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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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22 octobre 2019 2 22 /10 /octobre /2019 16:43
Macron est bien la créature de François Hollande qui propose peu ou prou ce dont rêve aujourd'hui l'actuel locataire du palais de l'Elysée

Macron est bien la créature de François Hollande qui propose peu ou prou ce dont rêve aujourd'hui l'actuel locataire du palais de l'Elysée

Une nouvelle fois, François Hollande croyant faire preuve de subtilité vient aujourd’hui nous affliger de sa contribution à la réflexion sur le fonctionnement institutionnel de notre pays.

C’est pourtant peu de dire qu’une cure d’humilité devrait mieux lui convenir, tant son quinquennat fut une calamité pour son camp politique qu’il envisageait lui-même de dynamiter dans des confidences à deux journalistes, et tant le niveau de défiance à son égard fut fort qu’il n’osa pas proposer sa réélection.

Mais surtout, en brossant à grand trait un régime présidentiel qui n’aurait pas les effets démocratiques voulus (il propose une transposition du fonctionnement américain qui n’a pas empêché l’élection de Donald Trump, dont il fait un des symptômes de la crise démocratique qu’il prétend en partie résoudre avec le même régime présidentiel), il oublie que le fonctionnement institutionnel ne se réduit pas au mécano simpliste qu’il nous décrit...

🔴 Il rejette toute sixième république parlementaire, prétendant qu’elle produirait une probable confiscation de la souveraineté populaire alors qu’on ne voit pas en quoi son système l’éviterait. Il prétend également que ce serait un retour à la Quatrième. Il oublie ici les mots pour une fois pertinents de Georges Pompidou qui expliquait que la nature d’un régime démocratique dépendait souvent plus du mode de scrutin que de sa constitution écrite : or la Quatrième était tout à la fois l’otage d’une situation géopolitique – la guerre froide – qui empêchait l’union des gauches (il faudra qu’il nous dise en quoi il existerait une situation comparable aujourd’hui) et, durant la plus grande partie de son temps, d’un mode de scrutin complexe avec l’apparentement qui rendait illisible la traduction politique des résultats électoraux ;

🔴 Ce n’est pas dans sa tribune mais paraît-il dans un livre à venir... il rejette également le scrutin proportionnel plaidant pour le maintien du scrutin majoritaire... Sa réflexion est bien pauvre car d’autres solutions peuvent être trouvées que cette dialectique débilitante entre majoritaire et proportionnelle : je connais un sénateur socialiste et politiste de profession – Eric Kerrouche – qui semble être très intéressé (sans s’y enfermer) par le vote préférentiel pratiqué dans la République d’Irlande, c’est peut-être un peu compliqué mais ça peut se regarder ; pour ma part, cela fait 26 ans (sans avoir aucune influence du fait de mon anonymat politique relatif) que je plaide pour un véritable scrutin mixte où les départements densément peuplés éliraient leurs député(e)s au scrutin proportionnel et les autres au scrutin majoritaire à deux tours ;

🔴 Jouant sur les traumatismes de leur échec exécutif les supporteurs de l’ancien président nous expliquent que ce système verrait une réduction des pouvoirs présidentiels parce que disparaîtraient droit de dissolution et 49•3 (ils l’ont tellement défendu celui-là qu’on se retient de s’esclaffer)... ah ben mazette nous voilà rassurés ! Quid des pouvoirs de nomination ? Quid des pouvoirs spéciaux ? Quid du déclenchement des conflits sans autre forme de contrôle parlementaire qu’un débat après coup et sans vote ? Quid de l’initiative législative de l’exécutif ?

🔴 Le pendant du régime présidentiel serait un renforcement des pouvoirs du parlement... on peine à trouver dans cette tribune sur quoi s’appuierait concrètement ce renforcement. Mon seul point d’accord avec l’ancien président c’est qu’un renforcement des pouvoirs « d’investigation, d’évaluation et d’initiative » du parlement ne saurait se faire sur la base d’une réduction du nombre de parlementaires – au-delà des considérations de représentativité et d’égalité des citoyens devant le suffrage, des tâches plus étendues (pourtant déjà inscrites dans la constitution mais difficilement mises en œuvre) ne pourraient être assumées par un parlement anémié. L’ancien président ne se prononce concrètement que sur la nécessité selon lui de raccourcir encore la procédure législative, alors que il n’y avait jamais eu autant de textes examinés en procédure accélérée que sous son quinquennat jusqu’à ce que son successeur la généralise de fait : tout parlementaire sain d’esprit et honnête vous dira à quel point il est invraisemblable de travailler dans ces conditions au détriment de la loi et de l’intérêt général. Mais quid encore de l’article 40 de la constitution qui réduit la capacité budgétaire du parlement ? Quid de la capacité à légiférer par ordonnances (hors des procédures de législation à droit constant) ? Quid des équilibres en terme de maîtrise de la procédure législative ? Quid du pouvoir réel des commissions parlementaires permanentes ? Quid des capacités de recours aux missions d’information et commissions d’enquête aujourd’hui bridées ? Quid de la capacité du parlement à produire des études d’impact ou contre-études sérieuses ? Quid du pouvoir du parlement sur certaines administrations, comme c’est le cas du Bundestag, absolument nécessaire pour assurer ces missions ?
Et en quoi tout cela serait-il incompatible avec diverses procédures à inventer permettant d’associer plus souvent les citoyens aux décisions ?

Certains trouveront mon propos déjà trop long, il est pourtant plus court que la dite tribune...

Au-delà de l’ancien président qui semble s’ennuyer dans sa retraite forcée, je suggère à tous ceux que ce sujet intéresse réellement de consulter la contribution qu’avait publiée en mars dernier le syndicat CGT des collaboratrices & collaborateurs parlementaires ➡️ https://bit.ly/2W5gqdh à laquelle j’avais contribué avec d’autres.

Mais plus gravement, je crois que l’ancien premier secrétaire du PS se trompe de diagnostic : si les démocraties parlementaires occidentales connaissent elles aussi des difficultés, si les extrêmes droites y progressent, ce n’est pas tant à cause de leurs fonctionnements institutionnels que de la déliquescence intellectuelle et idéologique des partis qui les ont dominées : s’il est devenu impossible de distinguer droite et gauche au Pays-Bas, en Allemagne, en Italie ce n’est pas à cause de leurs institutions ; si la gauche s’est effondrée en Pologne ou en Hongrie pour laisser la place à des ultra conservateurs ce n’est pas à cause des institutions mais parce qu’elle s’y est totalement décrédibilisée.

Donc en conclusion la crise qui affecte l’ensemble de nos démocraties vient bien plus de l'incapacité à porter des projets qui emportent l’adhésion ou à proposer un horizon de société. Toutes choses qui ont manqué à François Hollande et à ses amis.

Frédéric FARAVEL

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18 octobre 2019 5 18 /10 /octobre /2019 14:43

On dit parfois que quand quelqu’un montre la lune les idiots regardent le doigt... certains aussi pensent qu’on peut éteindre une mauvaise polémique par une autre mauvaise polémique. De la part d’une élue comme Madame Laurence Rossignol, sénatrice PS de l'Oise et ancienne ministre de François Hollande, se revendiquant du camp de l’émancipation et du progrès, il serait cependant utile d’éviter les grosses ficelles et de parler de choses qu’on ne connaît pas du tout en procédant à des généralisations et des amalgames aussi abusifs qu’insultants.

Je ne partage pas grand chose avec les Églises évangéliques (que la sénatrice en question renomme « églises évangélistes » 🤔) et sûrement pas leur caractère conservateur moral qui me débecte ; mais il serait lamentable de les dénoncer pour une « rage » dont elles ne sont pas porteuses ... ou alors il faut assumer de vouloir les tuer.

Si ces Églises assument parfaitement leur nature prosélytes – ce qui somme toute est assez logique pour une religion – il convient de regarder les faits :
• aucune des dénominations membres du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) ne prône une remise en cause des enseignements de l'école républicaine, comme la parlementaire semble l’affirmer. Ils peuvent être très conservateurs sur le plan des mœurs, ce qui peut effectivement mettre mal à l'aise une institution nécessairement laïque et ouverte comme l'école. De là à prôner le créationnisme par exemple, franchement, c'est très minoritaire et ces extrêmes existent dans toutes les religions.
• les atteintes à la laïcité en milieu scolaire sont finalement rares. Du côté du ministère de l'Education nationale, on nous indique que "les atteintes à la laïcité ne sont pas classées par religion". Seules des données globales existent : les fameux 900 cas remontés sur le dernier trimestre et évoqués ces derniers jours dans les médias. Parmi eux, 61% sont du fait des élèves, 19% de la part des parents. Sans parler d'une confession religieuse en particulier, le ministère souligne : "900 cas sur 12 millions d'enfants scolarisées, cela reste très minoritaire". "Pour chaque cas, un suivi auprès des élèves et des parents est effectué", ajoute-t-il. Les contestations d'enseignement oscillent entre 11 et 20% des signalements, depuis avril 2018. Les organisations membres de la CNEF quoi que l’on puisse leur reprocher n’ont dans leur discours et dans leurs pratiques pas de volonté d’entre soi et de mise à l’écart des enfants de leurs famille par rapport à l’école républicaine. Ils fréquentent très majoritairement celle-ci.
• "Quelques églises évangéliques, non affiliées au Conseil national des évangéliques de France (qui rassemble plus de 70% des églises évangéliques) et des petites églises pentecôtistes, le plus souvent créées par des pasteurs auto-proclamés, font craindre de graves dérives (...). Discours millénariste, recours fréquent à l'exorcisme, mise en scène spectaculaire du pouvoir miraculeux du fondateur, création d'émotions collectives en sont les marqueurs. Ils provoquent chez certains adeptes des états d'hystérie et des traumatismes. Au-delà du risque sectaire, le repli communautaire et la vision apocalyptique véhiculés par les discours de ces pasteurs est une menace pour la cohésion de la société", rapporte la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), dont le gouvernement actuel n'a pas remplacé son dernier président (parti à la retraite en 2018) et qu'il a décidé de dissoudre dans les services du ministère de l'intérieur au 1
er janvier 2020.

Cette disparition en tant que telle pose un énorme problème car la lutte contre les sectes et contre la radicalisation sont deux combats différents. La motivation de cette décision se trouve exclusivement dans la volonté de réaliser des économies budgétaires ; on se prive ainsi d’un outil fondamental et l'on fait disparaître la lutte contre les sectes. De leur coté, des acteurs du monde associatif que nous avons contacté craignent de ne plus pouvoir accompagner les victimes correctement. Si je voulais faire du mauvais esprit face à cette situation désastreuse, je pourrais expliquer que la Miviludes est malheureusement plus utile que les propos approximatifs de la sénatrice PS ; malheureusement c'est elle que France Inter a choisi d'interroger à une heure de grande écoute mardi 15 octobre 2019. Il serait donc utile de retourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de l’ouvrir quand on veut paraître plus intelligente que tout le monde.

Tous ces gens qui s’effraient de la progression des thèses des Frères Musulmans ou des Évangéliques les plus réactionnaires parmi nos voisins et concitoyens devraient plutôt s’interroger sur une partie des raisons (celles sur lesquelles nous pouvons agir) qui ont permis ou permettent encore la progression facile de leurs idées. Si on n’avait pas failli sur la promesse républicaine, sur la République sociale, on en serait sans doute pas là... venant de gens qui en plus ont collaboré avec des gouvernements qui ont accru cette faillite politique, je trouve cela d’autant plus croquignolet.

Moi je n’aurais aucun mal à dire qu’il faut être anticlérical et qu’il faut faire reculer l’influence dans les têtes et dans les rues de ces obédiences, mais on ne réussira (que ce soit pour l’islamisme ou les fondamentalistes protestants) qu’à la condition de ne pas se tromper de diagnostic, de ne pas élargir au-delà du réel le nombre des adversaires, et surtout en redevenant crédibles sur le projet politique et social qu’on défend : la cohésion nationale ne se bâtit pas uniquement sur des injonctions mais sur le fait que chacun puisse trouver dans son quotidien la preuve positive qu’il est membre de la Nation.

Frédéric Faravel

un culte au sein de l'église évangélique Martin-Luther King

un culte au sein de l'église évangélique Martin-Luther King

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15 octobre 2019 2 15 /10 /octobre /2019 13:04

Il y a plusieurs choses qui me gênent profondément dans la façon dont le débat public tourne ces derniers mois, et en fait ces dernières années :

1- Comment peut-on accepter de réduire les "musulmans" (si tant est qu'on puisse définir précisément une telle catégorie) vivant en France, ou les Français de confession musulmane (tout comme il y a des Français de confession juive, protestante, catholique, bouddhiste et surtout majoritairement sans confession), à l'image qu'en donnent celles et ceux qui ont une interprétation particulière, qui ont par ailleurs parfaitement le droit de l'avoir dans le respect du cadre républicain mais qui sont également minoritaires au sein de leur propre confession en France ?

2- Doit-on également, parce que c'est aussi cela qui est en jeu, assigner explicitement ou implicitement les immigrés d'origines maghrébine, sub-saharienne et moyen orientale, les Français dont les parents ou grands parents immigrés sont de ces origines, à une confession comme on assigne des personnes à résidence ? Ne vous est-il jamais venu à l'idée que parmi eux il y en a des nombreux qui sont agnostiques ou athées ?

3- Ne vous est-il jamais venu à l'idée qu'en procédant ainsi, souvent par fainéantise intellectuelle, qu'en validant de telles réductions et raccourcis, on facilite le travail de sape de l'extrême droite (qui a trouvé une diversion facile pour renommer son racisme anti-maghrébin et anti-africain "lutte contre l'Islam") et des islamistes contre la République et la cohésion nationale ?

4- Ne vous est-il jamais venu à l'idée que si nous voulons d'un point de vue républicain procéder à une reconquête de l'hégémonie culturelle perdue face aux diverses facettes de l'obscurantisme (message de soumission de la femme et de supériorité de la loi religieuse sur celle de la République d'un côté ; racisme et inégalitarisme de l'autre), cela ne pourrait fonctionner en assignant une partie de nos compatriotes à une identité réductrice, en refusant de discuter rationnellement et de manière argumentée avec celles et ceux dont la pratique religieuse nous "dérange", et sans redonner sens et réalité à la vocation sociale de la République ?

Soyons sérieux : tout le monde sait que l'Islam autour du monde vit aujourd'hui une période de tensions géopolitiques, sociales et théologiques, qui forcément atteint par ricochets certains de nos concitoyens. Est-ce que ceux qui ne sont pas musulmans peuvent décider de comment doit évoluer cette situation (vous imaginez vous expliquer au Pape et aux cardinaux ce que DOIT devenir le catholicisme romain ?) ? Je ne le crois pas... par contre, c'est aux Républicains sincères d'être convainquant sur le type de société qu'ils défendent et cela ne peut l'être qu'en rendant concret ce qui crée du commun.

Jaurès avait dit au lendemain du vote de la loi de 1905 : "La République est désormais laïque, elle doit devenir sociale. C'est parce qu'elle sera devenue sociale qu'elle restera laïque." Réfléchissez y bien...

Frédéric Faravel

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12 octobre 2019 6 12 /10 /octobre /2019 19:24

Sortant du cinéma après avoir vu le nouveau film de Todd Phillipps, dont je comprends désormais aisément qu'il ait reçu le Lion d'Or à la Mostra de Venise, l'effet qu'a produit « Joker » sur moi a sans doute inhibé ma faible capacité à trouver un titre original. Ceux qui auront vu le film ou qui auraient lu des critiques trouveront sans doute que je sombre dans la banalité ou la facilité ; ils auront sans doute raison, mais je vais essayer de traduire dans les lignes qui suivent quelques impressions fortes qui me paraissent être transmises par cette interprétation originale d'un anti-héros emblématique des Comics américains.

Joaquin Phoenix, ayant achevé sa transformation

Joaquin Phoenix, ayant achevé sa transformation

Évidemment, la composition de Joaquin Phoenix – dont on ressent bien qu'il ait pu manquer de sombrer dans la folie avec ce personnage, quand on connaît sa propension à s'immerger dans ses rôles – est proprement époustouflante, tous les autres Jokers qui l'ont précédé (sauf peut-être Heath Ledger) peuvent aller se rhabiller, ils ne lui arrivent pas à la cheville ; le scénario, la mise en scène, la photographie, la bande sonore et le reste du casting sont à l'unisson. Autre originalité à souligner, l'histoire de ce « Joker » n'a jamais de près ou de loin été contée dans une quelconque version BD des Comics, dont il décrit ici la genèse d'un des personnages phares. C'est donc une œuvre originale dans tous les sens du terme. Or donc ce qui est intéressant dans toute œuvre originale, c'est ce qu'elle semble raconter de la société dans laquelle nous vivons.

Je m'écarterai de ce qui semble faire prioritairement polémique, notamment aux États-Unis, sur le fait que d'aucuns y verraient une implicite apologie de la violence, dans un pays tout à la fois rudement touché par les meurtres de masse, la prise de conscience qui en découle et le déni pathologique d'une partie de ses institutions et de sa population. Pourtant s'agissant du portrait et du passé d'un criminel psychopathe, on pouvait s'attendre à ce que le film en lui-même ne soit pas exactement une bluette pour adolescent ; la production cinématographique américaine propose suffisamment d'images de violence gratuite, sans aucun recul, pour qu'on ne fasse pas ce procès au « Joker » plus qu'à un autre. Au contraire, comme dans The dark knight rises (qui avait pour le coup été frappé par des agressions et des fusillades au moment de sa sortie), « Joker » est suffisamment explicite dans sa manière de mettre en scène la folie et l'insanité du personnage principal pour que le recul existe sur la violence qui s'affiche. Je considère qu'ici c'est la société américaine qui se sert du film comme d'un miroir à ses propres angoisses et impensés.

Il me semble que le film développe un propos social pour le coup assez appuyé et transparent. Le Gotham city décrit de manière évidente le New York du début des années 1980, celui de la crise sociale, des immeubles décrépis et presque insalubres, des rues sales soumises à la criminalité, celui de la crise morale également, quand l'Amérique avait mauvaise conscience de la guerre du Viet Nâm, rejetait ses vétérans (c'est le pitch du premier Rambo) et que la police new-yorkaise semblait irrémédiablement gangrenée par la corruption.

#Joker, une fable sociale... et politique

Le décor est cohérent avec les deux messages principaux.

Le premier se greffe sur la compréhension de la fabrique d'un monstre. Comédien raté, avec un passé psychiatrique déjà chargé (on découvrira dans le dernier tiers du film à quel point), Arthur Fleck est suivi par les services sociaux de la ville de New York, ce qui l'empêche de sombrer totalement.

Évidemment, la vie qui lui est promise sur ce chemin n'a rien de réjouissant, le personnage est un loser, qui semble condamné aux brimades et à la médiocrité. Il n'y a pas d'angélisme dans la présentation des services sociaux : le metteur en scène ne laisse aucun doute sur le fait que les psychologues qui accompagnent Arthur sont dépassés, désabusés, pas forcément à l'écoute, mais pas forcément sans conscience de leur utilité sociale, de leur rôle et de leur place. C'est la suppression de tout ou partie des services sociaux municipaux pour coupes budgétaires qui va être l'un des éléments rendant possible la dérive délirante et la naissance du Joker, Arthur choisissant sous l'effet de sa dérive psychiatrique de considérer que la folie lui offre la possibilité de se réaliser plus pleinement.

On pourra considérer que le propos reprend des discours psycho-pédagogiques que certains disent éculés et qui viseraient selon eux à excuser les criminels et feraient preuve de naïveté quant aux peines qui leurs sont infligées... On pourra juste rappeler à quel point presque toutes les prisons des pays démocratiques (il y a une exception US, qui a trait à l'enfermement des hommes noirs américains, je ne vais pas entrer dans les détails, mais lisez Emmanuel Todd) sont remplies majoritairement d'individus atteints de sévères troubles psychologiques ; c'est sans doute l'une des raisons, parmi d'autres, pour lesquelles la mission de correction, de rachat ou de rééducation qu'on leur fixe est aujourd'hui en échec. On ne dira jamais à quel point les politiques de prévention psychologique et sociale sont des outils essentiels pour éviter des parcours criminel ; on ne redira jamais à quel point certains des pires tueurs de ses dernières années avaient un pedigree psychologique chargé dès l'enfance et témoignent donc d'un échec ou plutôt d'un abandon du suivi social et psychologique de l'enfance en difficulté... n'oublions jamais qu'un enfant violenté a besoin d'être accompagné pour faire preuve de résilience.

Le film dit d'abord cela : l'austérité détruit nos capacités à prendre soin, à soigner ceux de nos prochains qui sont les plus fragiles, l'austérité accouche de fous dangereux et criminels, donc l'austérité détruit à court et moyen terme notre sécurité individuelle et collective, notre tranquillité...

#Joker, une fable sociale... et politique

Le second s'engage sur le terrain de la morale économique et sociale, de la morale ramenée à une forme de lutte des classes. On pourrait y voir une forme d'illustration de la notion de common decency, proposée tout au long de son œuvre par l’écrivain britannique et socialiste George Orwell.

Cette notion postule une « décence ordinaire », un sens inné de l’entraide et de l’éthique propre à la classe ouvrière – ou aujourd'hui (dans une époque où le sentiment d'appartenance de classe a fondu) aux catégories populaires  –, cette dernière, de par sa condition, serait plus encline que les autres à l’entraide, à la fraternité, à un comportement « moral ». La notion est aujourd’hui reprise et abusivement exploitée par toute sorte d’intellectuels plus ou moins réactionnaires qui tentent de transformer le concept en « signifiant vide » qui réceptionnerait une forme de xénophobie bon teint quand il s'agit juste au départ d'une forme de rejet de la mondialisation libérale ou plutôt de ses conséquences. Il fallait que je signale cette instrumentalisation du concept orwellien pour qu'il n'y ait pas de confusion : cette dérive est absente du film. On peut par contre rapprocher l'interprétation qui en est donnée dans un autre film récent et très réussi « Alice et le maire » (de Nicolas Pariser), la jeune collaboratrice y rappelant au maire fictif de Lyon à quel point le militant de gauche éduqué et favorisé ne saurait être en capacité d'édicter un point de vue moral ou politique aux catégories sociales défavorisées qu'il prétend défendre (certains ne le prétendent même plus) s'il n'a pas réellement conscience ou s'il ne partage pas d'une manière ou d'une autre leur vie quotidienne et leur réalité sociale. Sans tomber dans la caricature de la notion « d''établissement » des jeunes militants maoïstes français des années 1970, il s'agit de dire que les jugements politiques définitifs des Bobos du XIème sur le comportement électoral ou civique des catégories populaires des banlieues, du nord ou de l'est de la France n'est pas toujours frappé au coin de la pertinence et de la légitimité, qu'ils gagneraient sans doute à partager un peu concrètement leur vie en s'installant à leurs côtés pour mettre en œuvre cette diversité sociale qu'ils défendent intellectuellement si souvent.

« Joker » applique la « décence ordinaire » à l'élite libérale et financière. Le mépris affiché par les puissants, par ceux que les « populistes de gauche » pourraient désigner comme la caste ou l'oligarchie, le mépris de leur représentants politiques (en France, Macron en est un archétype absolu), leur absence d'empathie quelconque pour la réalité quotidienne de la vie du plus grand nombre, des 99%, est indécent. La dérision et la caricature de média sombrant dans l'entertainment permanent est tout aussi indécent. La dignité voudrait qu'ils se taisent ou se mettent de côté. Mais évidemment les rapports de pouvoir et la facilité à manipuler avec « du pain et des jeux » les masses leur offrent une garantie de long terme. Ainsi Thomas Wayne peut prétendre se présenter à la mairie de New York tout en traitant la majorité des habitants de la ville de clowns et en les comparant à un assassin, dont il charge lui-même le crime d'une valeur sociale. Il a les médias pour lui.

Arthur devenu Joker suggère une solution quelque peu définitive à cette indécence, mais il s'agit d'un personnage psychopathe ne l'oubliant pas. Cependant, il est intéressant de noter que le portrait des New-yorkais dressé dans le film les montre LE moment où cette indécence de l'oligarchie, de ses médias et de ses fondés de pouvoir est devenu insupportable : c'est l'émeute et c'est la projection des masses (au sens arendtien) à travers la personnalité d'un leader possible mais délirant. Le mépris peut conduire les foules à choisir un clown, celui-ci ne sera par forcément drôle. Il est certain que le mépris a joué dans l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d'Amérique ; quels que soient les talents et les qualités personnelles ou politiques de Barack Obama (surtout comparé à G. W. Bush), il a mené une politique de fondé de pouvoir de l'oligarchie libérale bien pensante américaine ; le mépris a transparu durant toute la campagne d'Hillary Clinton en 2015, les intérêts du monde de la finance étant largement représentés parmi ses soutiens (avec une situation de « subjugation » de l'électorat noir par sa propre élite sociale qui la convint depuis deux décennies de voter Clinton contre ses intérêts, plutôt que de voter Sanders par exemple) ; il est probable que cela se reproduise avec Joe Biden.

George Orwell ; Hannah Arendt

George Orwell ; Hannah Arendt

La violence des rapports de pouvoir entre les masses et l'oligarchie sont parfaitement visibles également que ce soit dans la manière dont le pouvoir a traité le phénomène des Gilets Jaunes ou le refuge d'une large partie du vote populaire auprès de la famille Le Pen qui présente toute une panoplie de clowns sinistres et dangereux. L'un des enjeux de la gauche est bien de sortir d'une logique de "masses" pour retrouver une dynamique de "front de classes" qui rétablisse nos intérêts collectifs face à l'oligarchie.

À méditer...

Frédéric Faravel

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10 octobre 2019 4 10 /10 /octobre /2019 15:01
Stopper l'agression criminelle de la Turquie d'Erdogan contre les Kurdes de Syrie

L'offensive commandée par le Président turc contre les Kurdes de Syrie a commencé hier.

Donald Trump avait annoncé il y a trois jours le retrait des troupes US du nord de la Syrie ce qui pourrait entraîner une déstabilisation de toute la région.
Cette décision était totalement déloyale, irresponsable et cynique. Déloyale parce que les forces kurdes ont participé de manière décisive à la lutte contre Daesh, remportant de nombreuses victoires contre l'organisation djihadistes. Irresponsable parce que la Turquie a souvent été ambiguë face à Daesh et l'est encore plus sur sa gestion des combattants de l’État islamique. Cynique parce que le président américain a reconnu lui-même l'imminence de l'intervention turque ; les soldats américains s'étaient déjà retirés hier des points d'entrée probable de l'armée turque en Syrie.

Cette intervention turque hors de ses frontières dans le Kurdistan Syrien peut avoir des conséquences très lourdes tant du point de vue humanitaire, que géopolitique et sécuritaire. On peut s'attendre à plusieurs dizaines de milliers de déplacés supplémentaires, quelques milliers de morts majoritairement civils... On peut s'attendre à la « libération » de plusieurs centaines de combattants djihadistes qui rejoindrait les maquis de Daesh, dont de très nombreux ressortissants européens qui feront peser une menace supplémentaire sur notre sécurité.

Américains et Européens ont enterré trop vite la menace de Daesh, nous risquons d'en être les prochaines victimes après les Kurdes de Syrie.

La République Française ne saurait se contenter d'être « vivement préoccupée ». Il est important que la réunion du Conseil de sécurité de l'O.N.U. se conclue par des mesures opérationnelles immédiates comme l'envoi d'une force d'interposition et de rétablissement de la paix afin de protéger les populations et d’empêcher la destruction des structures d'emprisonnement des djihadistes.

La France doit saisir ses partenaires de l'Union européenne pour décider de mesures de rétorsions immédiates contre le gouvernement de M. Erdogan. En particulier la France doit demander l'arrêt du versement à la Turquie, des aides à l'adhésion à l'Union qui courent jusqu'en 2020 et qui représentent près de 40% de ce budget.

La France doit enfin dans l'urgence, assurer les forces kurdes d'un soutien dans l'attente de mesures d'interpositions internationales qui doivent être rapidement mises en œuvre.

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9 octobre 2019 3 09 /10 /octobre /2019 12:30

Le Président de la République avait annoncé devant ses soutiens parlementaires en septembre vouloir "regarder en face" la question de l'immigration. Le registre d'expression utilisé démontrait largement une volonté d'instrumentalisation. Ce sujet mérite mieux car c'est la vie des gens qui est en jeu. J'avais déjà abordé ce sujet voici quelques semaines dans un article intitulé "L'immigration, à nouveau bouc émissaire pratique de la « Bourgeoisie »".

C'est pourquoi je vous invite à lire plus bas un dossier argumenté rédigé par l'association "Nos Causes Communes" qui permet de sortir des postures manichéennes.

Avant cela, je vous fais part de quelques remarques supplémentaires suite aux interventions des membres du gouvernement dans le débat sur l'immigration qui s'est déroulé le lundi 7 octobre 2019 à l'Assemblée nationale, tel que l'avait exigé Emmanuel Macron (et à quelques heures du débat qui se tiendra dans les mêmes conditions au Sénat).

  • 🔴 Le ton volontairement provocateur de Macron n’était plus de mise que cela soit le résultat des pressions venues de la majorité ou d’une répartition des rôles au sein de l’exécutif ;
  • 🔴 Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, fragilisé par l’actualité a été un plus martial que ses collègues même s’il a insisté sur le fait que l’augmentation légale de la durée de rétention administrative n’aurait pas entraîné en moyenne une hausse pratique de la durée de rétention mais aurait au contraire facilité les reconduits des déboutés (à vérifier). Par ailleurs, ses rappels sur le fait que Macron aurait recherché "les voies et moyens" pour trouver une solution semblent surtout démontrer qu’il a échoué ;
  • 🔴 Quatre sujets reviennent en priorité : les demandes d’asile venant de Géorgie et d’Albanie ; une sorte d’Audit de l’Aide Médicale d'Etat (finalement défendue par la ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, après que Stanilas Guérini, DG de LREM, ou Julien Denormandie, ministre du logement, ont raconté des mensonges incroyables sur son détournement supposé) pour éviter qu’on soit trop généreux par rapport aux autres dans le sens « il ne faut pas que des gens l’utilisent pour ce qui n’en relève pas » (là ça sent un peu le rance mais ça se dégonflera rapidement) ; l’excellence affirmée de notre politique de coopération et de co-développement (c'est une vaste blague) ; insistance forte sur les "efforts sans précédents" réalisés par ce gouvernement pour soutenir notre politique d’intégration et qui serait à renforcer encore pour combattre les communautarismes et les séparatismes (sur ce dernier point je crois qu’on peut leur dire sur le fond et le forme qu’ils sont loin du compte)...

Bref quelque part on peut leur rétorquer « tout ça pour ça !? »... ce gouvernement - et les précédents - est en réalité déjà tellement allé aux marges de ce qui était acceptable d’un point de vue humaniste qu’il ne peut pas trop en rajouter. Se faisant, on voit bien la manœuvre en cours : Emmanuel Macron a ouvert une nouvelle séquence où le RN pourra dire « beaucoup de bruit pour rien, nous sommes l’alternative et le réalisme »... Son objectif est de compter sur les divisions possibles à gauche sur ce dossier pour renforcer encore le duo électoral RN-LREM et espérer ainsi rejouer la fable sur le fait qu'il serait le seul rempart à l'extrême droite lors de la prochaine élection présidentielle. La gauche a cependant des choses à dire sur lesquelles les gouvernements qui se sont succédés sont défaillant : la coopération, le co-développement, le refus des accord euro-africains qui ruinent l’Afrique, et surtout politique d’intégration digne de ce nom adossée à un retour indispensable de la République sociale...

Frédéric Faravel

Pour une politique républicaine de l'immigration
1) Redéfinir la problématique

La question centrale dont il faut partir et dont découle toutes les autres n'est pas celle de l'immigration.

Elle est celle de la communauté nationale, définie comme une communauté de destin forgée par notre géographie et notre histoire autour de principes politiques partagés et à laquelle sont associés toutes celles et tous ceux qui vivent ou viennent s’installer dans notre pays : la France a été et reste un projet !

Et c'est cette ambition de construire le futur ensemble, en essayant d’en maîtriser démocratiquement le cours, et de le faire sur des bases solides posées par deux siècles de luttes et débats politiques, qui caractérise la nation républicaine. Il ne s’agit donc pas de la référer à une prétendue identité figée et étanche mais d'affirmer :

  • 🔴 Une singularité historique : parce que la France ne ressemble à aucune autre nation (aucune nation ne ressemblant d’ailleurs à aucune une autre). Elle possède ses traits distinctifs dessinés au fil du temps et de la diversité des générations comme des origines.
  • 🔴 Une volonté politique : la France républicaine est le produit d’un acte volontaire et bi-séculaire. Un contrat national a été passé entre les citoyens (et constamment renouvelé depuis lors) qui s’accordent pour débattre ensemble de leurs différends, dans le cadre et selon les règles qu'ils se sont donnés (à savoir la devise républicaine complétée de la laïcité ).

Ce qui nous intéresse, lorsque nous réfléchissons à ces questions, ce n'est donc pas ce qui différencie les habitants de notre Pays entre eux mais ce qui les réunit. Ce qui doit nous mobiliser ce n'est donc pas de les séparer mais d'en faire les agents actifs d'un projet collectif.

2) Fixer l'objectif

Le seul vrai sujet est par conséquent l'intégration de tous ceux qui ont partie liée avec la communauté nationale quel que soit le destin qui les en a fait membre.

Ce qui suppose à la fois d’entretenir les termes du contrat (en en faisant notamment une dimension de l’enseignement de l’histoire dont la place devrait être renforcée, mais aussi en garantissant au vote toute sa portée souveraine) et de garantir que chacun y ait accès (notamment en intégrant son histoire dans notre histoire commune, qu'il vienne de Corrèze, d'outre-mer ou d'outre-Méditerranée ; et naturellement en veillant à la vitalité des dispositifs sociaux de solidarité).

C’est donc moins, dans le cas qui nous occupe, d’une politique migratoire, oscillant entre accueil et ouverture selon les motifs d’arrivée, ou d'une politique identitaire entretenant les peurs et les séparations que nous avons besoin que d’UNE POLITIQUE RÉPUBLICAINE DE L’IMMIGRATION globale, fondée sur deux axes intangibles : respecter les personnes ; respecter les lois !

C'est cette politique que s’efforcera d’expliciter le présent papier, inspirant nos actions dans tous les domaines relatifs à ces questions, y compris dans nos relations avec nos partenaires extérieurs.

3) Rappeler les fondements

Notre République repose sur des principes collectivement discutés et démocratiquement établis, validés par le consensus dont ils font l’objet sur la durée.

En la matière, quels sont-ils ?

  • 🔴 Le respect de la souveraineté politique de la nation : celle-ci a des frontières. Il n’existe donc pas de droit inconditionnel à l’entrée sur le territoire national qui reste soumise à des règles précises, qu’elles soient d’origine interne ou externe.
  • 🔴 Le respect des engagements internationaux auxquels nous avons souscrits, soit à travers l’Union Européenne (Schengen), soit encore via des accords bilatéraux (Accords de Gestion Concertée) soit plus largement via les grandes Conventions protégeant les droits de l’Homme, en matière d’asile par exemple, qui nous créent autant d’obligations à l’égard de certaines catégories de migrants (réfugiés).
  • 🔴 Le respect de nos principes de valeur constitutionnelle comme des droits qui en découlent et qui s’imposent à l’Etat (le droit au regroupement familial) mais aussi aux ressortissants étrangers admis à résider en France (laïcité, égalité des sexes, etc.).

Le respect de ces principes a conduit la France à « prendre sa part de la misère du monde » malgré les reproches qui lui sont adressés.

Ainsi accueille-t-elle en moyenne 250.000 personnes supplémentaires par an (en augmentation de 50% sur 10 ans) et n’a mis que peu de restrictions au regroupement familial (en comparaison des autres États de l’Union Européenne) tout en se montrant plutôt généreuse en matière d’asile (Nb : La pratique laisse en revanche plus à désirer s'agissant de la confusion qui s'est installée entre sécurité et immigration, aboutissant trop souvent à appliquer aux personnes en attente de statuts des traitements choquants comme à Paris la dispersion plutôt que la prise en charge des demandeurs d'asile).

4) Comprendre le contexte européen

Le paradoxe est que là encore le problème n’est pas celui que l’on croit : l’Europe, et à un degré beaucoup plus faible la France, est moins confrontée à un problème d’immigration qu’à un problème démographique.

  • 🔴 Certes l’Union Européenne a bien dû faire face en 2015-16 à une crise migratoire d’une ampleur exceptionnelle. Mais celle-ci est désormais passée et n’annonce en aucun cas l’avenir.
  • 🔴 Une pression sans précédent s’est effectivement exercée sur les frontières de l’Union au milieu de la décennie. Les entrées irrégulières repérées en Europe se sont ainsi élevées à plus de deux millions en 2015-2016. Entre 2014 et 2017, l’Union Européenne a, selon Eurostat, reçu quatre millions de nouveaux demandeurs d’asile soit environ 4 fois plus par an qu’au cours des années précédentes.
  • 🔴 Leur niveau en 2018 (580.000) a cependant retrouvé, selon les mêmes sources, celui d’avant la crise. Quant aux entrées irrégulières, si elles ont concerné 1,8 millions de personnes en 2015, elles n’étaient plus que 170.000 en 2017 et l'on n’a dépassé qu’à peine les 110.000 en 2018, soit moins qu’avant le déclenchement de la crise.

Le solde migratoire global (s’agissant des ressortissants hors Union Européenne) avoisine ainsi à nouveau environ 1 million d’entrées nettes par an.

Cette crise est-elle annonciatrice d’une augmentation forte de la pression migratoire aux frontières européennes ? A ce stade rien ne le laisse craindre, sauf nouvel afflux provoqué par des événements politiques ou économiques exceptionnels (en Algérie par exemple). Ainsi le doublement de la population africaine ne pourra pas se traduire par un doublement de l’immigration puisque 90% de celle-ci est et demeure régionale notamment faute de ressources pour viser des régions du Nord. Et même si cette hypothèse devait se réaliser, il suffit de rapporter la population d’origine sub-saharienne à la population totale de l’Union Européenne (1%) pour prendre l’exacte mesure des choses. De même, si les futures migrations climatiques sont susceptibles de générer selon les prévisions plus de 100 millions de départ, le niveau de revenus limité des populations concernées comme leur situation géographique font que leur mobilité restera là encore probablement limitée aux zones proches de leur région d’origine.

Rappelons enfin que le nombre de résidents étrangers dans l’Union Européenne issus d’un pays tiers dépasse à peine en moyenne les 4,4% de la population totale de l’Union !

Le vrai problème démographique européen est par conséquent ailleurs et devrait théoriquement conduire à une révision des dispositifs migratoires existants. Le problème tient à la stagnation de la population de l’Union depuis 30 ans, dessinant 3 types de situations :

  1. 1- les pays dont les deux soldes (naturel et migratoire) sont positifs (France, Grande Bretagne, Benelux, Pays scandinaves ... et Suisse) ;
  2. 2- les pays, dont le solde naturel négatif ou nul, est (ou a été) sur-compensé par le solde migratoire (Allemagne mais aussi Italie, Espagne et Portugal) ;
  3. 3- les pays d’Europe centrale et orientale dont les deux soldes sont lourdement négatifs menaçant l’équilibre de leur système de protection sociale et réduisant leur croissance potentielle.

Au total, l’Europe connaît un solde naturel négatif depuis 3 années consécutives (-200.000 par an) corrigé par une immigration nette de +1,1 million par an. A l’horizon 2050, sa population pourrait stagner autour de 500 millions d'habitants, entraînant une diminution de 49 millions des personnes en âge de travailler (dans la tranche des 20-64 ans) dont 11 millions pour l'Allemagne. L'Espagne et l'Italie devraient aussi perdre de 7 à 8 millions d'actifs potentiels.

Dans ce contexte, la France pourrait presque se réjouir de bientôt quasiment rattraper la population de l'Allemagne - ce qu'en réalité le Royaume-Uni devrait réaliser avant nous - si nos voisins n’étaient pas aussi nos principaux débouchés : 87% de ce qui est produit en France est consommé en Europe dont 70% pour la France, et 17% pour les exportations (56% des 30% exportés dans le monde).

L’Union Européenne ne peut donc échapper à une réflexion sur sa politique migratoire, et ceci d’autant plus que ses outils sont manifestement inadaptés.

La crise de 2015-2016, en prenant très vite une tournure politique et en mettant l’unité de l’Union en péril, a ainsi montré la fragilité des dispositifs européens, de Schengen à Dublin - dont chacun a cherché à s’affranchir - et, par voie de conséquence, la nécessité de les réformer...

5) Analyser la situation migratoire en France

La France n’est pas le pays de l’Union Européenne dans lequel ces problèmes sont numériquement les plus aigus. Ils le sont en revanche politiquement.

L’immigration régulière, qui reste limitée, y augmente continûment depuis la fin des années 90 surtout en matière d’asile.

De 2007 à 2017, elle a progressé de ... 43%, passant de 171.907 en 2007, à 193.120 en 2012 et 247.436 en 2017 (chiffres du ministère de l’Intérieur).

Cette « pression » emprunte, notons-le, tous les canaux : si l’immigration familiale reste stable (90.000), l’immigration de travail (27.467 +170%), les étudiants (80.000 +100%), et naturellement l’humanitaire (36.429 admis au titre de l’asile ou de la protection complémentaire, +110%) augmentent sensiblement.

Notons également que la problématique de l’asile se pose en France en ce moment d’une façon originale par rapport à nos partenaires puisque la demande y augmente (64.000 en 2014 ; près de 120.000 en 2018) alors qu’elle diminue dans le reste de l’Union Européenne. En outre, les principaux pays d’origine de ces demandes ne sont pas la Syrie ou l’Irak, mais l’Afghanistan (10.221), l’Albanie (8.261 demandes), la Géorgie (6.717), la Guinée (6.621) et la Côte-d’Ivoire (5.256). Et si les demandes albanaises (-28% par rapport à 2017) et haïtiennes (-59%) ont amorcé une décrue, la demande géorgienne a progressé (+256%) comme la demande afghane (+55%). Quant à la demande d’asile des pays de l’Afrique de l’Ouest, elle a en 2018 poursuivi sa progression (Guinée et Côte-d’Ivoire, soit +61% et +45%).

L’explication de cette spécificité française tient en particulier aux dysfonctionnements des procédures européennes : 40% de ces demandes sont le fait de personnes passées (et souvent déboutées) par un autre pays (principalement l’Allemagne) et encouragées à renouveler ailleurs leur demande par les divergences des taux de protection selon les nationalités entre les États sollicités (ex.: 90% pour les Afghans en France contre 50% en moyenne UE). Les accords de Dublin donnent en effet 18 mois aux États de second accueil pour renvoyer ces migrants faute de quoi ceux-ci peuvent déposer une nouvelle demande, ce dont ils ne se privent pas provoquant l’engorgement des centres d’hébergement.

Il est pour autant impossible d’ignorer les raisons plus profondes de cet afflux qui tiennent aux caractéristiques des sociétés d’origine (les rapports entre confessions, la situation faite aux femmes en particulier les mariages forcés ou l’excision, les guerres) sur lesquelles il sera indispensable d’agir.

Enfin n’omettons pas, pour être complet, les flux de clandestins dont le « stock » (estimé, à partir du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale, à plus de 300.000) est augmenté chaque année du solde des déboutés du droit d’asile (65%) qui parviennent à rester sur le territoire (environ 60.000) et diminué des départs forcés (17.000 par an sur 90.000 prononcés) ou non (à savoir 8.000 départs spontanés +4.500 départs aidés). On arrive donc à une estimation du nombre de nouvelles installations en France d’immigrés hors Union Européenne d’environ 300.000 personnes par an soit 0,5 % de la population totale !

Les Français sont en revanche très sensibles à la question et manifestent depuis longtemps une hostilité réelle à l'accueil de nouveaux migrants.

L’enquête exclusive réalisée fin 2018 par l’Ifop pour Le Journal du Dimanche, l’AJC et la Fondation Jean-Jaurès en constitue l'une des multiples illustrations.

Pour une majorité de Français, les enjeux prioritaires identifiés par cette étude concernent en effet la lutte contre l’immigration clandestine (53%) et le coût de l’immigration (52%). Ces deux dimensions devancent ­l’intégration des personnes étrangères (41%) ou l’accueil des migrants (36%). L’apport bénéfique, qu’il soit culturel, humain ou économique, émerge en dernière position.

Près des trois-quarts considèrent que l’immigration coûte plus à la France qu’elle ne lui rapporte tandis que 7 sur 10 estiment que le pays n’a plus les moyens d’accueillir des immigrés. L’impact est perçu comme négatif sur les comptes publics par 64% des répondants.

Une nette majorité de Français (60%) considère que l’accueil d’étrangers n’est plus possible du fait des différences de valeurs et des problèmes de cohabitation. Une part quasi identique estime qu’il joue un rôle négatif pour l’identité française et pour la cohésion de la société. Ces craintes identitaires côtoient des a priori négatifs quant à l’impact de l’immigration sur la laïcité (61% d’effets défavorables de l’immigration sur le respect de ce principe) et à un degré moindre l’égalité femmes-hommes (49%) ou le respect de minorités (homosexuels et juifs, 41%).

Enfin, le lien prétendu entre l’insécurité et l’immigration, agité par le Front national depuis les années 1980, fait l’objet d’une adhésion majoritaire. Deux tiers des Français considèrent que celle-ci a un effet négatif en matière de sécurité, voire, pour 53%, qu’elle maximise le risque terroriste.

Le regard des sympathisants de gauche et de droite est cependant antagoniste, avec des écarts parfois de plus de 40 ou 50 points tandis que les sympathisants LR et ceux du Rassemblement national expriment des jugements proches (l’immigration a un impact négatif d’une manière générale : LR 76%, RN 83% ; l’immigration coûte plus qu’elle ne rapporte : LR 88%, RN 89%). Les sympathisants LREM apparaissent enfin souvent au point d’équilibre, tout en se rapprochant du peuple de gauche, sur les questions du coût, du droit de vote des étrangers ou du "risque terroriste" lié à l’immigration. L'explosivité politique du problème ne fait donc aucun doute.

Conclusion 1 :

Ces données établies, on peut considérer que l’essentiel des enjeux en matière de flux porte sur :

  • 🔴 Notre aptitude à gérer une augmentation régulière mais limitée des flux sans céder ni au fantasme du « grand remplacement » ni à l’utopie d’un droit universel à la libre installation. Ni naïveté ni fébrilité.
  • 🔴 La capacité de l’Union Européenne à s’entendre pour renforcer sa coopération en interne (aux frontières comme dans la gestion de ses procédures : Schengen, Dublin, renforcement de Frontex, etc.), et vis à vis de l’Afrique pour encourager son développement et maîtriser sa démographie.
  • La nécessité de préserver le régime spécifique de l’asile des pressions exercées sur celui-ci par les objectifs de maîtrise des flux migratoires dont il ne relève pas et le développement d’une protection humanitaire provisoire.
  • Notre capacité à répondre à travers ces initiatives aux préoccupations de nos concitoyens.

Au total, UNE POLITIQUE RÉPUBLICAINE DE L’ACCUEIL COHÉRENTE devrait viser à :

  • 🔴 Mettre de la cohérence dans la manière de traiter les demandes entre les pays de l'UE en travaillant à réviser les accords de Dublin ou, à défaut, en encourageant, entre les États de l’Union Européenne volontaires, la reconnaissance mutuelle des décisions nationales en matière d’asile.
  • 🔴 Gérer efficacement les demandes dans le respect du droit en bâtissant dans ce cadre une politique de répartition solidaire des primo-arrivants facilitée par la création de centres d’hébergement fermés. Ceux-ci seraient gérés en France par l’OFPRA par ailleurs encouragé à ouvrir à proximité des régions en tension (Proche Orient, bassin méditerranéen) des centres de transit - auxquels seraient étroitement associés les ONG - permettant d’identifier les demandeurs relevant effectivement d’un régime de protection.
  • 🔴 Mieux protéger les frontières de l'Union Europénne en renforçant les moyens de Frontex pour aider à garantir leur respect tout en garantissant la sauvegarde en mer des migrants dont la vie serait mise en péril.
  • 🔴 Ajuster le droit à la réalité, d’une part, en facilitant le règlement maîtrisé, par les préfets, des situations familiales les plus pénibles, pour mettre un terme à la situation des « ni-régularisables, ni-expulsables » ; d’autre part, en renforçant la politique de reconduites confiée à un service dédié pour la rendre enfin efficace, en relation avec les pays d’origine (NB : A peine 20% des décisions de reconduite sont exécutées ; les 3/4 concernent des personnes placées en rétention dont 50% cependant sont libérées dans un tiers des cas par décision de justice) ; en supprimant ensuite l’odieux « délit de solidarité » et en assumant pleinement le principe d’humanité qui nous oblige à porter secours aux migrants en mer et à faire preuve de solidarité à l’égard de celles et ceux qui, ayant franchi légalement ou non nos frontières, ont droit à un traitement décent; et en ouvrant enfin plus largement la voie à une admission temporaire au séjour (la protection subsidiaire) pour les personnes ne relevant pas directement de l’asile mais ayant besoin d’une protection le temps d’un apaisement des tensions dans leur pays d’origine afin de mieux faire face aux réalités du moment.
6) Déterminer le véritable enjeu

Si les flux migratoires restent au total en amont relativement modestes, et si les perspectives d’augmentation demeurent malgré tout limitées, ils n’en viennent pas moins accentuer en aval les problèmes non résolus liés à des conditions d’intégration rendues difficiles par la situation économique du Pays.

La vérité est que la France a ainsi de plus en plus de difficultés à assumer une situation héritée de son histoire.

Rappelons en premier lieu que de tous les pays de l’Union, la France est celui qui a la tradition d’accueil la plus ancienne.

Sa particularité ne tient pas au nombre de ressortissants étrangers au regard de la population puisqu’elle se trouve dans la moyenne européenne. Ainsi, les nationaux de pays non membres vivant en France représentent 4,6% (6,9 avec les ressortissants de l’Union Européenne) de la population - soit moins que dans les années 1920 - contre 4,4 moyenne de l’Union Européenne.

Elle ne tient pas non plus à l’importance du nombre de résidents nés hors de France qui représentent 8,9% de sa population (12,1 avec les ressortissants Union Européenne) - contre 8,8 en Allemagne, Belgique et Grande Bretagne ; 10,4 en Autriche et ... 12,4 en Suède ! Sa spécificité vient de l’ancienneté de son immigration qui fait de notre pays, après l’Autriche ou la Lettonie (30%) et plus encore la Suède (32%), celui qui compte la proportion la plus élevée de personnes y résidant dont un des parents est né à l’étranger (Union Européenne compris) soit 25% (contre 18% dans la moyenne UE) appartenant pour moitié (13%) à la seconde génération.

Observons ensuite que cette immigration, qui était pour moitié d’origine européenne jusqu’aux années 1990, est devenue désormais une immigration d’origine africaine à 50%, et notamment de plus en plus sub-saharienne (même si celle-ci ne représente qu’1,5% de la population totale). Du coup, 17% des jeunes de moins de 25 ans sont aujourd’hui d’origine extra-européenne (dont un cinquième d’origine sub-sahélienne) ouvrant la voie à une société de plus en plus multiculturelle.

Ayons cependant en tête en troisième lieu que, comme le montrent de nombreuses études, c’est moins l’intégration culturelle que sociale qui fait principalement défaut ! Il ne fait en effet aucun doute que l’intégration culturelle progresse : les enfants de résidents étrangers sont plus diplômés que leurs parents ; les 2/3 des descendants d’immigrés sont en couple avec un non-immigré et la France enregistre le plus fort taux d’attachement des immigrés à leur pays de toute l’Union Euroéenne avec 95% se disant proches ou très proches de leur pays d’accueil (source OCDE 2018).

Il existe certes avec une partie de l’immigration récente des difficultés particulières concernant le rapport à la langue, à l’égalité des sexes ou à la laïcité.

Mais l’essentiel du problème est lié d’abord à une excessive concentration géographique (parmi les 36 communes de plus de 10.000 habitants dont plus de 30% de la population est d’origine étrangère, 33 sont en Île-de-France dont 15 en Seine-Saint-Denis). Celle-ci, à l’origine des tensions urbaines le plus souvent observées, est par ailleurs facilitatrice de la pénétration de l’islamisme radical.

A cela s’ajoute le niveau social le plus souvent très modeste de ces populations, qui explique qu’à l’instar des autres catégories populaires, elles soient victimes de fortes inégalités scolaires. Ainsi à 15 ans, les descendants d’immigrés accusent-ils en moyenne un retard de scolarité d’un an et demi (cf. OCDE Trouver ses marques 2018 Les indicateurs de l’intégration).

Le problème se manifeste enfin et surtout par des inégalités majeures d’accès à l’emploi.

Le même rapport de l'OCDE montre que la France, à l’instar des pays de destination de longue date comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas, fait face pour ses immigrés nés à l’étranger à des taux d’emploi et de chômage respectivement inférieur de 10 points et supérieur de 6 à ceux des personnes nées dans le pays, notamment du fait d’une immigration ancienne, de faible qualification ou venue pour des raisons non professionnelles.

Ce constat est d’autant plus regrettable que l’économie française ne pourra répondre aux problèmes de recrutement que connaissent dans des zones très localisées certains secteurs d’activité particulier qu’en recourant à une main d’œuvre étrangère, faute de disponibilité ou d’appétence sur place.

La gestion de ces difficultés pourrait pourtant être facilitée par une meilleure gestion de notre immigration de travail. Il faut savoir que celle-ci résulte moins d’entrées nouvelles (un tiers des autorisations délivrées chaque année) que de l’arrivée sur le marché de l’emploi d’étrangers résidant déjà en France à un autre titre (deux tiers) : familial, humanitaire ou universitaire. La priorité devrait donc être donnée à leur formation et à un accompagnement solide vers l’emploi, en liaison avec les acteurs des bassins économiques concernés, ce qui fait totalement défaut aujourd’hui.

En comparaison de ces enjeux, sachons enfin que les moyens publics dédiés (programme 104 de la mission immigration asile intégration) semblent dérisoires.

240 millions d'euros étaient destinés en 2018 aux primo-arrivants hors demandeurs d’asile (qui mobilisent à eux-seuls 996 millions d'euros dont 296 au titre des CADA et 355 pour l’allocation spécifique) dont 56 millions d'euros pour les 100.000 Contrats d’intégration républicaine par an. Une hausse de 40% est cependant intervenue en 2019 visant à augmenter d’une centaine d’agents les effectifs de l’OFII consacrés à ces Contrats dont le volume de formation linguistique (de 200 à 400 heures) et civique (de 12 à 24 heures) a été doublé et complété d’un bilan d’orientation professionnelle. Néanmoins le montant global des crédits ainsi affectés à l’accompagnement n’excède pas 90 millions d'euros...

Conclusion 2 :

Au total, il est possible d’affirmer que la question centrale de l’intégration ne se pose de manière aiguë que pour une partie seulement de la population immigrée, concentrée dans des quartiers dits difficiles, et victime d’une forme de ghettoïsation à laquelle il doit être possible de mettre un terme par des politiques appropriées de formation mais aussi de logement.

L’enjeu est par conséquent de définir et de mettre en œuvre là encore UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE L’INTÉGRATION RÉPUBLICAINE qui pourrait se décliner en 5 mesures :

  1. 1- Refuser toute complaisance avec l’islamisme et toutes les formes de revendication communautarismes tout en privilégiant une approche pragmatique et progressive, hiérarchisant les enjeux (quelle place le burkini mérite-t-il vraiment dans le débat public ?) pour faire cesser les atteintes à la laïcité et mettre en place, sur ce sujet, des outils appropriés de formation, de conseil et d’accompagnement des acteurs locaux.
  2. 2- Renforcer l’intégration sociale en cassant les ghettos urbains notamment par un accès facilité à la propriété, en donnant une priorité à la lutte contre l’échec précoce et en engageant un vaste plan de qualification des jeunes non diplômés.
  3. 3- Doubler le nombre de contrats d’intégration républicaine et les compléter par un solide volet d’accompagnement vers l’emploi.
  4. 4- Offrir systématiquement aux étudiants étrangers un suivi professionnel, via Campus France par exemple, afin de faciliter leur insertion en rapport avec les secteurs en tension.
  5. 5- Recentrer l’OFII sur sa mission d’intégration éventuellement en la déchargeant sur l’OFPRA de l’hébergement des demandeurs.

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CONCLUSION POLITIQUE GÉNÉRALE

Au delà des données objectives rappelées dans ce papier, il est essentiel d’admettre que la population, dynamique démographiquement mais touchée par un chômage élevé et durable, en est arrivée à considérer que le coût de l’accueil, en termes de logement, de santé, d’aide sociale et d’emploi est désormais à la limite du supportable. Elle s’interroge aussi sur la capacité d’intégration de nos compatriotes d’origine étrangère à partir d’un bilan de la situation rendu trompeur, on l’a vu, par la concentration des populations concernées dans les mêmes régions et quartiers et par le faible niveau de qualification que les immigrants partagent avec leurs concitoyens socialement défavorisés. La difficulté s’est encore accentuée en raison de l’éloignement croissant des nouveaux arrivants, en particulier d’Afrique, à l’égard de nos valeurs politiques dominantes( laïcité, droit des femmes, etc.). La menace terroriste et la crise migratoire de 2015-16 ont fait le reste.

Il ne saurait pour autant être question de renoncer à nos principes ni d’entretenir les passions en s’alignant sur les discours les plus irresponsables.

Comment résoudre efficacement pareille équation ?

Si l’on met de côté les divagations de l’extrême droite, qui extrapole une réforme de la Constitution et la remise en cause de nos engagements internationaux (Convention de Genève pour l’asile, article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme pour le regroupement familial), la droite oscille entre préférence pour l’immigration « choisie » et réduction de l’immigration « subie ».

  • 🔴 La première a été expérimentée par N.Sarkozy et s’est traduite par un échec.

Non seulement parce que l’immigration de travail est déjà très limitée. Mais aussi parce qu’une planification de l’accueil en fonction des besoins de main d’œuvre se révèle trop lourde à mettre en œuvre (la Suisse qui a en conservé le principe y a dans la pratique renoncé et au Canada la politique de quotas et de points est indépendante du marché du travail). Du coup elle a été abandonnée dans les faits trois ans seulement après son lancement.

  • 🔴 La seconde, mise en œuvre officiellement ou non, par tous les gouvernements depuis 15 ans, et reprise sans réserve par LREM, suppose de réduire les flux réguliers existants.

L’immigration de travail étant déjà strictement contenue, ne restent que le regroupement familial et l’asile - qui sont des droits protégés dont les limitations ont été portées à leur extrême limite - et les étudiants dont l’arrivée vient d’être ralentie par l’instauration de droits d’inscription élevés. Autant dire qu’il n’existe plus dans cette optique beaucoup de marges de manœuvre même si l’Allemagne, le Danemark et d’autres encore ne cessent de restreindre le droit des familles à se reconstituer.

La Gauche se montre de son côté incapable de définir une ligne. Pire elle a aujourd’hui sur ce dossier une image en contradiction totale avec l’action qu’elle a menée. Créditée de laxisme, critique qu’elle a laissée se développer pour se « couvrir » auprès de ses troupes, elle a dans la pratique prolongé la politique de restrictions - en en supprimant toutefois certains excès (ex.: abolition du décret Guéant en 2012). Voie dans laquelle semble vouloir la suivre le gouvernement Macron qui n’a pas hésité à reprocher publiquement à l’Italie sa politique restrictive tout en en partageant dans la pratique (aux excès de Salvini près) la plupart des caractéristiques et qui s’apprête manifestement à recourir à la gesticulation législative pour « contrer » le RN.

Ces subtilités rhétoriques n’ont eu pour effet que d’accentuer encore l’exaspération des peuples européens en général et de nos concitoyens en particulier.

Ceux-ci voient bien en effet que les déclarations de fermeté ne correspondent à rien de concret, pour la raison simple qu’il est quasiment impossible d’aller plus loin dans la maîtrise et la réduction des flux !

Aussi la seule façon de retrouver l’oreille de nos concitoyens sur ces sujets sera de construire une réponse politique, solide et autonome :

  1. 🔴 En donnant tout d'abord son sens à ce débat, c’est-à-dire en rapportant le désordre migratoire au désordre général que produit un système économique à l'origine de la misère et du chaos des pays d'origine. Les flux migratoires ne sont pas l'effet d'une fatalité mais de mécanismes de prédation qui sont à l'œuvre partout. Nous devons rappeler sans cesse que nous avons affaire avec une IMMIGRATION DE LA MISÈRE ET DU DÉSESPOIR imputable notamment à un régime de développement de l’Afrique pour partie fondé sur la corruption, l’exploitation des ressources naturelles et minières mis entièrement au service des grandes économies Chine comprise au détriment des populations. L'enjeu est bien de reconnecter le débat migratoire et le débat idéologique sur l'économie et le monde que nous voulons. Ce rappel ne peut cependant servir de prétexte à une éventuelle inaction.
    D’où la priorisation dans notre politique étrangère de la sécurisation des zones de violence génératrices d’instabilité en nous attaquant aux causes profondes des déstabilisations (corruption, armement de factions et milices, exploitation des femmes, etc.) ce que la protection de nos rentes économiques dans la région et la peur de la menace islamique nous ont toujours empêché de faire.
  2. 🔴 En jetant les bases ensuite d’une politique républicaine de l’immigration comportant un double volet européen et intérieur.
    À l’échelle de l’Union Européenne, la France devrait prendre l’initiative d’une nouvelle stratégie visant à faire respecter ses frontières et fondée sur la solidarité initiée à partir des pays volontaires. Celle-ci comporterait 2 niveaux :
    1. 1- La recherche d’une cogestion des migrations avec les pays d’origine fondée sur la mise en place de «quotas» d’accueil à l’échelle de l’Union ou des pays volontaires et l’intensification des aides au développement, en particulier agricole et durable (afin notamment de compenser les pertes de devises liées à la maîtrise des flux) avec notamment pour pendant le démantèlement des réseaux de passeurs. Cela suppose une réorientation de nos politiques notamment en direction de l’Afrique au service d’un développement autocentré, et respectueux de l’environnement.
    2. 2- La construction d’une vraie politique européenne de l’asile reposant sur une sécurisation des flux (via la création de centres de transit près des lieux de conflit et de centres fermés aux frontières de l’Union), une harmonisation des procédures, une reconnaissance mutuelle des décisions nationales de protection favorisées par la concrétisation de l’idée d’agence européenne et une consolidation de Schengen notamment via le renforcement de Frontex.

À l’intérieur, en mettant en œuvre les 5 mesures figurant ci-dessus dans la Conclusion 2. Celles-ci constitueraient l’un des axes d’une Ambition Globale d’Intégration Républicaine (AGIR) destinée à renforcer la cohésion nationale en luttant partout contre la déqualification et la ghettoïsation pour donner à chacun quelle que soit son origine UN MÊME DROIT À L’AVENIR.

Pour une politique républicaine de l'immigration
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1 octobre 2019 2 01 /10 /octobre /2019 14:43

J'ai lu ici ou là sur Facebook des gens qui saluaient le courage de Raphaël Enthoven allant porter la contradiction à la "Convention de la droite", en fait rassemblement de néo-pétainistes à peine voilé. Certains ajoutant même que comme disait Chirac les couilles étaient le dernier truc qu'on n'arrivait pas encore à greffer.

Désolé, je n'ai pas la même lecture de que ces gens là. Non qu'il ne faudrait pas affronter sur le fond néo-pétainistes ou national-populistes de tout genre, mais que les arguments développés par le "philosophe" étaient spécieux, et on ne peut pas les éluder [vous trouverez ici le discours en question].

Tout comme Patrick Buisson, le chroniqueur radio estime que désormais le clivage droite-gauche est dépassé et que le clivage actif et structurant pour le long terme se situe entre "Libéraux" et souverainistes/nationalistes... Enthoven nous vend donc comme d'autres que pour éviter le fascisme, il faudrait "voter banquier". Vous ne voulez pas des National-populistes ? Vous reprendrez bien une louche de Libéral-populistes...

Or il n'interroge pas les conséquences du Libéralisme (sous toutes ses formes) en termes de justice sociale et d'égalité réelle : pour les Libéraux ces notions sont accessoires ; pour les néo-pétainistes et les national-populistes, la réponse se trouve dans la préférence nationale, la xénophobie et la guerre des "civilisations". Pour la gauche, la question sociale est centrale ; c'est d'ailleurs parce qu'elle est devenue accessoire pour les dirigeants du PS que ce dernier finit part s'effondrer, d'abord dans les classes populaires puis tout court. Pour répondre aux militants de ce parti qui me reprocherait d'en remettre encore une louche sur le quinquennat Hollande, je me permets de préciser que cet abandon est progressif - comme une grenouille qui s'habitue à l'eau qui chauffe avant de mourir cuite - et antérieur ; d'aucun dirait - même dans le PS actuel - que cela date de 1983.

C'est parce que la gauche - en général pas uniquement les partis, mais aussi ses intellectuels, etc. - a choisi de mettre en premier l'individu ou les questions sociétales (attention ! il faut aussi les traiter) en oubliant la question sociale et en considérant ne plus pouvoir agir sur l'économie qu'elle a habitué les citoyens au défaitisme du camp de l'égalité et permis à l'extrême droite de reprendre ces thèmes à son compte et de les immerger dans la question identitaire.

Si on ajoute que les conséquences des politiques libérales nourrissent néo-pétainistes et national-populistes, on voit bien que le "Libéralisme" n'est pas la solution aux réactions qu'ils suscitent.
La gauche fut rendue inaudible par l'oubli de sa raison d'être : elle doit réinventer un volontarisme économique, essentiel à la souveraineté populaire, et une ambition égalitaire, indispensable à la cohésion nationale.

Frédéric Faravel

NB : pour Enthoven souverainiste = nationaliste... donc son expression est simplement une oeuvre de politesse à l'égard de ses contradicteurs du jour, tout en introduisant une confusion volontaire de sa part entre les souverainistes et les nationalistes d'extrême droite. Le clivage central qu’il promeut c’est bien celui nationaliste contre libéral... Evidemment, il considère que libéral = progressiste, c’est toute la rhétorique du macronisme. Si j’évoque la souveraineté à la fin c’est parce que pour ma part je la place au bon endroit avec deux concepts complémentaires : souveraineté populaire / cohésion nationale... Libéral-populistes et National-populistes abîment l’une comme l’autre.

Enthoven sait très bien ce qu’il dit et fait ; il connaît la différence entre souverainisme et nationalisme et s’il utilise l’un pour recouvrir le second c’est à dessein ; il est très politique dans son propos et d’ailleurs sa démarche d’aller à ce rassemblement est une logique d’auto promotion politique personnelle.

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26 septembre 2019 4 26 /09 /septembre /2019 09:31

J'ai beau ne pas être membre de la France Insoumise et déplorer parfois certains emportements du personnage, force est de reconnaître que Jean-Luc Mélenchon sait parfois élever le débat bien au-dessus des querelles politiques quand des enjeux philosophiques, anthropologiques et culturels déterminants sont en jeu.

Je reproduis donc ici en vidéo et par écrit l'intervention qu'il a faite hier vers 16h dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale lors du débat sur le projet de loi bioéthique. Il mériterait d'être étudié dans toutes les classes de philo.

Frédéric Faravel

M. Jean-Luc Mélenchon. Après avoir entendu mes collègues, je veux compléter et renforcer les propos que j’ai tenus tout à l’heure. Sur le sujet dont nous débattons, lorsque l’on a des certitudes, c’est qu’on les a construites : on n’a pas de certitudes a priori. Pour être plus exact, si l’on a des certitudes a priori, ce sont des préjugés.

J’admets qu’il s’agit de préjugés très forts : l’évidence plaide pour affirmer qu’il y a un père et une mère. C’est un fait évident. Nous sommes les héritiers d’une longue tradition dans ce domaine. Pour autant, si nous examinons cette situation, devons-nous conclure à son caractère indépassable ? C’est tout le sujet. C’est la question même du progrès – je ne parle pas du progrès matériel ou du progrès technique, qui sont d’un autre ordre, quoiqu’ils viennent souvent bousculer notre perception du progrès humain. Ce progrès humain existe bel et bien, et son existence se mesure à l’évolution des lois – qui sont parfois régressives et parfois progressistes. Et, en la matière, que de chemin parcouru !

Notre collègue Blandine Brocard a évoqué la nécessité d’une présence masculine dans la vie et la construction de la psyché des enfants. Ce n’est pas un homme qui lui dira que cela n’a aucune espèce d’importance ! Je suis moi-même père et grand-père…

M. Thibault Bazin. Félicitations ! (Sourires.)

M. Jean-Luc Mélenchon. et j’espère jouer un rôle. À vrai dire, j’ai fait ce que j’ai pu, comme beaucoup d’entre nous. Il reste que je veux récuser l’argument selon lequel la situation prévue par le texte exclurait la présence des hommes. Ce sera certes le cas du père, y compris de manière formelle pour l’état civil, mais ce ne sera pas une exclusion des hommes, car celles qui forment un couple de femmes ont des frères, des pères, et peut-être parfois des fils. Des hommes seront donc bien présents, tels qu’ils sont.

Mais bien malin qui peut dire ce que sont les hommes, parce que ça change d’une génération à l’autre : le genre masculin est aussi une construction, mais j’ai eu l’impression qu’on le présentait comme une essence. Or, ce n’est pas du tout le cas ! Une seule de mes collègues plus jeunes que moi éduquerait-elle aujourd’hui son fils en lui donnant une gifle lorsqu’il a les larmes aux yeux, en lui disant : « Tu n’es pas une femme ; au moins maintenant, tu sais pourquoi tu pleures ! » (Sourires.) Dans ma génération, c’était courant : on était un homme, on ne pleurait pas. Du coup, nous gardions nos sentiments pour nous. On nous apprenait cela : nous étions dressés pour cela. On évoque souvent la dictature des modèles culturels sur les femmes, mais l’équivalent existe pour les hommes.

Mme Anne-Christine Lang. Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Les hommes doivent être comme cela, se comporter de telle manière ou de telle autre… Le genre masculin est une construction, comme le genre féminin.

M. Marc Le Fur. Ce ne sont pas des genres ; ce sont des sexes !

M. Xavier Breton. Nous parlons de corps !

M. Jean-Luc Mélenchon. La paternité et la filiation sont un rapport social. Je viens de vérifier un point avec mon collègue Bastien Lachaud, qui est un éminent historien. Même si elle est aujourd’hui remise en cause, selon la règle de la présomption de paternité consacrée par l’état civil napoléonien, lorsque votre femme donne naissance à un enfant, c’est le vôtre : c’est votre femme, donc c’est votre fils ! Disons que c’est un credo.

M. Marc Le Fur. C’est pour la paix des ménages !

M. Jean-Luc Mélenchon. En tout cas, c’est comme cela. C’est la loi. Moi, je trouvais ça très bien.

Dans la Rome antique, le paterfamilias avait le choix : il pouvait prendre l’enfant dans ses bras et prononcer la formule sacrée « c’est à moi ! », et c’était alors son fils, ou le mettre à la poubelle. Dira-t-on aujourd’hui qu’il s’agissait d’un modèle indépassable ? Non, bien sûr !

M. Marc Le Fur. C’est pourtant ce que nous recréons !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne l’évoque pas pour le jeter à la figure de qui que ce soit – de quel droit le ferais-je ? –,  mais pour montrer que les rapports sociaux, les rapports de filiation, de paternité et de maternité sont des faits sociaux et culturels. Comme tels, il faut s’en réjouir, car cela signifie qu’ils sont à notre portée.

Ainsi, monsieur Brindeau, il faut reconnaître que votre raisonnement est formellement implacable : il enchaîne des faits. Mais, non, collègue ! Ce que nous allons voter ne forcera pas notre conviction et personne ne sera obligé de renoncer au père du fait du vote de la loi : il y aura toujours des pères, et il y aura toujours des mariages hétérosexuels. Il s’agit là uniquement d’une catégorie de personnes, en vérité peu nombreuses. Quelqu’un a parlé de révolution de civilisation mais, de grâce,…

M. Marc Le Fur. C’est vous qui en parlez !

M. Jean-Luc Mélenchon. On peut toujours dire cela, mais nous n’en sommes pas là ! Ce qui va changer, monsieur Le Fur, c’est qu’au lieu d’avoir un seul modèle possible de filiation, il y en aura plusieurs. Le seul mal qui résultera de cela…

Mme Constance Le Grip. Comment écrivez-vous « mal » ?

M. Jean-Luc Mélenchon. …serait celui que pourraient éventuellement faire ceux qui viendraient ultérieurement discuter de la légitimité de telles filiations.

J’appartiens à une génération pour laquelle le divorce était rarissime. Les enfants de divorcés pouvaient lire dans les yeux des autres une sorte de consternation douloureuse. On nous disait qu’il fallait s’apitoyer sur eux. Personnellement, cette situation ne m’a causé aucune souffrance et je me demandais de quoi je pouvais bien me plaindre. Je comprends ce regard, qui était plein de bienveillance. Aujourd’hui, dans une classe de CM2 ou de CP, on a plus vite fait de compter les enfants dont les parents sont toujours en couple que ceux dont les parents ont divorcé.

M. Xavier Breton. 70 % des enfants vivent avec leurs père et mère !

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes en train d’augmenter les droits des personnes, des pères et des mères, qui constituent les familles recomposées – quatre personnes sont concernées. Nous voyons bien que les choses ont évolué.

Nous ne ferons rien d’autre que de voter. Un vote, ce n’est pas un oukase, c’est seulement une décision. Une fois le vote acquis, chacun peut conserver son opinion. Si vous pensez que nous commettons une erreur terrible… D’ailleurs, peut-être avez-vous raison et peut-être dirons-nous, dans quatre ou cinq ans, que nous avons fait une horrible gaffe et rendu malheureux des milliers de jeunes gens – mais nous ne le croyons pas.

Nous avons beaucoup réfléchi avant de prendre notre décision et il ne faudrait pas faire croire que c’est une décision prise au débotté. Cette mesure n’est même pas partidaire : elle se trouvait dans le programme que j’ai eu l’honneur de défendre lors de l’élection présidentielle, dans celui de M. Macron, et peut-être dans d’autres – j’en oublie –, comme celui de M. Hamon. Nous avons tous pris le temps d’y réfléchir.

Mais la force de l’idéal républicain et de la démocratie laïque – et j’insiste sur cet adjectif –, c’est qu’elle ne place pas un Dieu ou une ethnie au-dessus de nos têtes : la loi est réversible, provisoire. La démocratie et l’humanisme ne proclament pas de vérité : nous ne prétendons pas que nous connaissons la vérité, mais que nous la cherchons.

Monsieur Brindeau, vous m’expliquez aussi, par un raisonnement que j’entends, que si nous sommes partisans de l’égalité, nous serons partisans de la GPA. Formellement, vous avez raison, mais nos décisions cheminent entre nos principes : à côté du principe d’égalité, un autre principe intervient, selon lequel le corps humain n’est pas une marchandise. Croyez bien que si ce projet de loi comportait un quelconque élément de marchandisation, je ne le voterais pas !

M. Marc Le Fur. Alors, vous ne le voterez pas !

Plusieurs députés du groupe LR. Vous ne le voterez pas !

M. Thibault Bazin et M. Xavier Breton. Nous allons vous expliquer !

M. Jean-Luc Mélenchon. En fait, comme beaucoup de gens ici, je vais voter ce texte, parce qu’on n’y trouve pas trace de marchandisation.

Si, demain, des collègues proposent d’autoriser la GPA, tout en disant d’avance que je respecterai leur point de vue et en reconnaissant l’ambiguïté de certaines de nos positions, je serai contre et mon raisonnement sera le suivant : présentez-moi une femme milliardaire prête à faire un enfant pour le bonheur d’une femme habitant un bidonville, et j’accepterai de discuter du principe de la GPA. Cela n’existe pas ! La GPA ne sera jamais autre chose qu’une forme de marchandisation, et nous nous y opposerons absolument.  Ah ! » sur les bancs du groupe LR. – Applaudissements sur les bancs du groupe LT.) Nous ne serons pas les seuls. Il y aura des oppositions sur tous les bancs. Vous aussi vous voterez contre !

Voilà ce qu’est une décision politique : il ne faut pas en faire une vérité absolue, sous peine de tomber dans le dogmatisme et, forcément, dans le sectarisme. Toutefois, puisque Marc Le Fur est venu sur ce terrain, et que vous avez aussi évoqué le droit aux origines, je me permets de vous demander de quoi vous parlez – mais je ne veux désigner personne ni mettre aucune polémique dans mon propos.

Peut-être celui ou celle qui est capable de remonter à ses origines sur cinq, dix ou vingt générations pourra-t-il parler du droit aux origines en citant ses ancêtres jusqu’aux croisades. Les miens devaient sans doute s’y trouver aussi – par la force des choses, puisque je suis aujourd’hui devant vous –, mais ils ont oublié de le mentionner. Peut-être n’étaient-ils pas du « bon côté » mais, à la vérité, je m’en fiche, car le droit aux origines est une illusion ou, plus exactement, une idéologie.

C’est pourquoi tout à l’heure je repartais du discours de Mme Le Pen, parce qu’elle est cohérente. À sa manière, M. Le Fur l’est aussi, pour de tout autres raisons, comme M. Brindeau – je m’empresse de le dire, car nous sommes unis, avec Marc Le Fur et Claude Goasguen, par des polémiques à propos de l’interprétation des événements de la Révolution de 1789.

Vous avez raison de dire, monsieur Le Fur, que nous sommes des nains sur les épaules des géants, mais vous vous trompez sur un point : ce n’est pas parce que les autres étaient plus grands, mais parce qu’ils étaient plus nombreux…

M. Marc Le Fur. C’est parce que nous leur sommes redevables !

M. Jean-Luc Mélenchon. Le sens de cette métaphore, c’est que nous sommes tous des nains parce que nous succédons à des générations qui nous précèdent. Comme vous le savez, puisque vous vous êtes chrétien, Christophoros, qui veut dire, en grec, « qui porte le Christ », ne signifie pas que Christophe est plus grand que le Christ – ce serait une hérésie –, mais que nous sommes les héritiers d’une histoire collective, et non individuelle. Moi, comme tout le monde le sait ici, je suis l’héritier de Robespierre, avec qui je n’ai aucun lien de parenté.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas sûr ! (Sourires.)

M. Thibault Bazin. Il faudrait faire un test ADN !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je suis l’héritier d’Épictète, que je n’ai jamais rencontré, et de Karl Marx, que je n’ai jamais vu,…

Mme Danièle Obono. Lui, il existe !

M. Jean-Luc Mélenchon. …et ainsi de suite. Notre passé, nous le choisissons, et même la mémoire que vous croyez en avoir est une reconstruction – il y a parmi nous quelques médecins qui me donneront raison à ce propos. La mémoire n’a jamais été un enregistrement, et l’histoire, si elle est une science – et c’en est une – n’établit, là non plus, aucune certitude, sans quoi elle ne serait pas une science.

Acceptons donc la splendeur du relativisme ! C’est ce dont je me fais l’avocat à cet instant. Nous sommes grands parce que nous décidons de vivre de telle ou telle manière, et de le faire de façon honorable. C’est la seule chose qui compte ; nous ne devons rien à personne, sinon pour les sacrifices qui ont été consentis pour nous, mais cela ne nous crée pas une identité.

M. Marc Le Fur. Cela crée une dette !

M. Jean-Luc Mélenchon. L’identité est une construction. Je suis d’accord, monsieur Le Fur, pour dire que nous sommes en désaccord sur ce point : je ne vais pas vous attribuer une position qui ne serait pas la vôtre, que  je ne connais pas exactement, mais je sais qu’il y a un lien profond – et j’invite ceux qui siègent de votre côté de l’hémicycle à y réfléchir – entre le droit aux origines, le droit du sang, l’ethnicisme et le communautarisme. Je ne vous le reproche pas, collègue, et je ne suis pas en train de vous faire un procès, mais ceux qui sont les plus cohérents sont ceux qui vont d’un bout à l’autre du spectre : du droit aux origines au droit du sang, pour terminer par l’ethnie, qui fonderait l’identité. L’histoire est longue et moi, je suis l’héritier d’une histoire – qui n’est pas celle-là dont je ne veux pas.

La vraie frontière qui traverse l’Europe est celle des lignes de l’Empire romain : d’un côté, c’est la cité, la citoyenneté et le droit du sol – celui qui arrive et qui est là a droit à la parole comme tout le monde – ; de l’autre, c’est le droit du sang, et tout ce qui va avec.

Je ne suis pas étonné par la position de mes collègues conservateurs. Il n’y a d’ailleurs aucune honte à être conservateur et je me demande pourquoi cela semble en déranger certains. C’est un point de vue politique respectable et honorable, et il n’y a pas de démocratie si nous sommes tous d’accord ! Il n’y a de démocratie que parce que nous sommes dans un rapport de conflictualité, qui nous fait réfléchir et nous oblige à affiner nos arguments.

On peut donc être conservateur et vous l’êtes, chers collègues, quand vous proclamez la prééminence du passé. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

M. Thibault Bazin. Nous sommes pour le progrès éthique !

M. Jean-Luc Mélenchon. Quant à nous, nous proclamons la prééminence de l’autoconstruction !

M. Marc Le Fur. La prééminence de la transmission, c’est autant le passé que l’avenir.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous ne disons pas qu’elle sera une réussite à tous les coups, mais que si nous ne sommes pas dans cette logique-là, cela signifie – et cela vous a échappé, monsieur Le Fur – que chacun d’entre nous n’a d’autre mission dans la vie que de reproduire des modèles. Or, reproduire des modèles, ce n’est pas exister, c’est imiter.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas vrai ! Syllogisme !

M. Jean-Luc Mélenchon. La vie n’est pas une imitation, et elle le sera moins que jamais à l’avenir.

Vous me verrez peut-être d’accord avec vous, Marc Le Fur, quand nous aborderons les questions terribles posées par les eugénistes et par ceux qui se disent transhumanistes.  

M. Marc Le Fur. C’est ce que vous nous préparez avec ce texte !

M. Jean-Luc Mélenchon. Ceux-là non plus n’ont rien compris à ce qu’est la nature humaine telle que l’humanisme historique la décrit.

Nous n’avons jamais dit que nous allions dépasser les limites physiques de l’humanité, mais celles qui tiennent à sa culture, à ses préjugés, à sa violence, à ses obsessions et à ses dogmes. Voilà ce que l’humanisme se donne comme projet.

C’est pourquoi ce modeste article, qu’on aurait tort de présenter comme le changement du siècle, est un petit bout du chemin que nous construisons étape après étape, tâtonnant dans la pénombre pour trouver la bonne direction. Nous sommes comme la chouette qui, lorsque le jour tombe, passe entre l’ombre et la lumière pour trouver le côté où elle va s’en aller.

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17 septembre 2019 2 17 /09 /septembre /2019 09:08

Depuis hier la presse nous abreuve des indiscrétions indiscrètes [c'est fait exprès] autour du discours tenu par Emmanuel Macron aux parlementaires LREM et MODEM (on remarquera que rarement un Président de la République aura aussi souvent convoqué SA majorité parlementaire pour la chapitrer, marquant ainsi tout à la fois la faiblesse de son encadrement politique et le peu de considération totalement assumé pour la séparation des pouvoirs) pour promouvoir une prétendue lucidité sur l'immigration.

Mais au fond qu'est-ce que cela change fondamentalement ?

N'aviez-vous pas vu les mesures imposées par l'exécutif et sa majorité parlementaire lors de l'adoption de la Loi Asile-Immigration ?

N'aviez-vous pas noté que le débarquement de Pascal Brice de la direction de l'OFPRA (qui se croyait pourtant bien introduit auprès de l’Élysée) marquait la victoire du ministère de l'intérieur sur cette agence dont le patron se voulait trop autonome ? N'aviez-vous pas compris que c'était là un renforcement d'une logique qui prévaut depuis 2010 et soumet toute la politique d'asile et d'immigration à ce seul ministère quand bien d'autres devraient avoir leur mot à dire (Justice, Finances, Économie, Santé, Affaires sociales, Éducation nationale, Vie associative...) ?

N'aviez-vous pas noté cette continuité depuis 2014 sur l'immigration qui conduisit la France à refuser la mise en place de ce que la presse avait imprécisément appelé quotas lors de la crise migratoires de 2015, pour n'accueillir que moins de 25.000 réfugiés quand l'Allemagne en recevait 1 million (décision non préparée, à la fois forcée et irresponsable, égoïste car fondée sur l'idée de pallier la catastrophe démographique allemande et de baisser encore les salaires), l'Autriche 90.000 et la Suède 160.000 ?

N'avez-vous pas noté que malgré l'implication impressionnantes des associations, des ONG, des bénévoles, des agents de l'OFPRA, notre pays ne s'est toujours pas donnée les moyens nécessaires pour accueillir les demandeurs d'asile ?

Ce qui va changer c'est donc le discours... Il va ouvertement flatter les pires élucubrations de l'extrême droite, les recycler sous un vernis bourgeois : il suffit de revoir et relire les propos nauséabonds de Julien Denormandie hier sur BFMTV à propos de l'Aide Médicale d’État et du tourisme médical des migrants et des demandeurs d'asile ! Remarquez Nathalie Loiseau, leur tête de liste européenne (sans doute un retour de mémoire de sa jeunesse à Sces Po) nous avait fait plus ou moins le même coup durant la campagne électorale.

Ce discours est fondé sur l'idée méprisante que les classes populaires ne seraient que des masses avinées, xénophobes et bas de plafond... Le mépris n'abaisse que ceux qui l'expriment. Mais surtout il vise par ricochet à légitimer les thèses de ceux que le Prince Président s'est choisi comme adversaire exclusif pour marginaliser tout le reste du champ politique (qui l'aide bien) : la Bourgeoisie va se servir de l'immigré comme bouc émissaire, puis la Bourgeoisie nous dira "Pour éviter le fascisme, votez banquier !"

Car c'est bien là l'une des blagues absolues dont la Macronie nous abreuve régulièrement : que Macron enjoigne ses troupes de ne pas être "un parti bourgeois" est singulièrement cocasse, quand on mesure sa politique et qu'on se rappelle qu'il fut réclamé en 2012 à François Hollande par les grands patrons comme secrétaire général adjoint impératif de l’Élysée. Le mentor avait en son temps préfiguré la politique libérale qui s'appliquer sans filtre désormais et nous avait demandé aussi de regarder la situation en face en foulant la République aux pieds pour introduire dans la constitution la déchéance de nationalité pour les binationaux. La boucle est bouclée : le Commis du Grand Capital décide de "regarder l'immigration en face" pour se garantir sa réélection en confortant la place de l'ennemi nationaliste lors de la prochaine présidentielle.

Ne vous méprenez pas cependant, je n'ai rien d'un "No Border", je n'ai jamais cru que n'importe qui pouvait s'installer où il voulait, comme il le voulait, quand il le voulait. Je crois qu'un État doit défendre les intérêts de ses citoyens avant toutes choses... mais je crois aussi que notre État est une République qui prétend avoir un message universel et que la pertinence ou la véracité de nos principes et de nos actes est une des conditions du ciment national : si nous prétendons être la Mère des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Patrie de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité, alors toute action politique et administrative fondée sur l'idée que nous réduirons les flux d'immigration, l'arrivée de demandeurs d'asile par la dissuasion, en théorisant la nécessité de mauvaises conditions d'accueil, est indigne de nous ! Elle abaisse la confiance et la fierté d'être Français, elle réduit notre action d'intégration ou d'assimilation, elle accroît les difficultés de voisinage et de cohabitation entre les membres de la communauté nationale et ceux qui pourraient un jour prétendre en faire partie... Croyez-vous au demeurant une seule seconde que ce type de stratégie puisse avoir un quelconque poids face aux défis démographique, climatique, économique et sécuritaire auxquelles les populations de la Méditerranée, de l'Afrique ou du Moyen-Orient sont confrontées ? Croyez-vous que la délocalisation des centres de rétention en Turquie ou en Libye aura une quelconque efficacité ?

Je ne prétends pas pour autant nier l'existence des tensions sur le corps social qui résultent de l'immigration ; elles ont toujours existé et il faut les affronter, elles n'ont rien d'insurmontables (il suffit de voir le devenir des précédentes vagues d'immigration et le taux de mariages mixtes aujourd'hui pour s'en convaincre). Mais cela suppose aussi d'avoir une vision exigeante de la République et pour la République : quelles soient présentes partout sur le terrain, notamment qu'elle retrouve le chemin de ces zones de relégation rurales, urbaines ou périurbaines, et tout particulièrement là où on a remplacé des bidonvilles dans les années 1970 par des ghettos immobiliers sans considérer que ces nouveaux enfants de la République avaient finalement le droit à un accès égal à la culture, à l'emploi, aux services... Il ne s'agit pas uniquement de compter sur des services publics - qu'il faut restaurer - qui serviraient de cautères sur une jambe de bois mais que l’État retrouve enfin une stratégie économique qui ne saurait être fondée sur le seul marché.

Regardons l'échec de l'Allemagne post-2015 ; nous avons à nous donner les moyens de réguler, organiser et assimiler : oui nous pouvons accueillir plus de monde - pas tout le monde - et être à la hauteur du message républicain en investissant massivement sur l'apprentissage de la langue française, le logement, la formation professionnelle, l'éducation à la République et à la Laïcité... bref construire des Communs, plutôt que juxtaposer des différences qui ne pourront pas dialoguer sans ceux-là !

Même si Macron et Le Pen y travaillent d'arrache-pied, le pire n'est jamais sûr. Il ne tient qu'à nous !

Frédéric Faravel

Julien Denormandie, ministre du logement, sur BFMTV le lundi 16 septembre 2019

Julien Denormandie, ministre du logement, sur BFMTV le lundi 16 septembre 2019

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16 septembre 2019 1 16 /09 /septembre /2019 19:42

De Vichy à la Libération

À la Libération, dans les attributions d'Alexandre Parodi, ministre du Travail et de la Sécurité sociale dans le Gouvernement provisoire de la République française figure notamment la mise œuvre la résolution du Programme du CNR qui prévoyait « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». L'organisation des retraites sera intégrée au système français de sécurité sociale dont la création est confiée en novembre 1944 à Pierre Laroque qui est nommé « directeur des assurances sociales et de la mutualité ». Ambroise Croizat, ministre communiste (novembre 1945 – mai 1947) du travail, puis du travail et de la santé, dirige à ce titre la mise en place du système de protection sociale : assurance maladie, système de retraites, allocations familiales.

Le nouveau système de sécurité sociale découle des trois ordonnances de fin 1944 et fin 1945. Les ordonnances de 1945 n'interdisent pas la liquidation de la retraite à 60 ans, mais repoussent dans les faits l'âge normal du départ à 65 ans. En effet, le montant de la pension est égal à 20% du salaire annuel de base pour l'assuré ayant cotisé 30 années ; mais l'assuré social peut « bonifier » ce montant de 4 % pour toutes les années supplémentaires travaillées entre 60 et 65 ans. Il s'agit alors de maintenir le maximum de travailleurs en activité pour gagner la « bataille de la production ». En 1948, 63 % des plus de 65 ans touchent un revenu de vieillesse.

En matière de retraite, la méthode par répartition imaginé par Belin (à l’époque de Vichy) est conservée, mais les systèmes professionnels reprennent leur autonomie. Il en résulte le développement de quantités de régimes différents ; les plus riches (notaires par exemple) auront les moyens de prélever des cotisations élevées, permettant de verser relativement tôt (à 60 voire 55 ans) des pensions relativement élevées ; d'autres (industries sous monopole d'état notamment, SNCF, EDF, mines…) obtiendront le même résultat par une participation massive de leur employeur ; d'autres enfin, par choix ou manque de moyens, ne mettront en place que des cotisations faibles ne permettant de financer que des pensions tardives et faibles, voire misérables (commerçants, agriculteurs).

À ce système « bismarckien », la France ajoute une composante « beveridgienne », sous forme d'un minimum vieillesse et de droits à retraite spécifiques pour les mères de familles par exemple.

Des évolutions mais pas de remises en cause majeures (1953-1982)

En 1953, une première tentative de regrouper dans le régime général les régimes spéciaux (régimes des mineurs ou cheminots, jugés trop généreux et devant être alignés sur le secteur privé), fortement contestée (grèves des fonctionnaires), avorte. En 1956 est créée la vignette automobile destinée à alimenter le Fonds national de Solidarité (FNS). La Sécurité sociale est réorganisée en quatre branches vers 1966 : création de la CNAM, de la CNAV, de la CNAF et de la branche AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles). La démographie impose dès les années 1960 de réévaluer les cotisations. Des professions qui avaient choisi de garder des régimes spécifiques rejoignent le régime général. Il apparaît que les évolutions démographiques professionnelles sont à prendre en compte, et que la justice sociale nécessite des transferts entre caisses (les caisses qui profitent de l'afflux de nouveaux cotisants issus de l'exode rural vont finir par verser des compensations au « régime agricole », déjà faible et miné par une hausse majeure des pensionnés et un effondrement du nombre de cotisants). Le 31 décembre 1971, la loi Boulin, sous la pression de la droite, fait passer de 120 (30 ans) à 150 trimestres (37,5 ans) de cotisations l'ouverture des droits à une retraite à taux plein, sur la base des dix meilleures (et non plus dernières) années de salaire. Des systèmes complexes de calcul des sommes concernées (entrantes ou sortantes selon que la caisse perd des cotisants ou en gagne) sont mis en place à partir de 1974, et pour solder les désaccords, plutôt que de trancher l'État verse une obole (pour le régime agricole ce sera le Budget annexe des prestations sociales agricole, devenu Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles en 2005).

Dans le même temps, pour pallier les problèmes d'emploi apparus à partir des années 1960, le principe de partage du travail, la volonté de lutter spécifiquement contre le chômage des jeunes, et l'intérêt des entreprises qui souhaitent licencier mais ne peuvent le faire pour des raisons légales conduisent au premier dispositif de pré-retraite en 1972. Celui-ci garantit le financement par l'État d'un revenu de remplacement pour les personnes âgées de plus de 60 ans. Par la suite, en 1980, le dispositif est élargi aux personnes de plus de 55 ans.

La hausse du chômage qui s'accentue en 1973 continue à peser sérieusement sur les cotisations, tout en mettant les chômeurs âgés en difficulté.

Enfin, en 1982, sous la présidence de François Mitterrand, une ordonnance Auroux accorde la retraite à partir de 60 ans, pour 37,5 années de cotisation, au taux plein de 50 % du salaire annuel moyen.



Le « livre blanc » sur les retraites de 1991

En 1991, le Livre blanc sur les retraites met en évidence les difficultés à venir du système de retraite français et marque le point de départ des réformes qui se sont succédé depuis 25 ans.

« L'enjeu est considérable : maintenir l'acquis au profit des générations futures dépend, au-delà de la démographie et de l'économie, de notre capacité à actualiser le pacte de solidarité qui lie les générations entre elles », écrit alors Michel Rocard, Premier ministre, dans la préface du Livre blanc sur les retraites.

Ce livre blanc est le premier rapport important sur cette question, après le rapport Laroque de 1962, un travail technique interministériel conséquent ayant été réalisé grâce à la coordination du Commissariat Général du Plan.

Le rapport dit vouloir analyser sur le long terme pour assurer un pilotage efficient. Pour cela la démographie en particulier, mais également l'économie (emploi, croissance, etc.) font l'objet d'hypothèses de projections, elles-mêmes intégrées dans les projections sur l'équilibre financier des régimes de retraites. De plus, une réforme des retraites n'y est envisagée que progressivement, afin d'éviter des effets de seuil trop importants sur les conditions de départ (âge, durée de cotisation, montant) entre générations, pendant la montée en charge de cette réforme.

L'exercice réalisé comportait 8 scénarios, avec des hypothèses différentes (de « pessimistes » à « optimistes » sur la fécondité, sur le taux d'activité des plus de 55 ans et la réduction plus ou moins rapide du chômage). Ainsi à législation inchangée (âge de départ, durée de cotisation, paramètres de calcul de pension inchangés), pour équilibrer financièrement le système, le taux de cotisation est indiqué comme devant plus que doubler entre 1990 et 2040 selon le scénario le plus pessimiste, et augmenter de 50% dans le cas le plus favorable. Le rapport conclut : « Ne rien faire doit être clairement écarté : ce serait accepter le scénario de l'intolérable sur le plan social et sur le plan économique ».

Les principales propositions de ce rapport sont les suivantes :

  • confirmation et consolidation du système par répartition (les actifs cotisent pour les retraités), respect de l'équité entre générations, principes de solidarité inhérent à la Sécurité sociale ;

  • augmentation de la durée d'activité pour une retraite complète ;

  • extension dans les régimes de base de la période prise en compte dans le calcul de la pension (pour le Régime général, la réforme de 1993 a porté de 10 ans à 25 ans le nombre d'années de salaires dans le calcul du salaire annuel moyen) ;

  • revalorisation des pensions sur l'évolution des prix.

Ce rapport sera la base de la réforme 1993.

Parallèlement, la création de la CSG la même année pourrait être considérée comme la première réforme des retraites : elle ne limite pas directement les dépenses de retraite mais, en faisant participer certains retraités au financement de la protection sociale, elle constitue l’équivalent d’une diminution du montant de pension pour les retraités concernés.

La réforme Balladur (1993) puis l'échec de Juppé (1995)

Édouard Balladur, nouveau Premier ministre, constate un déficit sans précédent : 40 milliards de francs. La récession causée par la crise monétaire consécutive à la réunification allemande frappe de plein fouet les recettes. Son gouvernement décidé donc de lancer une réforme des retraites au pas de charge. Une loi d'habilitation à légiférer par ordonnance est rapidement votée, et à l'été 1993 la réforme est terminée. L'ensemble n'aura pris que quelques semaines.

Cette réforme, qui ne concerne que le secteur privé, tient en cinq principales mesures :

  • la durée de cotisation nécessaire pour avoir droit à une pension à taux plein passe progressivement de 150 trimestres (37 ans et demi) à 160 trimestres (40 ans), à raison d'un trimestre de plus par an du 1er janvier 1994 au 1er janvier 2004 ;

  • création d'une décote pour chaque trimestre de cotisation manquant (2,5% par trimestre, soit 10% par an). En pratique, la plupart des gens remplissaient la condition de cotisation à 60 ans ou même avant, ce qui limite la portée de cette disposition ;

  • augmentation de la durée de carrière de référence : la pension était précédemment calculée sur les 10 meilleures années, durée qui sera progressivement portée à 25 années (atteint en 2010, à raison d'une année de plus par an) ;

  • changement du mode d'indexation des pensions de retraites. Elles seront désormais alignées sur l'inflation (mesurée par l’indice des prix à la consommation), alors qu'elles étaient précédemment indexées sur l'évolution des salaires ;

  • création d’un fonds de solidarité vieillesse (FSV) chargé de financer quelques dispositifs (minimum vieillesse, avantages familiaux…).

En matière de durée d'activité, une autre étude, du ministère du Travail, réalisée en 2009 a estimé que depuis cette réforme, les hommes ont en moyenne repoussé leur cessation d’activité de 9,5 mois et les femmes de 5 mois. En 17 ans, la durée de cotisation moyenne n'aurait donc augmenté que de 8 mois ou moins, compte tenu d'une arrivée plus tardive sur le marché du travail. La réforme de 1993, qui augmentait de 30 mois la durée de cotisation nécessaire pour avoir une retraite complète, aurait donc raté à 70% son principal objectif : avoir plus de cotisations.

Ceci explique en partie que l'objectif principal, rétablir l'équilibre financier du système, a échoué. Le volume de cotisations n'a pas augmenté autant qu'escompté.

Confronté au même genre de difficulté budgétaire, Alain Juppé s'attaque au problème des régimes spéciaux de retraite et au rapprochement du régime de la fonction publique au régime général. Voté triomphalement au parlement, avec la bienveillance de l'opposition, son plan se fracasse sur les grèves de novembre-décembre 1995 et son gouvernement fait machine arrière.

Après cet échec, le gouvernement fait voter début 1997 la proposition de « loi Thomas », qui créait un régime de fonds de pension destiné à inciter les salariés du privé (14,8 millions de personnes) à constituer une épargne en vue de la retraite, abondée par l'entreprise. Mise en sommeil après le changement de majorité gouvernementale intervenu la même année, celle-ci a finalement été abrogée en 2002.

Création du Fonds de réserve pour les retraites (1999)

La gauche, au pouvoir à partir de 1997, ne lance pas de nouvelle réforme sur l'âge légal ou la durée de cotisation mais crée le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), dont la mise en place est officialisée par la loi de financement de la Sécurité sociale de 1999. Cet instrument sert à faire face aux situations de déséquilibre entre cotisations et pensions à payer. Il est en particulier destiné à couvrir la prévision d'une future pointe de besoin de financement du régime général d'ici 2020, date jusqu'à laquelle les montants mis de côté ne doivent en principe pas être utilisés.

Dans la loi, le FRR peut percevoir plusieurs types de dotations : 2% du prélèvement social sur les revenus de patrimoine et de placement, les excédents de la CNAV, le produit de cessions d'actifs telles que les privatisations, la cession des parts de Caisses d'épargne, et le produit de la vente des licences UMTS (téléphonie 3G). Mais selon les syndicats, le gouvernement a finalement refusé de verser les recettes de privatisation.

Ce fonds ne recevra jamais les sommes promises, qui devaient totaliser 150 Mds€ en 2010, même pendant les périodes de bonne croissance économique des années 1999, 2000 et 2001, puis ne touchera plus grand chose à partir de 2002, après le retour de la droite au pouvoir. Ayant été doté au total de 29 Mds€ de 1999 à fin 2009, il représentait à cette date une réserve de 33 Mds€.

Les sommes en jeu, quoiqu'inférieures au projet initial, restent néanmoins importantes, et tentantes pour un gouvernement dont le budget est déficitaire. Les syndicats CFDT, CGC, CGT, FO, et CFTC ont ainsi manifesté leur inquiétude par écrit au président de la République le 7 janvier 2008, pour le mettre en garde contre toute utilisation prématurée du fonds. Dans le cadre de la réforme de 2010, le FRR sera effectivement mis à contribution avec 10 ans d'avance. « Quand il a été créé, c'était pour régler les problèmes dans 20 ans (...) sauf que les déficits des retraites, maintenant, ils ont 20 ans d'avance », se justifiait en juin 2010 le ministre du Travail Éric Woerth.

Dès 2002, les ministres des Finances de l'UE se sont mis d’accord sur un projet de directives encadrant les règles de fonctionnement des futurs fonds de pension européens : le Conseil Européen de Barcelone fixe l'âge moyen de départ à la retraite à 63 ans à l'échéance de 2012 et encourage le Plan d'épargne d'entreprise par capitalisation ; cette annonce jettera un trouble supplémentaire sur la campagne de Lionel Jospin pour les élections présidentielles de la même année.

Fillon 1 – Fillon 2 – Fillon 3

La réforme Fillon de 2003

François Fillon, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, entreprend une nouvelle réforme qui généralise aux fonctionnaires la décote Balladur pour années manquantes. Elle instaure une transition progressive de la durée de cotisation de tous les régimes, sauf les régimes spéciaux, vers 42 ans. Est ainsi décidé dans un premier temps d'aligner la durée de cotisation des fonctionnaires : elle est ainsi allongée de 37,5 ans à 40 ans à l'horizon 2008, à raison d'un semestre par an.Par contre, cette réforme réduit la durée de cotisation des personnes qui ont commencé à travailler très jeunes : elles peuvent partir à la retraite de façon anticipée avec 42 ans de cotisations. Les plus de 17 ans sont toutefois exclus du dispositif et doivent donc continuer au-delà de 60 ans. La décote pour années manquantes doit tendre pour tous les salariés à 5% par année manquante à l'horizon 2015 dans la limite de 5 années (soit 25% de décote maximale). Une surcote pour années supplémentaires est instaurée (de 3%) par année supplémentaire au-delà de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Le cumul emploi-retraite est rendu plus flexible.

Le mode d'indexation choisi reste l'indexation sur les prix ; le pouvoir d'achat des retraités est donc considéré comme préservé constant tout au long de leur retraite.

Les salariés peuvent racheter des trimestres au titre des études, dans la limite de 3 ans (avec un coût relativement important ; la DREES évalue le montant moyen des rachats à 22 000 €).Mais surtout, Fillon réintroduit la logique des fonds de pension. De nouveaux produits d'épargne individuels (le PERP) et collectif (le PERCO) sont créés (système de capitalisation).Selon la loi Fillon de 2003, la durée de cotisation doit être augmentée d'un an, à raison d'un trimestre par année, à partir de 2009. Cependant la loi Fillon précise que cette augmentation peut être ajournée si le contexte est modifié, au regard des évolutions du taux d'activité des personnes de plus de 50 ans, de « la situation financière des régimes de retraite, de la situation de l'emploi [et de] l'examen des paramètres de financement des régimes de retraite ».

La « deuxième réforme Fillon » (2007) : les régimes spéciaux

La réforme des régimes spéciaux, qui est entrée en vigueur le 1erjuillet 2008, avait pour objectif d’aligner la durée de cotisation des agents de la SNCF, de la RATP et des IEG (Industries électriques et gazières) sur celle du privé et de la fonction publique, comme l'avait promis à plusieurs reprises Nicolas Sarkozy lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2007.

La réforme prévoit l'augmentation progressive de la durée de cotisation, de 37,5 ans en 2007 à 40 ans en 2012, pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Depuis le 1er juillet 2009, les pensions sont indexées sur l’inflation. Enfin, à compter du 1er juillet 2010 est introduite une décote réduisant la retraite en cas de trimestre manquant. Cette réforme revient à étendre à un demi-million de salariés qui y échappaient encore la réforme Balladur des retraites de 1993, comme la loi Fillon l'avait étendue en 2003 aux 5 millions de fonctionnaires.

Après la réforme des régimes de retraites spéciaux de fin 2007, le rendez-vous de 2008 faisait partie du calendrier décidé lors de la réforme de 2003, avec pour thème, principalement dans le secteur privé :

  • définir le niveau minimal d’une retraite pour un salarié qui a effectué une carrière complète ;

  • réexaminer le dispositif de départ anticipé pour carrières longues ;

  • déterminer les moyens d’équilibrer les régimes de retraite.

  • l'allongement de la durée de cotisation à 41 ans pour l'année 2012, à raison d'un trimestre par an ;

  • la revalorisation de 25 % du minimum vieillesse, entre 2007 et 2012 ;

  • le rétablissement par la loi d’un minimum de 55 ans au moins pour obtenir la pension de réversion.

La réforme Woerth de 2010

Lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy avait parlé essentiellement de la réforme des régimes spéciaux de retraite. Les prévisions de déficit ayant été revues en forte hausse à cause de la crise bancaire, le gouvernement décida une réforme plus large en 2010.

Selon des projections du COR, contestées par les syndicats, en 2010 le total du déficit des régimes de retraite s’élèverait à 32 Mds€ en raison du pic de départ à la retraite des générations du baby-boom nées entre 1945 et 1950 (âgées de 60 à 65 ans en 2010). Pour 2020, il estime que le déséquilibre serait fortement croissant : 182 cotisants pour 100 retraités en 2006, 170 pour 100 en 2010, 150 pour 100 en 2030 et 121 pour 100 en 2050.

Alors qu'en 2007, avant la crise économique de 2008-2010, le COR estimait le besoin de financement des retraites à environ 25 Mds€ en 2020 (soit 1 point de PIB), dans son document de 2010 il estimait ce même besoin à 45 Mds€ (soit 1,86 point de PIB), chiffre qui monterait à 70 Mds€ en 2030 et 100 Mds€ en 2050.La loi du 9 novembre 2010 comportait donc, outre des mesures liées aux droits des assurés (âge légal de départ, âge de liquidation à taux plein, etc.), des dispositions relatives à la prise en compte de la pénibilité et des interruptions de carrière (maternité, chômage, etc.). Il s’agit pour l’essentiel des points suivants :

  • le relèvement progressif de l’âge minimum légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en 2018. Ce relèvement concerne tous les salariés, du public comme du privé, et les régimes spéciaux, mais avec des calendriers de mise en œuvre différents ;• le recul de l’âge à partir duquel il est permis à un assuré, n’ayant pas la durée de cotisation requise, de bénéficier tout de même d’une retraite à taux plein, qui passe progressivement de 65 à 67 ans ;

  • la poursuite de l’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein qui passe à 41,5 ans pour la génération 1956 ;

  • l’alignement progressif du taux de cotisation vieillesse des fonctionnaires sur celui des salariés ;

  • le recul progressif de l’âge de départ en retraite anticipée pour "carrière longue" (jusque-là fixé avant 60 ans) et la création d’une possibilité de départ pour les assurés ayant commencé à travailler avant 18 ans ;

  • l’instauration d’un dispositif de départ anticipé pour pénibilité : les salariés présentant une incapacité permanente liée au travail supérieure ou égale à 20%, voire à 10%, pourront partir à la retraite à 60 ans à taux plein ;

  • une prise en compte du congé de maternité et des périodes de chômage non indemnisé en début de carrière (les jeunes en chômage non indemnisé pourront valider jusqu’à 6 trimestres, au lieu de 4) ;

  • la révision de l’objectif assigné au FRR : ses réserves (36,2 Mds€ en 2010) seront, à partir de 2011, ponctionnées annuellement (2,1 Mds) au profit de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

Enfin,la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 accélère la mise en œuvre de la réforme de 2010 : l’âge minimum légal de départ à la retraite et l’âge d’obtention automatique de la retraite à taux plein passent respectivement à 62 et 67 ans dès 2017, au lieu de 2018.

Le quinquennat Hollande, « changement » (?) dans la continuité

Les aménagements de 2012

Comme annoncé lors de la campagne pour l'élection présidentielle par le candidat Hollande, un décret du 2 juillet 2012 assouplit le dispositif "des carrières longues" organisé en 2010 :

  • l’âge limite auquel l’assuré doit avoir commencé à travailler est porté de 18 à 20 ans ;

  • 2 trimestres de chômage indemnisé et 2 trimestres supplémentaires liés à la maternité sont ajoutés dans la prise en compte des périodes cotisées à la charge de l’assuré. Le nombre de trimestres ayant donné lieu à cotisations ou réputés tels est limité à 4 par année civile. Toutefois, pour les départs avant 60 ans, une durée d’assurance cotisée majorée de 4 à 8 trimestres est prévue dans certaines situations ;

  • les durées d’assurance requises pour les personnes ayant travaillé avant l’âge de 16 et 17 ans sont également revues.

La réforme Touraine de 2014

La loi du 20 janvier 2014 inscrit dans la durée le principe de l’allongement au fil des générations de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Cette durée est relevée d’un trimestre tous les 3 ans de 2020 à 2035 pour atteindre 172 trimestres (43 ans) pour les générations 1973 et suivantes.La mesure emblématique de cette réforme est la création du compte personnel de pénibilité (C3P). Ce compte, instauré à partir du 1er janvier 2015, vise théoriquement à prendre en compte dans le calcul des droits à la retraite la réduction de l’espérance de vie qui résulte d’une vie professionnelle exposée à des facteurs de pénibilité. Le C3P devait permettre aux salariés travaillant la nuit ou dans des environnements pénibles (bruit, port de lourdes charges, etc.) d’avoir accès à une retraite progressive ou anticipée. Las, la mise en œuvre pratique du C3P est reporté à des décrets qui sont soumis à concertation avec les partenaires sociaux et qui ne verront jamais le jour, les parlementaires chargés de cette concertation (et « peu soutenus » par l'exécutif) n'arrivant pas à trouver un terrain d'entente avec le patronat qui est profondément opposé à cette mesure. Finalement, le C3P sera modifié par les ordonnances Pénicaud sur le code du travail du 22 septembre 2017. Depuis le 1er octobre 2017, il est devenu le "compte professionnel de prévention" (C2P). Son régime est simplifié (retrait de 4 facteurs de pénibilité) et les cotisations pénibilité supprimées.

Dans l’objectif de corriger certaines inégalités, la loi Touraine crée également de nouveaux droits ou en renforce certains :

  • un droit opposable à la retraite est institué, afin que les futurs retraités touchent leur pension automatiquement et sans délai ;

  • les règles de validation de trimestres sont modifiées afin d’améliorer la situation des retraités ayant touché des bas salaires ou exercé à temps partiel ;

  • les périodes de congé maternité sont intégralement comptabilisées dans le calcul de la durée d’assurance (jusque-là seul le trimestre de l’accouchement était validé) ;

  • la validation des trimestres d’apprentissage (et de stage sous conditions) est permise et les possibilités de rachat d’années d’études sont étendues ;

  • le droit à l’information des assurés sur leur retraite est renforcé. Un "compte individuel retraite" (CIR) en ligne est créé (il est opérationnel depuis janvier 2017).

  • elle élargit les conditions d’accès à la retraite anticipée à 60 ans pour carrière longue en augmentant le nombre de trimestres assimilés considérés comme "cotisés" ;

  • elle améliore la retraite des agriculteurs et contient plusieurs dispositions en faveur des travailleurs handicapés et des aidants familiaux ;

  • elle simplifie la liquidation de la retraite des "polypensionnés" en mettant en place « la liquidation unique des régimes alignés » (LURA, entrée en vigueur en juillet 2017), pour permettre un calcul et un versement unique des pensions des "polypensionnés" ;

  • elle revalorise l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) ;

  • elle crée un "comité de suivi des retraites" afin d’améliorer le pilotage du système.Un gel des pensions sera par ailleurs mis en place pour 6 mois lors de l’entrée en vigueur de la loi.

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