à croire que Bernard Guetta et Thomas Legrand, avec lesquels je suis en général assez critique (surtout le second, tant sur le fond que la forme), s'étaient donnés le mot ce matin du lundi 24 février 2014. Pour une fois, ces deux éditorialistes ont produit des analyses à la fois pédagogiques et politiquement sérieuses. Je ne résiste donc pas à les reproduire ici. La première porte sur ce que les commentaires et ultimatums du week-end - après les violences perpétrées par les black blocks en marge de la manifestation nantaise contre le projet d'aéroport international à Notre-Dame-des-Landes - disent du niveau d'ambigüités respectives du tandem exécutif et des écologistes un bémol cependant le titre n'est pas du tout au niveau). La seconde nous permet de prendre du recul pour analyser sans caricature le renversement soudain du pouvoir mafieux de Ianoukovitch en Ukraine... tout reste à faire et Timochenko n'est pas Jeanne d'Arc.
Frédéric FARAVEL
C'est çui Qui Dit Qui Est !
france inter - Thomas Legrand - 24 février 2014
Après les violences à l’issue de la manifestation à Nantes contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes Jean-Marc Ayrault a demandé a ses ministres écologistes de «sortir de l’ambiguïté».
© MaxPPP - 2014
Oui, et au delà des violences, évidement condamnées par les écologistes Jean-Marc Ayrault songeait aussi aux déclarations de Cécile Duflot qui, tout en étant membre du gouvernement, se disait – avant la manifestation – de tout cœur avec les marcheurs qui s’opposaient à un projet soutenu par le même gouvernement auquel elle appartient. Situation, il est vrai, pour le moins incongrue ! Mais si l’on y regarde de plus près, en matière d’ambigüité c’est "çui qui dit qui y est" comme on dit dans les cours de récré !
Les verts sont au gouvernement en vertu d’un accord politique signé entre le PS et EELV. Et dans cet accord, il n’est pas fait mention de Notre Dame des Landes. Martine Aubry et Cécile Duflot avaient convenu que ce désaccord ne les empêchait pas de gouverner ensemble… Cette clause imprudente était porteuse de difficultés futures… nous y sommes. En réalité, les militants écologistes sont à fond dans la contestation de Notre Dame des Landes alors que les responsables du parti (et singulièrement les ministres écologistes) y attachent moins d’importance. Tout simplement parce qu’ils ont acquis la certitude que l’aéroport ne verra jamais le jour. Trop d’oppositions, même au sein du gouvernement, même parmi les socialistes, existent pour que le projet soit viable. Seulement il est impossible de l’affirmer pour l’instant alors que les élus locaux PS, à la veille d’une série d’élections se sont fortement mobilisés en faveur du projet. L’ambigüité sur la question est donc du coté des socialistes.
Au delà de NDDL, les sujets de discorde entre le PS et EELV se multiplient…
Oui et notamment sur la question de la transition énergétique ! Une loi sur ce sujet est en préparation. Et l’enjeu de cette loi est beaucoup plus déterminant pour la cohésion de la majorité que Notre-Dame-des-Landes. Philippe Martin, le ministre (socialiste) chargé de l’écologie, doit faire face à de très fortes pressions internes au gouvernement. Parce que les socialistes ne sont pas au clair idéologiquement sur ces questions. Et si Martine Aubry avait, à la tête du Parti Socialiste, fait largement évoluer la ligne, François Hollande, lui n’a jamais fait montre de convictions très affirmées sur le sujet.
L’accord Verts-PS était plus perçu par le Président comme une synthèse politique et non comme l’aboutissement d’un travail idéologique et conceptuel. Du coup, sur le nucléaire, sur les gaz de schiste, sur le diesel en ville on sait clairement ce que pensent les écologistes mais personne ne peut dire avec certitude quelle est la position des socialistes.
Le paradoxe pour les écologistes c’est qu’ils ont la conviction, que parmi les cadors socialistes c’est encore Jean-Marc Ayrault qui est le plus écolo-compatible. La nature de la loi de transition énergétique, et surtout le montant des sommes allouées à la recherche et au développement des énergies renouvelables vont déterminer la viabilité de l’accord vert/PS. Entre aujourd’hui et juin (date à laquelle la loi doit être présentée) il y a les élections municipales et européennes. Le poids électoral des écolos sera, bien sur, pris en compte par François Hollande. Mais l’on attend surtout de comprendre le fond de sa pensée sur ces questions.
L’ambigüité que Jean-Marc Ayrault reproche aux écologistes…est en réalité celle le Président de la République !
La mi-temps ukrainienne
france inter - Bernard Guetta - 24 février 2014
Il y a, pour l’heure, deux vainqueurs et une perdante, les Ukrainiens et l’Union européenne d’un côté, la Fédération de Russie de l’autre. Cette majorité d’Ukrainiens qui veut s’arrimer à l’Union pour sortir leur pays de l’arbitraire et de la corruption a gagné, spectaculairement gagné, puisque Viktor Ianoukovitch, le président déchu, est en fuite, que les velléités sécessionnistes des dirigeants des régions pro-russes n’ont pas duré, samedi, plus d’une poignée d’heures et que de nouvelles élections se préparent.
L’Union européenne a, quant à elle, marqué des points inespérés puisque c’est au nom de ses valeurs et sous son drapeau que les Ukrainiens se sont mobilisés et ont, de fait, renversé ce président qui avait refusé, sous pression russe, l’accord d’association avec les 28. Non seulement cette Union en plein désarroi et si désaimée à l’intérieur a redécouvert là la force d’attraction qu’elle conserve à l’extérieur mais ce sont trois de ses ministres des Affaires étrangères, allemand, français et polonais, qui ont réussi à faire céder Viktor Ianoukovitch en allant ensemble à Kiev arrêter un bain de sang.
L’Union sort grandie de cette crise alors que la Russie et son président y ont tout perdu puisque Vladimir Poutine a échoué à dicter ses choix à l’Ukraine dont l’équipe de transition affirme sa volonté de reprendre les négociation sur l’accord d’association. La Russie a perdu la partie dans un pays où ses partisans sont nombreux et qui est la pièce maîtresse de son aire d’influence mais, aussi nette qu’elle soit, ce n’est que la photographie de l’instant, la mi-temps d’un match qui est loin d’être achevé.
Pour ce qui est des Ukrainiens, d’abord, ils vont devoir faire face, maintenant, à la difficulté de toute révolution qui est de conserver son unité une fois la victoire acquise. C’est un redoutable défi parce que les partis existants sont faibles, que l’extrême-droite nationaliste a pris un poids politique sur les barricades de Kiev et qu’il y a un trop plein de figures de l’opposition qui auront du mal à faire front. La nouvelle scène politique ukrainienne ne sera pas facile à organiser mais là n’est pas le plus problématique.
Le grand problème viendra, demain, de l’Union européenne qui n’a pas les moyens financiers de remettre sur pied l’économie ukrainienne et ne veut pas ouvrir ses portes à ce pays car elle a bien trop de difficultés intérieures pour pouvoir envisager de s’ouvrir à un Etat plus grand que la France. Epaulée par le FMI et la Banque mondiale, l’Union fera tous les efforts qu’elle pourra mais son aide sera forcément conditionnée à des exigences de réformes qui seront socialement douloureuses. Sa popularité risque vite de s’en ressentir.
Pour l’Union, la tâche sera vertigineuse alors que la Russie n’a elle qu’à attendre que cette révolution s’essouffle comme toute révolution pour rappeler que l’Ukraine dépend des tarifs gaziers préférentiels qu’elle lui consent et réactiver ses réseaux dans l’Ukraine orientale, ce à quoi elle s’est discrètement employée dès hier. C’est dès maintenant, avant qu’elle n’ait digéré son échec, qu’il faut proposer à la Russie des conversations sur la stabilité et la coopération en Europe, c’est-à-dire en Ukraine.