C'est la panique dans les rangs de l'UMP. Les grands barons du parti conservateur français se rendent compte que la personnalité du Président de la République et sa synthèse entre Bonapartisme, Réaction et Néo-libéralisme sont profondément rejetés au sein du peuple Français.
Ce n'est pas seulement qu'il n'ait pas tenu ses promesses mais que les réformes qu'il a réalisées cherchaient à dresser les Français les uns contre les autres, contrevenant ainsi aux principes d'égalité qui fondent le peuple républicain. Ce poison a fait son chemin dans les têtes à droite ou dans tous les cas - comme cela s'est vu dans les pseudo-débats sur l'identité nationale et leur pseudo-laïcité détournée - a libéré les basses pulsions de nombreux responsables.
Avec Nicolas Sarkozy, la lepénisation des esprits a fait des bonds spectaculaires, et plus encore au sein de la droite anciennement républicaine, alors même que l'actuel locataire de l’Élysée avait prétendu avoir abattu le Front National.
Toutes les actions du gouvernement de Sarkozy ont nourri la progression d'une Marine Le Pen, dont le faux nez moderne a permis de renforcer une porosité inédite entre la droite néo-réac et l'extrême droite. Elle est tellement montée dans les intentions de vote des Français que l'affichage, à l'occasion de la campagne électorale, de ses insuffisances flagrantes, de l'indignité et l'inopportunité de son programme n'a cependant pas affecté fondamentalement son rang dans le débat politique.
C'est donc aujourd'hui une droite sans boussole qui pense récupérer quelques points dans les sondages en courant de manière de plus en plus visible et caricaturale derrière le Front National. Ce faisant, ils nourrissent plus encore la mécanique qui renforce le Front National sur le long terme. Ils le font en venant clairement sur son terrain mêlant le fantasme de l'impossibilité d'intégrer les immigrés à la société française (contre toute réalité historique), de l'amalgame entre immigration et islam, et de l'antisémitisme (logique classique de la droite nationaliste).
Trois illustrations, trois fautes, trois indignités, ces dernières semaines :
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D'une manière générale, regardons où est menée la campagne présidentielle. On parle de la viande halal, de la viande casher, on va parler de l'étiquetage de la nourriture. Dans le même temps, il y a des écoles qui ferment, des classes qui ferment, il y a moins de profs, il y a des hôpitaux publics qui sont surchargés, on se soigne de moins en moins bien, on ne trouve pas de boulot, on passe de contrat précaire en contrat précaire et de quoi on parle-t-on ? Voilà donc selon la droite néo-réac, la principale préoccupation des Français depuis deux semaines…
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Claude Guéant, inénarrable ministre de l'intérieur (sans doute bien plus réactionnaire encore que son patron), a tenu à expliquer que le droit de vote des étrangers constituait un risque d'imposition dans les restaurants scolaires de la viande halal. De la part du ministre de l'intérieur, il y a plusieurs fautes, les premières relatives à sa fonction, la dernière politique…
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Les Français musulmans sont déjà électeurs depuis longtemps et siègent déjà nombreux dans les conseils municipaux. À aucun moment, ces élus n'ont eu pour revendication quoi que ce soit qui puisse ressembler au fantasme de M. Guéant et les listes « communautaristes » – notamment menées par le Parti des Musulmans de France – ont toujours réalisé des scores ridicules, y compris dans les bureaux de vote où les Français de confession musulmane sont considérés comme nombreux. Ce n'est donc pas une revendication des personnes de confession musulmane en France.
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Imposer une nourriture issue d'un abattage rituel serait tout simplement contraire à la laïcité et un conseil municipal, quelle que soit sa composition et quelle que soit la situation de politique fiction imaginée par le ministre de l'intérieur (qui devrait le savoir comme ministre) ne pourrait délibérer en ce sens.
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Les Français de confession musulmane sont insultés comme citoyens français. On les ramène à leur religion, à ce qui serait – par définition (dans la logique de détournement de la laïcité en islamophobie) – la menace qu'ils représentent pour tous les autres. Cette remarque vaut également pour les immigrés quelles que soient leurs origines ou nationalités. Une personne vivant en France, qu'elle soit Française ou pas, qu'elle soit originaire du Pas-de-Calais, de Bretagne, de Toulouse, de Bamako, d'Alger ou d'Andalousie, est avant tout un être humain qui dispose de droits et de devoirs que la République ne peut et ne doit pas considérer en fonction de sa confession supposée. Ce faisant la droite abaisse tous les jours depuis 5 ans nombre de nos voisins ou concitoyens en ne les considérant pas comme humain mais comme musulmans, catégorie supposée moins assimilable et pas totalement « normale ».
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Plus étonnamment pour un responsable issu du Gaullisme social (mais cela a-t-il encore une quelconque signification après Chirac et Sarkozy?), François Fillon, Premier Ministre, a commis un dérapage inexcusable au regard de ses fonctions. Alors qu'il aurait dû recadrer son ministre, il a de fait apporté son soutien à M. Guéant et en a rajouté une louche. François Fillon a suggéré aux juifs et aux musulmans de revenir sur les «traditions ancestrales» d’abattage rituel des animaux. Le Premier ministre, s'exprimant à titre personnel, a estimé que «les religions devaient réfléchir au maintien de traditions qui n'ont plus grand chose à voir avec l'état aujourd'hui de la science, l'état de la technologie, les problèmes de santé».
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Notons qu'il est aberrant de renvoyer la foi et certaines pratiques rituelles qui lui sont liées dans le judaïsme (on en parlera plus volontiers ici pour faire preuve de parité…) à la science et que les interprétations sanitaires des interdits et prescriptions alimentaires contenus dans le Lévitique (qui constituent la base de la cacheroute) sont largement dépassées. L'interdit de consommer du lièvre ou des mollusques est équivalent à l'interdiction du porc ou aux prescriptions sur l'abattage rituel, et cela n'a rien à voir avec la science et la santé. Notons au passage que si le Premier Ministre français veut entrer dans une logique de réforme des religions, ce qui n'est plus tellement couru depuis l'empereur Constantin ou le délicat Roi d'Angleterre Henri VIII Tudor, il aurait pu également parler de l'infaillibilité papale, de l'immaculée conception, du filioque, du célibat des prêtres romains ou de la querelle entre protestants et catholiques romains sur le mystère de la transsubstantiation. Notons qu'il ne l'a pas fait et qu'il veut s'attaquer une fois encore à des boucs émissaires classiques.
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Mais le plus grave, c'est que le Premier Ministre de la République française n'a pas à se préoccuper des affaires internes des confessions présentes sur le territoire français. La République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte, elle reconnaît la liberté de conscience et la foi des habitants de notre pays est une affaire privée qui ne peut être arbitrée par l’État (sauf dans des cas exceptionnels où seraient mis en cause l'ordre public, ce qui n'est pas le cas). Après avoir abaissé la dignité humaine des habitants de confession musulmane, c'est désormais l'intégralité du Principe de laïcité qui est abaissé par le Premier Ministre. Mais qui pouvait attendre désormais autre chose cinq ans après que le Président sortant ait jugé supérieur le Prêtre et le Pasteur à l'instituteur républicain ?
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Il y a fort à parier que ces polémiques n'est pas de prises directes sur les résultats de l'élection présidentielle, si ce n'est pour écœurer toujours plus d'électeurs du débat public. Elle marque la perte de repères dramatique de la droite française et n'intéresse peut-être dans ses fondements qu'une poignée de «coupeurs de cheveux en quatre» dont je fais partie.
Elle annonce cependant deux choses graves et importantes :
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le prélude à une dislocation annoncée de l'UMP dans l'éventuelle défaite, entre la «Droite Populaire» d'un côté, et les centristes de l'autre ; les héritiers de Chirac et Séguin étant un peu perdus au milieu ;
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l’aggravation de la prégnance de la droite national-populiste dans l'opinion publique qui pourrait bien être renforcée d'ici quelques années par les passerelles de la «Droite Populaire» pour former la plus dangereuse alternative qui soit (pour la démocratie républicaine) à une gauche de gouvernement.
Frédéric FARAVEL
Secrétaire fédéral du PS Val-d'Oise aux relations extérieures