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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

26 juillet 2019 5 26 /07 /juillet /2019 08:35
POURQUOI IL NE FAUT PAS PRIVATISER AÉROPORTS DE PARIS (ADP)
ADP, c'est notre affaire, C'est notre bien commun, C'est à nous de décider !
EXIGEONS UN RÉFÉRENDUM ! SIGNONS !

ADP, une belle entreprise nationale - Une privatisation contestable et contestée

ADP est une société où l’État est actuellement par la loi obligatoirement majoritaire (50,63% du capital) ; elle gère les trois aéroports parisiens de Roissy-Charles-de-Gaulle, Orly, Le Bourget et dix aérodromes franciliens. ADP est depuis 2018 le n°1 mondial de la gestion aéroportuaire avec un total de 281,4 millions de passagers. ADP possède de très nombreuses participations dans des aéroports internationaux et représente également le 1er propriétaire foncier d’Île-de-France.
Le gouvernement d'Emmanuel Macron et « La République en Marche » ont fait adopter au forceps la Loi PACTE qui permet la vente des actions de l’État à un opérateur privé pour lui confier la gestion des aéroports pendant 70 ans.
Il s'agirait de récupérer tout de suite quelques milliards d'euros pour le budget de l’État mais surtout de satisfaire les appétits d’un grand groupe privé.
Si le Sénat et toute l’opposition à l’Assemblé Nationale ont voté contre cette privatisation, c’est qu’ADP est d’abord une entreprise très rentable qui apporte une manne financière à l’État ; ce serait absurde de la brader à des investisseurs privés. Ensuite ADP assure des missions stratégiques. D’ailleurs, même aux États-Unis, les aéroports demeurent publics, c’est dire…

Le référendum d'initiative partagée (RIP), c'est quoi ?

Le gouvernement a fait voter une loi l'autorisant à privatiser le groupe Aéroports De Paris, à le vendre à des sociétés privées.
248 parlementaires de tous les groupes politiques, à l’exception de la majorité présidentielle, ont jugé très grave cette privatisation et considéré que, s’agissant d’un bien d’intérêt national, il était nécessaire que la décision revienne au peuple, aux citoyens. Ces parlementaires ont réussi à déclencher la procédure de Référendum d’Initiative Partagée. Inscrite depuis 2008 dans la constitution française, une telle procédure n’a jamais pu commencer jusqu'ici. Désormais pour que ce référendum soit convoqué il faut recueillir 4,73 Millions de signatures de citoyennes et citoyens inscrits sur les listes électorales.
Quel que soit votre avis sur la privatisation d’ADP, signez la demande de référendum pour faire vivre une démocratie plus citoyenne !
Pour que le peuple ait la parole, cela dépend maintenant de nous !

La privatisation d'ADP : une aberration économique. On spolie les Français !

Le gouvernement Macron brade les bijoux de famille au mépris de l’avenir

Les privatisations prévues par le gouvernement dans la Loi PACTE réduiront de 12% le portefeuille d’actions publiques, réduisant la place de l’État dans l’économie nationale et l’exposant davantage à des choix purement financiers ou à des ingérences étrangères.
Selon le gouvernement, le produit des privatisations (celle d'ADP, mais aussi d'ENGIE et de la Française des Jeux) devrait pour une part alimenter un fonds d’innovation de 10 milliards d’euros, espérant ainsi des revenus autour de 250 millions d’euros par an.
L’argument du soutien à l’innovation ne tient pas : il y a bien d’autres solutions pour trouver les 250 M€, comme cibler une partie des 50 milliards de CICE et de Crédits Impôts recherche ou rétablir l’ISF !
La seule vente des actions de l’État pourrait atteindre au maximum 9 milliards d’euros, or il faudra déduire de cette somme l’indemnisation des actuels actionnaires privés estimée au moins à un milliard d'euros.
L’État perdrait donc les sommes importantes que lui rapporte aujourd’hui ADP : 180 M€ de dividendes en 2018 ! Tous les experts estiment que cette somme va fortement s’accroître. Avec ENGIE et la FdJ, les dividendes étaient déjà bien supérieurs aux 250 M€ annuels escomptés du fonds pour l’innovation. C'est donc une mauvaise opération financière pour les Français(es) mais pas pour les futurs actionnaires !

En privatisant un monopole, on accorde une rente au privé

Les aéroports parisiens appartiennent à ADP, qui est en situation de monopole (public). Les futurs propriétaires pourront augmenter les tarifs et baisser la qualité. Un cahier des charges est censé poser des garanties : on nous avait dit la même chose pour les autoroutes… et 70 ans c’est long ! Un tel cahier des charges ne pourra pas garantir grand-chose sur cette durée. On nous expliquera alors qu’il faut allonger la concession pour l’adapter !

Une concession très longue qui risque d’aller au-delà des 70 ans annoncés

Une telle durée devrait permettre au concessionnaire d’amortir facilement ses investissements. Pourtant, il est prévu, à la fin de la durée de la concession une extravagante indemnisation financière par l’État ! Celui-ci ne pourra pas verser cette indemnisation, et nous devrons laisser cette concession à vie aux entreprises privées. La méthode est connue, le résultat aussi.

Même pour les libéraux, dans le cas des aéroports, la privatisation n’est pas justifiée

Une fois la concession attribuée, le privé dispose d'un monopole, donc la concurrence ne joue pas. C’est d’ailleurs ce qui explique que même aux États-Unis la plupart des aéroports demeurent publics, car les Américains estiment aussi que ces infrastructures sont stratégiques.
ADP dispose d'importantes réserves financières (sur lesquelles l’entreprise qui l’achètera fera main basse) pour lui permettre de financer des investissements afin d'améliorer et moderniser les aéroports. La gestion récente d'ADP a été conditionnée à l’objectif de sa vente, donc en privilégiant les rendements financiers sur la qualité du service et sur l’emploi. C'est pourquoi nous revendiquons une gestion publique nouvelle au service des usagers et de l’intérêt général.

Souveraineté nationale : ADP c’est stratégique !

Au-delà de la vente d’un fleuron économique, ADP est une frontière et une entreprise stratégique. Elle doit rester publique pour plusieurs raisons :

La sécurité : Les aéroports parisiens sont une frontière avec des enjeux de contrôles et de sécurité. Selon le gouvernement, il n’y aurait aucune inquiétude à avoir puis que l'État conserverait toutes ses activités régaliennes (sécurité des pistes et des bâtiments, contrôle des passagers, des marchandises et du trafic aérien). Or leur efficacité dépend de l’organisation globale des aéroports. La sécurité ne s'y limite pas à seule autorité des forces de police mais tient aussi à la configuration des bâtiments et leur usage. Un opérateur privilégiera la maximisation des surfaces commerciales, bien plus rentables que celles dédiées aux contrôles.

Ingérence étrangère : Suite à la privatisation de l’aéroport de Toulouse, la Cour des Comptes a critiqué « un acquéreur dont le profil soulève des inquiétudes » quant à « son manque d’expérience en matière de gestion aéroportuaire », « son manque de transparence financière » et ses « liens avec la puissance publique chinoise ». ADP est bien plus grand que l’aéroport de Toulouse, voulons-nous prendre le risque de le laisser potentiellement à des puissances étrangères ?

ADP, c’est le hub d’Air France : Si l’aéroport n’est pas organisé pour faciliter son activité à un coût abordable, la compagnie nationale Air France sera fragilisée. Si KLM – alliée d'Air France – est si performante, c’est grâce à la faiblesse des frais aéroportuaires de l'aéroport de Schiphol au Pays-Bas. L’encadrement des tarifs avec l’État ne garantit pas qu'Air France soit protégée de fortes augmentations (cf. autoroutes). Les difficultés économiques d’Air France, 1er client d’ADP, risquent de s'accroître.

ADP et ses réserves foncières : Le groupe possède près de 6.700 hectares dans des territoires stratégiques situés autour de Paris et dans Paris ; l’État perdrait donc le contrôle de l’aménagement. L’État se priverait d'une énorme manne financière au profit d’investisseurs privés. Et pendant ce temps-là, l’État et les collectivités locales, nos impôts, financeront les investissements de développement des Aéroports parisiens, mais les bénéfices tomberont dans l’escarcelle des futurs actionnaires.

Des risques écologiques accrus : Les perspectives de croissance de l'aérien sont déjà très élevées ; il faudra maîtriser cette croissance qui n’est pas sans conséquences pour les riverains, déjà fortement impactés par le bruit et autres nuisances. Pour les grandes entreprises, les nuisances, ce sont au contraire les normes ! Prendre en compte la vie quotidienne des riverains et l’intérêt général, c’est aussi ça une entreprise publique. 
Cette privatisation absurde à tous points de vue s’inscrit dans la vision très libérale d’Emmanuel Macron : moins d’État et de services publics, au détriment des citoyens, au bénéfice des marchés et des actionnaires.

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23 juillet 2019 2 23 /07 /juillet /2019 08:17

Aujourd'hui, l'Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur la ratification du traité de libre-échange entre l'Union européenne et le le Canada. Evidemment, j'enjoins toutes les députées et tous les députés à voter contre cette ratification.

Ce dernier est déjà en application provisoire depuis le 21 septembre 2017, suite à sa ratification par le Parlement européen. Rien que cela en soi démontre une grave défaillance à l'égard de la souveraineté populaire.

On se rappelle que le Gouvernement Macron-Philippe avait demandé à une commission d'expert d'évaluer le traité : il n'a tenu aucun compte de ses conclusions.

La commission d’évaluation présidée par Madame Katheline Schubert avait remis le vendredi 8 septembre 2017 ses conclusions au gouvernement sur le CETA. Ce rapport reprend en effet la plupart des réticences déjà soulevées depuis des années par les ONG, syndicats et parlementaires européens et nationaux, au cours de leur travail de fourmi pour l’analyse de ce texte aride, négocié dans le secret le plus absolu.

Le rapport souligne plusieurs des faiblesses de l'accord, à commencer par son « manque d’ambition » sur le plan environnemental. Cet accord ne contient, en effet, ni engagement contraignant en matière climatique ni disposition pour limiter le commerce des énergies fossiles. En outre, en renforçant les flux commerciaux, il devrait mécaniquement augmenter l’émission de gaz à effet de serre, faute de s’attaquer au transport de marchandises. On voit d'ailleurs difficilement l'intérêt à déplacer sur des milliers de kilomètres des produits déjà produits en quantité en Europe et en France, pour lesquels nous n'avons aucun besoin supplémentaire.

Le rapport relaie également les inquiétudes des agriculteurs et ONG européens, qui savent que la libéralisation des échanges agricoles va donner la primeur au moins-disant canadien en matière de normes sanitaires et environnementales, affaiblissant du même coup l’agriculture européenne. Il relève ainsi les « exigences moindres » du Canada sur les pesticides, les OGM ou encore les activateurs de croissance (hormones et antibiotiques) : « Le risque est que le CETA ne fournisse pas des conditions favorables aux objectifs de la transition écologique de l’agriculture ».

Chacun connait les craintes légitimes exprimées largement par les associations, les organisations professionnelles et de nombreux parlementaires sur les conséquences éventuelles de cet accord qui pourrait entraver la capacité des États à réglementer dans le domaine de l’environnement et de la santé. Les neuf experts n’ont pu dissiper ces inquiétudes : « les dispositifs actuels liés à l’application (…) du principe de précaution ne sont pas remis en cause », mais « l’absence de citation explicite de ce terme dans le texte de l’accord crée (…) une incertitude sur l’éventualité de contestation par le Canada de dispositifs futurs ». Signe de la complexité et de l’imprévisibilité de ces accords commerciaux, dont les effets ne peuvent souvent être pleinement évalués que plusieurs années après leur entrée en vigueur.

Le mécanisme d’arbitrage international pourrait également amputer le pouvoir normatif des gouvernements et donner à diverses multinationales la possibilité d’attaquer les États et donc de peser à la baisse sur leurs législations sociales, sanitaires et écologiques ; au demeurant de nombreuses sociétés basées aux USA étant également implantées au Canada, celles-ci peuvent avec le CETA contourner l'abandon (provisoire) du TAFTA pour mettre en cause nos puissances publiques en Europe. La Belgique avait engagé sur les mécanismes d'arbitrage une procédure de saisine de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) ; quelques rares parlementaires avaient demandé au gouvernement français de s'associer à cette démarche, ils n'avaient évidemment pas été entendus.

La commission Schubert recommandait enfin l’introduction d’un « veto climatique », qui protégerait le Canada et les États de l’Union européenne contre tout contentieux lié à leurs mesures de lutte contre le changement climatique. Force est de constater qu'un tel veto n'existe pas (cf. article publié ce matin dans L'Express). Nous avons tous compris quelle était la véritable orientation des différents signataires du CETA : le Premier ministre canadien Justin Trudeau est le seul à pouvoir contester à la Commission et à Macron la palme de la duplicité et de la mauvaise foi. Lundi 17 juin, son gouvernement faisait voter par les députés canadiens une motion « d’état d’urgence climatique ». Et le… lendemain, les mêmes décidaient de construire un nouvel énorme pipeline acheminant le pétrole de l’Alberta vers les États-Unis. Ce tuyau traversera le territoire de 129 peuples natifs d’Amérique et portera la capacité canadienne de 300.000 barils de pétrole bitumineux par jour à 900.000. Voilà le genre de gouvernements avec lequel nos dirigeants proclament leur attachement à l’Accord de Paris. Voilà la vraie signification de « Make Our Planet Great Again ».

Je crains que notre système institutionnel ne biaise malheureusement le débat parlementaire : la soumission de l'Assemblée nationale à l'exécutif induite par le régime de la cinquième République laisse peu d'espoir pour aujourd'hui (raison de plus pour revenir à une république pleinement parlementaire). J'ai peine à croire à un sursaut d'indépendance lucide aujourd'hui ; je mets plus d'espoirs - même si cela sera compliqué - dans le Sénat à l'automne 2019.

Un dernier mot : je ne suis pas un fan de la jeune Greta Thunberg, qui interviendra aujourd'hui dans un salon de l'Assemblée nationale, à l'invitation d'une centaine de députés, dont une partie se servira de cette réunion pour se blanchir de la forfaiture que représentera leur vote éventuel en faveur de la ratification ou leur abstention. Le #Greenwashing vaut aussi bien en politique que dans le capitalisme. Je trouve que cette adolescente développe un discours fondé exclusivement sur la peur, à résonance religieuse, qui ne me paraît pas adéquat pour inciter à l'action. Cependant le dénigrement à son égard ne sert par ailleurs qu'à camoufler un discours réactionnaire et "climato-sceptique"... Ne soyons dupe ni d'un versant ni de l'autre.

Frédéric FARAVEL

CETA : les députés français ont aujourd'hui rendez-vous avec la planète. Deux options : la honte ou l'honneur !
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27 mai 2019 1 27 /05 /mai /2019 12:41
Élections européennes : Tout change pour que rien ne change... mais ensuite ?

Les résultats de l'élection européenne en France, même avec des évolutions tenant à la continuité des scrutins du printemps 2017 et d'une opposition d'une nouvelle forme à l'exécutif, reprend un schéma déjà connu lors des précédentes élections européennes.

La participation en hausse rompt cependant une logique d'augmentation constante de l'abstention dans ces élections, qui tranche aussi avec le score catastrophique de la participation aux élections législatives de juin 2017. Cette hausse de la participation au profit du RN et d'EELV marque pour le coup une volonté de sanctionner l'exécutif actuel, ce qui se traduit aussi au travers du score d'autres listes à gauche.

Le score du Front National d'abord, rebaptisé pour la forme Rassemblement national...

La hausse de participation fait gagner près de 560 000 voix mais cette progression en voix est insuffisante pour avoir un pourcentage équivalent à celui qu'il avait atteint en 2014 (23,31 contre 24,86%), même en lui ajoutant le score de la liste de Florian Philippot (147 044 voix et 0,65%). Néanmoins, le pourcentage de l'extrême droite est supérieur à celui de la présidentielle et évidemment bien supérieur à celui des législatives : il faut donc considérer que le RN est en dynamique. Les dégâts créés par les politiques libérales mises en œuvre à marche forcée sous Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron nourrissent évidemment l'extrême droite, qui sert en retour d'assurance vie électorale aux Libéraux qui appellent et appelleront encore à voter pour eux « utilement » pour « faire barrage » à l'extrême droite. L'extrême marché et l'extrême droite ne s'opposent pas, ils forment un duo qui met chaque jour un peu plus la démocratie et la République en danger. La dramatisation mise en scène par LREM et Emmanuel Macron pendant la campagne a joué à plein : Emmanuel Macron a désigné à l'électorat quel était le « meilleur » viatique pour le sanctionner en identifiant clairement Marine Le Pen et le Rassemblement national. La mobilisation accrue dans les « territoires périphériques » a nourri le vote pour l'extrême, ce qui aboutit à deux conclusions : les sondages en comptant sur une participation substantiellement plus faible avaient donc surestimé le score du RN ; le sondage publié par France 2 hier indiquant que 38% des électeurs se définissant comme « Gilets Jaunes » qui auraient voté hier auraient porté leurs suffrages sur le RN, ce qui est logique puisque voulant sanctionner Macron, ils ont pris à la lettre la consigne de Macron. Le Président de la République est donc un dangereux apprenti sorcier qui a perdu le pari dont il avait lui-même fixé le prix.

Le score de la liste LREM ne sort pas nulle part...

La base présidentielle de la majorité présidentielle se maintient. Mais sur un taux de participation comparable, la majorité présidentielle s'effondre : LREM ne recueille que 5 076 363 voix et 22,4% contre 7 323 496 voix et 32,32% ; c'est donc une perte sèche de 2,3 millions de suffrages et de 10 points. En y ajoutant le score de la liste UDI, qui est à cheval entre l'opposition de droite et la majorité présidentielle, cette perte n'est pas compensée et de loin (566 746 voix et 2,5%), soit une perte limitée à 1,8 million de voix et 7,5%.

Cependant, au-delà de la prise en compte de l'irruption présidentielle et législative du parti macroniste, qui avait vocation à rassembler les libéraux de droite et de gauche autour de son « populisme libéral », il faut rappeler le score de la liste MODEM-UDI de 2014 qui avait rassemblé 1 884 565 suffrages et 8,95% des exprimés, à comparer avec les 24,91% des suffrages exprimés en 2019 pour la liste Loiseau et celle de l'UDI. L'extrême centre allié à l'extrême marché a donc augmenté de 15 points entre les deux élections européennes ; le score de LREM dans le scrutin du 26 mai 2019 s'explique donc par l'effondrement de la liste de la droite républicaine, hier 20,8% aujourd'hui 8,48% : une perte de 12,3 points qui s'est reportée sur LREM, ce qui se vérifie localement dans de nombreuses collectivités où le vote LREM remplace le vote UMP. Cependant l'effondrement de la droite UMP-LR aux européennes ne suffit pas expliquer les 22% de LREM pour le scrutin du 26 mai : il reste 3 points qui viennent de ce qui était l'électorat PS avant les présidentielles, il faut croire que plusieurs centaines de milliers d'anciens électeurs du PS ne considèrent toujours pas que l'action de l'exécutif est de droite ou alors qui s'en accommodent car ils étaient préalablement convertis aux solutions libérales qui trouvaient leur traduction dans les ambiguïtés du PS « hollandais ».

Les Européennes : un sport où les écolos gagnent à la fin ?

Les écologistes font traditionnellement de bons résultats aux élections européennes (parfois aussi à d'autres élections intermédiaires au scrutin proportionnel comme les régionales). Ils avaient émergé sur la scène politique française en 1989 avec les 10,59% de la liste Waechter ; ils sont par la suite toujours dépasser les 7% sauf en 1994 où la berezina à gauche et la violence des luttes internes au sein des Verts les avaient marginalisés. On se souvient du score de Daniel Cohn-Bendit en 2009 avec ses 16,28% : le schéma d'alors se répète aujourd'hui avec la liste EELV de Yannick Jadot, qui recueille 3 052 406 voix et 13,47%, 1,3 millions de suffrages supplémentaires par rapport à 2014. Oui la préoccupation écologique est aujourd'hui plus forte et explique la progression du vote écologiste. Mais EELV a été largement sous-estimée dans les sondages, notamment dans les dernières semaines de la campagne, qui n'avaient pas pris en compte la hausse de la participation constatée hier soir : le renfort lui vient de ce surcroît de participation « imprévu », notamment dans la jeunesse (en tout cas dans celle qui s'identifie, même vaguement, à la gauche) qui a préféré cette fois-ci voter écologiste. C'est un schéma déjà connu – disais-je – car en 2009 le vote Cohn-Bendit avait été porté à 16% par un électorat de gauche sanctionnant un PS empêtré dans ses violents débats internes portés sur la place publique après le calamiteux congrès de Reims (fin 2008).

Autre phénomène, alors que la préoccupation écologique est aujourd'hui largement partagée – tout parti de gauche se revendiquant aujourd'hui écologiste –, ni la France insoumise, ni Génération●s, ni le tandem PP/PS n'a réussi à convaincre qu'ils portaient mieux cette aspiration qu'EELV.

Reste à savoir ce qu'EELV fera de ce score ; jusqu'ici les résultats relativement positifs des écologistes ne se sont jamais reproduits à des scrutins nationaux. Personne ne sait si demain ce schéma se perpétuera. D'autant qu'il y a une ambiguïté dans le positionnement politique de Yannick Jadot et d'EELV pour l'avenir, tant au niveau national qu'européen. Après une campagne où la liste écologiste s'est extrait du clivage droite-gauche, le leader écologiste français a annoncé la construction d'un grand mouvement écologiste ayant vocation à dépasser la gauche, donc positionné sur le centre de l'échiquier politique. Peu de chances donc que ce futur grand mouvement écologiste permette d’œuvrer à la recomposition de la gauche française. Au niveau européen, la confusion est plus grande encore : à l'exception de Ska Keller, candidate des écologistes à la présidence de la Commission européenne, qui défend le rassemblement à gauche, les Grünnen qui pèseront plus que jamais dans le groupe écologiste au Parlement européen sont clairement orientés au centre et ouverts aux alliances avec les conservateurs. Il est probable que ce groupe participe dans quelques semaines à des coalitions à géométrie variables avec le PPE, le PSE et les Libéraux de l'ALDE. Les écologistes français risquent donc d'être pris dans les conflits et incohérences politiques des écologistes européens.

Les gauches, éparpillées façon puzzle...

Comme prévu, le tour de passe-passe du PS avec « Place publique » et Raphaël Glucksmann n'a pas permis d'enrayer la dégringolade d'un PS qui n'a toujours pas tranché fondamentalement avec les dérives du quinquennat Hollande. En comparant l'élection européenne avec les élections législatives de juin 2017 (participations comparables), le score du PS passe de 7,44% à 6,19%, perdant encore plus de 280 000 voix. Cette perte peut être compensée si on tient compte du score de Génération●s, dont la liste était conduite par l'ancien candidat PS à la présidentielle Benoît Hamon : 741 2012 voix et 3,27% des suffrages exprimés. Mais si on compare les élections européennes de 2014 et de 2019, la chute est radicale : la liste Glucksmann prétendait rassembler outre son micro-parti, le PS, le PRG et Nouvelle Donne ; en 2014 la liste PS-PRG recueillait encore 2 650 357 et 13,98% et la liste Nouvelle Donne atteignait 549 734 et 2,9%, soit cumulées 16,88%, à comparer avec les 9,46% cumulés des listes PP/PS et Génération●s, une chute de 7,42 points. Les responsables du PS croient avoir limité la casse avec cette élection, en se rassurant à bon compte de retrouver un score relativement proche de l'élection présidentielle (mais en de plus de 1,2 point en dessous des législatives donc) : la composition de la liste PP/PS et de ses élus raconte cependant autre chose : sur les 5 élus (en attendant que la 6e, Nora Mebarek, première secrétaire fédérale du PS des Bouches-du-Rhône, rejoigne peut-être un jour, après le Brexit, le Parlement européen), deux seulement sont membres du PS, à savoir Eric Andrieu et Sylvie Guillaume, tout deux eurodéputés sortants ; les autres sont le résultat d'un effacement du PS qui n'a d'ailleurs pas plu à tous dans ce parti, avec Raphaël Glucksmann –  au sujet duquel quelques trolls de fin de campagne ont rappelé les propos violents qu'il tenait il y a peu encore sur ce parti , Aurore Lalucq  qui avait annoncé qu'elle ne siégerait pas dans le groupe social-démocrate mais dans celui des écologistes , et l'inénarrable Pierre Larroututrou  qui a écumé différents partis en fonction de ses intérêts personnels et dont la fiabilité légendaire l'avait même conduit à se faire temporairement virer en 2016 du parti Nouvelle Donne qu'il avait fondé. Le PS sera d'autant plus affaibli au sein du groupe parlementaire S&D dans lequel les pro-Macron sont majoritaires.

La situation à la gauche de ce pôle n'est pas réjouissante non plus mais n'est pas désespérée si on compare avec l élection européenne de 2014. Au regard de la présidentielle et des législatives, la France insoumise subit un revers évident, 13 points et 5 points en retrait avec 1 428 386 voix et 6,31% : l'élection de 6 eurodéputés de cette liste relativement inédite n'y change rien, même à titre personnel je me réjouis de l'élection de Manon Aubry la tête de liste et de la réélection d'Emmanuel Maurel qui avait effectué un premier mandat de qualité. Autre déconvenue, le score de 2,49% du Parti Communiste français (564 717 voix) qui avait réalisé une excellente campagne avec Ian Brossat et qui ne se fera donc pas rembourser ses dépenses de campagne et se retrouve sous son score des élections législatives (615 603 voix et 2,72%). On mesure à quel point la division entre ses deux listes qui défendaient des programmes quasiment identiques a été contre-productive. Néanmoins, si on compare avec l'élection européenne de mai 2014, les listes France Insoumise (alliée à la Gauche Républicaine & Socialiste) d'une part et du PCF d'autre part recueillent à elles deux près de 2 millions de voix et 8,8% des suffrages exprimés, soit 750 000 voix de plus que la liste du Front de Gauche qui réunissait le PCF et les proches de Jean-Luc Mélenchon et 2,2 points supplémentaires.

La gauche n'est donc pas morte mais divisée elle ne peut prétendre à représenter aucune alternative. Additionnées les listes évoquées dans ce paragraphe rassemblent plus de 4,1 millions de voix et 18,5% des suffrages, ce qui aurait pu représenter quelques 14 à 16 eurodéputés. La liste Manon Aubry comptera 6 eurodéputés, la liste Glucksmann 5 eurodéputés... Mais surtout une telle force éparpillée ne peut prétendre concourir sérieusement à l'élection présidentielle qui reste la clef des institutions verrouillées de la Vème République. Un rassemblement paraît nécessaire pour engager une dynamique, malgré l'inconnue du positionnement d'EELV dont une candidature séparée du reste de la gauche pourrait hypothéquer la présence de la gauche et des écologistes au second tour de l'élection présidentielle (les scores cumulées des listes PCF, LFI, Génération●s, PP-PS et EELV représentent 31,97%, de quoi être largement en tête au premier tour de l'élection présidentielle).

Ce rassemblement apparaît nécessaire mais est-il possible demain matin ? Évidemment que non : l'union est un combat ! Il faudra dépasser les reproches du PCF face à la violence de LFI à son égard, malgré leur évidente convergence programmatique ; dépasser le souvenir des noms d'oiseaux adressés par Génération●s à LFI ; dépasser la qualification de « populiste » dont le PS affuble LFI pour l'exclure des discussions et la méfiance générale de tous les partis de gauche contre le PS après des années d'hégémonisme et le quinquennat Hollande. Au demeurant, tous les partis qui expliquaient que le rassemblement était empêché par Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise n'ont pas réussi à s'unir pour autant une fois LFI mise à l'écart ; LFI ouvrant par ailleurs sa liste aux militants socialiste de la Gauche Républicaine & Socialiste.

Le PS n'a évidemment toujours pas totalement fait le deuil du hollandisme, l'ancien Président espérant revenir, son dernier premier ministre – Bernard Cazeneuve – espérant redevenir le point nodal de la « gauche de gouvernement » (typologie ne rassemblant que le PS et ceux que Cazeneuve espère pouvoir détourner de LREM, ce qui ne fait pas une majorité pour autant), les dirigeants du PS n'ayant plus largement pas compris la cohérence intrinsèque de la politique conduite par François Hollande de 2012 à 2017 et préférant ne concevoir qu'une ambiguïté originelle... Il suffit de lire le discours d'Olivier Faure sur le bilan et l'inventaire du quinquennat pour s'en convaincre. La question des élections municipales sera un rendez-vous déterminant puisque le PS espère préserver à cette occasion son implantation locale (ou plus improbablement l'étendre) et rappeler sa prédominance à gauche ; mais il n'aborde pas la préparation de ces élections avec une stratégie unifiée, car selon les endroits ses candidats tenteront des alliances à gauche, reconduisant les coalitions existantes ou s'essaieront avec des rassemblements plus ou affirmées avec LREM. Tout n'est pas tranché à ce stade, mais comme il n'est pas non plus improbable qu'une partie du PS explique à l'approche de l'élection présidentielle qu'il faudra « faire barrage » à l'extrême droite et soutenir dès le premier tour Emmanuel Macron.

* * *

L'union est un combat, ce sera difficile mais nous n'aurons pas le choix : il faudra dépasser les sectarismes, non pas chercher à se convaincre les uns les autres que sa philosophie personnelle serait la meilleure, mais bâtir un programme de gouvernement et donner des gages sur la solidité des engagements pris. La question européenne reviendra sur le devant car tout gouvernement de gauche qui se respecte ne saurait présenter un programme sérieux sans affronter l'institutionnalisation de l'ordo-libéralisme au sein de l'Union européenne, sauf à être contraint à l'impuissance, au renoncement et donc à l’opprobre de ses électeurs.

Sur cette voie, la Gauche Républicaine & Socialiste peut être utile car depuis sa fondation elle propose de créer un nouveau Front populaire ; « Place publique » pourrait également être utile car elle pourrait peser sur le PS pour rompre plus nettement avec le hollandisme.

2019, « Gauche, année zéro » : retroussons nous les manches !

Frédéric Faravel

L'Hôtel de Ville de Bezons (95)

L'Hôtel de Ville de Bezons (95)

Focus sur la commune de Bezons

A Bezons dans le Val-d'Oise, commune populaire ancrée à gauche, la participation aux élections aux élections européennes a également augmenté entre 2014 et 2019 de 4,4 points et de plus de 800 votants, mais n'a pas dépassé les 37%. C'est peu de dire que le scrutin de dimanche n'a pas de signification politique déterminante.

Néanmoins on peut tirer quelques éléments :

  • le Rassemblement national perd 5 voix et 3.4 points : la hausse de participation ne lui a pas profité ;
  • LREM arrive en tête avec 1121 voix et 20,05% et remplace globalement la représentation de la droite républicaine (LR fait 4,94% quand l'UMP rassemblait 15,4% en 2014) en conservant les voix qui s'étaient portés sur la liste centriste en 2014 ;
  • Le score du PS et de ses alliés (Place publique, PRG, Nouvelle Donne) s'effondre par rapport aux listes présentées en 2014 par le PS et Nouvelle Donne en passant d'un résultat cumulé de 685 voix et 14,4% à 330 voix et 5,9%. Il faut y ajouter Génération.s dont les représentants locaux n'ont pas grand chose à voir avec le PS : 307 voix et 5,49%. Ensemble ils perdent 3 points entre 2014 et 2019 ;
  • Le score du Front de Gauche en 2014 (891 voix et 18,73%) se retrouvent en 2019 dans le cumul des listes concurrentes du PCF (313 voix et 5,6%) et de la France insoumise (alliée à la Gauche Républicaine & Socialiste) qui recueille 638 voix et 11,41%. A elles deux, elles cumulent 951 voix mais seulement 17% (décalage dû à la hausse de la participation).

Plus que jamais à Bezons, la question du rassemblement de la gauche autour de Dominique Lesparre, maire communiste de la commune, sera donc un enjeu majeur. Si les acteurs de gauche de la commune sont prêts à le faire, l'attitude des représentants locaux du PS, qui se sont rapprochés à grand pas de LREM ses dernières semaines, fait peser un danger lourd sur l'avenir de la ville : à nous de le conjurer.

Frédéric Faravel

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12 mai 2019 7 12 /05 /mai /2019 11:37

La coquille vide du PSE commence à imploser vers le centre-droit.

Alors que Raphaël Glucksmann indiquait qu’il fallait siéger dans le groupe S&D (dominé par le PSE) afin de lui permettre d’être majoritaire – objectif inatteignable au demeurant –, il semble même que le Parti socialiste européen soit lui-même en train d’imploser :

1- Frans Timmermans – son candidat à la présidence de la commission européenne, dont il était le premier Vice-président auprès du conservateur luxembourgeois Jean-Claude Juncker – fait depuis plusieurs semaines des appels du pied aux Libéraux de Guy Verhofstadt que devraient rejoindre les futurs élus macronistes, ce qui incite Glucksmann à proposer une alternative improbable en suggérant que Paul Magnette, un des leaders socialistes wallons le remplaça au dernier moment alors que Magnette ne songeait pas même siéger au Parlement européen ;

2- Matteo Renzi, ancien premier ministre et un des leaders du Parti démocrate italien, a clairement choisi son camp en intervenant par vidéo interposée au meeting strasbourgeois de LREM. Or le Parti démocrate italien, réintégré depuis quelques années dans le Parti socialiste européen, constituait le 2e contingent le plus important du groupe S&D (26) derrière le SPD allemand (27) sur les 185 membres initiaux du groupe. Or le PDI étant promis de 15 à 20 eurodéputés le 26 mai c’est une nouvelle hémorragie à attendre du PSE/S&D vers l’alliance entre l’ALDE et les macronistes ;

3- Antonio Costa, premier ministre socialiste portugais, a apporté également un soutien à Emmanuel Macron, dans un propos à mi-chemin du ton diplomatique et de la naïveté de celui qui considérerait que LREM serait une scission de centre-gauche du Parti socialiste français [edit : a bien regarder la vidéo diffusée lors du meeting de Strasbourg par LREM, Costa n’intervient pas comme un premier ministre exposant ses convergences avec un chef d’État d’un autre pays membre, mais bien comme représentant du PS portugais qui apporte un soutien à des adversaires de son parti frère] ;

4- C’est la confusion schizophrénique au sein du SPD allemand, écartelé entre sa présidente Andrea Nahles (qui a cependant défendu le maintien de la Grande Coalition avec la CDU-CSU) et le président des Jusos Kevin Kühnert qui travaillent à réorienter à gauche les positions du parti, d’un côté, Sigmar Gabriel - ancien Président du SPD et actuel ministre fédéral des affaires étrangères – qui avec l’hebdomadaire Vorwärts voue un Amour passionné à Emmanuel Macron, de l’autre, ou encore Olaf Scholz, ministre fédéral SPD à l’économie, qui partage la position de la présidente de la CDU qui a humilié Macron en proposant de transformer le siège permanent de la France au conseil de sécurité de l’ONU en siège de l’Union européenne ;

5- ajoutez à cela les travaillistes néerlandais ou les sociaux-démocrates danois pro-Macron, et les socialistes bulgares, roumains ou slovaques qui alternent entre mafia et accord avec l’extrême-droite... il ne restera bientôt plus dans le PSE que les socialistes espagnols ou wallons à avoir un peu la tête sur les épaules...

Donc le sujet n’est plus de savoir si de futurs eurodéputés français de gauche siégeront dans un groupe qui pèsera à gauche en sous-entendant que le PSE/S&D pourrait servir de viatique, alors que le Parlement européen dispose de peu de pouvoirs : cette hypothèse est parfaitement invraisemblable !

Si vous êtes de gauche, si vous voulez défendre une réorientation de la construction européenne, il vous faut élire le plus possible de député.e.s de combat pour contester l’ordre établi, stopper les textes libéraux soumis au Parlement européen et proposer des alternatives dans le débat public. Pour cela le seul vote efficace c’est celui en faveur de la liste de la France insoumise conduite par Manon Aubry, avec des élus de qualité comme Emmanuel Maurel ou Younous Omarjee... et d’autres encore si vous leur en donnez la possibilité.

Frédéric FARAVEL

Nouvelle étape de la décomposition de la social-démocratie européenne
Nouvelle étape de la décomposition de la social-démocratie européenne
Nouvelle étape de la décomposition de la social-démocratie européenne
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17 avril 2019 3 17 /04 /avril /2019 11:21

La politique commerciale est une politique exclusive de l'Union européenne (UE), le seul interlocuteur en interne comme en externe est la Commission, qui en tant que négociateur représente les 28 États.

Le traité de Nice, entré en vigueur en 2003, soumet les accords portant sur le commerce des services et des aspects commerciaux de la propriété intellectuelle à la compétence exclusive de l'Union, mais en règle générale, ces accords doivent être approuvés par le Conseil à l'unanimité après consultation du Parlement européen.

L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009 donne au Parlement européen un rôle équivalent au Conseil européen (procédure législative ordinaire) pour définir le cadre dans lequel est mise en œuvre la politique commerciale. En conférant une nouvelle compétence exclusive de l'UE aux services culturels et audiovisuels, aux services d'éducation, sociaux et de santé humaine ainsi qu'aux investissements à l'étranger, le traité étend désormais cette compétence à la quasi-totalité des accords commerciaux. Enfin, la majorité qualifiée est requise pour certains accords concernant les services et aspects commerciaux de la propriété intellectuelle.

Les États membres n'assistent pas aux négociations et là où ils sont présents, (OMCetc.) ils ne prennent la parole qu'au titre national et non-européen. Mais le traité instaure un processus de décision équilibrée assurant la capacité de négociation de l'UE. Les États membres (et le Parlement) disposent de deux atouts essentiels : la possibilité d'ouvrir des négociations avec les pays tiers (adoption de mandat) et la possibilité de conclure des accords négociés (art. 218). Il revient également à la Commission d'informer régulièrement les États membres et – en théorie – le Parlement pendant les négociations.

Enfin, les accords sont, à l'issue des négociations internationales, signés et ratifiés par le Conseil de l'UE, et nécessitent l'approbation du Parlement européen.

Pour la négociation et la conclusion des accords, le Conseil statue normalement à la majorité qualifiée. L'unanimité des États membres demeure cependant requise dans trois domaines :

  • dans le domaine du commerce des services, des aspects commerciaux de la propriété intellectuelle et des investissements directs étrangers, lorsque l'accord négocié comprend des dispositions pour lesquelles l'unanimité est requise pour l’adoption de mesures internes (parallélisme entre règles internes et règles externes) ;

  • dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque les accords négociés risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'UE. Cette mesure d'"exception culturelle", avancée en particulier par la France, évite de remettre en cause les aides nationales et européennes accordées dans ce secteur ;

  • dans le domaine du commerce de services sociaux, d'éducation et de santé, lorsque les accords négociés risquent de porter atteinte à la compétence des États membres pour la fourniture de ces services.

En matière d'accords avec des pays tiers, l'UE s'est engagée en faveur du « Programme de Doha pour le développement », un cycle de négociations multilatérales visant à poursuivre la libéralisation mondiale des échanges tout en y intégrant le développement des pays pauvres, lancé en novembre 2001 sous l'égide de l'OMC. Mais ces négociations piétinent en raison de l'absence de consensus entre l'UE, les États-Unis et les autres blocs régionaux (G20, G90), en particulier sur les questions agricoles, les services et la propriété intellectuelle.

Sans remettre totalement en cause ses objectifs, la suspension du cycle de Doha en 2006 a dès lors multiplié le recours aux accords bilatéraux, y compris par l'UE.

Les évolutions de la politique européenne entrent parfois en contradiction avec ses positions initiales. En l'occurrence, le principe de "préférence communautaire" est atténué avec l'importante diminution du tarif extérieur commun (mais le commerce entre États membres représente encore 60% du total des échanges), tandis que le soutien à certains secteurs (agriculture, culture...) est considéré comme une entrave au commerce mondial par certains membres de l'OMC.

L'UE promeut des Accords de Libre-échange promeut portant non seulement sur la réduction des droits de douane pour les marchandises, mais aussi l'accès aux services, la lutte contre les barrières non tarifaires (comme les normes sanitaires), un meilleur accès aux marchés publics, la protection de la propriété intellectuelle (dont les Indications géographiques), l'application de règles strictes de concurrence ou encore le développement durable.

Ces accords selon la Commission européenne ont pour principaux objectifs de :

  • libérer l’accès aux marchés pour les entreprises européennes, voire fournir des débouchés aux secteurs en crise ;

  • créer des précédents pour un renforcement des règles multilatérales dans les domaines d'intérêt de l'UE (indications géographiques, marchés publics…) ;

  • retrouver des leviers d’influence à l’égard de pays peu sensibles aux demandes de l’UE ;

  • contribuer à une meilleure gouvernance internationale à travers le respect de clauses environnementales et sociales ambitieuses.

Le 28 novembre 2011, l’UE et les États-Unis mettent en place un groupe de travail de haut niveau sur la croissance et l’emploi, destiné à trouver des solutions à la crise économique, mené par Ron Kirk et Karel De Gucht. En juin 2013, le Conseil européen donnait à la Commission européenne un mandat de négociation avec les États-Unis pour la création d'une vaste zone de libre-échange, baptisée TAFTA ou TTIP, dans l’esprit de ce qui existe déjà sur le continent américain entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (Alena). Le but est de jeter les bases d’un immense marché commun – 820 millions de foyers – par une harmonisation progressive des réglementations et de la reconnaissance mutuelle des règles et normes en vigueur. Le 4 juillet 2013, le Parlement européen votait une résolution refusant le report des négociations malgré la surveillance américaine des communications des négociateurs européens.

Les négociations furent donc menées par la Commission européenne dans une totale opacité ; les parlementaires européens qui ont tenté d'accéder au dossier ont d'ailleurs fait l'objet d'une surveillance particulièrement intrusive et ne sont vus confier que des documents largement caviardés afin de protéger le secret des négociations. Les estimations de croissance mises en avant par ses promoteurs ont été largement contestées par les ONG : la signature d’un tel traité, « aboutissement de plusieurs années de lobbying des groupes industriels et financiers » qui implique « le démantèlement ou l’affaiblissement de toutes les normes qui limitent les profits des entreprises », selon ATTAC, aurait été destructrice d’emplois. Elle aurait également abouti à rien de moins que la fin de la souveraineté des États dans de multiples domaines : agriculture, environnement, industrie… Les positions de la France sur les OGM n'auraient plus été tenables dans le cadre de cet accord. Il en aurait été de même sur le dossier du gaz de schiste, et également sur les politiques de santé publique contre lesquelles les cigarettiers pourraient intervenir. Un des aspects du TAFTA, notamment, était extrêmement controversé  : celui qui prévoyait de confier à des instances arbitrales (et non à la justice publique) le règlement de conflits entre les sociétés multinationales et des États. Selon le TAFTA, si un pays prenait des mesures pour limiter la consommation de tabac, pour lutter contre la dégradation de l'environnement, pour protéger les données personnelles, il pouvait être traîné devant ces instances arbitrales par des groupes industriels s'estimant lésés... 

Finalement alors que le gouvernement français de François Hollande continuait d'espérer sa conclusion, les Européens – Allemagne en tête – constatèrent l'échec des négociations entre la fin de l'été et le milieu de l'automne 2016, alors que s'engageait en France et aux États-Unis des campagnes pour les élections présidentielles. Les candidats à la présidentielle avait pris leurs distances vis-à-vis du TAFTA, qui n'y était pas plus populaire qu'en Europe où une véritable mobilisation citoyenne commençait à prendre. Ainsi en Allemagne, l'opinion s'était largement retournée malgré le soutien des partis de la coalition d'Angela Merkel.

Fin de l'histoire ? Non, car un traité peut en cacher un autre. En l'occurrence le CETA, traité négocié dans la même opacité avec le Canada qui prévoit lui aussi une procédure de règlement des différends par des instances arbitrales. Or le CETA peut selon lui servir de cheval de Troie aux grandes firmes cherchant à imposer leurs intérêts aux États car elles ont toutes des filiales au Canada, et pourraient donc poursuivre les pays européens par ce truchement. Or en pleine campagne électorale française, le CETA – soutenu fortement par le gouvernement Hollande – était voté le 14 février 2017 par le Parlement européen (408 voix pour, 254 voix contre et 33 abstentions). Dans l'attente de sa ratification par les parlements nationaux des États membres de l'UE, celui-ci s'applique provisoirement depuis septembre 2017. Or au même moment, une commission d'experts réunie quelques mois plus tôt à la demande de l'exécutif français rendait son rapport. Si l’on prend la peine de le lire attentivement, toutes les craintes exprimées sur le CETA étaient relayées, notamment les risques de fragilisation du principe de précaution et de confrontation de deux modèles agricoles diamétralement opposés, au bénéfice exclusif des grandes exploitations fonctionnant de manière industrielle. Enfin, le rapport regrette l’absence totale d’ambition du CETA en matière de climat, « grand absent » de l’accord. Le gouvernement Macron ne donna aucune suite à ce rapport et on ne connaît toujours pas la date du débat parlementaire en France pour la ratification du CETA.

Au printemps 2017, la Commission européenne publiait un document de réflexion, intitulé « Maîtriser la Mondialisation », dont une partie était consacrée au commerce. Pour la première fois, elle reconnaissait certains effets négatifs de la mondialisation – l’augmentation des inégalités, notamment – mais elle ne proposait pour y remédier. Et pourtant, s’il y a bien une matière sur laquelle la Commission devrait revoir son approche, c’est bien sa politique commerciale. Depuis des années et encore plus depuis l’arrivée de Trump et sa stratégie du rapport de force, le libre- échangisme à outrance est présenté par la Commission européenne comme la seule réponse : c'est un acte de foi. La Commission a accéléré ainsi ses négociations avec le Mexique, le Japon1, le Mercosur ou le Chili, l’Australie, la Nouvelle Zélande, Singapour et le Vietnam. Selon la Commission européenne, il n'y aurait que deux manières possibles de faire du commerce : la fermeture totale des frontières (protectionnisme) ou l’ouverture maximale (libre échange). Ces deux voies sont dangereuses car destructrices de bien-être. Si elle n’évolue pas radicalement dans ses méthodes comme dans son contenu, la politique commerciale de l’Union européenne est condamnée. Il n’est pas ici question de remettre en cause l’importance du commerce pour nos économies mais d’acter l’échec du libre-échangisme généralisé, à tout point de vue : agriculture, industrie, travail, salaires, santé, environnement... Le « grand déménagement du monde » éloigne chaque jour un peu plus des incantations à sauver la planète.

Enfin en janvier dernier, les États-Unis ont proposé de relancer le partenariat transatlantique. Point de TTIP ou de TAFTA cette fois-ci, mais un nouvel accord sur mesure qui engloberait de très nombreux champs qui étaient présents dans les tentatives précédentes. Ce soi-disant traité « allégé » n’est qu’une façon de faire revenir par la fenêtre ce qui avait été politiquement chassé par la mobilisation des citoyens européens. Washington a en effet publié la liste de ses objectifs de négociation commerciale, et autant dire que tout y passe : biens industriels, agriculture, flux transfrontaliers de données, etc. Les États-Unis revendiquent une baisse des droits de douane, ce qui est déjà très critiquable, et une coopération et un alignement réglementaire progressif des deux zones de libre-échange. Pire, ils veulent nous empêcher d’interdire certains OGM qui sont utilisés sur le sol américain. Mais les propositions américaines n’en restent pas là. Alors que l’urgence climatique se fait de plus en plus pressante, et que nous assistons dès maintenant à des changements en profondeur de notre écosystème, aucune référence à la COP21 n’est présente dans les propositions qui émanent des institutions américaines. Nous sommes face à un défi civilisationnel et nous ne pouvons tolérer de telles aberrations qui mettent en cause la survie de nos sociétés démocratiques. Le Conseil européen a avalisé à la majorité qualifiée lundi 15 avril 2019 un mandat à la Commission européenne pour la reprise des négociations : le Président français Emmanuel Macron y a opposé un « non » de façade qui décrit à la fois un exécutif avant tout tourné sur les questions européennes vers la communication politique et un niveau d'isolement politique rarement atteint.

Frédéric Faravel

1Le JEFTA a été signé en juillet 2018, ratifié en décembre de la même année par les parlements japonais et européen, sans que les parlements nationaux européens ne soient appelés à se prononcer. Il est entré en vigueur le 1er février 2019.

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16 avril 2019 2 16 /04 /avril /2019 10:16

Je me permets de partager ici la réflexion de Jean-Luc Mélenchon qui exprime bien mieux que je ne saurais le faire ce que je ressens et qui est sans doute l'un des rares hommes politiques français capable de se situer à ce niveau intellectuel. On aimerait qu'il soit toujours à ce niveau.

Athées ou croyants, Notre-Dame est notre cathédrale commune. Le vaisseau, la nef qui nous porte tous sur le flot du temps. Et je crois que nous l’aimons de la même façon. Il y a ceux pour qui la main de Dieu est à l’œuvre dans l’édification de ce bâtiment. Mais ils savent que si elle y parait si puissante, c’est sans doute parce que les êtres humains se sont surpassés en mettant au monde Notre-Dame. Et d’autres, ceux qui connaissent le vide de l’Univers privé de sens et l’absurde de la condition humaine, y voient par-dessus tout cette apothéose de l’esprit et du travail de milliers de femmes et d’hommes durant deux siècles et depuis plus de huit cent ans. Ils ressentent ce que la cathédrale a signifié depuis sa première heure, quand elle n’était encore qu’un plan, et à l’instant où fut planté le clou d’or d’où seront tirées toutes les lignes et commencés tous les calculs.

Bien sûr, Notre-Dame accueille tout le monde, et la foi catholique l’anime. Mais elle n’appartient à personne ou bien seulement à tout le monde, comme les pyramides du plateau de Gizeh. Tout le monde, c’est-à-dire la cohue sans fin des générations qui se sont mise les unes sur les épaules des autres jusqu’au sommet des tours, des flèches, et ne se sont jamais arrêtés en chemin vers le ciel, l’espace, la lune, les planètes, les étoiles ! Du premier calcul pour faire tenir debout une voute de 33 mètres de hauteur à celui qui a permis à la sonde Rosetta et son émissaire Philae de parvenir jusqu’à l’astroïde Tchouri, la patate glacée dans l’espace, c’est tout un. Et avant la cathédrale, je dirai que le temple d’Apollon qui se trouvait là visait de même. Que le bâtiment soit un édifice religieux n’empêchera jamais qu’il soit l’incarnation de la victoire de nos anciens contre l’obscurantisme.

Des croisades, on ramena les sciences mathématiques, physiques et chimiques que l’Orient avait conservées. Elles germèrent dans les esprits. Elles y mirent un terrible dilemme. Il n’a jamais quitté notre civilisation. Il a pris successivement mille visages. Il hante encore l’esprit de chacun tout entier dès qu’il pense. Le voici : il y a la vérité révélée, celle qui vient de l’extérieur, qui est affirmée par la coutume ou la religion et qui s’impose avec le visage rassurant de l’évidence. Et il y a celle que l’on trouve avec son propre cerveau, d’après sa propre enquête, ses propres calculs, celle que la science approche chaque jour d’un peu plus près. Toute la dignité de l’être humain est dans cette tension qui le pousse à décider par raison davantage que par instinct, par réflexion indéterminée plutôt que par le comportement programmé de son espèce.

Notre-Dame est le signal d’un temps nouveau qui commençait. Il symbolise la douleur du savoir qui doute de lui-même pour avancer, l’inébranlable confiance dans l’esprit et dans sa victoire possible contre l’ombre qui masque, la mort qui soustrait et l’ignorance qui trompe. Notre-Dame est un message universel. Le peuple de France ne s’y est pas trompé. Tous ses grandes heures y ont transité. Des premiers États Généraux à la victoire sur les nazis, la nef a accueilli toutes nos clameurs libératrices. Je me dis qu’elle ne brûlera jamais tout à fait. Il en restera toujours un morceau qu’un être humain voudra continuer vers le ciel.

Jean-Luc Mélenchon

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12 avril 2019 5 12 /04 /avril /2019 16:28

Il faut souligner le mouvement de fond qui touche aujourd'hui la plupart des pays européens : c'est une percée électorale de mouvements nationalistes xénophobes, d'extrême droite, ou l'ancrage de majorités durables réactionnaires. De fait, la xénophobie prospère dans l'Union européenne quelles que soient les déclarations d'intention et les indignations convenues de ses dirigeants européens ou gouvernementaux.

résultats des extrêmes droites en Europe aux élections européennes de mai 2014 - résultats des extrêmes droites en Europe lors des dernières législatives (mesuré à l'été 2018)résultats des extrêmes droites en Europe aux élections européennes de mai 2014 - résultats des extrêmes droites en Europe lors des dernières législatives (mesuré à l'été 2018)

résultats des extrêmes droites en Europe aux élections européennes de mai 2014 - résultats des extrêmes droites en Europe lors des dernières législatives (mesuré à l'été 2018)

A- La structure de l'Union favorise les extrêmes droites

C'est bien dans le cadre de l'Union européenne que plusieurs mouvements xénophobes ont accédé au pouvoir, seuls ou en coalition. Il est loin le temps (janvier 2000) où les gouvernements européens et la commission envisageaient de boycotter le gouvernement autrichien après un accord entre les conservateurs et le FPÖ (transformé en parti xénophobe par Jorg Haider) : aujourd'hui les sociaux-démocrates autrichiens ont conclu des accords régionaux avec l'extrême droite (et l'éventualité d'un accord à l'échelle nationale n'est plus écartée par ce parti), et les « sociaux-démocrates » slovaques ont déjà constitué trois gouvernements avec le soutien ou la participation de l'extrême droite (2006-2010, et depuis 2016). C'est dire ce que valent ces indignations et le niveau d'acclimatation des élites européennes avec ce qu'elles dénoncent par ailleurs comme le diable incarné.

Aujourd'hui, plusieurs gouvernements comptent l'extrême droite ou la droite réactionnaire au pouvoir : la Pologne avec le PiS, l'Autriche avec la coalition ÖVP-FPÖ, l'Italie avec la coalition M5S-Lega, la Hongrie avec le FIDESZ, la Belgique avec la coalition MR/VLD/NV-A (jusqu'en décembre 2018), sans compter ceux où elle soutient de fait le gouvernement. C'est bien dans le cadre de l'Union européenne que plusieurs autres partis d'extrême droite ont atteint des sommets électoraux comme avec le FN en France, le UKIP au Royaume-Uni, le DFP au Danemark ou le PVV au Pays-Bas. C'est toujours dans ce cadre que l'on assiste à la résurgence de partis néonazis, dont on aurait pu penser qu'ils seraient à jamais relégués aux poubelles de l'histoire : c'est le cas du Jobbik en Hongrie (19% des voix en avril 2018) ou des « Démocrates » suédois (17% en septembre 2018) ; c'est la naissance et la progression d'« Aube Dorée » en Grèce, passée de rien à 7% dès 2012, progression qui ne doit rien au hasard, la Grèce étant le pays qui a le plus souffert de la misère sociale extrême imposée par l'Union européenne et le FMI.

Or par son cadre ordo-libéral général, l'Union européenne provoque de fait de fortes tensions entre les États membres et à l'intérieur des nations européennes. Les peuples du Sud (Grèce, Portugal, Espagne, Italie) sont opposés aux peuples du Nord (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande), dont les classes dirigeantes et les élites économiques sont les grandes gagnantes de la libre-concurrence.

Les premiers ne supportent plus de voir les seconds leur imposer une austérité injuste et inefficace. À ce titre, l'irruption avec 11% lors des élections régionales en Andalousie d'un parti d'extrême droite – VOX – est là pour nous rappeler que l'Espagne n'est pas pour toujours immunisée par le souvenir trop frais du franquisme. Si la virulence récente du débat sur la question nationale en Espagne avec la Catalogne peut expliquer une visibilité accrue de l'extrême droite, il n'est pas surprenant que VOX sorte de la marginalité dans l'une des régions où la population a le plus souffert de la crise économique sans que la solidarité européenne ne joue.

À l'inverse, l'Europe du Nord perçoit quant à elle l'Europe du Sud comme un boulet, maintenu sous perfusion financière. La presse britannique l'avait sympathiquement rebaptisée PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain), les Allemands parlent du « Club Med » : le mépris n'est pas sans conséquence. Et il nourrit en Allemagne comme ailleurs le vote d'extrême droite : l'Alternative für Deutschland (AfD) est ainsi entrée dans de nombreux parlements régionaux et surtout au Bundestag avec 12,6% des suffrages et 94 députés en septembre 2017 (elle est encore donnée entre 9 et 12% dans les sondages pour les européennes). Le succès de l'AfD – parti anti-euro – se nourrit évidemment de la récrimination citoyens allemands les plus âgés qui ne veulent « pas payer pour les fainéants » d'Europe du Sud et refusent tout principe de solidarité financière, risque (sur leurs pensions) que feraient peser selon eux la monnaie unique. L'AfD – qui aurait pu rester une branche radicale et particulièrement égoïste du conservatisme allemand – a également bénéficié de son virage vers l'extrême droite en reprenant à son compte les revendications anti-migrants de mouvements du type PegiDA (Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident) à visée ouvertement raciste. La crise des migrants affrontée de manière individualiste par Angela Merkel et égoïste par le reste des États membres les plus riches a nourri le sentiment raciste. L'AfD a raccroché dans le même mouvement le rejet à l'égard de l'immigration turque plus ancienne, qui nourrissait les petits mouvements néonazis qui se faisaient régulièrement remarqués par des ratonnades et des incendies volontaires (et meurtriers).

Or si ces mouvements se montrent identitaires et farouchement anti-migrants, xénophobes, anti-immigrés, ils proposent la plupart du temps des politiques très libérales en matière économique (le virage « social » du FN semble être terminé avec le départ de Florian Philippot et se résume aujourd'hui au rétablissement de la retraite à 60 ans). Ils n'ont aucun problème de principe à prôner l'austérité budgétaire, la baisse d'impôt sur les sociétés ou encore la limitation ou la suppression d'un impôt sur la fortune ; la dénonciation de boucs émissaires internes et externes – les étrangers, les migrants, les immigrés, les « Juifs », les musulmans, etc. – est un expédient bien pratique pour qui veut maquiller la réalité (ou l'inanité) de son programme politique (ou de son impuissance).

Notons cependant que le cap (présence au 2nd tour de la présidentielle, scores supérieurs à 20% des exprimés) a été franchi par le FN après que les reniements des responsables politiques français sur la question européenne soient si patents pour les classes populaires qu'elles ont rompu avec les partis traditionnels. Si les tensions identitaires ne sont pas inexistantes en France, avec la présence d'un islamisme radical qui se développe, les Français en général et les catégories populaires ne sont pas xénophobes et racistes en soi ; en réalité, l'intégration et l'acceptation fonctionnent encore très largement dans notre pays, comme le montre la proportion importante de « mariages mixtes ».

Ces partis ne représentent en réalité aucun danger réel pour les élites économiques des pays concernés et constituent des opposants rêvés (et parfois des partenaires on l'a vu) pour les partis conservateurs, libéraux, sociaux-libéraux dominants : le débat public est dès lors réduit à un clivage stérile qui opposerait les « démocrates » aux xénophobes, les pro-européens aux nationalistes, l'ouverture contre la fermeture, les questions économiques et sociales étant reléguées mécaniquement au second plan (sauf irruption populaire imprévue).

Enfin dans ses rapport avec les États tiers, l'UE alimente les déséquilibres économiques et renforce la domination occidentale, conduisant à de graves tensions. En contractant des accord de libre-échange, en exploitant les ressources du Sud par le biais de ses multinationales ou en utilisant le Franc-CFA, arrimé à l'Euro, comme outil néo-colonial, elle participe effectivement à maintenir le Sud en position de dépendance. Sur le plan géopolitique et militaire, les grandes puissances européennes – la France au premier chef – se trouvent presque toujours en première ligne lors d'interventions illégitimes, aux côtés ou avec le soutien des États-Unis (Libye, Syrie...), qui ont participé à la déstabilisation démographique et migratoire en méditerranée. Sur le plan migratoire, « l'Europe forteresse » qui se remet en place après la crise de 2015 est un repli égoïste face aux conséquences de nos propres politiques libre-échangistes et bellicistes. Le discours sur l'incapacité à prendre en charge l'afflux de migrants (au-delà du pic de 2015, c'est moins de 200 000 en 2017 et moins de 100 000 en 2018, pour 500 millions d'Européens) et la nécessité de construire des centres de rétention hors de l'UE qui est tenu par les dirigeants européens est irresponsable car il est tout à la fois inefficace et perçu comme une légitimation du discours de l'extrême droite.

Pour la gauche, la question politique centrale doit être la reconquête des classes moyennes et populaires tentées par la droite autoritaire et l'extrême droite, en réaction à la mondialisation. Or de fait, en étant un relais puissant de cette mondialisation, les structures de l'UE nous enferment de facto dans un magma de tensions identitaires intra et internationales. Lutter contre la xénophobie ne se fera donc pas en proclamant des sermons et en pointant du doigt le racisme dont feraient preuve ataviquement les classes populaires (comme on l'a fait avec les Gilets Jaunes dans un amalgame saisissant). Les tensions identitaires ne viennent pas de nulle part : elles ont pour terreau la pauvreté généralisée, les inégalités croissantes, le chômage de masse et les dénis de démocratie à répétition. C'est en mettant fin à ces dernières qu'on vaincra les premières et qu'un discours d'éducation populaire sur la fraternité humaine sera de nouveau opérant. Défendre l'Union européenne telle qu'elle est ou dans ses grandes lignes en croyant défendre l'ouverture au monde et à l'Autre, ou la fraternité universelle, est donc un contresens total : tant que les mécanismes européens qui produisent par libre-concurrence et libre-échange des ravages sur les citoyens européens perdureront les mouvements identitaires, xénophobes et anti-sociaux auront de beaux jours devant eux

les extrêmes droites en Europe

les extrêmes droites en Europe

B- Le piège du Brexit

L'Euroscepticisme des Britanniques est connu et ancien ; il est répandu depuis l'origine et l'adhésion du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord le 1er janvier 1973 dans de nombreux pans de la société britannique, divisant classes sociales, partis politiques, syndicats...

Sur cette base eurosceptique, les dirigeants britanniques ont régulièrement fait preuve d'une fermeté et d'une intransigeance à toute épreuve pour refuser tout principe de solidarité et toute évolution qui conduirait le Royaume dans autre chose qu'une zone de libre-échange. Ils ont donc manié à plusieurs reprises le chantage et avec succès. Il suffit de se rappeler le « I want my money back » de Margareth Thatcher. Au demeurant, cela prouve à quel point pour qui veut engager un rapport de force conséquent on en tire (surtout les grands pays) toujours quelque chose. La position de la Grande Bretagne est caractérisé par un nombre important de dérogations ou « opt out » en plus du « chèque britannique » obtenu en 1984 (Schengen, mécanisme de taux de change européen, Charte des droits fondamentaux, espace commun de liberté, de sécurité et de justice…).

La profondeur de la purge libérale subie pendant 18 ans par la société britannique sous Thatcher et Major – même pas contrebalancée par les mandats travaillistes de Blair et Brown – avait fini par placer la participation des Britanniques à la construction européenne comme une garantie des droits sociaux, là où partout ailleurs l'inverse était ressenti. Mais le sentiment profond du pays n'avait pas été modifié.

David Cameron, premier ministre britannique (2010-2016), Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne depuis juin 2014

David Cameron, premier ministre britannique (2010-2016), Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne depuis juin 2014

1) La responsabilité particulière de David Cameron

Le piège du Brexit s'ouvre sur une nouvelle opération de chantage par le « jeune » Premier ministre conservateur David Cameron qui avait succédé en mai 2010 au travailliste Gordon Brown, abattu par la crise économique (et le ras-le-bal du blairisme).

Les motivations de Cameron pour exiger de nouvelles concessions sont purement « domestiques » : en coalition avec le Lib-Dems, en chute libre dans les sondages, Cameron est tout à la fois confronté à la concurrence sur le versant europhobe de son électorat par le UKIP de Nigel Farage dont les scores ont explosé aux élections européennes de mai 2014 (27,5%) et à la réorientation d'abord timide de son opposition travailliste. Flatter les sentiments europhobes d'une partie de l'électorat conservateur lui paraît un bon calcul pour éviter une hémorragie vers le UKIP et, dans un système de scrutin majoritaire à un tour, une défaite par défaut au profit du travailliste Ed Miliband : pari réussi en mai 2015, si les Lib-Dems s'effondrent, la percée du UKIP aux élections générales est contenue à 12,6%, le parti europhobe ne gagnant qu'un siège à Westminster, les Conservateurs distancent de 6 points le Labour et obtiennent la majorité absolue.

Cameron avait commencé à dénoncer une disposition du TFUE sur une « Union sans cesse plus étroite des États membres ». Il va donc exercer une pression importante sur la Commission et le Conseil européens pour obtenir de nouveaux « opt out » espérant ainsi assécher définitivement le fonds de commerce du UKIP et déstabiliser un peu plus un Labour divisé dont les sympathisants viennent de désigner comme leader un membre peu connu de l'aile gauche parlementaire, totalement isolé au sein du PLP. Et il va y arriver : Aucune solidarité économique et financière avec le reste des membres de l'Union Européenne, notamment avec ceux qui participent à l'eurozone ; aucune perspective d'harmonisation sociale et fiscale, dans le but de décharger les sociétés britanniques d'une quelconque obligation d'équité économique ; aucune solidarité avec les États européens qui font face plus que d'autres, plus que la Grande-Bretagne elle-même, à la crise des réfugiés qui s'est aggravée avec la guerre en Syrie et la montée en puissance de Daesh – au contraire, il s'agit de limiter – en faisant porter la responsabilité des restrictions et des contrôles aux États du continent – plus encore l'entrée de migrants en Grande-Bretagne et notamment ceux qui viennent de l'Union européenne (Polonais), accusés de vouloir profiter de la générosité du Welfare state britannique (il insiste d'ailleurs particulièrement sur les dernières mesures – et celles à venir – de restriction d'accès aux aides sociales prises par le gouvernement conservateurs à cet effet) ; il s'agit également de se dégager des obligations et de la jurisprudence européenne en matière de droits de l'Homme, jugées attentatoires à la sécurité nationale et contre-productive dans la lutte contre la criminalité.

Les dirigeants européens ont cédé sur toute la ligne ; Cameron rentrait en Grande-Bretagne triomphant.

Ayant pourtant brossé dans le sens du poil le sentiment anti-européen, David Cameron ne sera pas en mesure de faire face à la violence la campagne en faveur du Brexit menée non seulement par le UKIP mais également d'éminents responsables de son propre parti (pas seulement Boris Johnson). Ils vont largement jouer d'abord et avant tout sur le sentiment anti-migrants européens, qui dans le cadre de la législation britannique ultra-libérale sont perçus comme une concurrence déloyale sur le marché du travail ; si la Grande Bretagne a obtenu des concessions impensables et qu'elle a par ailleurs délocalisé sa frontière à Calais pour tous les non européens, les partisans du Brexit expliquent qu'en dehors de l'UE, le Royaume-Uni pourrait enfin reprendre le contrôle de ses frontières et de sa politique migratoire. Ils accusent Cameron de ne pas avoir obtenu le retour du veto de la Grande-Bretagne sur toute décision européenne et dénoncent le fait que les décisions de la CJUE et de la CEDH puissent s'y appliquer. Les Brexiters vont jouer à fond sur l'image d'échec de l'Union face à la crise grecque et la crise migratoire : ils présentent l'UE comme un bateau en train de couler qu'il conviendrait de quitter au plus vite. Enfin, ils prétendent que la Grande Bretagne pourra être en meilleure posture si elle est indépendante pour négocier ses propres accords commerciaux (on y reviendra).

cette photo de David Cameron aurait pu être prise à l'annonce des résultats du référendum [joke]

cette photo de David Cameron aurait pu être prise à l'annonce des résultats du référendum [joke]

2) Comprendre les résultats du référendum

In fine, le 23 juin 2016, 51,89% répondront à la question « Le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l'Union européenne ou quitter l'Union européenne ? » par la seconde option (près de 1,3 million de voix d'écart, 70% de participation). Toutes les prévisions des instituts de sondage ont été déjouées. La participation très élevée n’a pas été favorable au camp du maintien. C’est le camp du Brexit qui s’est mobilisé de manière massive. Le premier ministre britannique en a tiré les conséquences en annonçant sa démission, dès le 24 juin au matin.

David Cameron est celui qui aura mis à nu les divisions béantes d’un royaume plus désuni que jamais ; au-delà des considérations tenant compte de la classe sociale et de l'âge des votants (les jeunes ont voté massivement pour rester dans l'UE mais ce sont en réalité massivement abstenus) les résultats donnent une image de graves ruptures internes : Seul le Grand Londres (près de 70%), l’Écosse (62% - toutes les circonscriptions écossaises donnent une majorité au remain), l'Irlande du Nord (55,8%) et le centre ouest du Pays de Galles ont voté pour le « Remain ». Ces résultats sont de nature à soutenir une remise en cause de l'unité du Royaume – le Scottish national party (SNP – gauche) au pouvoir à Édimbourg réclame d'ailleurs une relance du processus d'autodétermination écossaise, alors qu'il avait perdu le référendum sur l'indépendance en septembre 2014 – et une menace pour la paix en Irlande où les résultats sont un décalque quasi parfait de la répartition entre catholiques républicains (pro-remain) et protestants unionistes (pro-leave).

Les résultats du référendum du 23 juin 2016 et la répartition entre communautés en Irlande du NordLes résultats du référendum du 23 juin 2016 et la répartition entre communautés en Irlande du Nord

Les résultats du référendum du 23 juin 2016 et la répartition entre communautés en Irlande du Nord

Si le sentiment anti-migrant a joué, le vote pour sortir de l'UE est avant tout une expression de colère « un hurlement contre l’establishment, contre Westminster », analyse à chaud la députée travailliste Diane Abbott, proche de Jeremy Corbyn, le leader travailliste. Ce dernier résumait le 24 juin 2016 sur la BBC : « Les habitants de ce pays sont très en colère. » Les circonscriptions industrielles du Pays-de-Galles ont déjoué les pronostics en plébiscitant la sortie : Cameron pourra longtemps repenser à la manière dont il a géré la crise de l’acier. A n’en pas douter, une partie des électeurs britanniques a utilisé le référendum pour exprimer sa colère envers le gouvernement conservateur. Pendant plusieurs mois, Cameron a multiplié les mesures impopulaires et, sous la pression d’une partie de son propre camp, a été contraint de reculer sur certaines. Cela a alimenté la perception d’un gouvernement devenu bateau ivre, totalement coupé des préoccupations des Britanniques.

Le camp travailliste est également profondément divisé. À Sunderland, au cœur du heartland travailliste, le Brexit l’emporte avec 71% des voix. Témoignage de la manière dont bon nombre de communautés, notamment dans les anciens bastions industriels, de sentent marginalisées. Elles ont donc répondu à leur manière à Westminster qu’elles accusent d’abandon. Déjà, en choisissant Corbyn comme leader en septembre 2015, une majorité de travaillistes avait envoyé un message à ses responsables traditionnels. En votant pour le Brexit, un sur trois a renouvelé le message… De fait, le leader travailliste devra faire face dans les années qui suivront à plusieurs manœuvres de déstabilisation des blairistes restés majoritaires au groupe parlementaire : le discours de l’eurosceptique Corbyn était favorable au maintien pour transformer l’Union européenne de l’intérieur, ils dénoncent donc (au-delà de options économiques et sociales qu'il a rétablies au Labour) un argumentaire trop compliqué pour être audible. Le SNP a accusé le Labour d’avoir manqué l’occasion de mobiliser ses troupes. Las, la participation des Écossais au référendum est bien plus faible qu’attendue, ce qui permet aux travaillistes de retourner l’accusation. Bien évidemment, la colère provoquée par la politique d’austérité du gouvernement Cameron a, probablement, amené une partie de l’électorat de gauche à sanctionner le Premier ministre.

Pour autant, il n’y aura aucun changement de cap dans l’orientation politique menée par Westminster. Le premier ministre a confié à la conférence du parti conservateur le soin de désigner son successeur, fermant ainsi la porte à une élection générale anticipée. Après le forfait « surprenant » de Boris Johnson, ex maire de Londres et un des leaders tories du Leave, c'est donc Theresa May – précédemment ministre de l'intérieur – qui va devenir Première ministre, dans un état de faiblesse difficilement mesurable. Et c'est dans ces conditions qu'elle va devoir « négocier » la sortie de l'Union européenne.

Jeremy Corbyn, leader du Labour party depuis septembre 2015, Theresa May (ministre de l'intérieur puis première ministre) et Boris Johnson (maire de Londres puis député conservateur et ministre des affaires étrangères de juillet 2016 à juillet 2018)
Jeremy Corbyn, leader du Labour party depuis septembre 2015, Theresa May (ministre de l'intérieur puis première ministre) et Boris Johnson (maire de Londres puis député conservateur et ministre des affaires étrangères de juillet 2016 à juillet 2018)

Jeremy Corbyn, leader du Labour party depuis septembre 2015, Theresa May (ministre de l'intérieur puis première ministre) et Boris Johnson (maire de Londres puis député conservateur et ministre des affaires étrangères de juillet 2016 à juillet 2018)

3) Le Royaume-Uni et l'Union européenne au pied du mur de la sortie

Grande différence entre la France et le Royaume-Uni, ce dernier n'a pas réellement de tradition référendaire. Cameron a bricolé son référendum et il l'a fait sans imaginer un seul instant qu'il puisse être battu et sans mesurer ce qu'impliquait une éventuelle victoire du Brexit : ni du côté britannique ni du côté « bruxellois », la marche à suivre n'est pas balisée hors des très théoriques invocations à l'activation de l'article 50 du traité de l'Union européenne.

Lorsqu'un référendum est soumis au peuple français, on retient la question (comme en Grande Bretagne), on oublie trop souvent que c'est tout un texte loi complet qui est en fait soumis au vote des citoyens. Rien de cela le 23 juin 2016. Et quand bien même la France un jour s'essaierait à un exercice équivalent, il faudrait que l'exécutif qui voudrait soumettre un Frexit aux Français ait négocié pendant deux ans avec la commission et le conseil européens un accord qui soit lui soumis à référendum. Contrairement à ce que raconte Asselineau, il ne suffirait pas de supprimer le titre XV de la constitution. Il faut tenir compte de ce à ce quoi nous avons assisté depuis l'activation de l'article 50 par Theresa May voici deux ans pour adapter notre stratégie de bifurcation – et de transformation radicale de la construction européenne – et la rendre efficace.

Theresa May, déjà en position de faiblesse du fait des conditions dans lesquelles elle a accédé au pouvoir, a été mise au pied du mur par ses « partenaires » européens. Le 17 novembre 2018, ces derniers ont rejeté les propositions britanniques au sommet de Salzbourg. À partir de ce moment, les Européens se sont unis pour imposer à Theresa May l'ensemble de leurs conditions.

Ces conditions – décrites par David Cayla, dans un entretien au Figaro Vox le 16 janvier 2019 – sont de deux ordres :

  • D'abord une phase de transition est prévue à partir du moment où le Royaume-Uni quittera l'Union européenne, avec environ deux années de négociations concernant les futures relations du pays avec Bruxelles, jusqu'à fin 2020. Pendant cette période, le Royaume-Uni devra continuer de respecter les règles de l'Union européenne, de payer sa contribution, d'être dans le système de la PAC: en réalité, pendant ce temps, rien ne changera pour le Royaume-Uni. Ensuite, il y a la perspective d'une refondation des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Cette période de transition est compréhensible, il est logique et audible qu'on ne quitte pas l'Union européenne comme cela, d'un simple claquement de doigts. Cependant cette période de transition n'est pas favorable au Royaume-Uni qui ne participe pas aux décisions de l'Union européenne mais devra continuer de payer et de respecter ses règles.

  • Le problème tient à ce qu'il se passera après 2020. Un protocole a été mis en place sur la question de l'Irlande pour après 2020 : il s'appelle « filet de sécurité » ou « backstop ». Ce protocole prévoit qu'il ne doit pas y avoir de frontières entre l'Irlande du Nord et la République irlandaise, pas non plus entre la République irlandaise et le Royaume-Uni. Pour cela, il est « proposé » au Royaume-Uni de continuer à participer à une union douanière avec l'Union européenne. Rappelons qu'une union douanière n'est pas un traité de libre-échange : cela signifie que non seulement il y a libre circulation des marchandises mais qu'en plus le Royaume-Uni ne peut pas négocier des accords commerciaux avec d'autres pays, puisqu'il doit avoir des tarifs douaniers qui soient les mêmes que ceux de l'Union européenne. Cela veut donc dire que l'Union européenne pourra signer des accords commerciaux auxquels les Britanniques devront se soumettre pour rester dans l'union douanière.
    Par ailleurs, il faut noter le fait que l'Irlande du Nord resterait entièrement dans le marché unique et devra se soumettre à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et de la même façon les Britanniques devront continuer de respecter un certain nombre de règles européennes contrôlées par une autorité
    ad hoc composées de membres de l'Union européennes et des Britanniques.
    Ce qui veut dire que, après 2020, pour garantir le non-retour d'une frontière avec l'Irlande du Nord, les Britanniques devront continuer de respecter les règles du marché unique et ne seront plus souverains en matière commerciale. C'est précisément cela qui bloque l'accord du Parlement britannique. De même que ce «
     backstop » ne peut être remis en cause qu'avec l'accord conjoint des deux parties : si l'Union européenne le refuse, le Royaume-Uni ne pourra plus jamais sortir de l'union douanière.

Est-ce à dire que l'Union européenne profite de son rapport de force favorable dans la négociation de l'accord avec le Royaume-Uni ? En fait, l'Union européenne est incapable de négocier. Ce que nous avons vu avec la Grèce en 2015 se reproduit avec le Royaume-Uni. La cohésion des États membres de l'UE repose sur l'idée qu'il faut que la partie adverse se soumette à l'ensemble des conditions de l'Union. Or l'Union européenne, dans sa structure même, n'a pas de pouvoir politique légitime, donc elle ne peut pas transgresser ses propres règles. Dans les négociations, elle demande mécaniquement à ce que ses propres règles s'appliquent sans le sens diplomatique qui conviendrait ; donc en réalité il ne s'agit pas du tout d'une négociation. Donald Tusk et Jean-Claude Juncker ont d'ailleurs logiquement expliqué qu'il n'y avait que cet accord possible, qu'il n'y aura pas d'autres négociations. Ils disent cela car c'est le seul accord possible qui respecte strictement toutes les règles. Si le Royaume-Uni ne doit pas avoir de frontière entre l'Irlande du Nord et la République irlandaise, alors il faut que le Royaume-Uni reste dans le marché unique dans son ensemble : l'obstination pour ce schéma montre que l'Union européenne fait preuve d'une absence totale de sens politique.

La politique n'est pas l'art du possible, mais plutôt l'art de rendre possible ce qui est nécessaire. Or il faut respecter le vote des Britanniques : Ils n'ont pas fait le Brexit pour sortir formellement de l'Union européenne et en garder les règles, ils l'ont fait pour retrouver leur souveraineté – notamment retrouver une souveraineté sur les accords commerciaux et sur les règles intérieures du pays… Et c'est précisément cela qui est empêché par le « backstop ». L'Union européenne ne peut structurellement pas négocier des accords politiques. Pour que les deux parties se satisfassent d'un accord, il faudrait déjà que les intérêts britanniques soient compris. Désormais il faut inventer une nouvelle manière de procéder, de refaire ce qui avait été en partie fait avec des aménagements, comme ce fut déjà le cas pour le Royaume-Uni qui ne voulait pas entrer dans l'euro. Mais pour cela il faudrait au sein de l'Union européenne une autorité politique capable de comprendre que la question irlandaise est particulièrement sensible et qu'il faudrait éviter qu'un conflit redémarre… Il faut trouver une solution mais les Européens refusent de l'imaginer car personne ne véritablement tient la barre. Car l'Union européenne est enserrée dans un système extrêmement régulé, et par définition, quand il y a des règles il n'est pas possible de les dépasser.

Au final, le « spectacle » donné par les débats à la Chambre des Communes depuis près de trois mois, paraît largement incompréhensible pour des observateurs étrangers (au demeurant on pourrait au contraire se réjouir de voir un parlement débattant réellement et à bâtons rompus, conscients de son rôle et de son pouvoir), s'explique de trois manières :

  1. La Première ministre Theresa May n'était pas taillée pour affronter son poste et moins encore dans les circonstances particulières présentes. De plus, pendant des semaines, elle a paru plus préoccupée par les intérêts de son parti plus que par ceux du Royaume – phase qui semble dépassée, après qu'elle a annoncé sa démission dès que la validation de l'accord aura été acquise, et après avoir décidé d'entamer des négociations directes avec l'opposition travailliste ;

  2. La pratique référendaire n'existe pas réellement dans la culture politique britannique. Les membres du Parlement se conçoivent de tout temps comme les seuls détenteurs de la souveraineté populaire qui leur est déléguée par les électeurs de leur circonscription. On se retrouve depuis trois ans dans une situation de conflit de légitimité et de légalité politique renforcée par le fait que le référendum n'était pas conçu pour prévoir les conditions réelles de la sortie de l'UE ;

  3. La nature de l'accord entre le gouvernement britannique et l'UE est sur les points essentiels en contradiction complète avec les aspirations des Brexiters à recouvrir l'intégralité de la souveraineté du Royaume-Uni. Difficile d'accepter un tel accord.

4) Les conséquences du Brexit

J'écris alors que les institutions européennes viennent d'accorder un deuxième report de la sortie qui aurait dû intervenir le 29 mars 2019, au point que la composition du futur parlement européen (dont l'élection doit avoir lieu le 26 mai) pourrait en être perturbée. À ce stade, il est impossible de prédire si un accord sera finalement validé ou si nous constaterons un « no deal ». Si ce dernier cas arrivait, la France aura fait partie des pays les plus intransigeants : Emmanuel Macron a été très dur avec en tête l'idée qu'on allait pouvoir récupérer les services financiers de la City. Ce sont les intérêts de la France vu du point de vue du banquier, sans percevoir ni défendre l'intérêt réel de la France, alors même que, de toute façon, la France ne récupérera pas la City.

Ces risques du « no deal » sont élevés : ce dernier déstabiliserait énormément de choses pour les Britanniques, notamment pour le commerce, à court terme. Mais ils pourront progressivement en profiter pour retrouver une forme de souveraineté et faire naître quelque chose de positif pour leur économie à moyen terme. Pour la France et l'Allemagne par exemple, il s'agira concrètement d'un coût net. La France dégage son plus important excédent commercial avec le Royaume-Uni et le « no deal » serait une très mauvaise nouvelle pour notre industrie qui est déjà en très mauvais état. La France aurait donc dû en toute logique essayer de préserver ses relations avec un pays avec lequel elle dégage des excédents commerciaux. Airbus, par exemple, dépend d'une importante partie britannique (production des moteurs). S'il y a un blocage des flux commerciaux entre le Royaume-Uni et la France, cela posera indéniablement problème à la France. De même qu'à nos pêcheurs qui n'auront plus accès aux eaux britanniques.

Au-delà des considérations sur le modèle économique ultra-libéral des Britanniques, il faut constater cependant que la catastrophe annoncée dès le lendemain du référendum n'a pas eu lieu. Non seulement le Royaume-Uni ne perd pas d'emplois mais actuellement, il en gagne. Ça ne veut pas dire qu'il n'en perdra pas après le Brexit, mais pour l'heure ce n'est pas le cas. Comme l'indiquait Coralie Delaume au Figaro Vox le 28 mars dernier, les chiffres publiés par l'Office national des statistiques indiquent que le taux de chômage vient de tomber à 3,9%, son plus bas niveau depuis... janvier 1975 (il était à près de 5% avant le référendum). Dans le même temps, le taux d'emploi (qui représente le nombre de personnes en emploi par rapport au nombre de personnes en âge de travailler entre 16 et 64 ans) est passé de 75,3 % à 76,1 % entre novembre 2018 et mars 2019 (et de 72,1% à 76,1% sur 5 ans). Alors certes, de très nombreux emplois précaires existent au Royaume-Uni, qui reste une société très inégalitaire. Ce n'est pas nouveau. Toutefois et en l'occurrence, il semble que les emplois créés soient des emplois à temps plein, puisqu'en même temps que le chômage reculait, l'emploi à temps partiel reculait légèrement aussi. Enfin, le niveau des salaires a progressé de 3,4% sur un an. C'est davantage que l'inflation, qui est autour de 2%.

Selon l'économiste Alexandre Mirlicourtois de Xerfi, ces chiffres tiennent au fait que la City résiste bien. Dans les quelques mois de l'après-référendum, des études très alarmistes sont parues. L'une d'entre elles par exemple, publiée par le think tank Bruegel, estimait à 30 000 le nombre d'emplois qui seraient perdus dans la finance à cause du Brexit. Or pour l'instant ça ne se produit pas. Selon Xerfi, « les départs s'effectuent au compte-gouttes » : 7 000 emplois ont été – ou seront – déplacés, et 2 000 postes ont été créés dans d'autres pays d'Europe. « Le total, de 9 000 personnes, représente seulement 2% des effectifs de la place londonienne […] Quant aux actifs transférés, 800 milliards de livres, ils représentent moins de 10% du total. Pas de quoi mettre en péril la suprématie financière de la capitale britannique face à des places comme Paris ou Francfort.

Frédéric Faravel

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8 avril 2019 1 08 /04 /avril /2019 08:49
de haut en bas et de gauche à droite : Angela Merkel, chancelière de la République fédérale allemande, Emmanuel Macron, président de la République française, Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente de la CDU, Nathalie Loiseau, tête de liste LREM aux élections européennes du 26 mai 2019

de haut en bas et de gauche à droite : Angela Merkel, chancelière de la République fédérale allemande, Emmanuel Macron, président de la République française, Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente de la CDU, Nathalie Loiseau, tête de liste LREM aux élections européennes du 26 mai 2019

Il y a presque 2 ans, Emmanuel Macron prononçait à la Sorbonne un discours pompeusement titré « Pour une Europe souveraine, unie, démocratique ». Il y a quelques semaines, il adressait une lettre aux citoyens européens. Rien ! Qu'a-t-il obtenu depuis le discours de la Sorbonne ? Rien ! Que retrouve-t-on des « ambitions » macroniennes de La Sorbonne dans la lettre aux Européens ? Peu de choses... Le bilan européen d'Emmanuel Macron depuis son élection est évanescent.

Pourtant, il clame sa victoire sur le dossier « travailleurs détachés » mais ce n'en est pourtant pas une. Alors que la politique d'Emmanuel Macron consiste à mettre à mal les fondements de la sécurité sociale en France, son invocation à l'échelle européenne pourrait prêter à sourire. C'est la même conclusion que nous pourrions tirer de sa prétention à revendiquer un « bouclier social », quand il a abandonné toute évolution sérieuse de la directive européenne « travailleurs détachés » dont le nombre a explosé en France ces dernières années.

En 2017, le nombre de salariés détachés était de 516.101 (hors transport routier) contre 354.151 en 2016, soit une hausse de 46%, selon des chiffres confirmés par le ministère du Travail (après +24% en 2016 et +25% en 2015). L'accord européen dont il se prévaut ne s’attaque pas à la racine du problème. Si le principe de l’égalité de salaires au sein du même secteur d’activités est rappelé, il n’en est rien pour les cotisations sociales qui demeurent – théoriquement – payées dans le pays d’origine. Théoriquement, car contrôler ce versement en Pologne, en Hongrie ou n’importe où dans les autres pays de l’Union Européenne est quasiment impossible. Et de toute façon, elles sont nettement inférieures dans ces pays en comparaison de la France... la protection sociale aussi. En conséquence, le recours à ces travailleurs détachés reste moins coûteux. Souvent ces travailleurs détachés travaillent bien au-delà du temps de travail légal, le dimanche, etc. Il est extrêmement difficile de vérifier que leurs conditions de travail respectent la loi. Inutile de dire que le nombre actuel d’inspecteurs du travail ne permet absolument pas de faire les contrôles qui s’imposent. Sans compter la sous-traitance et la rotation des équipes sur les grands chantiers ou dans leurs missions qui complique ces surveillances et la possibilité d’établir des sanctions.

Sans un accroissement important du nombre d’inspecteurs du travail, ces dérives avec les travailleurs détachés ne seront pas conjurées. Il est plus que jamais nécessaire que la France oppose à ses partenaires européens une décision unilatérale de suspension de la directive sur les travailleurs détachés, au motif de l’intérêt national. Et surtout, en excluant le transport routier de la directive révisée sur les travailleurs détachés, il condamne une partie des chauffeurs européens à rester des travailleurs pauvres au profit d'autres, moins chers – qui représentent une partie très importante des travailleurs détachés. Ces chauffeurs étrangers qui, pour la plupart, sont issus des pays du groupe de Visegrad.

Dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron annonçait vouloir garantir la sécurité alimentaire des européens. Rappelons le vote sur l'interdiction du glyphosate, qui a vu 36 députés LREM voter contre et nombre d'entre eux s'abstenir! C'est ainsi que le parti d'Emmanuel Macron défend la sécurité alimentaire des européens.

La lutte contre le réchauffement climatique stagne tout autant ou plutôt se conforme à des désidératas capitalistes et libéraux qui ne permettront aucune transformation des modes de production et d'échange. Il y a bien là une forme de capitulation devant les lobbies. Mais doit -on rappeler que dans son programme présidentiel pour l'Europe ne figurent ni la question de l'écologie, ni celle du réchauffement climatique.

Et que dire sur la taxation des géants du numérique ! Initialement la France pouvait escompter d'un accord européen un milliard d'euros de recettes, mais les Allemands craignaient des rétorsions commerciales affectant les ventes de voitures aux États-Unis. Avec l'accord franco-allemand qu'Emmanuel Macron a approuvé, on ne pourrait espérer que 400 millions d'euros ! Bien en deçà de ce que la commission européenne, elle-même, préconisait. Et pourtant, le dossier n'a pas avancé pour autant au Conseil européen qui ne s'entend toujours pas sur le sujet. Le gouvernement propose donc d'adopter en France le compromis famélique que lui avait concédé l’Allemagne sans tenir compte des autres propositions plus consistantes déjà adoptées au Sénat (définir comme établissement stable les multinationales du numérique dépassant un chiffre d'affaire annuel de 7 millions d'euros en France). Voilà les résultats de la revendication macronienne pour une taxation « à la loyale » en septembre 2017 !

La lettre aux Européens de Macron symptôme de sa retraite

L'ambition déjà très verbeuse de la Sorbonne, qui avait suscité le refus ou l'indifférence des Allemands, a cédé la place à un nouveau discours hors sol, moins allant, avec la lettre aux citoyens européens :

Concernant les « libertés », la mise en exergue des cyberattaques qui selon lui mettraient en danger nos démocraties est une manœuvre pour maquiller un déni de réalité et ne pas aborder les reculs concrets des libertés publiques et individuelles (indépendance de la justice, droits des femmes, liberté de la presse, liberté d'opinion et de manifestation, racisme, antisémitisme) décidées et mises en œuvre dans plusieurs États membres comme la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie ou la Slovaquie ou en projet comme en France. Il est symptomatique qu'au moment d'entrer personnellement en campagne électorale, Emmanuel Macron décide d'abandonner ce champ de confrontation pourtant essentiel au projet européen.

Concernant les « protections », ses propositions de remettre à plat les accord de Schengen se limitent à des déclarations de principes inopérantes, sans soumettre un contenu et une stratégie nouvelle, car chacun sait qu'aucun pays – pas même la France – n'a l'intention de transférer à l'UE une souveraineté majeure, le contrôle de ses frontières. Des politiques européennes coopératives seraient ici à la fois plus solidaires et plus efficaces. Comment croire son plaidoyer pour une « juste concurrence », quand l'Union Européenne poursuit avec son aval une politique dogmatique de libre-échange totalement délétère pour l'agriculture, l'industrie et les travailleurs européens et vient de signer des accords en totale opposition avec les intentions et mesures suggérées dans la tribune.

Concernant le « progrès », alors que la politique d'Emmanuel Macron consiste à mettre à mal les fondements de la sécurité sociale en France, son invocation à l'échelle européenne pourrait prêter à sourire. Les logiques de dumping économique et social ne sont pas remises en cause, pas plus que les logiques ordo-libérales qui contraignent chaque État membre à conduire des politiques d'austérité, des réformes structurelles, que la majorité présidentielle met en œuvre sagement en France, et à ne pas se doter des moyens nécessaires pour respecter les objectifs impérieux de transition écologique. Ne nous leurrons pas sur l'invocation d'un « salaire minimum européen » ; celui-ci est vidé de sens dès le moment où il précise « adapté à chaque pays », car cela signifie l'acceptation d'un maintien d'écart de salaires qui perpétueront un dumping majeur.

Nouvelle fin de non recevoir allemande

Aucun de ces sujets n'a de réelles prises avec la réalité. Cette tribune, par laquelle le président de la France est descendu au rang de directeur de campagne de LREM et l'ALDE pour les élections européennes, n'a suscité en réalité pas plus d'attention de la part des dirigeants politiques des états membres. Seul Viktor Orbán, le premier ministre « illibéral » qu'Emmanuel Macron s'était désigné comme ennemi,y a vu « un bon point de départ » pour débattre de l'avenir de l'Europe... On ne saurait mieux décrire à quel point Emmanuel Macron a manqué sa cible ! Pis ! Emmanuel macron essuie une nouvelle humiliation par la sèche réponse de Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) la nouvelle patronne de la CDU, également adressée à tous les européens :

  • suppression du siège du Parlement européen à Strasbourg,

  • remplacement du siège permanent de la France au conseil de sécurité par un siège pour l'Union européenne (proposition déjà émise par Olaf Scholz, ministre fédéral SPD en charge des finances, ce qui démontre la convergence des responsables allemands face à la France, malgré les nuances qui restent entre la CDU et un SPD particulièrement Macron-compatible).

La lettre d'AKK publiée en 6 langues sur le site internet de la CDU sonne comme un camouflet à l'endroit des intérêts diplomatique de la France. Elle dénonce également toute tentation d'une « européanisation des systèmes de protection sociale et du salaire minimum », interprétation extensive des évanescentes et inopérantes propositions épistolaires macroniennes sur le « bouclier social » et le « salaire minimum européen adapté à chaque pays » (ce qui revenait à dire pas de SMIC européen du tout). Par anticipation, elle exprime également un refus catégorique de toute « communautarisation des dettes » ; ce refus d'une proposition qui n'était même pas dans la lettre d'Emmanuel Macron a cependant particulièrement courroucé la ministre déléguée aux affaires européennes Nathalie Loiseau – sa colère traduit beaucoup plus l'impuissance des élites françaises devant leurs idoles allemandes, alors même qu'elles n'assument pas ouvertement leurs positions.

Angela Merkel s'est immédiatement précipitée, évidemment avec plus de précautions oratoires, pour apporter son soutien à la réponse d'AKK, lors d'une conférence de presse avec le Premier ministre letton. Il convient d'insister sur ce point vis-à-vis de tous ceux qui cherchent à relativiser la portée de la réponse allemande du fait du statut politique supposé inférieur d'AKK. Il n'y a plus que Sigmar Gabriel et les rédacteurs de Vorwärts qui regardent encore Emmanuel Macron avec des yeux de Chimène, tant les éléments nécessaires au rapport de force géopolitique font consensus entre les deux partis au pouvoir en Allemagne.

Les mêmes processus semblent se répéter à l'infini aujourd'hui avec Emmanuel Macron, comme avec ses prédécesseurs. Les dirigeants allemands ont compris depuis longtemps que faire des dirigeants français, qui ont érigé mentalement l'Allemagne en modèle fantasmatique : s'il arrive parfois qu'ils aboient ou grognent un peu, ils ne mordent jamais ! L'indifférence ou une légère remontrance suffira à les ramener « à la raison » et leurs « exigences » seront remisées.

Si l'on veut engager une réorientation majeure de la construction européenne, il faudra pourtant assumer l'affrontement et prendre des risques. Bref, pour cela, il faudra un exécutif et une majorité parlementaire d'une autre trempe, et plus structurés idéologiquement que ceux que nous avons depuis 20 ou 25 ans.

Hélène Bonnet et Frédéric Faravel

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4 avril 2019 4 04 /04 /avril /2019 16:34

En échec sur sa réforme des institutions, Emmanuel Macron a entrepris de passer en force sur celle de la fonction publique (FP), baptisée en la circonstance « transformation ». Le projet de loi (PjL) que vient d’adopter, le 27 mars, le conseil des ministres n’est pourtant que l’aboutissement provisoire d’une démarche particulièrement chaotique.

Les difficultés rencontrées par le gouvernement depuis un an l’ont contraint à réduire ses ambitions. Mais s’il proclame ne pas vouloir supprimer le statut général des fonctionnaires, son projet le dénature gravement en prévoyant, notamment, un recrutement massif de contractuels, des plans de départs volontaires de fonctionnaires, des ruptures conventionnelles dans des conditions incertaines, la mise en cause du dialogue social réel (tout en revendiquant une mise en avant de la négociation collective lorsqu'elle pourrait permettre une atteinte au « principe de faveur ») et la rémunération dite « au mérite ». Tout cela en cohérence avec une logique de suppression annoncée de 120 000 postes de fonctionnaires, alors même que de l'aveu d'une bonne partie des cadres des fonctions publiques d’État et hospitalière que ces services « sont à l'os », et dans une situation de grande confusion en matière de décentralisation consécutive aux réformes initiées durant le quinquennat de François Hollande. De plus, un projet de fin de l'équité des rémunérations entre Fonctions publiques, au détriment des fonctionnaires territoriaux est sur la table depuis l'été 2017.

Ce contexte et l'absence de réalité du dialogue social lors de l'élaboration de ce projet de loi ont conduit l'ensemble des représentants des salariés à rejeter celui-ci avant sa présentation en conseil des ministres ; la position des employeurs territoriaux est plus qu'ambivalente. En définitive, le texte n'est soutenu que du bout des lèvres par des associations professionnelles « managériales » au sein de la Fonction publique – et encore, l'association des DRH des grandes collectivités territoriales estime que le travail est inachevé (pas dans notre sens) et qu'elle manque sa cible sur la santé, les conditions de travail, la formation, le texte n'étant selon cette association qu'un prétexte pour favoriser les suppressions de postes.

À ces logiques, nous devons opposer :

  • une défense du statut qui garantit la continuité, l'effectivité et la neutralité du service public ;

  • une réelle mise en œuvre du dialogue social tant au niveau des cadres nationaux que sur le terrain, en associant les représentants des salariés à la définition des stratégies et des conditions de travail en général ;

  • une réelle moralisation de la Haute Fonction Publique au sein de laquelle les conflits d'intérêts au profit du privé vont croissant ;

  • une revalorisation de l'image, des métiers et des rémunérations ;

  • un maintien de l'équité salariale entre les 3 FP (interdire la décorrélation du point d'indice de la Fonction publique territoriale - FPT - de celui des Fonctions publique d'Etat et hospitalière - FPE et FPH) ;

  • enfin, un véritable chantier en vue d'une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences (GPEC) à long terme.

* * *

Examen des principaux articles - ou plutôt des plus problématiques

Article 1er

L'objet de cet article est de poser les bases juridiques pour retirer un certain nombre de compétences aux instances de dialogue social au sein de la FP, notamment les commissions administratives paritaires (CAP). Cependant en réécrivant l'alinéa 1er de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, il introduit une notion utile qui permet théoriquement d'associer les délégués des fonctionnaires « à la définition des orientations en matière de politique de ressources humaines », ce qui irait dans le sens d'une future GPEC.

Cependant la portée réelle de l'amendement au sens du gouvernement apparaît dans les derniers mots, puisqu'il renvoie à un décret en Conseil d’État soit « l'examen de décisions individuelles » soit l'ensemble des compétences des organes consultatifs, donc limite la portée des dossiers examinés dans ces instances sans que la représentation nationale puisse en dire un mot.

Article 2

Cet article prévoit une nouvelle faculté de saisine du seul Conseil commun de la fonction publique (CCFP) sur les projets de textes comportant des dispositions communes à au moins deux versants et comprenant, également, des dispositions spécifiques à un seul versant présentant un lien avec ces dispositions communes : cela oblige donc à la consultation du seul CCFP pour tout projet de loi, ordonnance ou décret sur la quasi totalité des sujets concernant la fonction publique et impuissante les conseils supérieurs de chacune des fonctions publiques. D’autre part, il modifie la composition du collège des employeurs territoriaux du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (ce qui ne pose pas de problèmes particuliers).

Article 3

Cet article crée le comité social d’administration, territorial ou d’établissement, issu de la fusion des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) actuels.

Ce serait comme lors des réformes du code du travail conduites sous Hollande et Macron porter atteinte à l'expertise acquise par les représentants des salariés dans les CHSCT, les importantes questions d'hygiène, de sécurité et de condition de travail ne seraient plus qu'examiner dans des réunions fourre-tout où il serait impossible d'examiner au fond des sujets à la fois complexe et essentiels à la vie des travailleurs.

Article 4

L'article opère le fameux recentrage des attributions de ces CAP en supprimant l’avis préalable de cette instance respectivement sur les questions liées aux mutations et aux mobilités dans la FPE (pourquoi pas) et sur les questions liées à l’avancement et la promotion dans les trois versants de la fonction publique ce qui est bien plus gênant. En contrepartie de cette évolution, l’article prévoit d’une part la possibilité pour un agent de se faire accompagner par un représentant syndical désigné par une organisation syndicale représentative de son choix pour l’assister dans l’exercice de recours administratifs contre des décisions individuelles défavorables dans ces matières (mesure positive que je suggère de conserver).

Il procède ensuite à l’harmonisation de leur architecture en les instituant par catégories (et non plus par corps) dans la fonction publique de l’État. Il met fin, ensuite, aux groupes hiérarchiques dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière en permettant que les fonctionnaires d’une catégorie puissent, sans distinction de corps, de cadres d’emplois, d’emploi et de grade, se prononcer sur la situation individuelle (y compris en matière disciplinaire) des fonctionnaires relevant de la même catégorie – ce qui ne me pose pas problème puisqu'il permet à des fonctions de grades inférieurs à celui de l'agent examiné de participer.

Les dispositions dangereuses sont les suivantes : il retire aux CAP les avis en matière d'avancement, or les CAP sont et resteront les instances les plus proches du terrain et donc les plus aptes pour juger de la pertinence et la cohérence de la mise en œuvre des politiques d'avancement. Il me paraît nécessaire de réintroduire certaines compétences ou nécessité d'information des CAP qui étaient précisées à l'article 30 de la loi du 26 janvier 1984, concernant l'avancement, les effectifs et certaines mesures disciplinaires ; de réintroduire l'avis des CAP des collectivités territoriales sur les réintégrations empêchées d'agents, sur les transferts de plein droit d'agent dont le service et transféré, sur la répartition d'agents dans les collectivités d'un syndicat ou d'un EPCI dissous, etc. ; enfin de rétablir l'avis et le recours à la CAP sur les litiges en matière d'accord pour temps partiel, de démission et sur l'établissement des listes d'aptitude.

Article 5

L’article 5 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi en matière de négociation dans la fonction publique. L’objectif est de développer la « négociation sociale » aux niveaux de proximité (collectivité territoriale ou d’un établissement public hospitalier, social ou médico-social). Les ordonnances devront préciser les autorités compétentes et les domaines de la négociation, d’adapter les critères de reconnaissance de la validité des accords, de définir les cas et conditions dans lesquels les accords majoritaires disposent d’une portée ou d’effets juridiques ainsi que les modalités d’approbation qui permettent de leur conférer un effet juridique. L'article 5 est extrêmement général :

Recourir aux ordonnances pour la négociation sociale ne saurait être anodin après le processus autour des ordonnances Pénicaud sur le code du travail. Il est invraisemblable que cette question de la négociation sociale – d'autant plus au sein de la fonction publique, donc concernant des services et des agents qui personnifient la puissance publique auprès des Français – se fasse hors du débat parlementaire, surtout s'il s'agit d'introduire ainsi des mesures qui seraient dérogatoire aux statuts de la Fonction Publique, au principe de faveur et à la hiérarchie des normes.

Article 7

Cet article étend la dérogation à la règle d’occupation des emplois permanents de la fonction publique par des personnes ayant la qualité de fonctionnaires à des emplois de direction de l'État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière. L’accès à certains de ces postes, auparavant limité aux concours, est élargi à la voie de recrutement direct (contractualisation).

Les risques posés par une telle extension sont nombreux : accroissement prévisible des conflits d'intérêts par multiplication des allers-retours entre privé et public avec des hauts cadres dirigeants directement issus du privé qui pourraient donc défendre au sein de la haute administration les intérêts du privé ; importation à marche forcée des méthodes managériales du privé alors que l’État et la puissance publique en général ne sont pas des « entreprises » ; précarisation des hauts cadres dirigeants qui seraient donc soumis à des pressions multiples (politique ou économique) et ne pourraient donc plus défendre des logiques d'intérêt général (y en a qui le font encore) ; risque corrélatif de clientélisme et de spoil system à la française ; inégalité d'accès aux postes à haute responsabilité dans la FP puisqu'il ne sera plus nécessaire d'avoir passé un concours ou gravi les échelons dans la FP pour y prétendre, cette perspective serait évidemment rapidement fermée aux fonctionnaires car les postes à responsabilité seraient dans une telle logique rapidement capté par des intérêts tiers...

Le débat devrait plutôt porter ici sur la nécessité impérieuse d'une interdiction drastique des conflits d'intérêts dans la haute fonction publique.

Article 8

Cet article crée un contrat de projet au sein de la fonction publique, au prétexte de mobiliser des profils divers pour la conduite de projets ou d’opérations identifiés s’inscrivant dans une durée limitée (un à six ans). Ce nouveau contrat n'ouvrirait droit ni à un contrat à durée indéterminée, ni à titularisation, et serait ouvert à l’ensemble des catégories hiérarchiques.

Dans la FPT, les embauches en contrats de missions, signés et résiliables au gré des élections locales, privilégient une conception clientéliste de la gestion locale, à l’opposé de l’éthique de la Fonction Publique, de neutralité, de probité et d’indépendance à l’égard des intérêts privés ou partisans. Dans la FPE et la FPT, cet article pose les mêmes problèmes que l'article précédent.

Article 9

Il étend significativement les possibilités de recruter des agents contractuels au sein de la fonction publique d’État, tout en maintenant le principe selon lequel les emplois permanents de l’État sont occupés par des fonctionnaires, afin de renforcer la qualité et la continuité des services publics dans les territoires.

Les employeurs publics auront désormais la possibilité de recruter par voie de contrat sur les emplois de toute catégorie hiérarchique, et non plus seulement de catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient, notamment lorsque l’emploi fait appel à des compétences techniques spécialisées ou nouvelles, ou lorsque la procédure de recrutement d’un titulaire s’est révélée infructueuse. En outre, le recrutement des agents contractuels est également ouvert lorsque l’emploi ne nécessite pas une formation statutaire donnant lieu à titularisation dans un corps de fonctionnaires.

Cet article soumet les agents contractuels des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État pris pour l’application de l’article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État.

Enfin, cet article ouvre aux établissements publics de l’État une faculté de recrutement d’agents contractuels pour l’ensemble de leurs emplois afin de leur d’offrir une souplesse supplémentaire de fonctionnement (à l’exception de ceux pourvus par les personnels de recherche).

Cet article est dangereux pour les mêmes raisons que les articles 7 et 8.

Article 10

L'article autoriserait le recrutement par contrat sur les emplois de catégorie B, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient, dans les mêmes conditions que pour les emplois de catégorie A. D’autre part, les communes de moins de 1 000 habitants et leurs groupements pourront recourir au contrat pour l’ensemble de leurs emplois permanents, quelle que soit la quotité de temps de travail de ces emplois. Enfin, l’article simplifie les règles de recrutement sur les emplois à temps non complet afin de mieux répondre aux besoins des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, de ne plus recourir à la vacation pour pourvoir ces emplois et prévenir dit-il, à l’avenir, le développement de situations de précarité.

Les employeurs territoriaux pourront aussi recruter des agents contractuels sur les emplois dont la quotité de temps de travail est inférieure à 50 % de la durée légale. Enfin, les centres de gestion pourront recruter des agents contractuels et les mettre à la disposition des collectivités qui le demandent, pour l’occupation de ces mêmes emplois à temps non complet.

Or en l’état actuel du droit le recours aux contractuels dans la FPT est permis :

1) lorsqu’il n’y a pas de cadres d’emplois de fonctionnaire adéquats ;

2) pour les catégories A quand les besoins des services/nature des fonctions le justifient et si aucun fonctionnaire dispo ;

3) pour les emplois de secrétaire de mairie dans les communes/groupements de communes de moins de 1000 habitants ;

4) Pour les emplois à temps non-complet inférieur à 50% des communes/groupements de communes de moins de 1000 hab (ce qui serait supprimé par cet article du PjL) ;

5) Pour les emplois des communes moins de 2000 habitants et les groupements de communes de moins de 10 000 habitants dont la création/suppression dépend d’une autorité s’imposant aux collectivités et établissements publics.

Ces contractuels sont recrutés en CDD d’une durée maximum de trois ans, sans que cela soit modifié par le PJL, alors qu’il promeut le recours au CDI pour les contractuels de la FPE et que les contractuels de la FPT sont les plus précaires.

Article 12

L’article modifie le statut général des fonctionnaires pour faire disparaître la référence à la notation et généraliser l’entretien professionnel permettant d’apprécier la valeur professionnelle des fonctionnaires. Si la logique de notation est aujourd’hui très imparfaite, et ses grilles obsolètes, son remplacement par l'entretien professionnel me paraît introduire une logique d'arbitraire et d'individualisation absolue de la procédure. Il conviendrait donc plutôt de privilégier une actualisation du principe de notation.

Cet article a, par ailleurs, pour objet, au sein de la FPT, de prévoir que la demande de révision du compte rendu de l’entretien auprès de la commission administrative paritaire interviendra désormais à la seule demande de l’agent, ce qui me paraît positif.

Article 13

L'article prétend assurer la cohérence des critères déterminant la rémunération des agents publics, fonctionnaires ou contractuels, quel que soit leur employeur public, en soulignant l’importance du critère de l’engagement professionnel et du mérite. Il précise également pour la FPH les conditions de mise en œuvre de l’intéressement collectif en le liant à la qualité du service rendu.

C'est donc dans les deux cas une logique de prime au mérite avec risque dans une logique comptable que ces primes soient peu à peu défalquées dans la FPH des rémunérations fixes.

Article 14 :

L'article prévoit la suppression de la compétence consultative des CAP en matière de promotion de corps, de cadres d’emplois et de grade, et instaure dans les trois versants de la fonction publique des lignes directrices de gestion concertées au sein du nouveau comité social institué à l’article 3 du PjL, sur le même modèle que celles instituées en matière de mobilité pour les fonctionnaires de l’État.

Article 16 :

L'article procède à une réforme du cadre déontologique applicable aux agents publics.

Le Gouvernement souhaite faciliter le pantouflage partiel des fonctionnaires en limitant le contrôle (avis qui s’imposent à l’agent et à l’administration !) de la Commission de déontologie, notamment pour des fonctionnaires ou agents qui créent ou reprennent une entreprise, mais aussi en lui enlevant son pouvoir de “recommandation” sur les situations individuelles. Ceci va mécaniquement augmenter les conflits d’intérêts !

Cet article devrait au contraire être une nouvelle occasion d'aborder le problème des conflits d'intérêts des Hauts Fonctionnaires. Il faudrait également que la déclaration d’intérêts soit transmise à l’autorité hiérarchique précédente et à l’autorité hiérarchique actuelle pour information, et pas uniquement à la Haute Autorité de Transparence de la Vie Publique (HATVP). En effet, elles peuvent toutes les deux détenir des informations et elles doivent aussi garantir à la HATVP que la déclaration est sincère.

Article 17 :

L'article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour une réforme des institutions médicales et des droits en matière de santé dans la fonction publique. Mais il n'a pas pris le temps d’une réelle concertation, débats, et sans préciser ses intentions réelles. Encore une fois le recours aux ordonnances n'est pas légitime ; il conviendrait de renvoyer ce sujet à la concertation avec les représentants des fonctionnaires.

Article 22 :

L'article prévoit des ordonnances pour réformer la formation des fonctionnaires, réformer le recrutement des agents de catégorie A et la formation spécifique en vue de faire évoluer professionnellement les agents les moins qualifiés, les agents handicapés et ceux exposés aux risques d'usure professionnelle.

Il est plus qu'étonnant que le gouvernement prétende passer par ordonnance sur un tel sujet qui devrait être débattu par le parlement après une réelle concertation avec le CNFPT et les CS des FP.

Article 26 :

L’article met en place, à titre temporaire pendant six ans, à compter du 1er janvier 2020 jusqu’au 31 décembre 2025, un dispositif de rupture conventionnelle applicable aux fonctionnaires relevant des trois versants de la fonction publique : c'est un cas supplémentaire de cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité du fonctionnaire. Elle ne concernera ni les fonctionnaires stagiaires, ni les fonctionnaires détachés sur contrat, ni les fonctionnaires ayant droit à une pension de retraite à taux plein.

Un remboursement de l’indemnité de rupture conventionnelle est prévu, sous certaines conditions, en cas de retour dans l’emploi public dans les 3 années consécutives à la rupture conventionnelle.

L’évaluation de cette expérimentation sera présentée au Parlement un an avant leur terme. Elle portera notamment sur le nombre de fonctionnaires couverts par ces dispositifs et leur coût global.

L’article pose également le principe de la rupture conventionnelle pour les agents CDI dans les 3 FP ainsi que pour les ouvriers de l’État. Les modalités d’application de la rupture conventionnelle, notamment l’organisation de la procédure, seront définies par voie réglementaire.

L’article étend enfin le régime d’auto-assurance chômage des agents publics civils aux cas de privation d’emploi résultant d’une rupture conventionnelle, sur le modèle de ce qui existe pour le secteur privé, ou de certaines démissions donnant droit à une indemnité de départ volontaire.

Ces ruptures conventionnelles, dans un rapport par nature inégalitaire État - agent, sont un moyen de licencier en masse. La rupture conventionnelle présente des dérives évidentes. Pour les plus faibles, elle est souvent acceptée par le·salarié·poussé par son employeur à la suite d’une situation de mal-être, voire de conflit au travail. Elle constitue en outre un véritable outil d’ajustement de l’emploi et permet aux employeurs publics de contourner les règles. On peut aussi « imaginer » que ce dispositif permettrait de virer des fonctionnaires, en les mettant sous pression de quitter la FP, sans passer par la procédure disciplinaire habituelle qui garantit les droits du fonctionnaire…

Par ailleurs, il est surprenant que le PjL prévoit une possibilité de remboursement de l'indemnité de rupture conventionnelle pour les agents ayant occupé « un emploi permanent à temps complet et titularisés dans un grade de la hiérarchie des administrations de l’État, des autorités administratives indépendantes ou des établissements publics de l’État » qui dans les 3 années consécutives à leur « rupture conventionnelle » souhaiteraient occuper un emploi dans la FPE. En imaginant que cette forme de rupture conventionnelle soit mise en place dans la FP (tant pour les titulaires que pour les contractuels), pourquoi exiger des anciens agents publics une telle contrainte alors qu'elle n'est évidemment inexistante dans le privé ? On peut cependant concéder quelques cas de vigilance particulière là où la procédure de rupture conventionnelle pourrait être utilisée non pour faciliter des licenciements mais pour accompagner à grands frais le « pantouflage » d'une oligarchie technocratique, ajoutant ainsi du « beurre dans les épinards » des conflits d'intérêts. Il conviendrait au minimum d'interdire cette la « rupture conventionnelle » pour les cadres issus des grandes écoles qui doivent des années de services à l’État et interdiction pour les hauts fonctionnaires

Enfin le PjL ne crée pas un droit à l’assurance-chômage des fonctionnaires « rupturés », mais un régime spécifique pour les agents ayant fait une rupture conventionnelle (agents de la FPE, FPT, mais pas FPH) ou d’une indemnité pour restructuration de service : en réalité, tout cela est un habillage pour faire passer les « plans de départ volontaire » annoncés par Gérald Darmanin.

Article 27 :

L'article crée un cadre juridique pour permettre de véritables plans sociaux dans la FP sans réelles garanties en terme de procédure de « reclassement ».

En cas de suppression d'un emploi dans le cadre de la restructuration d’un service ou d’un corps, le PjL crée un accompagnement personnalisé dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet professionnel et un congé de transition professionnelle destiné à favoriser l’accès à des formations nécessaires à l’exercice d’un nouveau métier : c'est presque un sous licenciement économique.

Dans la FPE, le PjL implique une affectation automatique sur un emploi vacant de même grade dans un même périmètre ministériel MAIS le souhait de l'agent n'est pas forcément pris en compte. Si l'agent demande une mutation ou un détachement cela peut se faire dans le même périmètre ministériel MAIS à l'échelle nationale ce qui impliquera une mobilité forcée (on cherche ici à favoriser les départs volontaires). Si ces mesures n'ont pas débouché, l'agent peut demander une mutation ou un détachement dans le département ou la région dans un autre périmètre ministériel – là encore les mobilités peuvent être problématiques. Jusqu'ici les souhaits géographiques des agents étaient prioritaires.

Le PjL prévoit une possibilité de mise à disponibilité d’un an dans le secteur privé (avec perte de ses possibilités d'avancement et sans qu'il soit précisé quels sont les conséquences pour l'agent qui refuserait d'aller dans le privé), avec une partie de sa rémunération payée par l’État (on prévoit de subventionner l'emploi ?!). En cas de démission par l’agent public, il aurait droit à une indemnité de départ et à une forme d'assurance chômage.

Dans la FPH, le PjL permet une affectation sur tout emploi vacant (correspondant au grade) dans le département sur la demande de l’État OU sur sa demande priorité de recrutement dans un autre établissement du département OU sur tout emploi vacant dans un établissement de la région, on sait ce que cela signifie en terme mobilité avec la taille des nouvelles régions.

Ces mesures permettront donc au gouvernement de procéder à des plans de licenciement, en lui laissant les mains libres sur la manière de procéder (« restructuration d’un service ou d’un corps » lui laissant une très large marge d'appréciation arbitraire) . Au-delà des conséquences sur les agents eux-mêmes, on vient bien apparaître une logique conduisant à une anémie du maillage territorial de l’État sur les territoires.

Par ailleurs, cette logique de « dégraissage » de la FPE va entraîner un reclassement progressif de nombreux cadres d'Etat vers les collectivités territoriales ce qui pose à mon sens deux problèmes de fond :

  • ces agents n'ont pas la même « culture » que les cadres territoriaux dans le rapport aux administrés et usagers et en terme de proximité de l'action publique. Au moment, où les Français – au travers du mouvement des « Gilets Jaunes » – expriment un besoin de proximité dans l'élaboration et la mise en œuvre de l'action publique, cette dynamique va créer des ruptures et des incompréhensions dommageables aux liens sociaux et aux collectivités. Cela s'ajoute à la mode actuelle au sein de certaines catégories de cadres territoriaux (cf. tribune du 26 mars dans Le Monde du président de l'association des DRH des grandes collectivités territoriales) en faveur des méthodes managériales du privé qui créeront des dégâts supplémentaires sur certains agents dont l'employabilité hors de la FPT serait souvent impossible : nous risquons d'être ainsi confrontés dans les années à venir à une hausse de l'absentéisme, de l'usure professionnelle et des burn out ;

  • le reclassement des cadres d’État dans la FPT, conjuguée à l'embauche massive de cadres issus du privé, va profondément gripper le processus imparfait mais existant de promotion sociale et professionnelle dans les collectivités locales ce qui va diminuer la motivation et la mobilisation des personnels.

Enfin, le PjL ne crée pas un droit au chômage classique : tout est à déterminer par décret. On pourrait au demeurant se demander qui suivra ces agents licenciés pour accompagner leur « retour à l'emploi ».

Il conviendrait au minimum de remettre les souhaits géographiques des agents en priorité dans les « reclassements » et de ne pas attendre le décret pour fixer aux agents victimes du licenciement les « bénéfices » du licenciement économique classique.

Article 28 :

Cet article permet d'engager par voie administrative un vaste chantier de privatisation des activités de services publics actuels en accompagnant le détachement des agents dont le service est privatisé vers les nouvelles entreprises qui bénéficieront de cette privatisation. Ce détachement est prononcé pendant la durée du contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil, sur un contrat de travail conclu à durée indéterminée auprès dudit organisme. Durant ce détachement, le fonctionnaire conserve une rémunération au moins égale à celle qu’il percevait antérieurement. En outre, les services effectués dans cette position sont assimilés à des services effectifs dans son corps ou cadre d’emplois d’origine afin de préserver ses droits à promotion dans son administration d’origine. Enfin, lorsque le contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil prend fin, le fonctionnaire peut opter soit pour sa radiation des cadres et le versement d’une indemnité prévue par décret, soit pour sa réintégration de plein droit dans son administration d’origine.

En fait, le gouvernement nous refait en pire le coup de France Télécom, d'autant que la façon dont est présenté le texte donne à penser que ces privatisations pourraient se faire sans passer par un débat national et parlementaire.

Titre V

Les articles 29-30-31-32-33-34-35 sont le « supplément d'âme sociétal » offert par le gouvernement pour faire passer la potion amère de cette déconstruction libérale du service public pour un grand projet progressiste. C'est l'équivalent du « droit à la déconnexion » et du « compte personnel d'activité » dans la loi El Khomri.

Frédéric Faravel

Olivier Dussopt, secrétaire d'Etat à la fonction publique, et Emmanuel Macron... photo prise à l'époque où le "député d'opposition" traitait le président de la République de "connard"... on a effectivement changé de monde ;-)

Olivier Dussopt, secrétaire d'Etat à la fonction publique, et Emmanuel Macron... photo prise à l'époque où le "député d'opposition" traitait le président de la République de "connard"... on a effectivement changé de monde ;-)

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3 avril 2019 3 03 /04 /avril /2019 08:41

Je me permets de diffuser ici pour sa grande qualité intellectuelle le débat organisé par l'association "Critique de la Raison européenne" de l'Institut d'Etudes politique de Paris. Marcel Gauchet et Emmanuel Todd débattent  le 26 mars 2019 dans une conférence intitulée "La France sous Macron : de la fracture sociale à l'explosion ?".

Les deux intellectuels échangent sur l'impasse politique dont l'accession au pouvoir de Macron et la réaction sociale qu'il a provoquée (la crise des "Gilets Jaunes") sont les symptômes terminaux.

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