la même aménité pour répondre à ce qu'ils croyaient être les exigences de leur opinion publique nationale au moment de chercher à résoudre les problèmes financiers de l'Islande : on mesurera sur le long terme les dégâts causés à l'idéal européen dans un peuple islandais qui voyait dans l'Union son salut et son avenir. On en voit un résultat tangible avec le score de l'extrême droite hongroise voici 10 jours.
Si j'ai parlé de prétextes pour maquiller des égoïsmes nationaux, il n'en reste pas moins que les postulats de base sur lesquels sont fondés les politiques européennes depuis plus de 10 ans doivent être remis en cause si nous voulons inventer un nouveau modèle de développement.
Le pacte de stabilité et la stratégie de Lisbonne ont prouvé au regard des faits l'impasse dans laquelle ils menaient la construction européenne.
Bien qu'ayant volé en éclat lors des premiers épisodes de la crise financière en 2008 le pacte de stabilité continue d'être la référence de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne. Plus personne n'est en mesure de le respecter, mais il a à nouveau été invoqué au début de la crise grecque. Ce pacte de stabilité empêche théoriquement de mener des politiques contracycliques, il ne prend pas en compte les nécessité de la croissance et du développement ; la nécessité de sa révision en profondeur se fait chaque jour cruellement sentir mais elle n'est toujours pas à l'ordre du jour. Pourtant la BCE vient d'annoncer une mesure qu'elle se refusait à imaginer voici encore quelques jours : le rachat d'obligations de la dette grecque afin de venir en aide à cet État membre. Ce que chaque pays faisait avant la monnaie commune avec sa banque centrale nationale, c'est-à-dire faire marcher la planche à billet pour payer sa dette, la BCE est en train de le faire pour la Grèce sous l'effet de la nécessité ; comment pourrait-elle désormais le refuser aux autres États européens, qui ont tous engagé des dépenses pharaoniques (avec plus ou moins d'efficacité et de pertinence) pour sauver leurs économies et leurs banques, dont la charge de la dette a cruellement augmenté. Comment pourrait-elle aujourd'hui le refuser à la France ou à l'Allemagne, et a fortiori à l'Irlande, au Portugal ou à l'Espagne ?
La stratégie de Lisbonne – faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » - adoptée en 2000 et réactualisée en 2005 est elle-même devant son échec criant. On objectera sans doute que la lecture et l'application qui en a été faite par la Commission européenne et par les gouvernements européens, orientés largement à droite, en a entaché l'esprit et la marche, mais en réalité, cette stratégie de politique économique élaborée conjointement par des gouvernements libéraux et des gouvernements socialistes, qui avaient cédé sur leurs valeurs (comme le dit si bien Martine Aubry) illustre parfaitement ce que décrit l'introduction du texte de notre convention nationale : «La croyance en un système vertueux de progression sociale généralisée et de partage du travail harmonieux (les produits à faible valeur ajoutée pour les pays émergents, la frontière technologique pour les pays développés) a été balayée.», car la stratégie de Lisbonne est une tentative d'application concrète de cette croyance sociale-libérale.
Les politiques de cohésion de l'union en ont été affectées, la nécessaire transformation économique et sociale des régions en restructuration, l'intégration des régions d'Europe centrale et orientale ont été retardés, les inégalités se sont creusées en leur sein et entre elles et les territoires les plus dynamiques du continent.
Les perspectives financières 2007-2013 ont aggravé cette logique, les politiques régionales de solidarité ne sont pas assez puissantes. La politique agricole commune continue d'être décriée par ceux qui considèrent en partie à juste titre qu'elle pèse proportionnellement trop lourd dans le budget communautaire, alors qu'elle désespère de plus en plus les agriculteurs européens.
L'Europe a besoin de nouveaux outils de politiques économiques : la BCE doit voir son statut réformé ou à tout le moins avoir en face d'elle un véritable gouvernement économique ; l'Union devrait se doter d'un véritable budget en augmentation, avec la capacité de lever un impôt, d'emprunter, pour faire face à la fois aux défis de la recherche et de l'innovation, de la croissance écologique, de la refondation des politiques de cohésion territoriale, de la renaissance d'une PAC digne de ce nom ; le pacte de stabilité, la stratégie de Lisbonne devraient être purement et simplement abandonnés pour se voir remplacer par des stratégies politiques plus en rapport avec les défis qui sont devant nous. Mais qui aujourd'hui en Europe s'en soucie ? Ni la Commission, ni les gouvernements européens, ni la plupart des oppositions ne semblent aujourd'hui s'en préoccuper.
Les socialistes français ne doivent plus se cacher derrière leur petit doigt pour espérer un jour voir émerger une alternative politique européenne capable de porter ce nouveau modèle de développement.
Il n'est pas possible de «construire le socialisme dans un seul pays». Vous me pardonnerez cette petite pique anti-stalinienne. Les socialistes français pourront écrire tous les textes de convention pour promouvoir un «nouveau modèle développement économique, social et écologique», ils seront dans l'incapacité d'en mettre en œuvre la moindre ligne s'ils se limitent à des perspectives purement nationales.
L'enjeu est bel et bien de bâtir une alternative politique à l'échelle européenne, mais la gauche européenne reste à construire. Plus encore, c'est le socialisme européen qui n'est rien d'autre qu'une vague confédération de partis aux orientations si différentes pour certains que parfois on se demande ce qui les rassemblent.
Notre texte indique page 18 «Donner un nouveau souffle politique à l’Europe implique d’engager une nouvelle étape dans la coopération entre les socialistes européens. C’est pourquoi, nous proposons un nouveau contrat social européen. Nous voulons donc porter, avec nos partenaires sociaux-démocrates européens, une philosophie économique réorientée, volontariste et pragmatique en Europe.» Mais aujourd'hui malgré les efforts de notre président Poul Nyrup Rassmussen, nous savons tous fort bien que le Manifesto de 2009 n'avait rien d'un programme commun des socialistes et sociaux-démocrates européens : c'est à une définition commune de l'intérêt général qu'il nous faut aujourd'hui travailler sous peine d'incohérence et finalement d'échec. Que ce soit sur les stratégies ou sur le fond nos divergences sont gigantesques et il nous faut impérativement les réduire :
- le socialistes slovaques sont en coalition avec l'extrême droite ;
- les sociaux-démocrates hongrois ont mis en place les politiques libérales qui ont conduit le pays à l'échec, et qui gouvernaient en alliance avec les libéraux depuis 2008 sous l'égide du FMI ;
- les travaillistes britanniques continuent de défendre une troisième voie illusoire ;
- le sociaux-démocrates autrichiens qui laissent dire au ministre des finances conservateur auxquels ils sont alliés que «L'Europe est à bout de patience» face aux mouvements de protestation de la population grecque ;
- les sociaux-démocrates allemands ont préféré entrer en 2005 dans une Grande Coalition avec les conservateurs plutôt que de gouverner avec les Verts et Die Linke pourtant diriger par leur ancien président. Aujourd'hui encore, ils sont ambigus dans le débat électoral régional car ils se réservent la possibilité d'une coalition régionale avec les libéraux (ce qui implique de larges concessions programmatiques).
Il n'est pas question ici de dire que les socialistes français auraient la vérité à eux-seuls, mais si nous élaborons aujourd'hui notre texte de convention, j'ose espérer que nous y mettons un minimum de convictions sincères. Et il serait tout autant inefficace et nuisibles de refuser d'engager avec nos camarades le débat sur la base de nos convictions, que de considérer que nous ne pouvons les défendre parce que nous serions intrinsèquement minoritaires dans le PSE.
Le travail que nous menons aujourd'hui au Parti socialiste pour reconstruire notre doctrine et poser les bases du rassemblement de la Gauche, nous devons impérativement le traduire dans le sein du Parti des socialistes européens où nous pouvons trouver des alliés.
Frédéric Faravel