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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

13 septembre 2022 2 13 /09 /septembre /2022 19:18

Depuis plusieurs jours, une polémique assez ubuesque est née autour du rapport de la gauche au travail et par rapport aux travailleurs qui se sont écartés d'elle. Après s'en être pris à François Ruffin, un certain nombre de pseudo-intellectuels, secondés par une armée de trolls numériques, mènent une campagne proprement immonde contre Fabien Roussel. La Gauche Républicaine et Socialiste a décidé de prendre position dans le débat et la première étape est la publication du communiqué de presse que je publie ci-dessous. D'autres initiatives de fond sont en préparation.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Membre de la direction nationale de la Gauche Républicaine et Socialiste

POUR LA GAUCHE RÉPUBLICAINE, LA QUESTION DU TRAVAIL DOIT ÊTRE AU CŒUR DU PROJET DE LA GAUCHE

site de la GRS

communiqué de presse de la Gauche Républicaine et Socialiste – mardi 13 septembre 2022

Les débats de ces derniers jours autour de la place du « travail » dans notre société et dans nos propositions ne devraient pas tourner à la polémique.
Nous avons besoin de travail, parce que nous sommes pour le progrès social, et parce que nous pensons que chacun a la capacité de contribuer à sa mesure au bien commun. Nous portons depuis toujours le combat pour l’émancipation des travailleurs c’est à dire de tous ceux et toutes celles qui travaillent ou ont travaillé (retraités, personnes en formation ou privés temporairement d’emploi). Nous ne devons pas nous laisser abuser par les discours de la Droite et du gouvernement sur l’importance de la valeur travail alors même qu’ils œuvrent inlassablement pour anéantir la valeur DU travail. Nous ne devons pas non plus nous laisser séduire par les théories sur la « fin du travail » alors même que tant de nos concitoyens aspirent à un emploi correctement rémunéré, respectant le droit du travail et assurant une amélioration des conditions de travail.

OUI, LA QUESTION DU TRAVAIL DOIT ÊTRE AU CŒUR DU PROJET DE LA GAUCHE, C’EST CE QU’ATTEND UNE MAJORITÉ DE FRANÇAISES ET DE FRANÇAIS ET C’EST LA CONDITION D’UN RASSEMBLEMENT MAJORITAIRE.

La Gauche Républicaine portera ce message dans son université de rentrée les 23-24-25 septembre à Rochefort. Elle le portera également en s’associant à la mobilisation sociale annoncée par les syndicats de salariés le 29 septembre prochain.

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21 juillet 2022 4 21 /07 /juillet /2022 14:40
La Poste fait passer le timbre rouge au numérique intégral : quand on montre la Lune, l'idiot regarde le doigt

En janvier 2010, dans un froid glacial, aux côtés de camarades socialistes et communistes à Persan dans le Val-d'Oise j'ai passé une matinée (avant quelques autres moins froides) à faire signer une pétition nationale pour exiger avec les syndicats que La Poste ne devienne pas une Société Anonyme (même avec 100% de capitaux publics)... Le passage au statut de SA n'est en fait qu'une accélération de la dégradation engagée depuis sa transformation à partir de 1991 en établissement public industriel et commercial (EPIC). Lorsque François Hollande a été élu président de la République l'engagement du PS de rendre à La Poste sont statut antérieur avait évidemment été oublié avant même le début de la campagne électorale.

La disparition physique du timbre rouge qui devient numérique n'est que la partie émergée de l'iceberg, celui de l'évanouissement progressif de la conscience de Service Public de l'entité... alors ne nous y trompons pas, parmi les postiers (il y en a encore quelques 245.000 - chiffre rapport d'activité 2021) - qu'ils soient facteurs, manutentionnaires ou administratifs, qu'ils soient cadres moyens ou supérieurs ou employés, fonctionnaires ou salariés de droit privés - des dizaines de milliers d'entre eux qui sont très attachés aux missions de service public de La Poste, y compris chez certains cadres dirigeants (je parie sur une proportion plus faible dans cette catégorie) : le service universel postal, la contribution à l'aménagement du territoire, le transport et la distribution de la presse et l'accessibilité bancaire.

Mais soyons honnêtes l'Etat actionnaire réduit chaque année la dotation qu'il verse à la société et exige une discipline financière calquée sur le marché et les logiques du privé toujours plus forte. Différentes institutions d'Etat pestent d'ailleurs, considérant que la réduction des effectifs de l'entreprise n'est pas assez rapide. La Poste diversifie ainsi ses activités pour tenter de trouver des nouvelles ressources, nouvelles activités qui s'éloignent toujours du "cœur de métier" de l'entité et des missions de service public, ce qui implique ces dernières prennent de moins en moins d'importance dans la culture d'entreprise de nombre de ses cadres. Il faut aussi rappeler que le courrier, en France comme dans toute l'Europe, s'est effondré : sa distribution n'a jamais été rentable, elle ne le sera jamais, elle sera toujours moins. Et l'explosion du "marché" du colis ne compense pas économiquement - dans ce contexte, Amazon.fr est tout à la fois le pire concurrent de La Poste et son premier client. La réduction du nombre de bureaux de Poste, leur disparition dans de nombreux territoires ruraux ou leur insuffisance dramatique dans la plupart des quartiers populaires est la directe conséquence du changement de logique imposé par l'Etat à La Poste. N'oubliez pas que c'est La Poste qui distribue une bonne partie des subsides du RSA, regardez les queues terribles en début de mois, pensez aux calvaires qu'ont vécu les allocataires pendant la crise sanitaire quand un bureau était fermé car un agent - un seul - était contaminé et qu'ils devaient faire plusieurs km pour rejoindre un autre bureau et faire la queue avec 10 fois plus de monde où ils avaient plus de risques encore de se contaminer - c'est arrivé à Bezons au plus fort de la crise... et le bureau de la Rue des Frères-Bonneff n'est toujours pas suffisant et la SA n'a rien à proposer à la collectivité (qui n'a rien à proposer à la population et refuse le projet de Vivons Bezons d'une agence postale communale - faute de grives on mange des merles). Le rattachement à La Poste de la CNP Assurances initiée en 2018 est le symptôme le plus caricatural du changement de nature de l'entité.

Ce n'est pas tenable ! Les postiers sont placés en permanence dans une schizophrénie économique et institutionnelle permanente. Il faut mettre un terme à cette situation : il faut renationaliser.

Les quatre missions de services - le service universel postal, la contribution à l'aménagement du territoire, le transport et la distribution de la presse et l'accessibilité bancaire - doivent sortir de la société anonyme et redevenir La Poste, sous un statut de service public direct - administration publique ou à défaut EPIC - et l'Etat devra assumer intégralement son financement au niveau nécessaire pour restaurer un service public décent sur tout le territoire... Le reste des activités pourra rester une SA, elle changera de nom et qu'importe si le capital n'y est plus totalement public.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

La Poste fait passer le timbre rouge au numérique intégral : quand on montre la Lune, l'idiot regarde le doigt
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18 juillet 2022 1 18 /07 /juillet /2022 10:39
L’Institut Rousseau, laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine qui rassemble de nombreux experts juridiques et des politiques publiques, a choisi de publier la note d’analyse sur les élections législatives de juin 2022 que j'ai rédigée entre 15 juin et le 1er juillet de cette année. Elle fait suite à la note que j’avais publiée pour analyser l’élection présidentielle 👉 https://bit.ly/3AV3KMm ainsi qu'à celles sur l’état de la gauche – 3 articles commandés par Le Temps des Ruptures 1️⃣ https://bit.ly/3IGLsjH 2️⃣ https://bit.ly/3z9PFtb 3️⃣ https://bit.ly/3z7PIFJ
Plus que jamais le paysage politique français est confus et incertain, la crise démocratique s’aggrave, le RN se place désormais en embuscade pour viser le pouvoir, et la gauche est loin (très loin) d’avoir résolu ses impasses idéologiques et sociologiques et ses contradictions.
Je vous souhaite une bonne lecture.
Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes et républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS
 
Élections législatives de 2022 : entre approfondissement et contradictions, une nouvelle étape de la crise démocratique

Les élections législatives de 2022 se sont tenues les 12 et 19 juin 2022. Un mois et demi après la réélection par défaut d’Emmanuel Macron à la présidence de la République face à Marine Le Pen, elles sont conclues une campagne électorale assez insaisissable entre atonie/anomie en profondeur et emballement en surface. Dès le soir du 1er tour, les résultats ont marqué plusieurs enseignements notables – de fortes évolutions et d’inquiétantes constantes – que nous proposons d’analyser en croisant les informations issues de l’observation à des différentes échelles géographiques. Nous décrypterons la manière dont s’est traduite dans les urnes une forme inédite de rassemblement de la gauche sous direction insoumise. Nous analyserons enfin les phénomènes qui ont joué au second tour pour aboutir à une Chambre basse sans majorité évidente, où l’extrême droite entre en masse sans que cela ait été perceptible à ce niveau au soir du 12 juin… Ces élections législatives ouvrent une période politique confuse et incertaine, traduisant comme jamais l’état de crise démocratique de nos institutions et plus largement du pays.

Principal enseignement du 1er tour : la consolidation d’une abstention massive

L’abstention s’est établie le 12 juin 2022 à 52,49 % des inscrits, soit près de 25,7 millions d’électeurs inscrits. Le 11 juin 2017, l’abstention s’établissait à 51,3 % des inscrits, soit plus de 24,4 millions d’électeurs, c’est-à-dire une progression de 1,2 points et 1,25 millions d’abstentionnistes supplémentaires en 2022. Cependant le corps électoral ayant progressé, le 1er tour de 2022 a compté près de 23,26 millions de votants, soit quelques 90 000 électeurs supplémentaires.

La progression de l’abstention est un phénomène désormais structurel de notre démocratie électorale : on la constate à des niveaux importants à toutes les élections, à l’exception de l’élection présidentielle. Pour les élections législatives, cette situation politique est relativement récente à l’échelle de la Ve république : de 1967 à 1986, la participation flirtait avec la barre des 80 % (au-dessus et en-dessous), avec une exception en 1981 à 70,6 % (démobilisation de la droite). La réélection de François Mitterrand en 1988 a ouvert une phase de transition avec une participation plus faible aux élections législatives entre 65 et 69 % entre 1988 et 1997.

Une rupture importante est intervenue en 2002 avec l’adoption l’année précédente du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, plaçant désormais les législatives systématiquement dans la foulée de l’élection présidentielle : cette situation induit que la probable majorité parlementaire qui sort des élections est redevable au Président de la République qui vient d’être élu les Français ne changeant pas d’idées comme de chemises en un mois et demi. Au-delà de la disparition de fait d’une possibilité de cohabitation, elle induit des comportements parlementaires plus que jamais inféodés à l’exécutif ; le pouvoir parlementaire déjà largement tenu en laisse par le parlementarisme rationalisé de la Ve république n’en est que plus abaissé structurellement. En réaction, les électeurs se démobilisent face à un scrutin qui perd en politisation et donc en intérêt, l’élection apparaissant déjà jouée entre de futurs députés tenus par une obéissance à l’exécutif et des opposants sans pouvoir. On remarquera que les raisonnements sont contradictoires mais qu’ils se conjuguent pour accroître l’abstention.

La participation est passée dès 2002 à moins de 65 %, alors que l’électorat de gauche s’était remobilisé pour limiter la casse et « se faire pardonner » de l’élimination de Lionel Jospin, pour chuter à près de 60 % en 2007, puis 57 % en 2012. Une chute continue et accélérée.

Le quinquennat de François Hollande explique une nouvelle rupture : il a été à la fois la démonstration de la trahison des élites – le président et ses soutiens parlementaires ont mené et soutenu une politique néolibérale contraire à leurs engagements de campagne et finalement dans la continuité du quinquennat de droite précédent – et de l’impossibilité d’une révolte parlementaire qui rétablirait un cours exécutif plus conforme aux « promesses électorales ». Pourquoi donc dans ces conditions voter pour que les politiques publiques ne changent pas ou peu d’orientation ? Pourquoi voter pour des parlementaires qui n’ont aucun pouvoir sérieux sur l’exécutif ou qui le suivent servilement dans leur majorité ? La participation s’est effondrée de 8,5 points de 2012 à 2017, accompagnant l’élection d’une Chambre largement dominée par les groupies du nouveau président de la République, Emmanuel Macron, renforçant la logique de soumission ou servilité du législatif à l’exécutif. Le spectacle donné par la majorité parlementaire “Playmobil” mais sans doute aussi par une partie de l’opposition (ce n’est pas parce qu’on hurle dans l’hémicycle que l’on est plus apprécié par les abstentionnistes) n’a pas suscité un renversement de tendance en 2022 mais une confirmation à la baisse (cependant moins rapide).

illustration n° 1 : évolution de l'abstention aux élections législatives de 2022 à 2022

illustration n° 1 : évolution de l'abstention aux élections législatives de 2022 à 2022

La carte de l’abstention de 2022 apparaît relativement classique, mais connaît quelques petites évolutions.

On retrouve le schéma classique d’une abstention élevée – une constante des élections législatives des vingt dernières années – dans les territoires de l’ancienne France ouvrière désindustrialisée du nord et de l’est de la France, de la vallée du Rhône et du pourtour méditerranéen, des zones péri-urbaines et les banlieues des grandes agglomérations (dont celles de la capitale), du bassin parisien et enfin de l’outre mer.

illustration n°2 : abstention au premier tour des élections législatives le 12 juin 2022 par circonscription

illustration n°2 : abstention au premier tour des élections législatives le 12 juin 2022 par circonscription

Le mauvais score de la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron (Ensemble ! : LaREM, MoDem, Horizons, Agir) au soir du 1er tour s’explique en partie par une poussée de l’abstention dans quelques régions hors des territoires précédemment énoncés. Si l’on regarde attentivement l’illustration n°3 de cette note, qui cartographie les évolutions de participation entre juin 2017 et juin 2022, on remarque une très forte progression de l’abstention dans l’ouest de la France, nord-ouest de la Région Centre Val-de-Loire, les Pays-de-la-Loire, la Vienne et la Bretagne, territoires qui s’étaient donnés à Emmanuel Macron et à sa majorité parlementaire en 2017, pour une large part à nouveau à Emmanuel Macron le 10 avril 2022. Cette progression de l’abstention dans ces territoires au-delà de 2,5 points (avec des pointes au-delà de 5) a diminué d’autant les scores de la majorité présidentielle à 5 ans de distance. Cela explique également le recul en voix des candidats de la majorité présidentielle dans le Pas-de-Calais, une forme de démobilisation de la droite et de LaREM dans l’ouest de Paris, à Levallois et Neuilly et dans la 12e circonscription de Seine-Saint-Denis.

On note parallèlement une démobilisation plus forte de l’électorat à Marseille (ce dont ont pâti les candidats de la NUPES), en Corse (les non autonomistes continuent de s’effacer), en Martinique et à la Réunion (ce qui nourrit l’analyse sur une forme de révolte spécifique de l’outre mer vis-à-vis de l’exécutif hexagonal).

Ainsi pour la première fois depuis 2002, il semble qu’une partie de l’électorat présidentiel se soit démobilisé plutôt que les opposants. Cela démontre la fragilité politique d’Emmanuel Macron.

illustration n°3 : évolution de l'abstention entre les premiers des élections législatives de 2017 et 2022

illustration n°3 : évolution de l'abstention entre les premiers des élections législatives de 2017 et 2022

Cette analyse est confirmée par la carte du différentiel d’abstention entre le 1er tour de l’élection présidentielle du 10 avril dernier et le 1er tour des élections législatives du dimanche 12 juin 2022.

On voit comme d’habitude les territoires à l’est d’une ligne Le Havre/Aigues Mortes… C’est l’ancienne France industrielle et ouvrière abandonnée en « déclin » depuis les années 1980 ; c’est dans ces territoires que se concentrent la majorité des bassins ouvriers désindustrialisés, les territoires péri-urbains déclassés à l’écart des agglomérations métropolitaines. L’augmentation de l’abstention y est un grand classique et pénalise habituellement les résultats des candidats de gauche et d’extrême droite.

Or, comme on le verra au chapitre suivant, l’électorat d’extrême droite, s’est moins démobilisé en 2022.

Je me permets donc de faire l’hypothèse que dans les circonscriptions d’Alsace, de Moselle et du sillon mosellan, où l’abstention progresse le plus, ce sont les électeurs macronistes qui se sont repliés aux législatives, de même qu’en Savoie.

Je constate également que la progression de l’abstention entre les deux scrutins très différents de 2022 est également particulièrement forte sur la façade atlantique et dans l’ouest français, jusqu’en Haute-Vienne qui étaient des territoires qui avaient soutenu prioritairement Emmanuel Macron en 2017 et en 2022.

On peut effectivement s’interroger sur les raisons de cette abstention différentielle de l’électorat du président de la République qui vient d’être réélu. En effet, habituellement, le camp présidentiel voit se dérouler un boulevard devant lui quand les opposants souffraient de la démobilisation de leurs électorats. Je fais l’hypothèse qu’une partie de l’électorat de centre-gauche, que la presse qualifie abusivement de « social-démocrate »1 mais qu’il faut caractériser comme social-libéral, qui avait encore voté pour Emmanuel Macron les 10 et 24 avril 2022 ne s’est pas déplacée pour le 1er tour de l’élection législative. Cela correspond assez bien à ces territoires de l’ouest français où le PS avait progressivement subjugué un électorat qui s’était tourné des années 1950 à 1970 vers la démocratie chrétienne et qui apprécie par-dessus tout la modération. Le flou et le temps perdu précédant la nomination d’Élisabeth Borne comme première ministre, l’orientation marquée à droite du « nouveau gouvernement », la mauvaise gestion des « affaires » entourant ce dernier, l’effacement d’une première ministre qui aurait dû pourtant leur plaire, a sans doute dérouté une partie de cet électorat. Les scores de plusieurs députés socialistes sortants – comme Guillaume Garot dans ce même ouest français – semblent d’ailleurs avoir été en partie nourris par un électorat de ce type. Le ton martial et caricatural au son de « la République menacée par les anarchistes d’extrême gauche » (nouvelle version des « chars soviétiques sur les Champs-Élysées ») peut remobiliser en sa faveur un électorat de droite qui aurait boudé le 12 juin mais pourrait dérouter plus encore les macronistes de centre-gauche : cette stratégie est donc risquée pour un mouvement se voulant ni de droite ni de gauche ou et “de droite et de gauche”.

Les différentiels de participation dans les grandes agglomérations apparaissent plus classiques : électorats populaires et de banlieue. De même que l’Outre mer, où on constate une déconnexion totale avec le scrutin présidentiel ; avec une différence entre les Antilles, la Guyane et la Réunion d’un côté et le reste des outre mer. La participation progresse même à Wallis-et-Futuna et en Polynésie : les considérations de l’hexagone importe peu, comme il importe peu que ce soit un président plutôt qu’un autre, d’autant plus en Polynésie engagée dans un processus d’autonomie qui pourrait bien la conduire à l’indépendance, thème qui y a d’ailleurs dominé le débat des législatives.

1La social-démocratie n’existe pas en France ; elle n’a jamais existé et n’existera jamais… Ce n’est d’ailleurs pas une proposition idéologique mais un mode d’organisation socio-politique dans lequel parti-syndicats-mutuelles-associations sont organiquement liés les uns aux autres pour encadrer à l’origine la vie et les intérêts de la classe ouvrière… la conversion progressive des partis social-démocrates et travaillistes européens au social-libéralisme a conduit nombre de commentateurs à confondre l’une et l’autre, surtout pour appeler de leurs vœux le passage définitif du PS au social-libéralisme, ce qui s’est passé avec le quinquennat de François Hollande.

illustration n°4 : différentiel d'abstention entre le premier tour de l'élection présidentielle du 10 avril 2022 et le premier tour des élections législatives du 12 juin 2022

illustration n°4 : différentiel d'abstention entre le premier tour de l'élection présidentielle du 10 avril 2022 et le premier tour des élections législatives du 12 juin 2022

Deuxième enseignement majeur : la progression du RN et de l’extrême droite

C’était une figure incontournable des vingt dernières années : l’extrême droite faisait de relativement bons scores à l’élection présidentielle, mais perdait un tiers ou la moitié de son électorat (tout en tenant compte du différentiel de participation) aux législatives qui suivaient.

Le 1er tour des législatives de juin 2022 enraye la fatalité pour l’extrême droite. L’élection présidentielle du 10 avril 2022 avait déjà sonné comme un record : avec 23,15% pour Marine Le Pen, 7,07 % pour Eric Zemmour et 2,06% pour Nicolas Dupont-Aignan, elle totalise 32,3% des suffrages exprimés, presque le tiers de l’électorat, plus que la gauche (trotskystes compris…). En progression de 6,3 points.

En 2017, elle était tombée à 14,7% pour les législatives, perdant près de la moitié de sa force de frappe, ne faisant élire qu’une dizaine de députés (Nicolas Dupont-Aignan compris). Le RN lui-même n’avait conservé que 13,2% des suffrages exprimés au second tour.

En juin 2022, l’extrême droite conserve l’essentiel de ses forces. Le RN rassemble 18,68% des suffrages (un ratio de 0,8 par rapport à la présidentielle) et alors qu’il n’était présent que dans 120 circonscriptions lors du second tour de 2017, il le sera cette fois-ci dans 208. Et la grande nouveauté, c’est qu’il dispose de réserves de voix puisque le parti Reconquête recueille 4,24% des suffrages exprimés (un ratio de 0,6, plus classique à l’extrême droite) à l’échelle nationale et l’alliance électorale autour du parti de Nicolas Dupont-Aignan recueille 1,17% (stable par rapport à 2017 et sa chute découle du fait qu’elle n’a pas déposé partout des candidatures). Les candidatures résiduelles de diverses extrêmes droites s’établissent à 0,3% asphyxiées par l’offre pléthorique.

La carte ci-dessous (illustration 5) illustre parfaitement cette progression et cet ancrage durable dans la géographie électorale du pays.

illustration n°5 : évolution des circonscriptions où des candidats d'extrême droite sont qualifiés pour le second tour entre les élections législatives de 2017 et de 2022

illustration n°5 : évolution des circonscriptions où des candidats d'extrême droite sont qualifiés pour le second tour entre les élections législatives de 2017 et de 2022

En bleu foncé, on retrouve les circonscriptions où le RN est en tête aussi bien en 2017 et 2022 ; la teinte plus claire correspond à une qualification pour le second tour. L’extrême droite progresse terriblement. On connaissait ses points forts depuis longtemps : le Nord-Pas-de-Calais (sauf l’agglomération lilloise) autour du bassin houiller, du Hainaut et de Calais, l’Eure, l’Aisne, des bastions dans le Nord-Est, les basses vallées de la Garonne et du Rhône, et la côte méditerranéenne. C’est la géographie classique du Front National depuis plusieurs décennies que l’on retrouve bien dans la carte de la présence au second tour de 2017, avec la distinction entre des électorats relativement divergents entre le nord et le sud du pays, qu’on a retrouvé dans la césure mise à jour par la candidature d’Eric Zemmour : l’extrême droite est plus « prolo » au nord et à l’est de la France ; plus boutiquière, poujadiste et pieds-noirs en Méditerranée.

En 2022, non seulement les candidats du RN confirment et amplifient leur score de 2017 (ou ceux de leurs prédécesseurs), mais ils s’étendent dans des zones où ils ne passaient pas le premier tour, et même parfois dans des milieux qui leur étaient jusqu’ici hostiles.

En effet, l’extrême droite reprend pied dans le Centre de la France et en Bourgogne à un niveau qu’on n’avait pas connu depuis la fin des années 1990. Elle s’implante en Poitou-Charentes, où la Vienne est travaillée depuis de nombreuses années par les réseaux identitaires. Elle s’ancre en Champagne et dans les Ardennes et confirme des années de labours en Picardie, en Lorraine et en Alsace. Son retour en force dans les circonscriptions du nord de la Franche Comté marque l’échec de la politique de gribouille industriel du quinquennat Macron.

Enfin, le Pas-de-Calais connaît un approfondissement marqué de l’implantation du RN, avec une prise de contrôle dans l’ensemble du département, renforcé par l’effondrement du camp présidentiel comme nous l’avons indiqué dans le chapitre sur l’abstention.

Les raisons de la géographie du vote FN puis RN sont connues depuis longtemps et suivent, pour une large part, la localisation des difficultés sociales de nos concitoyens – non pas forcément parce que les électeurs de ce parti seraient eux-mêmes tous directement frappés par ces difficultés (c’est le cas de beaucoup d’entre eux – jeunes sans diplôme au premier chef), mais parce qu’ils réagissent par ce vote aux symptômes de ce qu’ils perçoivent comme le délitement de notre société. Il est cependant particulièrement frappant de voir à quel point la carte des circonscriptions où le RN est présent au second tour des élections législatives de juin 2022 recoupe presque trait pour trait la carte de l’indice des difficultés sociales de 20131. Une démonstration en creux de l’échec des politiques libérales conduites par François Hollande puis Emmanuel Macron à résoudre les problèmes de la société française et à répondre aux aspirations de la grande majorité de nos concitoyens.

1 Cette carte (basée sur l’indice synthétique des difficultés sociales conçu par Hervé Le Bras) a été publiée pour la première fois dans la tribune que le démographe a signée dans Le Monde le 26 avril 2017 et intitulée Le malaise social n’est pas la seule cause du vote Le Pen.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/26/herve-le-bras-le-malaise-social-n-est-pas-la-seule-cause-du-vote-le-pen_5117919_3232.html

illustration n°6 : carte de l'indice synthétique des difficultés sociales conçu par Hervé Le Bras, données de 2013

illustration n°6 : carte de l'indice synthétique des difficultés sociales conçu par Hervé Le Bras, données de 2013

Pourquoi, là encore, une moindre démobilisation de l’électorat d’extrême droite lors de ce 1er tour des élections législatives ? C’est inhabituel. Ici aussi, je ne peux m’aventurer qu’à faire des hypothèses : j’ai été frappé par le nombre de sujets en boucle sur France Info TV expliquant à quelques jours du 1er tour (témoignages à l’appui) que les électeurs du RN allaient comme d’habitude bouder les élections législatives : « de toute façon, on vote tout le temps pour elle et ça passe jamais… Y en a marre ! Je préfère passer un bon dimanche en famille ! » dixit la poissonnière d’Arras. Comme si la chaîne d’information publique voulait encourager les électeurs de Marine Le Pen à maintenir leur tentation récurrente d’aller à la pêche. C’est à se demander si ce type de vidéos n’a pas produit l’effet inverse « ah !? Vous souhaitez qu’on lâche et bien cette fois-ci on va vous surprendre, on persévère ». Plus prosaïquement, on peut aussi considérer que le RN a franchi un cap avec les scrutins des 10 et 24 avril 2022, que nombre de ses électeurs ont apprécié le caractère insubmersible de Marine Le Pen qui a réussi à écarter le piège Zemmour, et que même cette candidature avait créé des réserves de voix et donc des dynamiques possibles. Pourquoi s’abstenir quand on promet un groupe nombreux ? et pourquoi faire une fleur à un Emmanuel Macron plus que jamais détesté ?

La progression du RN aux élections législatives (sans jamais oublier qu’il faut y ajouter les frères ennemis de Reconquête !) est un des symptômes de la colère profonde qui anime une large partie de nos concitoyens, du sentiment d’abandon des catégories populaires des anciens bassins ouvriers et des zones péri-urbaines : il suffit de voir la progression du vote RN et de sa présence au second tour aux marges de la région parisienne, tout autour dans le bassin parisien. Mais elle marque également une professionnalisation des candidats RN. Évidemment, on a encore vu des candidat(e)s sur les plateaux de débats régionaux télévisés incapables d’enchaîner trois phrases cohérentes et d’expliquer le contenu du programme du RN ; les médias se sont largement fait le relais de cette image de candidats « Deschiens ». Cependant il est un miroir déformant. D’abord parce que la colère est telle que cela ne décourage pas leurs électeurs et que ces candidats finalement leur ressemblent, et surtout (!) que la majeure partie des candidat(e)s du RN ne ressemblent pas à ces candidatures : il y a désormais des élus locaux qui labourent le territoire et sont connus de leurs concitoyens, il y a des cadres qui ont été formés politiquement par leur parti pour faire bonne figure et même certains qui sont dotés d’un bagage intellectuel particulièrement consistant à l’opposé de nos principes sans doute, mais qui ne sauraient se balayer d’un revers de main.

Le RN disposera selon toute vraisemblance d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, une première depuis 1986, une première tout court avec le scrutin majoritaire à deux tours. Et il risque d’être là pour longtemps.

Troisième enseignement : une gauche unie en surface qui accroche mécaniquement les circonscriptions, mais des différences de fond et de logique prononcées

L’essentiel des partis qui soutenaient les quatre candidats de la gauche et des écologistes au 1er tour de l’élection présidentielle se sont réunis dans l’accord électoral construit sous l’égide de la France insoumise et baptisé « Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale » ou NUPES.

Cet accord électoral a pris une forme inédite car exclusive, LFI ayant interdit à ses partenaires toute possibilité réelle de présenter des candidatures à la marge de l’accord électoral pour assurer à la fois la diversité des propositions politiques de camp pluriel et le financement public de chacune de ses composantes.

Les précédents accords électoraux (1997 et 2012) ménageaient différentes possibilités :

  • ✅ candidature unique là où c'est nécessaire pour emporter la circonscription ;

  • ✅ candidature unique là où il fallait empêcher l'extrême droite d'accéder au second tour ;

  • ✅ candidatures diverses ou partiellement rassemblées là où la gauche n'a aucune chance de gagner ;

  • ✅ candidatures diverses ou partiellement rassemblées là où la gauche est tellement dominante que plusieurs candidatures n’empêcheraient pas la victoire finale de la gauche dans la circonscription concernée (il est vrai que ce type de circonscription est plus rare qu’avant)...

Les candidatures dissidentes qui contrevenaient à l’accord électoral dans les circonscriptions concernées dans les deux premiers cas étaient sanctionnées par les partis concernés.

manière "traditionnelle" d'élaborer des accords permettaient à la fois :

  • ✅ la capacité des partis concernés à recueillir des suffrages pour leur financement public (PCF et PS ont été dans cette affaire sans doute les plus lésés) ;

  • ✅ la capacité dans certaines circonscriptions à générer des réserves de voix pour le second tour car parfois la pluralité de candidature à gauche permet de dépasser les plafond de la présidentielle ... et ces réserves de voix ont particulièrement manqué entre le 1er et le 2nd tour des législatives dans plusieurs dizaines de circonscriptions, rendant plus improbable que jamais le fait d'approcher la majorité absolue.

Cette méthode imposée par LFI a ouvert la voie à de nombreuses candidatures divers gauche, dont 104 présentées par la fédération de la gauche républicaine et celles du PRG-centre gauche auquel se sont rattachés les principaux dissidents socialistes, pour ne citer que les regroupements les plus marquants.

L’absence de candidatures de rassemblement en 2017 avait coûté une centaine de député(e)s à la gauche, on ne peut nier une forme d’efficacité électorale de l’accord NUPES : en 2017, 145 candidat(e)s de gauche étaient en mesure de se maintenir au second tour des élections législatives ; en 2022, ce sera le cas dans 385 circonscriptions (190 d’entre eux sont en tête). « L’union » a eu un effet mécanique dans le contexte de tripartition de la vie politique française. Voici qui change le paysage parlementaire et qui aurait pu permettre à la gauche de passer d’une soixantaine de député(e)s à une fourchette allant de 150 à 200 parlementaires.

Une gauche convalescente

Mais, car il y a un mais, la gauche est à son étiage parmi les plus bas des élections législatives…

Le recul de la gauche dans l’opinion publique est tel qu’aux législatives de 2017 et 2022 la gauche (sans les trotskystes) fait moins de 30 % des suffrages… En cinq ans, elle a néanmoins progressé de près de 2,2 points. Autre particularité, le résultat de la gauche lors des législatives de 2017 était légèrement supérieur à la somme des résultats de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon (26,13 % contre 25,94 %) ; ce n’est pas le cas en 2022, la gauche sans les trotskystes aux législatives recueille 29,36 % des suffrages exprimés, quand la somme des résultats de Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Fabien Roussel et Anne Hidalgo s’établit à 30,6 % des suffrages exprimés, soit 1,24 point de plus.

illustration n°7 : total des voix de gauche au premier des élections législatives en % de 1969 à 2022

illustration n°7 : total des voix de gauche au premier des élections législatives en % de 1969 à 2022

Dans les comparaisons entre l’élection présidentielle et les élections législatives, il sera nécessaire de travailler sur les pourcentages pour tenir compte de l’important différentiel de participation et les rapports seront donc établis en points.

Avant de repartir sur la nécessaire comparaison entre l’élection présidentielle et les élections législatives, confrontons une dernière fois les élections législatives de 2017 et 2022 pour mesurer ce qui a pu bouger à l’issue du quinquennat d’Emmanuel Macron.

L’illustration n°8 établit les équivalences de catégories politiques dressées par le ministère de l’intérieur pour que les chiffres de 2017 correspondent aux champs politiques tels qu’ils ont définis en juin 2022. Je dois à ce stade apporter une précision méthodologique car il fallait surmonter l’imprécision récurrente de la catégorie « écologiste » du ministère de l’intérieur : en effet, en 2017 (et précédemment), Beauvau classaient tous les écologistes sous la même catégorie qu’ils appartiennent à EELV ou non ; pour intégrer le fait que EELV et Génération écologie qui présentaient des candidats en 2017 sont en 2022 comptabilisés comme NUPES, j’ai considéré avec une cotte mal taillée que les deux tiers des suffrages de la catégorie « écologiste » de 2017 auraient été intégrés dans une coalition du même type si elle avait existé… on pourra me rétorquer que cela devrait être plutôt les trois quarts, ça ne modifiera pas la démonstration mais la renforcera au contraire (ex. s’il fallait les 3/4 des votes écolos de 2017 dans une coalition type NUPES de 2017, le total gauche de 2017 passerait à 26,48 % encore un peu plus au-dessus de Hamon+Mélenchon – le total NUPES 2017 serait ainsi théoriquement de 24,41%).

illustration n°8 : comparaison des résultats des premiers tours des élections législatives de 2017 et 2022 en reprenant les catégories politiques établies par le ministère de l'intérieur en 2022

illustration n°8 : comparaison des résultats des premiers tours des élections législatives de 2017 et 2022 en reprenant les catégories politiques établies par le ministère de l'intérieur en 2022

Que s’est-il passé à gauche entre 2017 et 2022 ? Les forces coalisées dans la NUPES n’ont gagné que 389 000 suffrages supplémentaires et 1,6 point (1,3 si on tient compte d’un calcul écologiste de 2017 plus généreux). La progression est très modérée, mais l’effet candidature commune et suffrages supplémentaires sur fond d’abstention en progression expliquent le passage d’une présence au second tour de 145 à 385 circonscriptions. Toute proportion gardée, les mouvements importants ont lieu ailleurs : les candidatures comptabilisées divers gauche doublent le résultat de cette catégorie en 5 ans et gagnent 351 000 suffrages supplémentaires ; le PRG étant théoriquement stable avec 20 000 suffrages supplémentaires. De très nombreuses candidatures divers gauche et dissidentes1 sont issues d’initiatives relativement isolées ; d’autres ont fait l’objet d’une réaction coordonnée ou organisée, mais sur des bases différentes : le PRG refusait l’union de la gauche avec LFI par principe, la FGR en a été exclue par LFI, dans les deux cas, ces organisations pour continuer à exister et à porter dans le débat et à l’avenir leurs propositions n’avaient d’autres choix que de se présenter en parallèle aux candidats de la NUPES.

Cette concurrence contrainte n’a pas eu que peu d’effets contre-productifs ; on peut estimer à une dizaine les difficultés créées par les candidatures de la FGR ou du PRG – les dissidences c’est autre chose… au contraire, ces candidatures diverses pourront servir de renfort au 2nd tour : l’effet indésirable de l’accord électoral imposé par LFI, c’est qu’il n’y a dans la plupart des cas plus de réserves de voix du fait de l’exclusivité. 385 candidat(e)s qualifiés mais combien pourront être élu(e)s à la fin, c’est tout l’enjeu…

1 Attention “divers gauche” et “dissident”, ce n’est pas la même chose : une dissidence c’est un candidat issu d’un parti lié par la NUPES qui se présente malgré l’accord parce qu’il considère que la réservation de la circonscription aurait dû revenir à son organisation (donc à lui) et non à un autre partenaire de l’accord… Parfois, ce sont des députés sortants qui sont concernés, nous en reparlerons.

Y a-t-il eu une dynamique NUPES et est-elle partagée ?

Nous allons maintenant descendre aux échelles départementales et des circonscriptions pour comprendre quelles dynamiques électorales sont en cours. Cette dynamique électorale ne peut se mesurer qu’à l’aune de la présidentielle qui s’est conclue le 24 avril 2022 par la réélection par défaut d’Emmanuel Macron. Prétendre le contraire serait malhonnête : en effet, dans le contexte de cette Ve république hyper présidentialisée, le coup de maître de Jean-Luc Mélenchon est d’avoir transformé les élections législatives en un référendum pour Matignon ou un troisième tour de l’élection présidentielle. Plus que jamais, il est nécessaire – incontournable – d’analyser les élections législatives de 2022 dans la continuité immédiate de l’élection présidentielle. D’une certaine manière, en retournant le stigmate, Jean-Luc Mélenchon et son équipe ont largement créé les conditions qui contribuent aujourd’hui à ce que le camp présidentiel se retrouve en difficulté, une partie de son électorat désorienté, avec une coalition d’opposition en embuscade pour tenter de ravir la majorité parlementaire ou de contraindre Ensemble ! à se contenter d’une majorité relative.

La gauche ayant perdu la présidentielle, elle ne peut prétendre emporter les législatives quà la condition de maintenir son résultat au niveau de la somme de gauche du 10 avril 2022 voire de l’élargir encore. Nous avons vu que ce n’est pas le cas : le 10 avril 2022, la gauche non trotskyste recueillait 30,6 % des suffrages exprimés ; la gauche recueillait dimanche 12 juin, 29,36% dont 25,66% pour la NUPES (les disputes avec un ministère de l’intérieur de mauvaise foi et qui profite de l’ambiguïté de quelques candidats PS officiels ne changent pas les ordres de grandeur).

Stricto sensu, la NUPES est en retrait de 4,5 à 5 points par rapport aux résultats des candidats à la présidentielle dont les partis composent aujourd’hui l’accord électoral.

La carte ci-dessous (illustration n°9) permet de voir les mouvements à l’échelle départementale. On mettra de côté l’Outre Mer et la Corse, qui – à part la Réunion et encore imparfaitement – ne sont pas vraiment concernés par l’accord électoral.

La NUPES perd des points par rapport à ses candidats de la présidentielle à peu près partout : elle en perd plus fortement là où il fallait s’attendre à une démobilisation de l’électorat jeune et de banlieue (Région parisienne, Lyon, Marseille…) ; elle en perd là où la droite reprend quelques couleurs (Savoie, Alpes-Maritimes, Alsace, Lorraine, Eure-et-Loire, Morbihan, sud du massif central) ; elle en perd là où Mélenchon avait vu une partie de son électorat de 2017 partir en 2022 chez Jean Lassalle.

illustration n°9 : analyse des écarts en points entre le résultats des candidats de la NUPES au premier tour des élections législatives le 12 juin 2022 et des candidats de gauche (Hidalgo, Jadot, Mélenchon, Roussel) au premier tour de l'élection présidentielle du 10 avril 2022 - échelle départementale

illustration n°9 : analyse des écarts en points entre le résultats des candidats de la NUPES au premier tour des élections législatives le 12 juin 2022 et des candidats de gauche (Hidalgo, Jadot, Mélenchon, Roussel) au premier tour de l'élection présidentielle du 10 avril 2022 - échelle départementale

Sept départements – la Mayenne, le Puy-de-Dôme, et ensuite la Somme, l’Aisne, les Deux-Sèvres, la Haute-Vienne et les Landes – tranchent dans cette carte grisâtre, puisqu’ils affichent des gains en points relativement importants… Y a-t-il dans ces départements un environnement ou une culture politiques qui a permis, dans une phase de forte progression de l’abstention entre la présidentielle et les législatives, une tension suffisante pour que l’électorat de la présidentielle reste plus mobilisé au point de dépasser les scores de cette élection ? Je vais divulgâcher immédiatement la fin de l’histoire : je me risquerai à une telle conclusion uniquement pour la Haute-Vienne, car sur aucune des trois circonscriptions concernées la NUPES n’est en recul par rapport aux résultats cumulés des 4 candidats à la présidentielle, malgré une candidature de la FGR à 3% dans la 2e circonscription alors que le candidat PS y progresse de près de 5 points. Nous sommes dans l’un des territoires où l’abstention différentielle a vraisemblablement pénalisé avant tout la majorité présidentielle.

Dans les six autres départements, une circonscription fait la différence ; il est donc nécessaire à ce stade de descendre au niveau des circonscriptions1.

D’abord, un passage en revue rapide de l’essentiel des circonscriptions démontre que dans l’essentiel des circonscriptions la moyenne des scores de la NUPES est en recul de 4 à 6 points par rapport aux résultats cumulés de la présidentielle…Les exceptions sont rares et des personnalités marquantes de la France insoumise n’y échappent pas.

C’est le cas des deux députés sortant LFI de l’Ariège, de Manuel Bompard à Marseille pour succéder à Jean-Luc Mélenchon (il a recueilli la majorité des suffrages mais l’abstention le contraint à un 2nd tour), Bernalicis dans le Nord est en retrait de 3,5 points, David Guiraud (porte parole) en retrait de 6,5 points à Roubaix ; à Paris, Sophia Chikirou (élue) est en retrait de 3,5 points, Danièle Obono (réélue) de 4,5 points ; dans l’Essonne, Claire Lejeune en retrait de 5 points, Antoine Léaument de 6 points ; en Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière (réélu) en retrait de 3 points, Eric Coquerel et Bastien Lachaud sont plus pénalisés en retrait de 8 points ; Aurélie Trouvé, l’économiste présidente d’ATTAC devenue présidente du parlement de l’Union Populaire, prenait le relais de Sabine Rubin dans la 9e circonscription de Seine-Saint-Denis (qui mêle classes populaires et petite bourgeoisie n’arrivant plus à se loger à Paris), mais son exposition médiatique ne l’a pas empêché d’être en recul de 4,6 points ; dans le Val-de-Marne, Clémence Guetté et Rachel Keke en retrait de 5 points… Clémentine Autain est en retrait de 11 points mais souffre d’une dissidence communiste directement pilotée depuis la mairie de Tremblay.

Loïc Prudhomme à Bordeaux, Sarah Legrain (élue) à Paris et Mathilde Panot dans le Val-de-Marne ne reculent que d’un point. Adrien Quatennens est à l’équilibre. Caroline Fiat gagne un point par rapport à la présidentielle dans une circonscription où son élection en 2017 avait déjà surpris l’intéressée elle-même. François Ruffin détonne dans l’ensemble puisqu’il fait 11 points de mieux dans sa circonscription – 1ère de la Somme – et s’il est réélu dans cette circonscription très difficile, il le devra essentiellement à lui-même et à ses militants ; c’est lui qui fait rosir la Somme sur la carte.

On peut s’interroger sur la dépendance forte de la première catégorie au score présidentiel de Jean-Luc Mélenchon quand d’autres ont pu se construire une posture plus autonome dans leurs territoires.

Le sort de candidats PCF très proches de LFI ne s’en distingue pas : Elsa Faucillon et Stéphane Peu sont en retrait de 4 à 5 points, alors que tous leurs autres camarades PCF font plutôt des scores intéressants comme Sébastien Jumel qui recueille 15 point de plus en Seine-Maritime que les scores de la présidentielle dans une circonscription difficile, ce qui marque son implantation personnelle. Le recordman du genre est André Chassaigne qui fait toute la différence dans le Puy-de-Dôme avec 20 points de plus et qui explique le rouge de l’illustration n°9. D’une manière générale, les sortants communistes sont tous à l’équilibre ou au-dessus des scores de la présidentielle, comme de nombreux autres candidats communistes… La successeure désignée de Marie-George Buffet ne peut pas y prétendre car LFI a chauffé à blanc le maire PCF de Stains, Azzedine Taïbi, qui a pris 21%2Le score ne suffit pas à combler la baisse des points à gauche, mais la guerre fratricide allumée par l’Union populaire explique assurément les pertes en lignes.

Les députés socialistes sortants sont tous très largement au-dessus des scores de la présidentielle… On peut se dire que l’électorat ne veut plus d’un membre du PS à l’Elysée mais peut vouloir conserver un député PS – de là à se dire que certains n’ont pas milité pour leur candidate, c’est un sujet de réflexion. C’est Boris Vallaud qui tire vers le rouge les Landes avec 13,5 points de plus que les candidatures de la présidentielle (les Landes sont un concentré de la dynamique NUPES : Vallaud à 13 points au-dessus, le candidat PCF 1,5 point au-dessus, le candidat LFI en retrait). Dominique Pottier en Meurthe-et-Moselle fait presque 20 points de mieux, mais sans sortir le département du gris. Garot fait 22 points de mieux et fait rougir la Mayenne. Bricout dans l’Aisne fait 28 points de mieux et fait rosir le département. Les transitions avec des députés sortants sont un sujet en soi : dans le Calvados, la greffe d’Arthur Delaporte dans l’ancienne circonscription de Laurence Dumont est réussie avec 4 points de plus. Mais le député sortant David Habib dans les Pyrénées-Atlantiques et le successeur désigné de la députée PS du Gers ont fait chuter les candidats LFI que la NUPES avait imposés contre eux. Dans la Sarthe, une députée PS sortante fait 15,5% et le candidat NUPES recule de 5 points tout en étant qualifié - pour expliquer un tel score cumulé des deux candidats concurrents, non seulement l’abstention a dû se concentrer dans cette circonscription sur l’électorat de droite et macroniste mais une partie de l’électorat du président de la République s’est probablement aussi porté sur la députée PS sortante. Pierrick Courbon, successeur désigné de Régis Juanico, manque de peu la qualification contre la NUPES dans la Loire. Dans la 2e de l’Hérault, la députée LFI qui n’a pas été reconduite connaît par contre un échec net : elle ne fait que 5% et il faut un dissident socialiste à 12% pour expliquer la perte de 14 points pour la NUPES.

D’une manière générale, les candidats socialistes de la NUPES comme leurs homologues communistes se débrouillent très bien. Et les dissidents PS aussi (n’oublions pas le Lot)…

Les candidats du pôle écologiste n’ont pas toujours la partie facile (hors Paris, Bordeaux, Lyon, Tours et Besançon)… Delphine Batho détonne dans les Deux-Sèvres mais elle est très implantée depuis son parachutage à la place de Ségolène Royal grâce au PS. Benjamin Lucas est en retrait de 10 points dans les Yvelines, Sandra Regol de 8 points à Strasbourg, ces deux candidats ayant la particularité d’en être à de nombreux parachutages. Mais les autres candidats EELV comme vous pourrez le lire dans le tableau ne récoltent pas de lauriers très touffus.

De nombreuses circonscriptions sont également victimes d’une forme de ressaisissement de la droite… Dans les Alpes-Maritimes, en Alsace, dans les Ardennes, en Eure-et-Loir avec Marleix, en Savoie ou encore avec les implantations personnelles de Jean-Christophe Lagarde à Drancy et François Pupponi à Sarcelles (devenu MoDem) qui font reculer Raquel Garrido de 17 points et son collègue LFI de 18.

Enfin, les transfuges LREM ont en général des difficultés : Laferrière à Lyon et Taché à Cergy sont en retrait de 10 à 11 points … mais Villani semblait avoir réussi sa greffe dans l’Essonne, il faisait un point de plus que le score du 10 avril.

Il faut cependant éclairer ces réussites inégales par une forme d’antériorité. Si les socialistes et les communistes réussissent mieux dans les circonscriptions qu’ils ont arrachées dans l’accord électoral NUPES, c’est qu’ils les ont demandées spécifiquement sachant où « ils mettaient les pieds » : ainsi leurs candidat(e)s sont en général des gens implantés. Mais on pourra aussi arguer que LFI a fait d'une certaine manière le choix de la non implantation sur le moyen terme et même quand le mouvement populiste avait des personnes en vue localement, les insoumis ont parfois (si ce n'est souvent) choisi d'envoyer un(e) cadre venant de loin ou de très loin et parfois même de ne pas non plus lui adjoindre de suppléant(e) du cru (ou d'une autre partie de la circonscription quand les candidat(e)s titulaires prétendent s'installer dans telle ou telle partie du territoire). Ils ont également fait très souvent le choix de ne pas prendre de suppléant(e)s non LFI, présentant des tickets monocolores qui n'incarnent pas le rassemblement que l'accord prétend sceller et se coupant là aussi de la possibilité d'être secondé par une personne implantée.

La justification que j'ai entendue – je ne peux la démontrer – c'est que les cadres et les militants LFI étaient convaincus depuis des mois de leur victoire (ce qui était un pari audacieux) et qu'une fois les législatives passées, de nombreux député(e)s LFI deviendraient ministres et qu'il fallait s'assurer que les député(e)s qui tiendraient la maison soient issu(e)s du mouvement... comme je le disais dans la partie 23 de mon article au long cours, je crains aussi que cela se fonde sur une vision très biaisée des résultats électoraux et de la réalité de la société française.

Les élus étiquetés insoumis qui réussissent le mieux (Ruffin, Fiat, pour les anciens, ou Legrain en nouvelle élue) ont par contre labouré leur terrain de manière intense.

Oui, les législatives sont particulières du fait de la faible participation, mais elles méritent néanmoins d'être analysées pour ce qu'elles produisent sous l'effet des stratégies des uns et des autres... et le résultat c'est que la stratégie décidée par LFI produit des scores en retrait pour ses candidats et que les candidats PCF et PS circonscrits à un nombre limités de circonscriptions récoltent la dynamique de l'accord électoral en plus des effets de leurs implantations.

On peut s’interroger sur les actions concrètes envisagées par les différences politiques de gauche pour faire reculer l’abstention, plutôt que de se contenter de partager les miettes d’un gâteau qui s’est réduit. Aucune des organisations concernées ne disposent plus des outils de formation interne et d'éducation populaire nécessaires : que le PS et le PCF enfermés dans la gestion de leurs collectivités aient perdu cette volonté et se concentrent sur la conservation et la gestion de ce qu'ils ont, on peut à la rigueur le concevoir, mais c’est plus “surprenant” de la part de LFI… Et rien ne laisse penser si l’on s’en tient aux discours actuels qu’ils ont l’intention d’aller chercher au-delà des terres qu'ils pensent acquises aujourd'hui.

Ce panorama rapide et le tableau qui va avec démontre l’extrême fragilité et hétérogénéité des configurations de la gauche. La méthode autoritaire d’élaboration de l’accord électoral de la NUPES a suscité des candidatures dissidentes et divers gauche qui ont parfois fait des scores gênants pour la coalition. Les portes paroles de la coalition font le tour des plateaux TV pour en appeler aujourd’hui à la mobilisation électorale massive au second tour pour tenter à nouveau de faire mentir les chiffres… c’est la démonstration que la tentative de renversement de la tendance n’a pas fonctionné au 1er tour. C’était prévisible car la gauche était trop concentrée territorialement et sociologiquement comme je l’ai décrit dans mes notes précédentes4.

La baisse de la participation a affecté plus durement que d’habitude l’électorat centriste, mais il a aussi touché l’électorat de gauche qui n’a pas suffisamment répondu à l’appel à porter Jean-Luc Mélenchon à Matignon… en même temps, dans les territoires où cette abstention de gauche a monté (en banlieue), l’avance de la NUPES était tellement forte qu’elle n’y perd (ou n’y gagne) rien de plus en sièges. Le problème reste entier pour la gauche : c’est celui de la reconquête, au moins partielle, des anciens bassins ouvriers et des territoires périurbains. Aucune chance de prétendre conquérir la majorité parlementaire à l’avenir sans cela. Mais pour y arriver il lui faudra peut-être apprendre à cultiver sa diversité plutôt que de l’étouffer et assumer de prendre en charge les différentes radicalités qui s’expriment aujourd’hui.

1Le tableau complet avec les commentaires est proposé en annexe.

2Il a fallu des pressions énormes pour que le maire de Stains se retire du second tour … LFI, qui lui avait promis monts et merveilles pour mettre un caillou dans la chaussure de Fabien Roussel lors de la présidentielle, s’est vue contrainte d’envoyer Jean-Luc Mélenchon sur place pour qu’il apparaissent aux côtés de Soumya Bourouaha et de Marie-George Buffet avant le 1er tour. Il a annoncé dans la foulée de son retrait contraint qu’il quittait le PCF.

3http://www.fredericfaravel.fr/2022/06/le-rendez-vous-manque-de-la-gauche-en-2022-sera-t-il-definitif-partie-2/3.html

tableau détaillé en PDF d'analyse des résultats de la NUPES par circonscription, avec des comparaisons entre les deux tours des élections législatives et le premier tour de l'élection présidentielle

Vers une Chambre suspendue1 ?
Un second tour qui n’était pas (totalement) inscrit dans le premier

1En référence à l’expression britannique « Hung Parliament » - soit « parlement suspendu », c’est-à-dire un parlement dans lequel aucun parti politique n'a suffisamment de sièges pour obtenir une majorité absolue.

Le second tour des élections législatives du dimanche 19 juin 2022 a débouché sur une configuration inédite à la fois pour une Assemblée élue au mode de scrutin majoritaire à deux tours et dans le cadre de la Vème République « quinquennale » où les législatives suivent de près l’élection présidentielle.

On l’a suffisamment répété sur tous les tons, au point que cela paraissait être devenu une règle institutionnelle non écrite. Depuis la décision d’avril 2001 de placer l’élection présidentielle juste avant les élections législatives, les événements politiques s’enchaînaient comme un mécano : les Français élisaient (parfois par défaut) un président, puis lui donnaient une majorité parlementaire, le plus souvent non par défaut mais par démobilisation relative des électeurs du camp politique qui avait perdu l’élection phare du régime.

Le scénario qui se déroule devant nos yeux ne correspond plus du tout à ce schéma : la « majorité présidentielle » n’en est pas une mais il n’existe pas non plus de majorité alternative, car l’aboutissement (temporaire ?) du processus de tripartition de la vie politique française conduit à la constitution de trois blocs antagonistes de tailles (presque) comparables : à gauche la NUPES avec 131 député(e)s ; au centre, une « majorité présidentielle » de 245 député(e)s ; à la droite du Palais Bourbon, 74 député(e)s de « droite classique » – qui ne semblent pas avoir totalement décidé ni de leur stratégie vis-à-vis de l’Élysée, ni de leur attitude à l’égard de l’extrême-droite – et un bloc de 90 député(e)s d’extrême droite (89 RN et Nicolas Dupont-Aignan) que personne n’attendait à ce niveau avec notre mode de scrutin. Il est saisissant de voir à quel point le résultat se rapproche de ce que l’on aurait pu obtenir avec des scrutins proportionnels1, même si le scrutin majoritaire favorise en 2022 encore un peu Ensemble ! et la droite.

Dans cette dernière partie, nous regarderons comment les dynamiques du 1er tour ont pu être prolongées ou modifiées par ce second tour (alors que les corrections de ce type sont assez rares) pour la gauche, la « majorité présidentielle » et le Rassemblement National. Il faudra également s’interroger sur les conséquences au moins immédiates de ces élections législatives sur le fonctionnement du régime et de notre vie politique.

1Vous trouverez en annexe les projections en sièges de différentes hypothèses de mode de scrutin proportionnel (liste nationale, règle d’Hondt, seuils à 3 ou à 5 % ; listes départementales, règle d’Hondt, seuil à 5 % - comme en 1986) sur la base des résultats du dimanche 10 juin 2022… Nous nous permettons cependant de préciser qu’avec d’autres « règles du jeu » connues à l’avance, les configurations politiques auraient été vraisemblablement sensiblement différentes et sans doute le comportement des électeurs aussi.

Projections en sièges sur la base des résultats du premier tour des élections législatives le 12 juin 2022 avec plusieurs modes de scrutin proportionnels

Pas de dynamique pour la NUPES au second tour

Les enseignements du 1er tour des élections législatives pour la gauche et en particulier pour la « Nouvelle Union Populaire, Écologique et Sociale » restent valables au second tour et s’inscrivent dans la continuité.

L’excès de compétition interne avait sans doute coûté en 2017 une soixantaine de députés à la gauche ; une forme de rassemblement était donc nécessaire pour que la gauche puisse revenir à l’Assemblée Nationale avec un contingent plus conforme à ce qu’elle représentait dans le pays. Or l’Union n’a jamais d’effets mathématiques, elle est humaine et dynamique... 15+10+5 ne fait pas forcément 30, ça peut faire 20 ou 25% et quand il y a une dynamique 32 ou 35%, mais à 20% ça suffit parfois à être qualifié pour le second tour, a fortiori ça passe à 25, 32 ou 35%... mais ce qui est sûr c'est qu'à 15% un candidat de gauche opposé à d’autres candidats de gauche n’aurait pas été qualifié (d’autant plus quand l’abstention atteint 52 ou 54%) : c’est ce qui s’était passé en juin 2017... donc si l'accord électoral NUPES n'a pas eu un effet mathématique, son effet a été assurément mécanique en permettant la qualification de 385 candidats de gauche pour le second tour… Mais être qualifié à 20% des suffrages exprimés ne permet la plupart du temps pas d’être élu au second tour : deux écueils majeurs attendaient les candidats de la NUPES, à savoir l’abstention massive et l’absence de « réserves » de voix dans la plupart des circonscriptions concernées. Or 82% des députés de gauche ont été élus le 19 juin 2022 dans des circonscriptions où le score des 4 candidats de gauche à l’élection présidentielle était supérieur à 30%.

Les analyses sociologiques montrent que de larges pans de l’électorat de la gauche lors du 1er tour de l’élection présidentielle se recrutaient chez les jeunes et les habitants des quartiers populaires, publics qui s’abstiennent massivement lors des élections législatives : cela a été le cas au 1er comme au second tour des élections législatives de 2022 et Il n’y a pas eu de remobilisation de l’électorat de gauche au second tour pour faire mentir l’abstention du 1er tour. L’institut Ipsos indiquait le soir du second tour que 53% des électeurs de J.-L. Mélenchon s’étaient abstenus (56 % chez les sympathisants de la FI), contre 38% pour Macron. L’immense majorité des candidats de la NUPES accusent des centaines ou des milliers de voix en retrait par rapport aux suffrages cumulés de de Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Fabien Roussel et Anne Hidalgo. Or cet électorat de la présidentielle étant également territorialement typé (Région parisienne, métropoles régionales intégrées et leurs banlieues populaires, quelques zones rurales d’ancienne tradition progressiste, comme dans le Sud-Ouest, et l’Outre Mer), il aurait été nécessaire de mobiliser l’ensemble de cet électorat pour espérer l’emporter en profitant de l’abstention frappant les autres camps. Dans certaines circonscriptions, notamment dans les centre-ville des métropoles intégrées et leurs banlieues, l’avance de la gauche est tellement forte que les candidats pouvaient affronter l’esprit serein l’abstention massive de l’électorat plus jeune et populaire de Jean-Luc Mélenchon – c’est ce qui s’est passé dans l’Est parisien, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne notamment –, mais l’absence de mobilisation à gauche lui coûte des circonscriptions à Lille, Lyon ou Nantes et dans plusieurs territoires ruraux du sud-ouest où la gauche n’est plus en capacité à faire barrage au Rassemblement national (Vallée de la Garonne et Aude, mais aussi Allier) voire dans des circonscriptions où elle est éliminée dès le 1er tour sous l’effet de la concurrence à gauche (2e du Tarn-et-Garonne, Sylvia Pinel candidate du PRG à 20% ; 2e de Dordogne avec un dissident PS à 14,7 %) ou pas (1ère de la Nièvre).

Alors que je viens d’évoquer les conséquences néfastes de la concurrence entre Sylvia Pinel et la NUPES dans le Sud-Ouest, dans certaines circonscriptions, l’effet dissidence au 1er tour a été somme toute utile à la gauche – soit que le dissident ait permis de mobiliser un électorat à cause d’un renforcement des enjeux, soit qu’il ait attiré à lui des électeurs qui n’avaient sans doute pas voté à gauche à la présidentielle servant ainsi de sas électoral vers le candidat NUPES au second tour, soit qu’il ait remporté la « primaire à gauche »… Correspondent aux deux premiers cas, les 2e circonscription de l’Aveyron, 4e circonscription des Côtes-d’Armor et 1ère et 4e circonscriptions de la Dordogne, dont les candidats NUPES recueillent de 78 à plus de 2000 voix de plus que les suffrages recueillis par la gauche à la présidentielle. Dans la 2e du Gers, la 3e du Nord et la 8e du Pas-de-Calais, les dissidents de gauche qui ont éliminé les représentants de la NUPES au 1er tour ont emporté leurs circonscriptions avec plusieurs milliers de voix supplémentaires par rapport à la présidentielle. Nous ne parlerons pas de David Habib, député PS sortant, qui l’emporte dans les Pyrénées-Atlantiques, contre la NUPES. Le contrepoint se trouve dans la 1ère de la Loire : le candidat EELV-NUPES y a éliminé le successeur désigné de Régis Juanico (député génération·s sortant) mais sans reprendre la circonscription face à ensemble ; on peut s’interroger sur l’effet casting et se demander si la qualification de Pierrick Courbon, bien implanté localement, n’aurait pas permis la conservation de cette circonscription à gauche.

Dans plusieurs circonscriptions, le dépassement de la présidentielle est porté selon toute vraisemblance par une dynamique « tout sauf Macron » : la Creuse, la 8e de Haute-Vienne, mais aussi la 4e de la Manche (la candidate PS, ancienne représentante locale de l’aile gauche du parti, paraît également tourner la page Cazeneuve dont c’était la circonscription), la 4e des Pyrénées-Atlantiques (ancienne circonscription de Jean Lassalle qui y présentait son fils, éliminé au 1er tour – une partie des Lassalistes ont voté manifestement à gauche contre Ensemble !), ou encore la 2e des Alpes-de-Haute-Provence (Tout sauf Castaner) et la 6e du Finisterre (Tout sauf Ferrand). Mais le « Tout sauf Macron » peut tout à la fois permettre de dépasser largement la présidentielle sans l’emporter : plusieurs circonscriptions du Calvados (dont celle de Borne), la 2e des Côtes-d’Armor(Dinan, ancrée à droite), la 4e d’Indre-et-Loire et les 2e des Landes (ancien fief PS de J.-P. Dufau) et 7e de Loire-Atlantique (Guérande, très ancrée à droite) où la greffe des candidats PCF (qui n’avait sûrement pas demandé expressément ces circonscriptions) n’a pas prise. La 2e du Lot est là pour nous rappeler que le maintien de deux candidats de gauche dans une triangulaire s’avère mortel.

Enfin, alors que tous les commentateurs glosent sur la mort du « front républicain », il est des circonscriptions où il encore fois fonctionné – au moins partiellement – et permis aux candidats de gauche de dépasser les suffrages de leur camp à la présidentielle : la 4e de l’Eure (Louviers) et la 2e de Haute-Vienne. La faiblesse du front républicain a par contre failli coûter son siège à Caroline Fiat en Meurthe-et-Moselle, qui finit avec 1500 voix de retard sur les candidats à la présidentielle.

Pour élargir sa base électorale par rapport à la présidentielle, et souvent de plusieurs milliers de voix, la meilleure formule pour un candidat de gauche est d’être un sortant communiste ou socialiste (ou ancien député, Nicolas Sansu dans le Cher) ou de leur succéder : Vallaud, Chassaigne, Jumel, Garot, Untermaïer, Potier, Rabaud, Batho (ex PS), etc. sont dans ce cas-là ; Aviragnet et Saulignac se sont même payés le luxe de refuser l’étiquette NUPES tout en profitant de l’accord. Les députés PCF les plus proches de LFI (Peu et Faucillon) suivent la même logique électorale que les autres sortants LFI, mi-figue mi-raisin, tout comme Olivier Faure (PS), Fabien Roussel, Jean-Paul Lecocq ou Pierre Dharréville (PCF)… François Ruffin chez LFI est un OVNI, emportant le second tour avec 2900 suffrages de plus dans sa circonscription de la Somme que la gauche à la présidentielle. Ses interventions médiatiques indiquent qu’il semble vouloir cultiver sa différence avec LFI sur la forme et le fond. Le contre-exemple est Alain Bruneel1, député PCF sortant de la 16e du Nord, qui est emporté par la vague RN, sans surmobilisation de l’électorat de gauche et visiblement avec un front républicain défaillant.

Bien sûr quelques candidats écologistes ou insoumis réalisent des dépassements sans correspondre aux catégories présentées ci-dessus : EELV dans la 6e de Loire-Atlantique ; LFI dans la 1ère des Hautes-Pyrénées et la 3e de Haute-Vienne.2

Ainsi, l’existence de l’accord électoral, d’un rassemblement de la gauche, a été salvateur pour ce camp politique, mais il existe quelques arguments pour expliquer que cet accord là, les conditions de son élaboration et ses présupposés ont été in fine non pas contre-productifs mais sous performants ; même avec une dynamique réduite comme celle du 1er tour, la NUPES pouvait espérer mieux que l’élection de 131 député(e)s (auxquels il faut ajouter 25 divers gauche), qui reste sous les plus basses projections en sièges des instituts de sondage publiées après la signature de l’accord électoral.

Si la gauche veut retrouver une capacité à prétendre gouverner, elle va devoir sortir du lit mineur où elle est enfermée et que François Ruffin désigne comme une victoire « par une ruse de l’histoire »3 de la stratégie de Terra Nova de 2011 : une gauche circonscrite aux diplômés, aux jeunes et aux minorités (raciales, sexuelles, de genre…). Elle doit donc reconquérir les catégories populaires et moyennes des anciens bassins ouvriers et des territoires péri-urbains, qui aujourd’hui en priorité s’abstiennent et secondairement votent en premier pour le Rassemblement National. Or rien n'incite à penser que les dirigeants de gauche et leurs organisations ont le projet concret de se donner les moyens de faire reculer durablement l’abstention en dehors de la présidentielle. Les principales organisations de gauche donnent l’impression de vouloir devenir le plus gros tiers parmi les blocs du nouveau système politique de tripartition, en privilégiant la reconquête de l’aile gauche des électeurs macronistes (ce qui ne peut se faire que sur des bases sociétales car réinvestir fortement l’opposition capital/travail les rebuterait) plutôt que les catégories populaires « beaufisées »… Or dans cette configuration, la gauche pourrait ne jamais reconquérir de majorité parlementaire car les deux autres tiers s’accorderont instinctivement pour l’en empêcher, quitte à s’empêcher eux-mêmes. Et par ailleurs – c'est une question que la gauche doit se poser –, on ne transforme pas en profondeur la société ou tout du moins on n’engage sa transformation avec une simple majorité parlementaire, a fortiori relative, il faut aussi une majorité sociale.

1Bruneel a été confronté au premier tour à un candidat d’extrême gauche connu localement comme syndicaliste CGT virulent et une candidate ex communiste devenue PRG. Le syndicaliste ne s'est pas rallié au PCF au second tour. La candidate PRG a appelé à voter RN certes sous le manteau. Dans la 19e du Nord, Soloch (candidat PCF) n'a eu un bon report des voix des Insoumis et la socialiste Anne-Lise Tison a fait la campagne LREM… Bref, désunion de la gauche et alliance avec le diable. LR aux seconds tour à voté nul ou blanc

2Tous les tableaux de calculs et de comparaison sont en annexe.

3François Ruffin : «Jusqu’ici, nous ne parvenons pas à muer en espoir la colère des “fâchés pas fachos”», entretien accordé à Libération le 13 avril 2022

L’exécutif a été sanctionné…

Trois ministres, Christophe Castaner (président du groupe parlementaire) et Richard Ferrand (président de l’Assemblée Nationale) tombent… ce n’était pas inscrit dans les tablettes. L’action gouvernementale macroniste est directement dans le collimateur. Stanislas Guérini, délégué général de LaREM et nouveau ministre de la fonction publique, et Clément Beaune, proche collaborateur du Président de la République et ministre délégué aux affaires européennes, ont manqué d’être éliminés, mais ils sont sauvés par une partie des Bobos parisiens votent encore contre ses intérêts en croyant les fables libérales de la start-up nation (les autres votent à gauche parce que c’est bien culturellement, rarement parce qu’ils ont compris que c’était dans leur intérêt).

Une partie de l’électorat centriste, démocrate chrétien, socialiste modéré l’a ainsi boudé dès le premier tour, comme il a été dit plus haut et comme le montre une augmentation de l’abstention dans certains territoires de l’ouest français, étant un peu perdu par l’absence de direction et le flottement entre la présidentielle et la législative… peut-être aussi choqué par le ton outrancier adopté contre ses opposants au plus haut niveau de l’État. Les bons scores de quelques candidats de gauche en Bretagne et en Pays-de-la-Loire ont par ailleurs sans doute été nourri par un retour (provisoire ?) d’électeurs qui avaient préféré Macron et ses soutiens en 2017 et lors de la présidentielle de 2022. Ce qui expliquerait que l’institut Ipsos indique que le taux d’abstention des électeurs de Macron soit le même en 2017 et en 2022, soit 38 %.

Emmanuel Macron lui-même est sanctionné car il a fait la démonstration qu’il n’avait pas compris les conditions de son élection. Réélu par défaut, il s’est empressé d’effrayer ceux qui lui ont permis de battre le Pen. En mettant en exergue une seule mesure programmatique, la retraite à 65 ans, il a conforté son image de dirigeant obtus et injuste. En composant, au terme d’interminables consultations, un gouvernement aussi enthousiasmant qu’un slogan de Giscard, en refusant le débat pendant la campagne législative, en n’affirmant ni cap ni stratégie, il a donné l’impression de se moquer des Français, de leurs inquiétudes et de leurs aspirations. Les électeurs, en le privant de majorité, l’ont puni de cette désinvolture.

Mais les éléments de langage caricaturaux du camp présidentiel – le maximum étant atteint avec Amélie de Montchalin et ses propos sur « l’extrême gauche anarchiste » – ont sans doute créé une ambiance politique qui a permis à l’électorat macroniste d’être décomplexé dans son refus de faire barrage à l’extrême droite en votant pour la NUPES. On savait depuis longtemps qu’une partie de l’électorat de droite ne se donnait plus la peine de cet effort depuis quelques années, mais c’est nouveau chez les libéraux et les centristes : la diabolisation de la gauche ramenée tout entière dans ces discours au « gauchisme » supposé de Jean-Luc Mélenchon (il n’est pas d’extrême gauche évidemment mais il suit des comportements politiques gauchistes) a fait sauter un verrou. Le front républicain fonctionne encore à certains endroits sinon certains députés de gauche et de droite n’auraient pas été élus, mais comme d’habitude le front républicain fait plus facilement élire des candidats de droite. Les enquêtes d’opinion réalisées le jour du vote par Harris Interactive indiquait que les électeurs d’un candidat Ensemble ! au 1er tour avaient choisi l’abstention à 48 % dans le cas d’un duel NUPES-RN et le vote RN à 18 %, mais que les électeurs NUPES face à un duel Ensemble-RN se seraient abstenus à 45 % et choisi le RN à 24 %. Brice Teinturier, directeur d’Ipsos, lors de la soirée électorale du second tour a cependant avancé le chiffre de 72% des électeurs Ensemble ! qui se seraient abstenus dans les duels NUPES/RN.

Par contre, il ne faut pas se tromper de conclusion : Malgré des corrections importantes et une sanction de Macron, les Français n’ont pas changé de vote en un mois et demi. Ils n’ont pas élu une majorité alternative, ils ont juste refusé la majorité à Macron qui n’a plus le charme de la nouveauté et à qui l’on offre sa chance. Il ne faut pas aller chercher plus loin. Ils n’ont pas voté pour forcer les différents partis à d’accorder à l’Assemblée Nationale, ils savent bien que les projets de la gauche d’un côté et d’Ensemble ! et de la droite de l’autre, à plus forte raison du RN, sont orthogonaux. La fable racontée à ce sujet par Édouard Philippe le mercredi 22 juin matin est juste une manière de vérifier s’il reste une frange naïve et opportuniste à gauche qui pourrait sécuriser la majorité présidentielle relative … mais une fable reste une fable et les Français n’ont pas voté pour que les différents groupes travaillent ensemble et forment une GroKo… qu’on le regrette ou non, on ne transforme pas une culture politique ancrée depuis 60 ans par la magie d’un scrutin qui marque surtout le dysfonctionnement de notre système politique après des années de dégradation progressive : les Français n’ont pas adopté le 19 juin la culture politique des démocraties scandinaves, belge ou suisse.

Pour dire comme Rémi Lefebvre, dimanche 19 juin au soir, « que le scrutin majoritaire donne une représentation politique qui se rapproche de celle que pourrait produire la proportionnelle est un indice paradoxal de plus de la crise de défiance généralisée, accrue par l’échec pratique du macronisme et la faiblesse de son assise électorale réelle… La prime majoritaire ne peut même plus masquer le déficit de légitimité du système… »

L’extrême droite est la vraie gagnante du scrutin avec une dynamique qui pourrait être durable

Avant de regarder les chiffres dans les détails, on pouvait intuitivement considérer que l’élection d’un si grand nombre de députés RN avait été le fait de la seule rupture massive du front républicain. Cette élection de 90 députés d’extrême droite (Nicolas Dupont Aignan compris) n’était pourtant pas inscrite dans le marbre des résultats du 1er tour. Or, à regarder les résultats des deux tours, il est bien dû à une surmobilisation des électeurs d’extrême droite de l’élection présidentielle, ce qui n’était pas le cas précédemment.

Cette surmobilisation a commencé au 1er tour et explique la qualification de tant de candidats RN pour le second tour. Juin 2022 enraye la fatalité pour l’extrême droite. L’élection présidentielle du 10 avril 2022 avait déjà sonné comme un record : avec 23,15 % pour Marine Le Pen, 7,07 % pour Eric Zemmour et 2,06 % pour Nicolas Dupont-Aignan, elle totalise 32,3 % des suffrages exprimés, presque le tiers de l’électorat, plus que la gauche (trotskystes compris…). En progression de 6,3 points. En 2017, elle était tombée à 14,7 % pour les législatives, perdant près de la moitié de sa force de frappe, ne faisant élire qu’une dizaine de députés (Nicolas Dupont-Aignan compris). Le RN lui-même n’avait conservé que 13,2 % des suffrages exprimés au second tour. En juin 2022, l’extrême droite conserve l’essentiel de ses forces… Le RN rassemble 18,68 % des suffrages (un ratio de 0,8 par rapport à la présidentielle) et alors qu’il n’était présent que dans 120 circonscriptions lors du second tour de 2017, il le sera cette fois-ci dans 208. Nous l’avons écrit au début de cet article, les candidats d’extrême droite qualifiés pour le second tour disposaient dans la perspective du 19 juin de réserves de voix avec les suffrages recueillis par les candidats de « Reconquête ! ».

Cette surmobilisation s’est amplifiée au second tour : la très grande majorité des élus RN retrouvent au second tour un niveau de suffrages (pas de pourcentages ou de points, de suffrages) proche de celui recueilli par Marine Le Pen au 1er tour de la présidentielle. Dans 33 cas, les suffrages des députés RN au second tour dépassent les suffrages obtenus par Marine Le Pen au 1er tour de la présidentielle ; le nouveau député RN de l’Ain atteint même un niveau équivalent à la somme des suffrages des 3 candidats d’extrême droite au 1er tour de l’élection présidentielle … et Dupont Aignan les dépasse allégrement mais c’est un cas à part.

Dix candidats « malheureux » dépassent également au second tour les suffrages obtenus par Marine Le Pen au 1er tour, et bien d’autres encore obtiennent des suffrages pas si éloignés de ceux de leur leader. Dans un contexte d’abstention massive c’est un atout aussi puissant qu’inédit pour l’extrême droite, alors que les deux autres « blocs » ont connu une désertion importante de leurs électeurs de l’élection présidentielle.1

1Tous les tableaux de calculs et de comparaison sont en annexe ci-dessous.

Tableau de comparaison des résultats des candidats RN aux élections législatives avec ceux de Marine Le Pen lors du premier tour de l'élection présidentielle le 10 avril 2022

Et ce ne sont pas les départements du Nord, du Pas-de-Calais ou de la Moselle qui apparaissent les plus inquiétants : l’implantation du RN dans le paysage du RN y est devenue banale, les électeurs de Marine Le Pen n’y prennent donc même pas la peine de se déplacer en nombre pour la faire élire ainsi que ses amis du département. C’est le pourtour méditerranéen et la vallée du Rhône qui craquent, mais aussi des territoires d’Occitanie et de Nouvelle Aquitaine, ou encore le Loiret, l’Yonne, une partie de la Champagne et de la Picardie… L’Aude offre un cadre saisissant : le département est encore tenu par le Parti Socialiste (et sans discontinuer depuis 1945) qui avec ses alliés écologistes, radicaux et communistes bénéficie d’une majorité de 34 sièges n’en laissant que 4 à la droite « classique », et sur 73 maires de communes de plus de 1000 habitants 51 se rattachent à la gauche ; depuis plusieurs scrutins départementaux, la gauche emporte le plus souvent ses cantons face aux candidats du RN, le scrutin majoritaire a donc donné jusqu’ici une image déformée de la situation politique de l’Aude, sans élu d’extrême droite « visible » ; des Cassandre avaient expliqué au sein du PS que la situation était en équilibre précaire et que le jour où la digue céderait, tout céderait en même temps. La digue n’a pas cédé aux dernières élections départementales, elle vient de le faire totalement pour les élections législatives et les trois circonscriptions passent de LaREM (pour laquelle la majorité départementale avait « en sous main » fait voter en 2017) au RN.

Dans ces régions, ajoutées à celles où le RN faisait déjà élire des députés ou obtenait des scores aux élections intermédiaires, les électeurs sont désormais totalement décomplexés à l’idée de transformer leur vote à la présidentielle en vote pour le Parlement. C’est donc une logique d’adhésion ou en tout cas la volonté de choisir des députés du RN pour combattre Macron plutôt que des députés issus d’une autre famille politique : c’est inédit, avant les électeurs préféraient aller à la pêche considérant que seule leur protestation à la présidentielle comptait. Ils inscrivent donc leur vote dans la durée.

Si le RN sait capitaliser cette nouvelle posture, en consolidant le profil de ses cadres et parlementaires, alors il peut être sur les rangs pour lutter en 2027 pour le pouvoir et non pour la première place dans l’opposition. Le ton « respectable » et calme adopté par Marine Le Pen et ses principaux seconds est par ailleurs adapté à cet objectif, à la différence du « bruit et [de] la fureur » qui ont toujours cours chez les Insoumis. Et les changement de posture de personnalités de droite vis-à-vis du RN, Eric Woerth, ancien président LR de la commission des finances de l’Assemblée (pourtant rallié à Ensemble !), et Gérard Larcher, président LR du Sénat, au premier chef, pourrait les y aider.

Le retour du Parlement ou une crise de régime ?

D’aucun se prennent à rêver que le déroulement et le dénouement inédits de ces élections législatives débouchent sur une évolution institutionnelle en douceur de la Vème République. Le président de la République étant dépourvu de majorité parlementaire absolue se verrait ainsi contraint de négocier avec le Parlement, composé d’une Chambre basse « suspendue » et d’une Chambre haute tenue par la droite « classique ». Nous avons dit ce qu’il y avait à penser parallèlement de la fable philippiste d’une « Grande Coalition » à la française.

L’une des hypothèses pas tout à fait absurde serait d’imaginer que l’Élysée passe de manière plus ou moins formel un compromis avec le parti LR (tout en ménageant les apparences de l’opposition « constructive » revendiquée par ce dernier) en reprenant une pratique fort usitée sous François Hollande quand il disposait théoriquement de la majorité sénatoriale (et un peu après aussi) : en faisant débuter l’examen d’un certain nombre de textes au Sénat (pas seulement les textes qu’il faut obligatoirement transmettre en premier au Sénat et qui ont trait aux collectivités territoriales), il pourrait prendre acte des apports de la majorité sénatoriale pour demander à sa « majorité présidentielle » et au groupe LR de l’Assemblée nationale de sanctionner positivement les textes issus de la base gouvernementale amendés par le Sénat. Nous aurions donc une version droitisée du macronisme pendant le temps que cela pourra durer. Édouard Philippe qui vise sans doute la succession d’Emmanuel Macron qui ne pourra se représenter en 2027 aurait sans doute intérêt à ce mécanisme, qui pourrait le placer au centre de la nécessaire négociation politique entre droite classique et nouvelle droite macroniste.

Mais parallèlement, l’impossibilité constitutionnelle pour Emmanuel Macron de se représenter et les signes de fragilité politique donné par son équipage à l’occasion de la séquence récente pourraient donner des ambitions à la droite parlementaire en vue de profiter des difficultés de l’exécutif et porter un candidat issu de ses rangs à la prochaine élection présidentielle qui ne serait plus gêné par cette synthèse des Libéraux (plus ou moins autoritaires) au centre de l’échiquier politique. La stratégie de LR ne semble pas stabilisée comme le démontre le changement de pied surprenant de Gérard Larcher qui rompt avec le sacro-saint « cordon sanitaire » instauré par Jacques Chirac contre le Front National en proposant de considérer le RN comme un parti comme un autre.

Il y a cependant un terrain sur lequel LaREM et LR semblent s’accorder c’est de jouer en ce début d’été 2022 la cornérisation de la gauche parlementaire. Ainsi Gérard Larcher et Eric Woerth ont proposé que la présidence de la commission des Finances revienne au RN. Or ce n’est en aucun cas une obligation réglementaire : le règlement de l’Assemblée nationale édicte dans son article 39 alinéa 3 que « ne peut être élu à la présidence de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire qu’un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition. » Il n’est pas précisé cela doit être le groupe d’opposition le plus nombreux, à partir de là si la gauche s’accorde avec ses quatre groupes parlementaires sur le nom d’un(e) candidat(e), il revient à LR et éventuellement à LaREM (même si, depuis l’insertion de cet article dans le règlement de l’assemblée, la majorité parlementaire n’a pas pris part au vote de la commission sur le nom de son président) de faire un choix politique et de l’assumer : après avoir expliquer que le RN était le diable incarné, il sera cocasse de voir LaREM en coulisse prétendre préférer le RN à la NUPES.

Le mercredi 22 juin, Emmanuel Macron a renvoyé la responsabilité d’un blocage parlementaires aux oppositions parlementaires, il ne semble donc pas enclin à composer avec le Parlement, ce qui ne cesse d’interroger sur la compréhension qu’il a de la signification du message électoral qui lui a été adressé les 12 et 19 juin et des raisons de sa réélection le 24 avril 2022. Il est saisissant qu’il ait tenu à affirmer à deux reprises en 7 minutes que les Français avaient soutenu son projet présidentiel, ce qui est pour le moins sujet à caution. Il semble donc que l’affrontement entre l’Élysée et une majorité de députés soit une option sérieuse ; et si Emmanuel Macron pense être arrivé à rejeter la faute du blocage sur la NUPES, LR et le RN, il s’engagera sans doute dans quelques mois, un an ou deux ans dans une dissolution. Ce n’est pas seulement les Français qui n’ont pas voté en pensant vivre dans une démocratie scandinave, mais le chef de l’exécutif qui considère ouvertement que sa légitimité prime sur celle de l’Assemblée nationale.

Considérer ainsi que l’on pourrait tranquillement faire évoluer le régime de l’intérieur en transformant une Chambre suspendue en espace de négociation permanente et de construction des compromis politique entre l’exécutif et le législatif me paraît pour le moins hasardeux, tout à la fois parce que ce n’est pas le message politique des Français et que ce n’est pas la culture politique des acteurs de cette pièce. Ce serait faire abstraction par ailleurs de la crise politique que la France traverse depuis de nombreuses années, dont Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont été des symptômes parallèles et dont découle directement le résultat des élections législatives de 2022. Les difficultés auxquelles fait face le pays (ralentissement économique, inflation massive, difficultés climatiques, guerre en Europe) vont encore peser sur les difficultés sociales de nos concitoyens, sur l’état de nos services publics dont la dégradation a été mise en exergue comme jamais par la crise sanitaire. Les Français que toutes les enquêtes d’opinion présentent comme fatigués par deux années hors norme n’en ont pas moins exprimé une lourde colère, qui n’a pas disparu depuis la crise des « Gilets Jaunes » et il y a peu de raison qu’elle soit moins forte aujourd’hui.

Notre système politique a montré son essoufflement depuis de nombreuses années ; la situation inédite d’un président fraîchement réélu mais par défaut, avec une légitimité légale entière mais une légitimité politique fragile, une Assemblée nationale sans majorité évidente1, avec une légitimité politique affectée par un très faible taux de participation (comme en 2017), paraît un nouveau symptôme particulièrement abouti de cette « crise de régime ». Sans se poser la question d’un numéro de constitution, il apparaît plus que jamais nécessaire de faire évoluer nos institutions pour raffermir nos processus démocratiques, l’élaboration des décisions, le contrôle de l’action publique et réaffirmer en pratique l’expression de la souveraineté populaire. Georges Pompidou disait par ailleurs que la nature d’un régime démocratique dépendait bien plus du mode de scrutin utilisé que du texte de la constitution. L’Institut Rousseau a fait en novembre 2020 des propositions très construites ; elles ne satisferont sans doute pas tout le monde – l’auteur de ses lignes, lui-même, aurait quelques amendements à y apporter – mais elles ont le mérite de la cohérence et de la praticabilité, elles pourraient donc servir de base de travail à qui veut s’en saisir.

Cependant, la santé de notre démocratie républicaine ne dépend pas seulement de règles constitutionnelles et électorales, mais aussi de la qualité des acteurs politiques qui prétendent représenter les citoyens. Les familles politiques historiques du pays dans leur diversité ont impérativement besoin d’interroger leurs logiciels respectifs, même si parfois il a connu des mutations culturelles assez récentes. On ne peut de toute façon pas se satisfaire d’un fonctionnement démocratique théoriquement rénové si plus de la moitié des électeurs boudent le suffrage universel dans la plupart des scrutins ; et cela dépend aussi largement des propositions, des comportements, des pratiques mais aussi de l’imaginaire politiques qui leur seront soumis… Et cette question est d’abord posée à la gauche.

1Le cœur de la majorité présidentielle étant très éloignée des 289 sièges, la comparaison avec 1988 n’est pas possible, d’autant qu’en 1988, c’était un choix politique (partagé) de ne pas faire entrer le PCF dans la majorité parlementaire, mais la gauche était majoritaire à l’Assemblée nationale.

Élections législatives de 2022 : entre approfondissement et contradictions, une nouvelle étape de la crise démocratique
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16 juillet 2022 6 16 /07 /juillet /2022 16:52

J'ai rédigé pour la Gauche Républicaine et Socialiste l'article ci-dessous à l'occasion des 80 ans de la Rafle du Vél d'Hiv.

Les 16 et 17 juillet 1942, l'Etat français en lien avec l'occupant nazi organisait la rafle plus de 13000 Juifs français et étrangers de l'agglomération parisienne.

Cette participation directe du régime de Vichy à l'entreprise d'extermination des Juifs d'Europe fut l'opération la plus importante de toute la guerre en France : elle représente à elle seule plus du quart des 42000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942, dont seuls 811 reviendront chez eux après la fin de la guerre ; parmi les 13152 arrêtés, il y avait 4115 enfants et sauf quelques uns qui réussirent à fuir à Paris ou des camps d'internement en France aucun ne survécut à la déportation à Auschwitz. Alors que depuis deux ans, des entreprises lamentables de révisionnisme historique, de falsification des faits et de réhabilitation de Philippe Pétain et de son régime antisémite ont eu de nouveau table ouverte dans les médias, la Gauche Républicaine et Socialiste souhaite apporter sa pierre, à l'occasion des commémorations nationales pour les 80 ans de la Rafle du Vel d'Hiv, dans la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et le révisionnisme.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

Ni oubli, ni pardon, les 80 ans de la rafle du Vél’ d’Hiv’

Nous vivons une époque déconcertante et à bien des égards terrifiante… L’élection présidentielle de 2022 a été marquée par la candidature d’un personnage condamné à plusieurs reprises pour provocation à la haine ou la discrimination raciale, et qui avait soutenu en 2019 (propos réitérés en 2022 durant la campagne électorale) que de 1940 à 1944, le régime de Vichy a « protégé les Juifs français et donné les Juifs étrangers ». Contre toute attente, le polémiste médiatique devenu par la suite candidat à l’élection présidentielle et attaqué pour contestation de crime contre l’humanité avait été relaxé en première instance par le Tribunal judiciaire de Paris en février 2021, relaxe confirmée le 12 mai 2022 par la Cour d’Appel de Paris. Relaxe d’autant plus absurde que le tribunal avait considéré que les propos tenus contenaient bien « la négation de la participation [du régime de Vichy et du Maréchal Pétain] à la politique d’extermination des juifs menée par le régime nazi ». Entre temps, Eric Zemmour avait obtenu près de 2,5 millions de voix lors du premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril 2022 soit 7,07 % des suffrages exprimés.

Ainsi la négation de la participation active d’un régime et d’un dirigeants politiques à un crime contre l’humanité n’est pas aux yeux des juridictions concernées une contestation de crime contre l’humanité. 80 ans après la rafle du Vél’ d’Hiv’, on trouve des juges pour se laver les mains face à une entreprise révisionniste… car c’est bien de cela qu’il s’agit : nier la réalité historique et contester la nature intrinsèquement antisémite du régime mis en place par Philippe Pétain pour remplacer la République et détruire son œuvre. Il s’agit de banaliser la diffusion d’élucubration antisémite au prétexte de défendre une version dévoyée du « roman national » selon laquelle les dirigeants français n’auraient jamais totalement été du mauvais côté.

Comment imaginer que 82 ans après les lois antijuives de Vichy il soit encore nécessaire de reprendre sur le sujet la plus élémentaire des pédagogies ?

Vichy, un régime antisémite par et pour les antisémites

Le caractère réactionnaire, fascisant et antisémite de « l’État français » peu à peu déployé par Philippe Pétain depuis qu’il a reçu les pleins pouvoirs d’un Parlement en panique qui a sombré dans la lâcheté (sauf les 80 justes) ne fait pourtant aucun doute. Il s’agit d’appliquer un « nettoyage » radical des institutions puis de la société française, tel que le préconisaient nombre d’inspirateurs du Maréchal et de ses proches collaborateurs, les nettoyer des « quatre anti-France » théorisées par Maurras et l’Action Française : « la marxiste, la métèque, la juive et la protestante »… Les trois premières sont attaquées dès les premiers mois du nouveau régime :

  • contre les « marxistes » : arrestation et internement des principaux dirigeants des partis de gauche qui n’ont pas fait allégeance et renié leurs idéaux, déchéance des principaux élus locaux y appartenant, interdiction des partis marxistes (le PCF l’était déjà depuis le déclenchement de la guerre pour l’avoir dénoncé afin de se conformer au pacte germano-soviétique) ;
  • contre les « métèques » : dès le 12 juillet 1940, une série de décret-lois vont distinguer au sein des citoyens français des individus « moins français » que les autres et leur interdire l’accès à de nombreuses profession, puis déchoir de leur nationalité française des milliers d’entre eux et notamment tous les naturalisés depuis 1927, interdisant certaines professions aux ressortissants étrangers et « apatrides »… d’une certaine manière, le 27 août 1940, Pétain légalisait le racisme en abrogeant le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939 qui punissait l’injure et la diffamation raciale.

L’offensive contre les Juifs français, étrangers ou apatrides (parmi les 15 000 citoyens perdant le bénéfice de leur naturalisation 6 000 étaient juifs) se traduit dans des décisions à caractère massif : Le 3 octobre 1940, Philippe Pétain édicte le premier statut des Juifs, publié le 18 octobre : ils sont exclus de la fonction publique de l’État, de l’armée, de l’enseignement et de la presse. Le même jour, la Préfecture de Police communique que la déclaration prescrite par ordonnance allemande sur le recensement des Juifs sera reçue par les commissaires de police.

En mai 1941, environ 119 universitaires avaient dû quitter leurs postes (76 dans la zone occupée, 43 en zone Sud), et un mois plus tard, lorsque le deuxième statut des Juifs est promulgué, 125 autres membres de l’université française se retrouvent au chômage. Des exceptions fondées sur la notion de « services exceptionnels » (article 8 de la loi du 3 octobre 1940) rendus à l’État français rendaient possibles certains reclassements.

Le 4 octobre 1940, une nouvelle loi prévoit l’internement des étrangers d’origine juive sur décision administrative des préfets.

Le 7 octobre 1940, une loi abolit le décret Crémieux de 1869 accordant la nationalité française aux Juifs d’Algérie, soit près de 400 000 personnes. Quatorze à quinze mille Juifs d’Afrique du Nord sont internés en 1941 dans différents camps dont ceux de Bedeau, Boghari, Colomb-Béchar et Djelfa en Algérie. Il faudra que le polémiste entré en politique nous dise si ces Français ont été ainsi protégés.

Le 31 octobre 1940, les opérations de recensement dans le département de la Seine s’achèvent. Elles donnent lieu à la création du Fichier des Juifs de la Préfecture de la Seine, dit Fichier Tulard. Au total, à la fin de l’année 1940, 151 000 Juifs sont recensés.

Le 29 mars 1941, le Commissariat général aux questions juives est créé avec Xavier Vallat, virulent antisémite, à sa tête. Il n’y a jamais eu de distinction entre citoyens français, d’un côté, et étrangers ou apatrides de l’autre.

Le 2 juin 1941, la loi institue un deuxième statut des Juifs avec un allongement de la liste des interdictions professionnelles, un numerus clausus de 2% pour les professions libérales et de 3% pour enseigner à l’Université. Un décret passé en juillet 1941 exclut aussi les Juifs des professions commerciales ou industrielles. Ce statut autorise les préfets à pratiquer l’internement administratif de Juifs de nationalité française. Et le 2 juin 1941, une nouvelle loi prescrit le recensement des Juifs sur tout le territoire, de la zone occupée et de la zone libre.

Nous arrêterons ici l’énumération des mesures prises par le régime de Vichy, souvent annotée et durcie de la main même du Maréchal Pétain, mais l’Etat français a poursuivi tout au long de l’année 1941 puis en 1942 son travail d’innovation législative contre les Juifs français, étrangers ou apatrides. La volonté de mettre en place un régime de harcèlement et de persécution généralisé sur une base raciste ne peut faire aucun doute.

Le caractère « radical » de la rafle du Vél’ d’Hiv’

Les premières rafles et internements contre les Juifs commencent dès 1941. Dans un premier temps, la grande majorité des personnes visées sont étrangères ou apatrides, mais cela n’a rien d’exclusif. Un basculement s’opère dès 1942. L’Allemagne élabore la Solution finale, l’extermination totale des Juifs. Le régime de Vichy n’est plus simplement soumis aux ordres nazis, il va collaborer pleinement, volontairement et avec zèle pour livrer des Juifs étrangers et français. Là encore, rappelons le c’est un choix politique conscient de Vichy qui consiste à mener une politique antisémite propre dans le but de se débarrasser du maximum de Juifs. Et c’est une politique qui, de fait, n’a absolument pas été protectrice des Juifs français, puisque dès la rafle du Vel’ d’Hiv’, 3 000 enfants français ont été arrêtés. De ces enfants arrêtés lors de cette rafle en juillet 1942, il reste les fiches d’identité, orange pour les enfants juifs étrangers et bleu pour les enfants juifs français. En les comparant, on peut voir que 80% des enfants juifs arrêtés au Vel’ d’Hiv’ étaient français.

Dans le cadre de l’opération « Vent printanier » en juin 1942 (qui visait à coordonner la rafle de dizaines de milliers de Juifs d’Europe occidentale pour les déporter), « l’État français » et les Nazis négocient sur une base d’une « livraison » de 40 000 Juifs de la zone occupée, dont 22 000 adultes de la région parisienne, avec un ratio de 40% de Juifs français et 60% de Juifs étrangers.

Près de 13 000 Juifs sont arrêtés en région parisienne les 16 et 17 juillet 1942, dont 8 000 envoyés vers le palais des sports du Vélodrome d’Hiver avant d’être déportés. C’est, de loin, la plus grande rafle menée par la police française dans la France occupée. Il n’y a aucun équivalent en Europe de l’Ouest. 12 884 femmes, hommes et enfants arrêtés à Paris en un peu plus de 24 heures et envoyés vers les camps de la mort durant l’été 1942. Plus de 8 000 Juifs arrêtés les 16 et 17 juillet 1942 ont été envoyés vers le palais des sports du Vélodrome d’Hiver (XVe arrondissement), à deux pas de la tour Eiffel, avant d’être déportés. Sur les 13 152 arrêtés, il y a 4 115 enfants, moins de cent adultes et aucun enfant ne survivent à la déportation vers Auschwitz. Seuls quelques enfants, comme Joseph Weismann (qui s’échappe du camp de Beaune-la-Rolande avec un camarade) ou Annette Muller et son frère Michel (dont le père arrive à corrompre un policier du camp de Drancy, pour les en faire sortir), ont survécu à la rafle.

L’expression « rafle du Vél d’Hiv » s’est imposée dans la mémoire collective, au point de devenir le principal repère mémoriel sur la France des années noires. C’est pourtant aussi le symbole d’une forme de déni et de volonté d’oublier, de regarder ailleurs. Après la Libération, le Vélodrome d’Hiver continuera d’accueillir des spectacles et des des rencontres sportives jusqu’à sa destruction en 1959. Pendant des années, seules les associations de déportés juifs ont continué à commémorer le souvenir de l’événènement jusqu’à ce que les consciences, les politiques et les historiens commencent à regarder en face l’horreur commise à partir de la fin des années 1960…

Il faudra attendre le 16 juillet 1992 pour franchir une étape importante pour la mémoire. François Mitterrand, Président de la République, rend hommage ce jour-là aux victimes de la rafle du Vel d’Hiv’ en déposant une gerbe au pied de la stèle commémorative, accompagné de Madame Rozette Bryski, rescapée de cette terrible journée. C’est à son initiative que la journée de commémoration annuelle fut instaurée. François Mitterrand en avait fait l’annonce en 1992 ; laquelle sera suivie d’un décret officiel en date du 3 février 1993 instituant une cérémonie annuelle nationale et départementale, à Paris, à Izieu et dans chaque département. Contrairement aux dénonciations de certains militants qui avaient tant mis hors de lui Robert Badinter ce même 16 juillet 1992, François Mitterrand n’a jamais minimisé le drame du Vel d’Hiv, au contraire : à plusieurs reprises, en tant que Président de la République, il a rappelé à la Nation la nécessité de conserver la mémoire de ce douloureux événement. À l’automne 1992, interviewé par la télévision israélienne, il qualifiait lui-même le drame du Vel d’Hiv de « drame qui ne peut pas être oublié », dont le souvenir devait « être sauvegardé et honoré ». Il ajoutait que cette rafle était « intolérable », « insupportable pour l’esprit ». Tordons le cou enfin à la fable selon laquelle, le président Mitterrand (et De Gaulle avant lui) aurait minimisé la responsabilité du régime de Vichy dans le déroulement de ces événements… C’est bien le contraire que les faits relatent : dans le décret publié en février 1993 instituant la commémoration nationale, il est justement question « des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite “gouvernement de l’Etat français” », reprenant ainsi la formule de l’ordonnance du 9 août 1944 du général de Gaulle rétablissant la légalité républicaine. Enfin, en 1995, c’est sur les lieux de l’ancien vélodrome que le président Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs.

Il aura donc fallu plus de 20 ans pour que la mémoire et l’établissement des faits de cette tragédie reviennent sur la place publique. 20 ans, c’est long… et 80 ans c’est trop court pour imaginer supporter la contestation d’un crime contre l’humanité et la négation d’une complicité active.

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7 juillet 2022 4 07 /07 /juillet /2022 10:15

J'ai rédigé pour la Gauche Républicaine et Socialiste cette réaction au discours de politique générale prononcé par la première ministre Elisabeth Borne devant les députés le mercredi 6 juillet 2022 après-midi. Je vous laisse découvrir l'article ci-dessous.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

L’exécutif n’a pas compris le message des Français

Alors que la Première Ministre Elisabeth Borne prononçait cet après-midi devant l’Assemblée nationale son (très) long discours de politique générale, on ne peut que ressortir de l’exercice non pas déçus (nous n’en attendions à dire vrai pas grand-chose de bien) mais attristés. Attristé pour la démocratie républicaine, attristés pour la situation des Françaises et des Français, attristés pour la France.

En effet, Elisabeth Borne, et avec elle le Président de la République dont elle dépend entièrement, a bel et bien donné l’impression que le message électoral des Français n’avait pas été entendu à l’Elysée et à Matignon. Ne tenant aucun compte du fait que, les 12 et 19 juin, les électeurs aient catégoriquement refusé une majorité parlementaire à Emmanuel Macron, sa première ministre a égrainé les mesures les plus marquantes du Président de la République dans la case bilan comme dans la case perspective, toutes plus antisociales et régressives les unes que les autres : de l’explosion du service public ferroviaire à la casse de l’assurance chômage pour le passif à la volonté de retarder encore l’âge de départ à la retraite, Elisabeth Borne a clairement démontré une volonté de marbre d’avancer coûte de que coûte pour réaliser un projet présidentiel que nos concitoyens n’ont jamais soutenu. La comparaison avec les précédents de 1958 et 1988 sont tout autant osés (gonflés) dans la bouche de la locataire de Matignon qu’incongrus : en 1958, les Gaullistes n’avaient certes pas la majorité à l’Assemblée Nationale mais bénéficiaient d’une forme d’union nationale au moment de porter sur les fonds baptismaux la Vème République ; en 1988, François Mitterrand et Michel Rocard pouvaient compter sur une trentaine de députés de plus que ceux dont disposent Macron et Borne… La fragilité politique du macronisme est d’un autre niveau et sa prolongation est due avant tout à la réélection d’Emmanuel Macron par défaut. L’exécutif a ainsi confirmé qu’il n’a pas l’intention de faire vivre une interprétation plus parlementaire et délibérative d’un régime institutionnel pourtant à bout de souffle.

Par ailleurs, alors que chacun partage le constat sur les difficultés sociales et de pouvoir d’achat auxquels sont confrontés les Françaises et les Français, on aurait pu attendre d’une cheffe du gouvernement à la hauteur de l’enjeu un ton plus offensif pour répondre à l’angoisse de nos concitoyens face à l’envolée des prix, qui atteint désormais 5,8 %, à la flambée des tarifs de l’énergie et notamment du carburant automobile, ou face au ralentissement perceptible de la reprise de l’activité économique. Aucune négociation générale sur les salaires dans le privé, une réaffirmation de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires de 3,5 % – très largement sous l’inflation après 11 ans de gel –, une action contenue aux chèques énergie et alimentaires dont chacun connaît les limite, aucune volonté de bloquer les prix de l’énergie ou d’agir pour leur baisse… les Français doivent s’attendre dans ses conditions à passer un hiver des plus frais et à enfiler leurs pulls, ce que font déjà au demeurant des centaines de milliers de nos concitoyens depuis quelques années. Quel contraste entre un Emmanuel Macron qui pourfend en marge des sommets européens les « profiteurs de crise » et le silence absolu de sa Première Ministre sur le sujet cet après-midi : la communication politique européenne prend dans le macronisme toujours le pas sur l’action réelle de la puissance publique. Que dire enfin de l’état de notre système santé publique, qui n’a mérité qu’un énième hommage sans portée pratique aux soignants, alors que Mme Borne nomme comme ministre de la santé, le référent hôpital du candidat Macron à la présidentielle, qui propose de fermer les Urgences la nuit pour l’été 2022… Nous ne pouvons de même que nous inquiéter de l’absence de ligne directrice affirmée en matière de politique industrielle et de réindustrialisation. Nos PME vont rapidement être confrontées à la fin des mesures de soutien mises en place pendant la crise sanitaire, sans s’en être totalement remises, pour faire face à une crise économique d’un autre type avec pénurie de ressources et énergie chère. Rien ne semble prévu de concret non plus pour impulser des relocalisations durables alors même que les délocalisations et les opérations de prédation industrielle se poursuivent sans réaction sérieuse de l’exécutif : confronté à la perspective d’un renchérissement de l’argent, le gouvernement a déjà décidé que le temps du « quoi qu’il en coûte » était terminé, les Français le paieront avec l’austérité.

Enfin, que dire de l’intervention de la Première ministre sur la politique européenne et internationale de la France !? Elisabeth Borne s’est contentée d’enfiler les lieux communs et les principes généraux sur le terrorisme ou la guerre en Ukraine, mais on serait bien à mal de comprendre quelle sera la politique conduite après son intervention d’hier après-midi. On devine même au détour de l’annonce de la renationalisation complète d’EDF – que nous accueillons avec satisfaction – que les silences sur l’environnement politique et économique du fleuron français cachent probablement de futures capitulations. La puissance publique dispose aujourd’hui de 84 % du capital de l’entreprise publique, ses difficultés reposent donc moins sur l’importance de son contrôle par l’État que sur l’absence de stratégie offensive de la France dans les dossiers internationaux et énergétiques : Que vaudra un EDF à 100 % public si le projet Hercule nous est resservi par la petite porte avec une vente de certaines filiales par appartement à la demande de la Commission Européenne ? Comment compte-t-on opérer une transition énergétique digne de ce nom si la France ne tape pas du point sur la table pour que ce soit enfin engagée une réforme du marché européen de l’énergie et qu’on en finisse avec l’absurdité d’ériger le gaz comme « énergie de transition » ce que qui a été confirmé par le vote de Parlement européen ce matin-même ?

Elisabeth Borne avait parfaitement le droit de ne pas se soumettre à un vote de confiance après sa déclaration de politique générale… cela était d’ailleurs incontournable car elle n’a ni la confiance de l’Assemblée Nationale ni celle des Français et ne tient sa légitimité que par celle que lui confère un président par défaut. La Première Ministre et le Président de la République ont fait la démonstration cet après-midi qu’ils ne comptaient en rien composer avec le Parlement : ils useront aussi longtemps qu’ils le pourront des ressources institutionnelles que leur offrent la constitution de la Vème République pour gouverner sans majorité. Ce régime est donc en train d’atteindre un sommet d’absurdité démocratique. Le macronisme en est la phase terminale. Nous appelons de nos vœux une autre politique que celle proposée par l’exécutif, cela ne sera possible que par le retour aux urnes de nos concitoyens. La France et les Français méritent d’autres solutions que celles qui sont matraquées par les 50 nuances de droite : la Gauche Républicaine et Socialiste continuera à défendre le projet qu’elle a adopté le 26 septembre 2021 à Marseille et à dialoguer avec les autres forces de gauche pour construire un véritable programme commun cohérent.

L’exécutif n’a pas compris le message des Français
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17 juin 2022 5 17 /06 /juin /2022 14:27
Dimanche se tiendra le second tour des élections législatives.
 
Dans le pays, le 1er tour du dimanche 12 juin a vu le camp d'Emmanuel Macron reculer, payant ainsi sa politique de régression sociale et des libertés publiques (qu'il conduit en réalité depuis 2014) et son aveuglément quant aux conditions de sa réélection le 24 avril dernier. On le dit trop peu mais ces élections ont surtout marqué une progression très forte des scores de l'extrême droite et le RN devrait disposer pour la première fois au scrutin majoritaire d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale : Macron et ses supporters en sont directement responsables. Une partie de la gauche s'est rassemblée autour d'un accord électoral inégal baptisé "Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale" : la mécanique électorale lui permettra ainsi d'être plus présente au Parlement et c'est une bonne nouvelle, mais contrairement aux commentaires médiatiques et militants, il n'y a pas eu de réelle dynamique.
 
Notre démocratie républicaine est toujours malade et personne ne semble vouloir sérieusement travailler à reconquérir les classes populaires qui choisissent de s'abstenir massivement et toujours plus (plus encore que de voter RN). Sans ce travail, la gauche (et quand je parle de gauche, je parle de formation qui ont réellement envie de changer la société, pas les clones de François Hollande ou de Manuel Valls, qui dirigent avec des masques opportunistes la mairie de Bezons aujourd'hui) ne retrouvera pas le pouvoir.
 
J'ai aidé et travaillé un peu partout avant le 1er tour pour les candidats de la Fédération de la Gauche Républicaine et de la Gauche Républicaine & Socialiste ; nous ne présentions pas de candidat(e) sur Argenteuil et Bezons, le 12 juin dernier. Les résultats ont placé très largement en tête le candidat de La France insoumise qui a élaboré le très imparfait accord électoral NUPES ; en deuxième position, Mme Fiona Lazaar, députée macroniste sortante, a rassemblé 20% des suffrages exprimés... tout cela dans un contexte d'abstention massive. Mme Lazaar est complice de la politique antisociale, antiécologique et autoritaire imposée par Emmanuel Macron ; Mme Lazaar n'a strictement rien fait de son mandat pendant 5 ans... Nous n'avons pas besoin à Bezons et Argenteuil d'une députée macroniste inutile supplémentaire ; nous n'avons pas besoin d'une députée qui soutiendra des politiques qui feront du mal au pays et à nos concitoyens, notamment aux habitants des quartiers populaires.
 
Dans ces conditions, non seulement il ne doit pas y avoir une voix qui doit se porter cette députée sortante, mais le devoir d'un républicain de gauche, d'un socialiste réel et sincère, est de la faire battre : pour cela, il faut utiliser le bulletin Paul Vannier.
 
Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la Gauche Républicaine et Socialiste
Argenteuil-Bezons : éjectons la députée macroniste !
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10 juin 2022 5 10 /06 /juin /2022 20:51

Cette dernière partie de la série publiée par Le Temps des Ruptures propose des pistes de réflexion afin de permettre à la gauche de reconstruire une position offensive dans le champ politique.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)
REMONTER LA PENTE

La situation est grave mais finalement pas désespérée. Les partis de gauche se sont finalement rassemblés en quelques jours après s’être écharpés pendant des années pour affronter ensemble les élections législatives des 12 et 19 juin 2022. LFI rebaptisée « Union Populaire » n’a donc pas reproduit la faute politique de 2017 et a assumé une forme nouvelle d’union autour d’elle : Génération·s, puis EELV (au nom du reste du pôle écologiste), le PCF et enfin le PS ont donc signé un accord national inédit car exclusif – j’y reviendrai plus loin – pour une campagne sous les couleurs de la « Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale » (NUPES). Je ne ferai aucun pronostic ici à quelques jours du 1er tour de scrutin(1), ce n’est pas le propos de cette analyse… Cependant, il est évident que le nouveau rapport de force à gauche va peser sur sa recomposition et sa réorganisation, que la NUPES impose une cohabitation à Emmanuel Macron ou non. Par contre, la gauche reste devant des problèmes existentiels toujours non résolus : celle de son objet et sujet social ; celle de ses outils et de son organisation structurelle.

RÉINTÉGRER LES CLASSES POPULAIRES DANS LA POLITIQUE ET DANS LA GAUCHE

La gauche s’est toujours donnée pour mission de faire progresser l’égalité… dans l’exercice du pouvoir, de la citoyenneté, dans le droit ou plus largement dans le champ économique et social. Que ce soit pour conquérir la démocratie républicaine – qui est l’héritage politique des Radicaux – contre les Monarchistes, les Bonapartistes et les Conservateurs ou que ce soit pour instaurer la République sociale et une forme de pouvoir ouvrier – qui est la grande ambition initiale de l’ensemble des partis de gauche (et d’extrême gauche) issus du mouvement ouvrier. La posture des écologistes est différente et s’écarte d’une certaine manière de cette histoire comme le rappelle avec franchise David Cormand dans son article cité dans le deuxième article de cette série.

La désertion de la gauche par les classes populaires – ouvriers et employés – est ainsi plus qu’une difficulté politique et électorale, c’est un choc qui met en cause l’identité même de ce camp politique. Or ce phénomène commence dès le milieu des années 1980 – au rythme des déceptions générées par la « gauche au gouvernement » puis par la « gauche de gouvernement », de la transformation radicale sociologique de long terme de la composition des catégories populaires et de la désindustrialisation constante du pays – pour se généraliser au début des années 2000. Le 21 avril 2002, c’est la gauche de gouvernement qui dispose d’un bilan de gauche (malgré des fautes graves en fin de mandat) mais qui se prend en pleine figure la défiance massive des catégories populaires, alors qu’elle était persuadée de l’avoir pour partie reconquise après le drame ouvrier dont les restructurations de la sidérurgie lorraine de 1983-1984 furent le symbole.

Vingt ans plus tard, la situation ne s’est absolument pas améliorée.

L’abstention française atteint en 2022 26,3 % (2,1 points de moins qu’en 2002 ; l’abstention s’effondre à 20,3 % au 2nd tour en 2002, mais bondit à 28 % en 2022 : c’est une différence notable). L’abstention (selon un sondage Ifop de sortie des urnes) atteint en moyenne 26 % pour les catégories populaires, 25 % chez les employés mais 29 % chez les ouvriers ; elle atteint 36 % chez les inactifs non retraités – jeunes, pauvres privés d’emploi, etc. ce qui se retrouve dans l’abstention des personnes touchant moins de 900€ par mois ou des personnes ne disposant d’aucun diplôme (même inférieur au bac). À cela, il faut ajouter que les catégories populaires comptent le plus grand nombre de non-inscrits ou de mal inscrits sur les listes électorales : 9,3 % des ouvriers, 6,1 % des employés – si l’on s’en tient uniquement aux ressortissant français – contre 3,8 % des professions intermédiaires et 2,4 % des cadres supérieurs(2). Le premier parti des classes populaires c’est d’abord le « non vote ».

Ensuite si l’on examine la répartition des votes du 1er tour de la présidentielle selon différents indicateurs sociaux, on ne peut que constater le décrochage des catégories populaires :

  • ▪️La gauche, les écologistes et l’extrême gauche recueillent 35 % des suffrages exprimés des catégories polaires (36 chez les employés, 33 chez les ouvriers) contre 42 % pour l’extrême droite (40 et 44) et 18 % pour Emmanuel Macron ;
  • ▪️La gauche recueille 33 % des titulaires d’un bac  et 26 % des électeurs n’ayant pas le bac, contre 34 % et 45 % pour l’extrême droite et 25 et 23 % pour Macron ;

Par tranches de revenus :

  • ▪️De 1300 à 1900 € par personne : 32 % à gauche, 34 % à l’extrême droite, 26 % pour Macron ;
  • ▪️De 900 à 1300 € : 32 % à gauche, 35 % à l’extrême droite, 26 % pour Macron ;
  • ▪️Moins de 900 € : 48 % à gauche, 32 % à l’extrême droite, 15 % pour Macron.

Certains pourront trouver ce dernier chiffre étonnant, mais la stigmatisation des pauvres par l’extrême droite fait de la gauche un vote refuge. Mais on est loin de 2002 où on avait crié au drame et au décrochage des classes populaires et où pourtant les ouvriers avaient voté à 43 % pour des candidats de gauche et seulement 23 % pour Jean-Marie Le Pen. Pour mémoire en 1974 et 1981, les ouvriers avaient voté entre 68 et 73 % pour François Mitterrand au second tour, le vote à gauche entre 1974 et 1988 étant supérieur à 60 % au 1er tour des scrutins nationaux(3).

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)

La gauche ne peut gagner les élections et durablement gouverner sans une base sociale large ; une stratégie « Terra Nova 2011 », assumée ou arrivant par une « ruse de l’histoire » comme le dit François Ruffin, ne permet pas de rassembler les suffrages suffisants  – notre nouveau modèle de tripartition électorale permet éventuellement de gagner sans majorité absolue parmi les électeurs – pour une victoire solide qui permettrait de transformer à long terme et radicalement la société, les rapports de force sociaux et surtout ses modes de répartition des richesses et de production. Pour gagner, la coalition électorale qui porte Jean-Luc Mélenchon à 21,95 % et l’ensemble de la gauche à 31,94 % n’est socio-politiquement pas gagnante, pas suffisante. Pour une gauche qui souhaite arriver au pouvoir pour gouverner et transformer la société, la reconquête des catégories populaires qui vivent et travaillent en dehors des quartiers populaires des métropoles est indispensable.

Le défi est de taille, car il s’agit de reconquérir des catégories sociales frappées de plein fouet par les conséquences de la mondialisation libérale et de la construction européenne, des personnes qui ont le sentiment d’avoir été si ce n’est trahies sinon abandonnées par les gouvernements de gauche, qui n’ont rien fait pour éviter la désindustrialisation, la destruction massive des emplois, la fermeture des services publics, la dégradation du pouvoir d’achat…

Ce n’est pas simplement que la « gauche du gouvernement » n’a pas fait assez pour répondre à leurs aspirations, mais qu’elle a conduit des politiques contraires à leurs intérêts primaires – de l’alignement sur les critères ordo-libéraux européens (et l’abandon de la politique industrielle) jusqu’aux taxes « écologiques » sur les particuliers(4) en passant par la loi El Khomri – et qu’elle a également arrêté de parler des sujets les concernant ou tout du moins d’avoir des propositions concrètes et opérantes. Sur ce désert, la conviction que la politique ne pouvait améliorer leur vie et que voter ne servait à rien, si c’était pour que les différents gouvernements mènent bon an mal an des politiques semblables, s’est profondément ancrée.

L’extrême droite a également rempli le vide créé par l’évacuation des principaux éléments de la question sociale et économique en proposant une réponse sur le terrain de la question identitaire : il s’agit de désigner aux catégories populaires des territoires ruraux et péri-urbains et des anciens bassins ouvriers les immigrés, leurs enfants et leurs petits enfants comme boucs émissaires, profiteurs et assistés, qui voleraient les emplois et profiteraient indûment des prestations sociales. C’est une rhétorique vieille comme le monde…

Une partie de la gauche s’est également engagée sur cette voie. La traduction politique par plusieurs dirigeants des travaux de Laurent Bouvet, en miroir avec la « stratégie Terra Nova », est tout autant méprisante pour les classes populaires que les considérations du think tank social-libéral « progressiste » : finalement, les uns et les autres concluent au conservatisme moral indécrottable des classes populaires, Terra Nova proposait de les abandonner à leur sort, les sociaux-libéraux « autoritaires » considèrent qu’il faut leur parler non de leurs conditions de vie (toute politique économique interventionniste étant renvoyée à une forme de bolchevisme) mais de leur « insécurité culturelle » et bannir toute forme de discours sur les progrès sociétaux. Au même moment avait fleuri chez une partie des élus locaux socialistes battus aux élections locales de mars 2014 et 2015 l’idée saugrenue selon laquelle ils auraient perdu le « vote musulman » à cause de l’adoption du « mariage pour tous ». La seule étude sérieuse sur le sujet démontre le contraire : la gauche a perdu les municipales de 2014 (et les départementales ensuite) entre autre parce que les électeurs issus de l’immigration, et de « culture musulmane » (au sens très extensif du terme), dans les banlieues populaires ont fait la grève du vote, considérant que François Hollande n’avait pas répondu à leurs attentes légitimes en matière de vie quotidienne (emplois, rémunérations, transports, logements, sécurité, éducation)(5).

Une partie des catégories populaires est également en déclin numérique, ce qui peut induire des comportements sociaux défensifs : Emmanuel Todd s’est récemment essayé à élaborer une nouvelle typologie sociologique de la France et il décrit que depuis le milieu des années 2000 les ouvriers – quelle que soit la forme que prend aujourd’hui cette catégorie – sont en déclin numérique et relatif marqué au sein de la société française(6). Après une forte baisse consécutive à la vague de désindustrialisation des années 1980, les ouvriers s’étaient stabilisés autour de 25 % durant une douzaine d’années, la chute a repris au même rythme que dans les années 1980 – c’est dire la violence réelle de la phase de désindustrialisation que nous venons de subir et subissons encore – pour atteindre 19 % de la population active en 2020. Parallèlement de 1982 à 2008, les employés sont passés de 25 à près de 30 % de la population active ; ils sont redescendus à 26 % en 2020. Les professions intermédiaires sont passées de 19 % en 1982 à 26 % en 2020 et surtout les cadres supérieurs (les fameuses CSP+) seraient passés sur la même période de 7,5 à plus de 20 %. Il y a une moyennisation ou un déclassement au sein des intermédiaires et des cadres, qui doit produire un sentiment de dissonance cognitive généralisé. Ainsi, les « petits bourgeois » que l’observatoire des inégalités qualifie de riches n’ont plus même de quoi acheter leur toit(7) ; mais comme ils continuent de bénéficier des vains bienfaits d’un consumérisme, ils ne se posent pas trop les questions économiques et sociales qui devraient les tarauder, pour se concentrer sur des enjeux de « libéralisme » culturel ou d’angoisse climatique pour laquelle ils n’ont pas de réponse.

Nos catégories sociales sont donc à redéfinir et l’un des moyens d’asseoir tout à la fois une remobilisation et une reconquête des catégories populaires, mais aussi d’autres catégories sociales qui ne savent plus trop bien comment se situer et se définir, c’est de reprendre les enquêtes sociales, comme les socialistes de la fin du XIXème siècle les avaient multipliées notamment avec Benoît Malon et La Revue Socialiste ; elles avaient largement contribué en France à faire de la classe ouvrière un objet social identifié, donc un objet politique pour les « républicains socialistes et progressistes », et en partie d’armer cette classe ouvrière en participant à sa prise de conscience d’elle-même. Le fait que la classe ouvrière des années 1880 à 1910 fut particulièrement diversifiée et peu unifiée (à la différence de la Grande Bretagne, de la Belgique ou de l’Allemagne) devrait nous inspirer au regard du fait que l’évolution de la classe ouvrière française tend vers une atomisation massive des travailleurs.

Jérôme Fourquet avait démontré en 2015 dans son analyse sociologique du « vote musulman » (c’est à ma connaissance la seule qui existe à ce jour, sachant que l’entrée confessionnelle est une grille d’analyse particulièrement classique en sociologie politique) que ce que différents acteurs politiques dénomment désormais les « classes populaires racisées » n’avaient pas de motivations politiques réellement distinctes des catégories populaires plus anciennement installées en France (qu’elles soient issues d’une immigration plus ancienne ou pas). Les déterminants politiques des classes populaires où qu’elles résident et quelles que soient leurs origines sont similaires : il s’agit de leurs conditions matérielles d’existence – emploi, rémunération, logement, transports, accès à l’éducation et aux services publics, sécurité – auxquelles il faut ajouter leurs conditions morales.

À des degrés divers, les uns subissent un mépris social, d’autant plus profond et mordant que la « classe ouvrière » organisée, visible et donc puissante semble avoir disparu du paysage social et politique et qu’on pense pouvoir la moquer sans grand risque (que n’ai-je entendu dans les débats départementaux du PS dans les années 1990 et 2000 sur le fait qu’il n’y avait « plus d’ouvriers en France ») ; les autres ajoutent à ce mépris social le fait d’être frappés par des discriminations à raison de leur couleur de peau, de leur origine (réelle, supposée ou fantasmée), de leur lieu de résidence, etc. d’autant plus insupportables qu’elles sont clairement interdites par la loi et pourtant massives et lentes à reculer … d’autant plus lentes à reculer qu’une partie des agents de l’État chargés de faire respecter la loi les perpétuent – le plus souvent à leur insu, mais aussi de façon assumée. Dans les années 2020, la conjugaison « classes laborieuses, classes dangereuses »(8), qui sert à décrire la perception par la bourgeoisie du XIXème siècle face à la « question sociale », reste totalement d’actualité : les uns sont suspects d’être racistes et conservateurs, les autres d’être communautaristes, rétifs à l’intégration, l’ensemble d’être frustres et profiteurs…

Évidemment, dans un contexte de désindustrialisation, de recul relatif de l’État social et des services publics de proximité, l’instrumentalisation de la question identitaire par l’extrême droite et les organisations communautaristes ont compliqué le paysage social et politique, au point que l’on peut parler dans certains cas de « tenaille identitaire » qui met en cause l’idée d’égalité républicaine elle-même. Ces différentes « entreprises » ont pour objectif de dresser les classes populaires les unes contre les autres, on a déjà vu cela ailleurs, ce n’est ni plus ni moins un projet de « guerre civile ». Les politiques néolibérales, conduites de manière plus ou moins assumées maintenant depuis plusieurs décennies, n’ont pas seulement abouti à désarticuler les classes populaires et leurs conditions de travail et de socialisation, elles ont convaincu les générations les plus récentes, placées dans un contexte d’atomisation croissante du travail, que seule l’initiative individuelle pouvait leur permettre de s’en sortir ; je me répète sans doute mais le mythe de l’auto-entrepreneur dans la start-up nation fonctionne encore en banlieue.

La gauche doit faire un travail de Titan (et de Sisyphe, qu’on imaginera « heureux » avec Albert Camus) pour reconquérir une hégémonie idéologique dans les différentes parties des classes populaires, réunifier leurs aspirations ou à tout le moins faire reculer les gains socio-culturels des identitaires de tous bords qui fracturent la société. Les orientations politiques et les propositions qui seront défendues (de la réindustrialisation à la lutte contre les discriminations, en passant par les conditions de travail et tout ce qui peut promouvoir une République concrète et effective au plus près des Français) seront centrales mais il faut aussi réinvestir la bataille culturelle.

J’ai un bémol majeur avec l’entretien de François Ruffin dans Libération le 13 avril dernier : LFI n’a pas réalisé dans les quartiers populaires un travail d’éducation populaire en profondeur. C’est pourtant cela qu’il faut conduire, en banlieue comme dans les autres territoires des catégories populaires. Cela nécessite un retour dans les associations d’éducation populaire qui, pour l’essentiel, ont abandonné leurs missions d’origine pour se concentrer sur le loisir ou « l’occupationnel ». Peut-être faudra-t-il en créer de nouvelles ? Les actions menées par les jeunes de la gauche républicaine sont intéressantes, mais elles doivent désormais se tourner vers l’avenir plutôt que la mémoire (sans abandonner celle-ci) et s’adresser à un public plus large donc différent. Il faut également relancer des dynamiques d’universités populaires, tout en s’interrogeant sur les outils à mettre en œuvre pour toucher autre chose que les petits bourgeois éduqués qui ont précédemment répondu présent, et eux seuls, à ce type d’initiatives.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)

REFONDER LES ORGANISATIONS POLITIQUES

En 2017, la cause était entendue : les partis étaient morts. Pierre Rosanvallon tranchait de manière définitive en affirmant dans Le Monde le 2 mars 2017 : « Le parti ne produit plus ni culture politique, ni programme, ni projets de loi. Il est devenu un rameau mort. »(9) La démocratie d’opinion publique allait remplacer la démocratie partidaire, avec une personnalisation et une soumission aux média accrues, un emballement des sondages et une consumérisation accrue des comportements électoraux. L’état des « vieux » partis et les entreprises politiques ultra-personnalisées autour d’Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon lui donnaient plutôt raison… Le problème, c’est que ce type de configurations favorise concrètement la droite, qui a toujours bénéficié de ressources structurelles qui rendaient la forme de parti secondaire : les médias, la haute fonction publique, sa proximité avec le monde économique dont elle sert les intérêts, les institutions d’État… Acter la mort des partis c’était acter d’une certaine manière la mort de la gauche ou d’une perspective de reconquête et d’exercice du pouvoir par une force politique incarnant la gauche. Or la sentence énoncée par Rosanvallon venait sanctionner une lente mais irrésistible évolution des partis politiques : accentuant leur professionnalisation et leur tendance oligarchique(10), les partis de gauche ont abandonné les principales fonctions d’un parti politique, celles qui visaient à éduquer, conscientiser, encadrer, intégrer socialement la « classe ouvrière » (à l’exception des écologistes et du grand Parti radical de la IIIème République, tous les partis de gauche français se sont rattachés à la « fiction nécessaire » de se penser le relais politique du « mouvement ouvrier »). Les partis ouvriers avaient pour mission de donner aux ouvriers « la science de leur malheur »(11). Le PS et le PCF ont connu leurs âges d’or comme organisations partidaires avant d’accéder au pouvoir, ils étaient alors de véritables milieux de vie, remplissant ces diverses fonctions électorales, idéologiques, sociales et identitaires.

À partir des années 1980 et surtout 1990, ils rejoindront d’un point de vue structurel leurs adversaires de droite pour ne plus assumer que la fonction de « machine électorale »(12) qui ne font que distribuer des investitures, mobiliser des fonds et de la main-d’œuvre pour emporter des mandats, qui offriront indemnités et capacité à distribuer des postes rémunérés ; on est en plein dans la définition que Max Weber donne du parti politique en 1919 : « procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles – de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble »(13).

Par nécessité, les partis sont désormais marqués par un électoralisme local pragmatique (d’autant plus fort que les marges de manœuvres dont disposent les collectivités se réduisent), ils désinvestissent leur fonction idéologique et n’ont pas même chercher à renouveler leur pensée théorique, une fois passé l’effondrement soviétique (avec des conséquences aussi fortes sur les social-démocraties d’Europe occidentale que sur les partis communistes qui ont été longtemps discrédités par leur compagnonnage avec l’URSS). L’activité programmatique se technicise, s’externalise dans des think tanks, elle accélère le processus de désintellectualisation des organisations et d’éviction des non diplômés à qui on ne se donne même plus la peine d’offrir un capital de savoirs militants et idéologiques(14). Un des faits marquant qui a émergé lors du quinquennat d’Emmanuel Macron, c’est la déconnexion complète entre la représentation politique locale et la représentation politique nationale : LFI et LREM emportent les suffrages de la présidentielle, mais sont incapables de s’implanter sur le terrain où régions, départements et communes sont dirigés par des élus locaux, membres ou sympathisants de LR, du PS, du PCF et plus récemment d’EELV.

La forme « gazeuse » du mouvement politique n’a pas apporté plus de satisfaction et ne s’est pas donné les moyens de prendre le relais des partis politiques d’antan. De toute façon, elle n’est pas faite pour cela : toute l’énergie de LFI est tournée vers un seul objectif, porter son leader au pouvoir suprême, une contradiction difficilement réductible pour un parti qui affirme son hostilité à la présidentialisation (il est vrai que l’évolution institutionnelle de la Vème République depuis 2002 laisse peu d’alternative). Mais on l’a vu, LFI n’a pas su, pas pu – et surtout en réalité pas voulu – s’implanter dans les institutions locales, et c’est aussi une des difficultés majeures pour mener une action de terrain permettant de construire avec une conscience politique des citoyens sur le terrain.

LFI, comme LREM, sont de pures « machines électorales » au niveau national. L’équipe dirigeante des Insoumis, autour de Jean-Luc Mélenchon, a certes perdu l’élection présidentielle, mais ils ont mené objectivement d’une main de maître la séquence de négociations pour les élections législatives. Alors qu’il n’était pas inscrit sur les tables de la loi que la coalition électorale était la seule possibilité pour répondre aux intérêts des différents partis de gauche (certains sondages du 2 mai 2022 promettaient plus de députés au PS s’il se présentait seul qu’en coalition, ce n’était pas le cas pour le PCF et EELV), LFI en a imposé la grille de lecture et elle a imposé un type d’accord électoral qui n’était jamais intervenu à gauche : l’accord exclusif. Les partis rassemblés dans la NUPES présenteront donc 577 candidats en tout et pour tout (sans parler des dissidences qui ne manqueront pas d’intervenir) : 100 pour le pôle écologiste, 70 pour le PS, 50 pour le PCF et le reste pour LFI. Le parti populiste a « surpayé » relativement ses partenaires (surtout le PS qui se voit proposer 12,1 % des candidatures, alors qu’il ne représente que 5,7 % des voix des candidats à la présidentielle dont les partis se sont ensuite rassemblés dans la NUPES) pour les lier dans l’accord – je ne me prononcerai pas sur la qualité des circonscriptions « accordées » aux uns et aux autres, je n’ai pas eu le temps de les examiner. Alors que les chances d’imposer une cohabitation à Emmanuel Macron restent particulièrement faibles (une dynamique peut cependant se créer dans la campagne, n’insultons pas l’avenir), cette façon de faire ne vise que trois objectifs : invisibiliser la gauche non mélenchoniste dans les deux tiers du pays, drainer l’essentiel du financement public de la vie politique à gauche vers LFI et réduire les ressources des autres partis, PS et PCF au premier titre. Habituellement, un accord électoral à gauche pour les législatives se déclinait de la manière suivante : rassemblement partout où cela est nécessaire pour conquérir la circonscription ou là où les sortants de gauche peuvent être en difficulté, rassemblement pour faire barrage à l’extrême droite, concurrence là où la circonscription est « tellement à gauche » qu’un député de gauche sera de toute façon élu (c’est de plus en plus rare), concurrence là où la circonscription est ingagnable mais sans risque d’extrême droite… Cette formule permettait une éventuelle victoire électorale, comme en 1997 ou encore en 2012 (sur un format partiel PS-EELV-PRG-MRC) et elle permettait également aux différents partis de présenter suffisamment de candidat(e)s pour assurer d’être visible dans tout le pays et de recueillir suffisamment de suffrages pour un financement public de chacun des partis. LFI avec l’accord définitivement conclu le 4 mai 2022 cherche donc à installer son hégémonie structurelle dans la durée.

Dans la stratégie populiste adoptée par Jean-Luc Mélenchon et ses camarades, la grille gramscienne remplace la grille marxiste comme l’a sous-tendu Chantal Mouffe : la « bataille culturelle » se joue sur les sujets marqueurs d’identité politique, l’objectif étant de conquérir l’hégémonie culturelle en attisant ce qui forge la culture de gauche au détriment du développement d’une idéologie structurée. Ainsi LFI a massivement investi les réseaux sociaux, en privilégiant les thèmes marqueurs d’identité politique au détriment des questions européennes ou industrielles, par exemple. Or, ces thèmes sont les miroirs de ceux avancés par le populisme de droite : « créolisation » contre « grand remplacement », « anti-nucléaire » contre « anti-éolien », « bien-être animal » contre « pro-chasse », « théorie du genre » contre « traditionalisme », « environnement » contre « productivisme »… LFI applique une stratégie de « politique à la demande » : elle a agrégé une série de mesures catégorielles en rassemblant tous les mécontentements. C’est d’ailleurs ce qui rend la critique programmatique du programme de l’AEC difficile. Il y a tellement tout dedans que chacun peut y trouver son compte. Or l’absence de doctrine et de cohérence permet d’obtenir des suffrages mais in fine ne convainc personne ce qui est nécessaire pour conquérir et exercer le pouvoir.

C’est une version actualisée de la stratégie des « masses inorganiques » dénoncée par Léon Blum lors du congrès de Tours en 1920 : « Vous pensez, profitant d’une circonstance favorable, entraîner derrière vos avant-gardes les masses populaires non communistes, non averties de l’objet exact du mouvement, mais entretenues par votre propagande dans un état de tension passionnelle suffisamment intense. C’est bien là votre conception. Avec cela, qu’est-ce que le blanquisme a fait, pas grand-chose… En ces dernières années, il n’est même pas arrivé à prendre une caserne de pompiers sur le boulevard de la Villette… mais c’est à l’idée même, sans m’attarder à chercher si elle est réalisable ou non en fait, c’est à la conception théorique que je veux m’en prendre. Cette tactique des masses inconscientes, entraînées à leur insu par des avant-gardes, cette tactique de la conquête des pouvoirs publics par un coup de surprise en même temps que par un coup de force, mes amis et moi, nous ne l’admettons pas, nous ne pouvons pas l’admettre. Nous croyons qu’elle conduirait le prolétariat aux plus tragiques désillusions. Nous croyons que, dans l’état actuel de la société capitaliste, ce serait folie que de compter sur les masses inorganiques. Nous savons, en France, ce que sont les masses inorganiques. Nous savons derrière qui elles vont un jour et derrière qui elles vont le lendemain. Nous savons que les masses inorganiques étaient un jour derrière Boulanger et marchaient un autre jour derrière Clemenceau… »

Or la politique ce n’est pas répondre à une demande, c’est inventer une offre. C’est là où la stratégie de Gramsci (qu’on utilise à tort et à travers) est intéressante. Il y a bien une bataille culturelle à mener car, en réalité, les fondamentaux de gauche – je parle de ses principes mêmes, pas de marqueurs conjoncturels – sont en régression dans la société. La bataille culturelle n’est pas dissociable de la bataille idéologique qui nécessite de s’appuyer sur une conception claire du bien commun et de l’intérêt général. Récusons l’illusion commode du consensus dans laquelle la gauche gestionnaire s’est fourvoyée. Nous devons réaffirmer l’existence de clivages structurants au sein de la société. Mais une vision politique ne peut se passer d’un projet de société susceptible d’intégrer les adversaires du jour dans un nouvel espace collectif à construire parce qu’il sera devenu le cadre de référence de tous, suite à un combat idéologique de longue haleine. Ainsi défendre cette vision impose de ne pas rejoindre l’organisation gazeuse et populiste : le « gazeux » est une boutade bien pratique pour expliquer qu’on s’embarrassera pas de procédures d’arbitrage démocratique ; à son niveau Iñigo Errejon, cofondateur de Podemos, a dû se rendre à l’évidence qu’il n’y avait pas de possibilité apaisée et démocratique d’arbitrer un conflit de ligne (stratégique ou idéologique) au sein du parti populiste : un tel parti repose sur le leader et son cercle immédiat, si vous y êtes marginalisés, il ne reste que deux solutions, le silence ou la porte.

Il faut donc réinventer le parti traditionnel… Les lecteurs du dernier essai de Rémi Lefebvre(15)sont souvent restés sur leur faim : c’est ingrat. On ne peut pas inventer une forme d’organisation totalement nouvelle si l’on veut rester dans le cadre d’une démocratie représentative. Il faut faire le deuil de l’image du parti de masse que notre imaginaire impose à gauche : nous n’avons jamais connu en France les conditions sociologiques de la Grande Bretagne, de la Belgique ou de l’Allemagne, et aujourd’hui nous devons reconstruire dans une société « archipellisée ». Par contre, nous pouvons réapprendre à penser la forme social-démocrate d’organisation du parti politique (qui n’était pas si éloignée de celle des partis communistes), mais en réseau et non en liens organiques. L’urgence pour nos partis politiques est de réinvestir les fonctions abandonnées des partis pour reconquérir des couches entières de la population, d’abord à l’inclusion politique puis à un commun idéologique du primat de l’intérêt général et de l’égalité républicaine.

Réinventer une forme social-démocrate de parti en réseau, cela veut dire qu’il faut créer (ou recréer) des connexions, des coopérations renforcées, dans un écosystème d’associations (consommateurs, locataires, d’éducation populaire), de structures coopératives ou mutualistes ; cela veut dire aussi qu’il faut, si ce n’est rompre avec, tout du moins dépasser le mythe de la Charte d’Amiens : la déconnexion totale des partis politiques d’avec les syndicats de salariés est préjudiciable aux uns comme aux autres et elle est fondée sur un malentendu historique conjoncturel qui s’est maintenu en dépit du bon sens(16).

Le Parti politique dans cette configuration servira d’espace de coordination entre militants politiques, associatifs et syndicaux, les expériences des uns et des autres devant nourrir la réflexion idéologique et programmatique, les moyens dégagés permettant de créer des écoles de formation militante et des universités populaires, irriguant la société. Je ne vois pas d’autres moyens de reprendre pied dans la société et d’y reconquérir durablement une hégémonie idéologique.

Cela suppose également une recomposition politique qui n’a pas encore commencé mais dont la conflagration créée par cette élection présidentielle pourrait offrir l’opportunité. Le PS est probablement en train d’exploser sous nos yeux, les divisions héritées du début du XXème siècle sont par ailleurs inadaptées à notre temps dont les enjeux géopolitiques n’ont plus grand-chose à voir avec le monde d’avant la chute du mur de Berlin… L’écologie politique a une vision bien à elle de ce qu’est la politique, mais l’impératif écologique et climatique est aujourd’hui compris et intégré dans toute la gauche…

Tout cela paraîtra peut-être utopique mais la gauche est à reconstruire, que la NUPES impose une cohabitation ou non en juin prochain…  Après avoir accumulé des années d’impasses politiques, tactiques et stratégiques, nous n’avons pas grand-chose à perdre en nous jetant à l’eau !

Références

(1)L’article a été rédigé entre le 1er et le 7 mai 2022

(2)Loin des urnesL’exclusion politique des classes populaires, Camille Peugny, 23 mars 2017, Metropolitiques.eu

(3)Gougou Florent – Comprendre les mutations du vote des ouvriers – Thèse IEP de Paris – 2012 (p. 178)

(4) N’oublions pas que la révolte des « Gilets Jaunes » sous le quinquennat d’Emmanuel Macron débute par une mobilisation contre une mesure prévue dans la loi pour la transition énergétique et la croissance verte portée par Ségolène Royal en 2015 et ardemment défendue par les groupes parlementaires écologistes de l’époque.

(5)Karim vote à gauche et son voisin vote FN, Jérôme Fourquet, éditions de L’Aube, Fondation Jean-Jaurès, novembre 2015.

(6) Les Luttes de classes en France au XXIème siècle, Emmanuel Todd, Seuil, janvier 2020

(7)https://www.inegalites.fr/Rapport-sur-les-riches-en-France-pour-que-la-connaissance-progresse [mise à jour de l’article au 2 juin 2022]

(8)Classe laborieuses, classes dangereuses, Louis Chevalier, 1958, disponible dans la collection Pluriel (Fayard)

(9)Pierre Rosanvallon : les propos de Fillon « marquent un tournant populiste dans la campagne », entretien accordé au Monde, le 2 mars 2017

(10) Le phénomène est décrit dans le détail pour le PS dans La société des socialistes, Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre, octobre 2006, éditions du Croquant

(11) Extrait d’un article de Fernand Pelloutier, dirigeant anarcho-syndicaliste, Le Musée du travail in L’ouvrier des deux mondes, 1er avril 1898 : « Ce qui lui manque [à l’ouvrier], c’est la science de son malheur ; c’est de connaître les causes de sa servitude ; c’est de pouvoir discerner contre quoi doivent être dirigés ses coups ». Ce texte a été réédité par J.-P. Lecercle (2002). in L’Art et la Révolte aux éditions Place d’armes.

(12)Je vous laisse approfondir la notion de « Machine » politique ou électorale en lisant Les machines politiques aux États-Unis. Clientélisme et immigration entre 1870 et 1950, François Bonnet, dans Politix, n°92, 2010 https://www.cairn.info/revue-politix-2010-4-page-7.htm

(13)Le Savant et le Politique, Max Weber (1919)
en libre accès ici : http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant.html

(14)C’est une des formes de la crétinisation des élites dénoncée par Emmanuel Todd dans La lutte des classes en France au XXIème siècle➔ https://bit.ly/37oZWXr

(15)Faut-il désespérer de la gauche, Rémi Lefebvre, mars 2022, édition Textuel, coll. « Petite encyclopédie critique »

(16) La charte d’Amiens est adoptée au congrès de la CGT de 1906 qui voit sa prise de contrôle par les anarcho-syndicalistes, qui rejettent par principe les partis politiques et la SFIO naissante. Mais les socialistes reprendront le contrôle de la confédération dès 1909. Le rôle de « courroie de transmission » réservé aux syndicats par le bolchevisme va jouer le rôle de croque-mitaine, pourtant la CGT n’a pas eu en soi à pâtir d’un point de vue organisationnel de ses liens organiques avec le PCF de 1946 à 1992. La Charte d’Amiens sera revendiquée à partir de 1946 par tous les autres syndicats, au premier chef FO scission non communiste de la CGT créée en 1946, CFTC puis CFDT, pour se distinguer de la CGT et revendiquer un vernis démocratique tout relatif (le droit de tendance n’existe pas à la CFDT), puis pour justifier une prise de distance croissante avec le PS et l’idée socialiste.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)
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8 juin 2022 3 08 /06 /juin /2022 18:51

Dans cette deuxième partie de l'article publié par Le Temps des Ruptures, est analysée le rôle des structures et logiques partisanes dans la défaite.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (PARTIE 2/3)
LE RÔLE DES STRUCTURES ET LOGIQUES PARTISANES DANS LA DÉFAITE 

La multiplication des candidatures à gauche (écologistes compris) pour l’élection présidentielle de 2022 n’est pas inédite : on compte 6 candidat(e)s dans cette catégorie– Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Anne Hidalgo et Yannick Jadot. La division importante à gauche en 2022 s’est illustrée par la volonté de deux autres personnalités de prétendre à cette compétition mais qui ont finalement renoncé – Arnaud Montebourg et Christiane Taubira. Rien d’anormal, la faiblesse du nombre des candidatures présidentielles est une rareté de la vie politique française : il y avait 5 candidat(e)s du centre gauche à l’extrême gauche en 1974 ; 6 en 1981 ; 6 en 1988 ; 4 en 1995 ; 8 en 2002 ; 7 en 2007 ; 5 en 2012 ; 4 en 2017. 2022 est donc plutôt dans la moyenne. Leur multiplicité n’explique ni la victoire ni la défaite.

Les ambitions personnelles existent et il ne faut pas les sous-estimer dans le processus psychologique qui conduit à présenter sa candidature. L’élection présidentielle exacerbe ces ambitions. C’est d’autant plus vrai pour notre système politique totalement déréglé par la sacralisation progressive de ce scrutin dans nos institutions, sacralisation d’autant mortifère depuis l’invention du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral en 2001-2002.  L’électorat ne vote plus pour choisir mais pour éliminer, lui qui considère de plus en plus qu’une fois ce scrutin passé le reste n’a plus vraiment d’importance et renforce ainsi une dévalorisation du parlement déjà induite par la constitution de la Vème République (démobilisation et abstention différentielle de l’électorat dont le candidat a perdu de 2007 à 2012, et finalement 47 % de participation seulement aux élections législatives de 2017). Il rend fous les partis politiques qui deviennent pour la plupart des « machines » électorales sans idéologie, sans pensées, au service d’une ambition personnelle et « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ». Je suis convaincu qu’il faut être « un peu fou » pour se lancer dans une telle candidature et la campagne qui l’accompagne et prétendre assumer les pouvoirs exorbitants dont disposent le président de la République française. Je partage à ce titre ce qu’avait évoqué Cécile Duflot voici plusieurs années pour expliquer sa réticence même à se présenter à la primaire interne des écologistes « J’ai toujours dit ma réticence personnelle à me présenter […] Personne ne le croit, puisque tous les politiques, paraît-il, ne rêvent que de ça. […] On peut être un peu lucide sur soi-même. Aujourd’hui, je pense que je n’ai pas les épaules assez larges pour porter seule une telle charge. […] Honnêtement, quand je me regarde dans la glace le matin, puisque c’est là, paraît-il, que ça se passe, je me dis que j’en ai peur. La présidentielle, c’est une tuerie(1). » Quelques années plus tard, elle affirmait encore : « Cette obsession totale pour la présidentielle est en train de ronger la démocratie(2). » Je partage assez largement le point de vue de l’ancienne ministre écologiste du logement et de l’aménagement du territoire.

Certes, il y a des motivations idéologiques et programmatiques. Les candidats en lice en 2022 à gauche ont tous présenté des options politiques relativement différentes. Des points de convergences existent évidemment mais, au-delà de l’incongruité politique spécifique à la France de disposer à chaque élection présidentielle de deux ou trois candidats trotskistes, on ne peut nier que l’axe réindustrialisation/nucléaire/République de Fabien Roussel n’est pas réductible dans les programmes Europe/antinucléaire/renouvelables de Yannick Jadot ou Créolisation/antinucléaire/populisme de Jean-Luc Mélenchon… La réduction des divergences ou la capacité à élaborer un compromis n’étaient pas impossibles – cela a déjà été fait précédemment quand les divergences idéologiques et géopolitiques étaient bien plus fortes – mais cela nécessitait du temps et du travail, ce qui n’a jamais été réellement voulu. Et même quand Yannick Jadot a souhaité mettre en scène un débat entre les représentants de l’ensemble de la gauche au printemps 2021, il n’est pas sûr que la réussite de l’opération fût souhaitée par son obédience politique.

En janvier 2022 (il est vrai, en pleine campagne électorale), David Cormand publiait un long papier à portée idéologique pour dénoncer « la fable de l’unité » et rappelait que les écologistes ne pouvaient être confondus avec le reste de la gauche française : pour résumer (et caricaturer), la nature et la « justice climatique » passent avant le matérialisme et la « justice sociale »(3). Ainsi il faut comprendre que, sur le temps long, l’écologie politique prétend en soi défendre un projet radicalement différent de celui de la gauche classique représentée en 2022 par Fabien Roussel, Anne Hidalgo … et même Jean-Luc Mélenchon. Cette différence justifiant pour soi une candidature distincte qui ne se réduit pas à des intérêts partisans.

On voit donc bien qu’on ne peut résumer la présence de six candidatures distinctes à des questions d’égo ou à des logiques partisanes. Nier que ces dernières existent serait cependant une tartufferie. Passons donc en revue l’existant.

POPULISME ET CÉSARISME

LFI n’existe que pour la présidentielle. Ce mouvement créé en 2016 pour la deuxième campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon avait un premier objectif : se donner les moyens de s’émanciper totalement du partenariat avec le PCF (ce qui se traduira immédiatement par la décision de tailler des croupières aux communistes dès les législatives de 2017) en appliquant à l’élection phare les principes du populisme de gauche tels que théorisés par la philosophe belge Chantal Mouffe. L’adhésion au leader permettrait ainsi de mobiliser les affects par-delà l’argumentation politique rationnelle pour créer le sentiment d’adhésion militant sur lequel repose la conquête du pouvoir : « une volonté collective ne peut pas se former sans une certaine forme de cristallisation d’affects communs et les liens affectifs qui unissent un peuple à un chef charismatique peuvent jouer un rôle important dans ce processus »(4).

En l’absence de l’implication directe et personnelle du chef, LFI est incapable de remobiliser ses sympathisants (qui se sont largement évaporés après la présidentielle), d’organiser des stratégies cohérentes et d’intéresser l’électorat lors des élections intermédiaires (Européennes, Municipales, Régionales et Départementales) : le « mouvement gazeux » n’est pas fait pour cela, car la base n’est pas réellement structurée et il s’agit essentiellement de mettre en scène une forme d’unanimisme autour des mots d’ordre du leader et du groupe dirigeant.

Créée pour la campagne du leader, l’organisation populiste ne peut vivre sans lui : la dégradation de l’image du leader lui est donc directement préjudiciable, or elle a été directement affectée par sa violence verbale en direction de ses alliés PCF, par sa violente réaction aux perquisitions de l’automne 2018 puis par son glissement philosophique illustré par sa participation au rassemblement de novembre 2019 « contre l’islamophobie » à l’appel du CCIF. Le lancement très précoce de sa candidature dès novembre 2020 vise à installer la campagne des Insoumis dans la durée en rétablissant progressivement l’image du leader et en installant l’idée que la détermination du candidat est totale et que quoi qu’il se passe on ne peut imaginer une élection présidentielle en 2022 en l’absence de Jean-Luc Mélenchon.

Cette campagne a donc commencé par un plébiscite sous la forme d’un parrainage citoyen et se poursuit par la mise en scène constante du candidat dans des meetings très travaillés, conçus comme de grands spectacles (avec talent et réussite au demeurant). La personne de Mélenchon est omniprésente sur les réseaux sociaux, amplifiée par l’action coordonnée d’une armée de militants. Cette personnalisation s’explique, il est vrai, par la nature de nos institutions, mais elle est poussée à l’extrême par LFI, LaREM et le RN.

Avec la présidentielle, LFI a remobilisé une partie de ses sympathisants qui avaient disparu pendant 5 ans et n’étaient pas intervenus dans des combats politiques qui les désintéressaient. Elle a mis en scène un parlement de l’Union Populaire, qui rassemblait en réalité nombre de soutiens déclarés et déjà acquis depuis longtemps à la cause du leader, pour masquer l’absence de ralliement politique partisan. Mais l’Union Populaire n’a pas plus fait élire Mélenchon que LFI, il a donc fallu revoir en catastrophe la stratégie du mouvement en articulant à la fois le populisme – l’appel à élire Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre (communication politique au demeurant bien ficelée puisqu’elle maintient la mobilisation et l’attente d’une partie de l’électorat) en espérant éviter cette fois-ci une trop grande abstention aux législatives – et le rassemblement de la gauche, avec des négociations marathon pour les élections législatives avec tous les partis qu’elle rejetait jusqu’ici.

On peut s’interroger malgré tout sur l’avenir promis à LFI, quel que soit le résultat des élections législatives à venir : si le leader prend effectivement sa retraite, l’organisation devra pour survivre politiquement (financièrement, cela devrait aller) soit se trouver un nouveau leader charismatique, soit se normaliser et abandonner la stratégie populiste (au risque de perdre une partie de son attractivité)… dans tous les cas, des affrontements internes au sein même du groupe dirigeant risquent d’intervenir, d’autant plus violents que le contrôle de la manne financière publique sera au cœur des enjeux.

MIRROIR AUX ALOUETTES ÉCOLOGISTES

EELV a reproduit dans cette campagne électorale la même erreur d’analyse que lors de la précédente élection présidentielle Leur score flatteur lors de l’élection européenne de 2019 (13,48 %, +4,5 points, 7 eurodéputé(e)s supplémentaires) a donné l’impression aux Écologistes qu’il ne fallait pas à nouveau passer à côté de l’élection présidentielle(5)… Les bons résultats européens des Écologistes n’ont pourtant jamais débouché sur une traduction électorale domestique de même niveau, mais l’illusion a été entretenue par la conquête d’une vingtaine de nouvelles municipalités, dont plusieurs villes majeures (Lyon et sa métropole, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers, Tours, Annecy, Besançon, Colombes et Besançon) qui rejoignent alors Grenoble… le taux de participations aux élections municipales est faible et aurait dû inciter les dirigeants d’EELV à plus de circonspection… Qu’importe ! les défaites des régionales (toujours sur fond de faible participation) ont été interprétées aussi comme une progression écologiste : Julien Bayou arrivé en tête à gauche d’un cheveu en Île-de-France conduit la liste d’union au second tour pour échouer ; Éliane Romani refuse l’union avec la liste de l’Appel Inédit dans le Grand Est tout en étant la seule à pouvoir se maintenir ; EELV conduit également la liste d’union en Auvergne-Rhône-Alpes avec Fabienne Grébert ; idem avec Mathieu Orphelin (ex-macroniste) en Pays-de-la-Loire… Peu importe là encore que ces listes essuient des défaites parfois cinglantes et très prévisibles au second tour, le fait de devenir dans ces régions les leaders d’un soir à gauche suffisent à leur bonheur.

Il est temps, il est l’heure… Le moment de l’écologie est venu et la jeunesse participe en masse (mais moins que dans le reste de l’Europe) aux manifestations pour la justice climatique. EELV a pour projet de s’imposer comme le nouveau parti dominant contre les libéraux/conservateurs et l’extrême droite ; elle a vocation à changer les paradigmes idéologiques qui déterminent les positionnements politiques du pays. Ici l’intérêt direct du parti rencontre un objectif politico-culturel évident : comment reprocher aux Écologistes d’avoir été présents dans l’élection présidentielle ? Ils l’ont toujours été, sauf en 2017 où Yannick Jadot s’est rangé derrière Benoît Hamon après avoir constaté des convergences massives. D’ailleurs depuis 2020-2021, les amis de Hamon qui ont quitté le PS et agrégé quelques centaines de nouveaux militants supplémentaires sont avec Génération·s dans le pôle écologiste cornaqué par EELV. Jadot rumine son retrait de 2017 : il était logique idéologiquement mais n’a pas été payant politiquement, peut-être pourrait-il réussir là où l’ancien président du MJS a échoué ?

L’intérêt du parti aussi est en jeu dans cette campagne : le quinquennat Hollande lui a coûté des élus et des financements, l’argent dépensé pour le début de campagne de Jadot est perdu. Le parti a vendu son siège pour rembourser ses dettes, son équipe de permanents est réduite. Les lendemains électoraux, fondés sur une mésinterprétation des résultats de 2019 à 2021, ont l’air radieux : un bon score à la présidentielle, c’est imposer aux partis de gauche un accord écrasant aux législatives et s’assurer des rentrées financières publiques enfin conséquentes. Au-delà de la légitimité d’EELV à défendre légitimement un projet spécifique, le parti a cru pouvoir imposer son hégémonie. Les enquêtes d’opinion (avant les résultats) ont rapidement fait déchanter les Écologistes, il était tout à la fois trop tard pour faire marche arrière. EELV n’imaginait pas cependant être sous la barre des 5 % : le non-remboursement de la campagne est un coup dur et les négociations avec LFI pour les élections législatives ont dû être d’autant plus serrées que l’enjeu des dettes de campagne est majeur.

AU PS, LE CONGRÈS EST TOUJOURS EN PRÉPARATION

Les responsables socialistes ont, de la même manière que les écologistes, pour les européennes et les municipales, mésinterprété les résultats des élections intermédiaires, notamment les régionales, de 2020 et 2021. Depuis 2017, ce parti avait – tout en refusant de faire un inventaire sérieux du quinquennat Hollande – donné quelques signes d’une réorientation un peu plus à gauche, mais somme toute assez classique pour un parti revenu dans l’opposition.

Le refus de rompre franchement avec le hollandisme (la motion Le Foll est arrivée devant celle d’Emmanuel Maurel au congrès d’Aubervilliers en avril 2018) et le rejet de toute discussion avec la France Insoumise par principe avait causé le départ des principaux responsables de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann et leurs camarades allant poser les fondations de la future Gauche Républicaine & Socialiste, qui s’allia avec la France Insoumise aux élections européennes de juin 2019 au regard de leur proximité politique sur la construction européenne. Ces élections donnèrent une satisfaction relative au PS puisqu’il y talonnait la France Insoumise avec 6,19 % contre 6,31 %. Mais le fait qu’EELV ait fait le double de leur score et celui que le pôle écologiste se soit constitué en août 2020 ont pu convaincre un temps le Premier secrétaire du PS de se ranger derrière les écologistes. Une candidature commune social-écologiste n’était pas absurde : cela avait déjà été le cas en 2017 (avec un dénouement malheureux il est vrai), le souffle de la jeunesse mobilisée dans les « manifestations climat » et les spéculations provoquées par la crise sanitaire sur le « jour d’après » plus écolo semblait donner raison à la conversion théorique et superficielle mais survendue du PS à l’écologie ; le fédéralisme européen d’EELV était également parfaitement compatible avec l’européisme, devenu idéologie par défaut d’un PS sans boussole idéologique depuis plusieurs décennies.

Mais le ralliement du PS à une éventuelle candidature de Yannick Jadot (dans le meilleur des cas, car évidemment il est absolument inenvisageable de se ranger après une primaire écolo hasardeuse derrière un Eric Piolle, seul rival ouvertement déclaré du futur candidat à l’époque) n’est pas forcément du goût des grands élus locaux du parti : président(e)s de région et maire des grandes villes refusent de céder quoi que ce soit à des élus et militants écologistes avec qui ils ont parfois des relations plus que tendues. Alain Rousset, président très Macron compatible de la Nouvelle Aquitaine, rejette par principe toute possibilité d’accord avec EELV ; Anne Hidalgo qui n’est pas encore candidate multiplie les passes d’armes avec les écologistes de sa propre majorité municipale, dénonçant le peu de fiabilité (selon elle) de leurs valeurs républicaines. Il est hors de question pour eux qu’Olivier Faure impose au PS de ne pas présenter de candidat ; la « jeune génération » de maires PS élus ou réélus lors des municipales de mars et juin 2020 compte bien trouver quelqu’un pour porter la candidature d’un parti qu’ils considèrent comme leur propriété, bien qu’ils en méprisent la direction et ses consignes.

La « victoire » aux régionales de juin 2021 les conforte dans leur résolution. Comme les verts, ils oublient que la conservation des présidences de région par le PS s’est déroulée sur fond d’une abstention massive et d’une sur-prime aux sortants : les Français n’ont pas élu des équipes socialistes, ils ont voté pour les sortants. Qu’à cela ne tienne, l’affaire est entendue : l’orientation de centre-gauche sans beaucoup d’idée est consolidée par la réélection de présidents de région Macron compatibles ou vallsistes et les « jeunes maires » imposent la candidature d’Anne Hidalgo au forceps. Ces élus qui tiennent un PS qui a tout désormais de la SFIO des années 1960 sont convaincus que leur modération peut ramener à la « vieille maison » une partie de l’électorat qui se tournait auparavant vers le PS mais s’est découvert de centre droit avec Emmanuel Macron. C’est cette partie-là que les « hollandais » du PS voudraient récupérer, or comme il ne peut plus réellement assumer le bilan de Hollande sans en avoir même fait l’inventaire, il n’y a aucune raison que cela marche.

La catastrophe électorale ne fait bientôt plus de doute – aggravée par les erreurs de communication de la candidate mais aussi de tactique, comme avec l’appel à une primaire qu’elle finira par rejeter : certains envisagent de la débarquer pour la remplacer par François Hollande (!?) ou pour rallier en catastrophe Yannick Jadot et faire ressortir la candidature social-écologiste du placard… le bateau socialiste est ivre. Il n’y a en réalité plus d’autres choix que de continuer la campagne, au regard des sommes déjà engagées, et d’allumer des cierges dans l’attente d’un miracle qui ferait suffisamment remonter la candidate PS pour se faire rembourser par l’État. Bientôt, on en est plus à continuer la campagne que parce que s’arrêter serait plus ridicule encore.

Anne Hidalgo n’était pas encore à terre et n’a pas encore recueilli 1,7 % des suffrages exprimés que les éléphants et éléphanteaux du PS fourbissent déjà leurs armes pour un prochain congrès post-défaite, où ils pourront s’accuser mutuellement d’être responsables de la bérézina et à prétendre devenir le primus inter pares des barons locaux socialistes. Perdus pour perdus, la campagne interne de François Hollande avec Rachid Temal, Stéphane Le Foll ou Jean-Christophe Cambadélis contre un accord pour les législatives avec LFI s’inscrit dans cette logique ; il s’agit de reprendre le contrôle de l’appareil en s’appuyant sur la défaite, en espérant que cette nouvelle SFIO récupérera un jour ou l’autre les électeurs partis chez Macron… J’ai dit ce que je pensais de cette hypothèse plus haut. Olivier Faure et son équipe sont en train de brûler leurs vaisseaux : les discussions pour les législatives qu’ils ont toujours refusées jusqu’alors (au point ridicule de co-signer avec les parlementaires insoumis des recours communs au Conseil Constitutionnel alors qu’ils leur déniaient publiquement toute respectabilité politique) avec LFI marquent leur rupture avec le quinquennat Hollande qu’ils n’ont pas eu le courage de faire avant : « A minima, cela supposerait que François Hollande et Manuel Valls se posent quelques questions. Quand on me dit « Plus jamais PS » dans les rues, ce n’est pas pour me dire « Vous, Olivier Faure, qu’avez-vous fait pendant 5 ans ? » Ils me reprochent à moi ce que tous les autres ont pu faire avant. Sous le quinquennat Hollande, je n’ai jamais été « frondeur » mais je me suis battu sans être écouté : qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? J’étais minoritaire, je me suis tu ! […] Si certains ne croient plus appartenir à un espace commun de la gauche, avec les communistes, les écologistes, les insoumis, les radicaux et nous, si vous pensez que votre avenir est avec Emmanuel Macron, le mieux à faire est de partir. Qu’est-ce qu’on paie aujourd’hui ? Le manque de clarté. Les gens, quand ils voient Manuel Valls ou Ségolène Royal présentés comme socialistes à la télévision, se disent « C’est ça le PS », pensent qu’on est toujours dans l’attente de trahir quelqu’un. Ce n’est pas vrai, ceux qui sont restés, l’ont fait pour leurs convictions. »(6) Il est vrai que le premier secrétaire du PS présente les choses de manière à s’exonérer de quelques-unes de ses responsabilités (qui était justement de ne pas se taire), mais s’il avait dit cela avec la même force 4 ans plus tôt, il nous aurait peut-être épargné bien des déboires…

PERENNITÉ ET IDENTITÉ DU COMMUNISME FRANÇAIS 

« Vous êtes la mort et le néant. » Dans un sms rageur et assassin, Jean-Luc Mélenchon signifie à Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, le 4 mai 2017 (3 jours avant le second tour de l’élection présidentielle) sa rupture politique avec les communistes. Voici le propos dans son intégralité : « Vous créez la confusion dans tout le pays en vous appropriant mon portrait et mon nom sans parler du logo front de gauche ! Bravo ‘l’identité communiste’. Tout ça après des mois d’injures et de manœuvres pour saboter ma campagne. Et vous recommencez ! Vous êtes la mort et le néant. 10 mois pour me ‘soutenir’, 10 minutes pour soutenir Macron. Sans oublier les accords que vous ne respectez pas. J’en ai assez. Je vais donc annoncer notre rupture politique dès mon retour à Paris. Et je vais dire pourquoi. »(7)

Jean-Luc Mélenchon reproche alors au PCF d’avoir pensé de manière autonome : partisan d’une candidature unique de la gauche anti-Hollande à la présidentielle, Pierre Laurent s’était engagé début 2016 dans le processus de la primaire de la gauche et des écologistes, tandis que Jean-Luc Mélenchon refusait tout net d’y participer. Toute l’année 2016, le PCF a tenté, en vain, de le convaincre de ne pas se lancer seul dans la présidentielle. Jusqu’à la décision tardive, en novembre 2016, de le soutenir. Le PCF n’a pas voulu non plus se plier à une campagne dirigée par les seuls proches du candidat, donc il refusera de soutenir les candidats du PCF, sauf Stéphane Peu et Marie-George Buffet en Seine-Saint-Denis qui devront accepter le cadre de la campagne législative des Insoumis. Mais le PCF, malgré la concurrence de plusieurs candidats LFI contre les siens, se sort plutôt bien des élections législatives de 2017, comparées à celles de 2012 : le PCF n’avait que 7 sortants (auxquels on peut ajouter les deux députés de la FASE), il fait élire 10 députés, mais la concurrence insoumise lui a coûté une circonscription dans l’Oise et celle de Nanterre (Hauts-de-Seine) où une de ses sympathisantes tentait de prendre la succession de Jacqueline Fraysse… Elsa Faucillon (Colombes/Gennevilliers) a manqué de peu d’être éliminée par un candidat LFI.

Le PCF maintient son groupe parlementaire à nouveau grâce à divers députés ultramarins, mais la conviction de nombreux responsables communistes est faite que la survie du parti dépend d’une attitude plus offensive et volontaire. André Chassaigne, président du groupe GDR, ne veut plus d’un secrétaire national qui reste abasourdi devant les agressions de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement qui doivent tant au PCF ; avec l’aide de Fabien Roussel, nouveau député du Nord, il va mener l’offensive contre la direction du parti lors du congrès d’octobre-novembre 2018 et à la « surprise générale » le texte alternatif qu’ils ont défendu reçoit 1 300 voix de plus que celui de la direction. Ce résultat est la conséquence directe de la brutalité de LFI ressentie par les militants communistes à l’égard de leur parti. Pierre Laurent (dont on ne comprenait pas quelle orientation il défendait réellement dans ce congrès) est battu et il en prend acte ; lors du congrès d’Ivry-sur-Seine, une seule liste est soumise aux délégués, avec Fabien Roussel comme secrétaire national du PCF et Pierre Laurent comme président du conseil national. Le texte de Stéphane Peu et Elsa Faucillon qui proposait un rapprochement plus important avec LFI n’a fait que 12 %.

L’orientation du PCF est désormais tracée : réaffirmer l’identité communiste, tout en se distançant de LFI et en actant la fin d’un Front de gauche déjà mort, pour pouvoir s’allier tantôt à LFI tantôt au PS au niveau local. Dès ce moment, la perspective d’une candidature communiste à la prochaine élection présidentielle est assumée : le PCF et ses dirigeants ont fait l’analyse que l’absence du PCF à l’élection présidentielle signait la fin rapide du parti. Les choix tactiques des élections intermédiaires vont répondre tout à la fois à ce besoin de visibilité (la liste conduite par Ian Brossat en 2019 aux élections européennes – 2,49 %) et de permettre le maintien ou la progression du nombre d’élus locaux communistes avec des alliances au cas par cas (lors des élections régionales de mars 2021, le PCF choisira de faire liste commune avec LFI en Île-de-France, Normandie et en Auvergne-Rhône-Alpes, mais d’être avec les présidents PS sortants en Nouvelle Aquitaine, en Occitanie et en Bourgogne/Franche-Comté… il choisira de rester sur la liste de rassemblement de la gauche malgré l’exclusion unilatérale et injustifiée de LFI en PACA par le tête de liste écologiste. La préparation de l’élection présidentielle et de la candidature communiste, dont il devient évident que ce sera Fabien Roussel qui la portera, va bon train et elle est renforcée par l’annonce unilatérale de la candidature de Jean-Luc Mélenchon dès novembre 2020… ce dernier n’a pas même cherché à prendre langue avec des partenaires politiques éventuels et, tout au long de l’année, l’actualisation du programme présidentiel « L’avenir en commun » (AEC) ne fera l’objet d’aucune discussion avec d’autres organisations politiques.

Or jusqu’en février 2022, le candidat insoumis stagne entre 9 et 12 %, la perspective d’un second tour à gauche étant parfaitement improbable les communistes n’ont aucune raison de remettre en cause leur orientation politique et stratégique et Fabien Roussel sera désigné candidat du PCF à la présidentielle par un vote militant avec un score sans appel : 82,4 % sur quelques 30 000 votants (équivalent au congrès). Les principaux élus communistes qui ne partagent pas la stratégie de leur parti, comme Stéphane Peu et Elsa Faucillon, préfèrent se taire d’autant que le doute les a également gagnés sur la candidature Mélenchon et qu’ils ont peu goutté eux-mêmes l’agressivité globale de LFI à l’égard du PCF. On a beau jeu à quelques semaines des élections législatives de saluer l’intelligence tactique des Insoumis mais, durant toute l’année 2021, ils ont été d’une brutalité impressionnante avec leurs interlocuteurs : si l’on n’est pas avec eux, c’est que l’on est contre eux, si on ne proclame pas son ralliement à la candidature populiste c’est que l’on n’est pas avec eux, vous le paierez donc au centuple au moment des élections législatives…

La direction du PCF a donc fait le pari de la visibilité… quoi qu’il en coûte. Quelques jours après sa désignation, on craint le faux pas fatal pour Fabien Roussel, car une polémique s’ouvre sur sa présence avec d’autres responsables de gauche (mais dont on n’attend alors plus rien comme Olivier Faure) à la manifestation organisée le 19 mai 2021 par différents syndicats de policiers ; cette manifestation se transforme en démonstration de force du syndicat d’extrême droite Alliance, avec une foule qui reprend ses slogans remettant en cause des principes essentiels de l’État de droit. Libération accorde même une pleine page à Elsa Faucillon pour sermonner son secrétaire national(8). Sur le moment, et par la suite aussi, on oublie pourtant que le patron du PCF a été invité à la manifestation par la CGT Police et qu’il ne défend en rien les exigences d’Alliance(9) mais des propositions parfaitement légitimes. Les responsables politiques de gauche se sont fait piéger, ils ont pêché par naïveté en pensant que le plus bavard (et aussi l’un des plus gros syndicats) et droitiers des syndicats de policiers n’allait pas tirer la couverture à lui pour banaliser un discours mettant en cause la cohésion nationale. Mais après plusieurs semaines, la polémique se tasse.

Jusqu’à la mi janvier 2022 Fabien Roussel stagne entre 1,5 et 2 % des intentions de vote, subissant en plus la concurrence d’Arnaud Montebourg qui met en scène tout à la fois sa proximité politique avec le candidat communiste et l’impossibilité à le rallier(10). Donc la direction du PCF a prévu un financement de campagne qui soit capable d’affronter un score inférieur à 5 % des suffrages exprimés et le non-remboursement des frais de campagne, perspective la plus probable. Le candidat communiste peut donc affirmer qu’il ira jusqu’au bout sans craindre la catastrophe politique : il réaffirme l’identité communiste et la visibilité du PCF, ce qui était le principal objectif avoué de la candidature. De la mi-janvier à début avril 2022, la candidature va prendre une autre ampleur avec l’espace libéré par Arnaud Montebourg, la polémique absurde engagée contre lui par Sandrine Rousseau (dont on se demande si elle ne travaillait pas déjà en sous-main pour les Insoumis) sur l’alimentation et qui attire enfin sur lui l’attention des médias, puis le soutien des petits partis de la gauche républicaine.

Roussel a donc rempli son contrat – l’identité communiste a été réaffirmée, le PCF est redevenu audible – mais le ton qu’il a donné à sa campagne a fini par apporter une dimension supplémentaire à sa candidature, représenter une gauche de transformation sociale qui n’a pas abandonné ses racines républicaines et laïques. Avec l’accord législatif de rassemblement de la gauche, le PCF va pouvoir maintenir son groupe (avec peut-être moins de financement public toutefois) et même si ses partenaires de la présidentielle risquent de passer momentanément à l’as, ce parti redevient un pôle avec lequel il faut construire.

RÉFÉRENCES

(1) Cécile Duflot : « La présidentielle me fait peur » – entretien accordé au Nouvel Observateur, 18 août 2010

(2) 13 janvier 2016 dans un entretien vidéo accordé à Ecorama/boursorama

(3) La fable de l’unité, 7 janvier 2022, David Cormand – https://www.davidcormand.fr/mon-blog-articles/la-fable-de-lunit

(4) Pour un populisme de gauche, Chantal Mouffe, 2018, Albin-Michel. La référence littéraire est postérieure à la campagne électorale de 2017 mais répercute les analyses précédentes de la philosophe : Hégémonie et stratégie socialiste : Vers une démocratie radicale (1985-2009), Le paradoxe démocratique (2000-2014), L’illusion du consensus (2005-2016), Agonistique : Penser politiquement le monde (2013-2014), ou encore Construire un peuple co-écrit avec Íñigo Errejón (2016-2017) [Les différentes dates indiquent la publication en anglais ou en espagnol puis la publication en français.]

(5) On ajoutera qu’après les élections européennes EELV et Génération·s ont entamé des discussions qui allaient déboucher sur la création en août 2020 avec Génération Écologie, CAP21, l’AEI et le MdP du pôle écologiste ; or la liste Génération.s conduite par Benoît Hamon aux élections européennes de 2019 avait recueilli 3,27 % : 13,48+3,27=16,75 %, un « socle » à faire pâlir de jalousie toute la gauche, mais un « socle » fondé sur le résultat des élections européennes.

(6) Olivier Faure dans l’émission « Questions politiques » de France Inter, France Télévision et Le Monde, le 1er mai 2022

(7) Le Canard Enchaîné, mercredi 17 mai 2017

(8)  « Elsa Faucillon : pourquoi je n’irai pas manifester auprès des policiers », tribune dans Libération, 19 mai 2021

(9) « Droit à la sécurité : Fabien Roussel défend « une police nationale de proximité« . » : tribune dans l’Humanité, 19 mai 2021

(10) Arnaud Montebourg : « La gauche a abandonné le récit national », entretien accordé à Libération, publié le 7 décembre 2021 : « Je lui ai dit une chose [à Fabien Roussel] : “Si moi je me désiste pour toi, je deviens communiste, si toi tu viens avec moi, tu restes communiste.” Franchement, ce n’est pas à 59 ans que je vais commencer une carrière de communiste. »

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (PARTIE 2/3)
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3 juin 2022 5 03 /06 /juin /2022 11:30

La revue Le Temps des Ruptures (en ligne et papier) m'a commandé une analyse approfondie sur la transformation de la gauche française sur ces dernières années et ses conséquences frustrantes sur le résultat de l'élection présidentielle de 2022. La première partie de cet article au long court (rédigé début mai 2022) a été publiée le 25 mai dernier et vous pouvez le trouver ici 👉 https://letempsdesruptures.fr/index.php/2022/05/25/le-rendez-vous-manque-de-la-gauche-en-2022-sera-t-il-definitif/

Je vous le publie également ci-dessous...

Bonne lecture,
Frédéric FARAVEL

Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Coordinateur national des pôles thématiques de la Gauche Républicaine et Socialiste

Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?

Pour la troisième fois en 20 ans, la gauche est éliminée au soir du 1er tour de l’élection présidentielle. C’est surtout et d’abord la deuxième fois consécutive… La situation est d’autant plus frustrante pour nombre d’électeurs et militants que le candidat de gauche le mieux placé – Jean-Luc Mélenchon – manque l’accès au 2nd tour de quelques 421 000 voix, après l’avoir raté en 2017 de 619 000 voix en 2017. Beaucoup de déceptions donc, mais aussi beaucoup de raisons d’espérer faire mieux la prochaine fois, comme nous y a invité le candidat insoumis le 11 avril dernier.

Jean-Luc Mélenchon a fait mentir tous les pronostics : personne en décembre 2021 ou même en février 2022 ne pouvait imaginer que le candidat « populiste » pourrait frôler le 10 avril la barre des 22 % des suffrages exprimés. Depuis l’annonce unilatérale de sa candidature en novembre 2020, la baisse sondagière ne s’est pas arrêtée pendant un an, avant de rester « scotché » entre 10 et 12 % d’intentions de vote jusqu’en mars. Ayant rompu avec tous ses partenaires politiques de manière relativement brutale, ayant vu son image durablement abîmée (en grande partie sous l’effet de la séquence des perquisitions de novembre 2018, dont on continue encore aujourd’hui à interroger les véritables causes), ayant raté les différentes étapes que représentent les élections intermédiaires, ayant rejeté toutes les aspirations au rassemblement exprimées dans le « peuple de gauche » et, enfin, étant accusé d’avoir fortement altéré son orientation politique sur la question républicaine, Jean-Luc Mélenchon ne paraissait pas en mesure au début de la campagne présidentielle de renouveler son « exploit » de 2017. C’était un peu vite oublier que la France insoumise (LFI) était toute entière à la fois tournée vers l’élection présidentielle et vers la personne de son leader : les équipes de campagne du candidat insoumis ainsi que les militants encore engagés dans LFI ont été, malgré les obstacles, en permanence « habités » de la certitude qu’ils allaient gagner, ce qui les mettait dans des dispositions plus dynamiques que leurs concurrents qui s’étaient logiquement convaincus que la gauche (du fait de sa division) ne pouvait rien espérer de mieux que de poser des jalons pour l’avenir…

Mais Jean-Luc Mélenchon a toujours largement distancé ses concurrents à gauche et dans les deux ou trois dernières semaines de campagne a cristallisé sur sa candidature le « vote utile » de nombreux électeurs de gauche exaspérés par la perspective d’une répétition du duel Macron/Le Pen de 2017 : le bulletin Mélenchon a été un outil de barrage, y compris pour celles et ceux qui n’apprécient ni son orientation ni sa personnalité. Différents sondages de « sortie des urnes » ont tenté de mesurer ce « vote utile » ; les Insoumis prétendront que l’adhésion motivait 80 % des suffrages, les personnes plus critiques affirmeront que l’utilitarisme en représente 50 %… la vérité est sûrement entre les deux, mais nier cette dimension, en 2017 comme en 2022, serait absurde.

Au final, force est de constater que « la marche était trop haute »… le candidat insoumis n’a pu se hisser au 2nd tour et la colère des sympathisants de LFI et d’une partie des électeurs contre les autres candidats de gauche – notamment Fabien Roussel, accusé (à tort) d’avoir directement contribué à la défaite de Jean-Luc Mélenchon – n’y change rien : il n’y a pas, à y regarder de plus près, de « vases communicants » entre électorats et les spéculations sur le sujet sont assez vaines.

Cependant, la gauche n’est paradoxalement pas aussi affaiblie qu’il y a 5 ans. Dans un contexte de progression de l’abstention (un million d’abstentionnistes supplémentaires), la gauche, les écologistes et l’extrême gauche rassemblent 1,25 million de suffrages supplémentaires ; la progression est sensible au regard du nombre de suffrages exprimés (+4,2 points) et des inscrits (+2 points). Cependant, pour la première fois, le total des voix de gauche au 1er tour est inférieur à celui des voix pour l’extrême droite – 11,22 contre 11,34 millions – ce qui n’est pas exactement un signe de bonne santé de la gauche et de la démocratie française. N’oublions pas non plus que les logiques institutionnelles de la Cinquième République (aggravées avec l’inversion du calendrier depuis 2002) peuvent avoir des conséquences démobilisatrices : à l’heure où j’écris, il reste un mois avant les élections législatives, mais il faut rappeler que la gauche était tombée en 2017 de 21 % des inscrits pour l’élection présidentielle à 13,5 pour les élections législatives ; au regard des suffrages exprimés (l’abstention avait été massive : 51,3%), c’était un léger mieux 28,3 contre 27,7 %, mais il était dû à une remontée du vote socialiste et du vote écologiste (sans député écolo à la clef, ce vote était-il « inutile » ?) et à une relative confusion dans les positionnements des candidats vis-à-vis du nouveau locataire de l’Élysée. La division avait fait le reste pour aboutir à une soixantaine de parlementaires d’opposition de gauche.

La gauche – ou plus exactement ses dirigeants – est donc à un moment charnière… Elle doit comprendre le moment politique et social dans lequel nous sommes, tirer les leçons du scrutin présidentiel. C’est la condition nécessaire pour qu’une force de gauche reprenne le pouvoir et, surtout, transforme (durablement) la société.

LES RAISONS DE L’ÉCHEL PRÉSIDENTIEL DE 2022

Avant d’aborder les éléments territoriaux et sociaux qui découlent de l’analyse du scrutin du 10 avril 2022 et les stratégies politiques qui ont présidé à cette élection, il paraît nécessaire de resituer sur le moyen terme le contexte politique plus général de notre pays.

Objectivement, le bilan du mandat d’Emmanuel Macron présente une brutalité rarement vue à l’égard des catégories populaires (la répression contre les « gilets jaunes » a été de ce point de vue un phénomène inédit depuis la fin des années 1960) et a mis en exergue à l’occasion de la crise sanitaire les faillites du néolibéralisme qu’il promeut. Il y avait la place pour une contre-offensive de gauche, d’autant plus nécessaire qu’il n’est jamais inscrit que la colère sociale débouche forcément sur un renforcement de la gauche quand celle-ci est atone ou divisée – on le voit depuis des années, et en 2022 plus encore, l’extrême droite connaît une progression continue.

EVOLUTION DU CONTEXTE SOCIO-CULTUREL FRANÇAIS

La société française connaît comme d’autres sociétés occidentales une phase de rétractation qui n’est pas déconnectée de l’évolution du système capitaliste qui les sous-tend et des vagues successives, plus ou moins brutales, du néolibéralisme qui les ont transformées.

L’incapacité collective à préserver du marché des pans entiers de notre vie économique et sociale et la fin des grands récits unificateurs « positifs », ou même leur faillite économique, idéologique et morale si on songe à la chute du système soviétique(1) ont laissé le champ libre à des niveaux d’intensité divers à l’individualisme, au consumérisme, au repli sur la sphère familiale, mais aussi au repli sur les identités culturelles et religieuses (qui peuvent donner l’impression d’un renouveau de la solidarité), à l’obscurantisme et à une remise en cause du « savoir scientifique » ; enfin, dans une certaine mesure, la défiance grandissante qui travaille nos sociétés se double fréquemment d’une forme plus ou moins forte de « complotisme ».

Toutes ces évolutions sont en soi défavorables à la gauche, d’autant qu’aucune initiative sérieuse n’est conduite d’un point de vue culturel pour les contrecarrer…

LES CONSÉQUENCES DU « HOLLANDISME » SUR LA GAUCHE FRANÇAISE

Il y a cependant une spécificité politique française qui tient au désastre du quinquennat de François Hollande. La perception que garde l’immense majorité des électeurs de gauche (et même des Français) de ce mandat est celle d’une trahison politique sur tous les fronts ou presque : construction européenne, politique économique, travail (droit et rémunérations)… Avec Hollande est entré dans la tête des gens que la « gauche de gouvernement » c’est la même chose que la droite et parfois pire : non seulement – à la différence de toutes les précédentes expériences de la gauche au pouvoir – les Français (et tout particulièrement les catégories populaires) n’ont retiré aucune amélioration de leurs conditions de vie matérielle et morale de ce quinquennat, mais alors qu’il n’avait aucun marqueur social à mettre en avant, le « président normal » a mis en œuvre des politiques économiques et sociales que même Nicolas Sarkozy avant lui n’auraient osé pouvoir conduire.

Dès les premiers mois de son mandat, le PS a dû mettre au pilon des centaines de milliers de tracts saluant la fin de la « TVA sociale » car elle avait été remise en place de manière détournée après avoir été supprimée. Puis le soutien financier aux grandes entreprises sans aucune contrepartie a atteint des niveaux improbables, la dérégulation du marché a été accrue ; pour finir, les droits des salariés ont été réduits (là où Sarkozy créait des accords de compétitivité « défensifs », Hollande installait des accords « offensifs » c’est-à-dire des réductions relatives des rémunérations des salariés pour développer les grandes boîtes)… c’est sous François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve que les techniques de maintien de l’ordre ont été modifiées avec des résultats désastreux (mort de Rémi Fraisse en 2014 au barrage de Sivens ; nassages et nombre de blessés en hausse lors des manifestations contre le projet de loi El Khomri) qui annonçaient les violences du quinquennat suivant. Sans parler du trouble créé par la proposition de déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux…

D’une certaine manière, François Hollande a installé dans l’esprit des Français qu’une politique publique de gauche était « utopique ». Tony Blair était venu nous dire en 1998 qu’il n’y avait pas de politiques économiques de gauche ou de droite, François Hollande – qui n’a pas simplement abdiqué devant le néolibéralisme mais en était un agent convaincu depuis des lustres(2) – semble avoir voulu nous en faire la démonstration de manière acharnée et l’impression qu’il a laissée est durable : quand bien même Anne Hidalgo présentait un programme superficiellement de gauche, les électeurs de la présidentielle lui ont à nouveau fait payer le quinquennat Hollande, « plus jamais PS » c’est d’abord « plus jamais Hollande ». Peut-être mesurera-t-elle dans les semaines qui viennent l’erreur fatale d’avoir voulu se mettre en scène avec l’ancien président dans une fausse intimité (au café sous le regard de dizaines  de caméras) et en meeting. Hollande est au PS, et sans doute à la gauche française, ce que Ferenc Gyurcsány(3) a été à la gauche hongroise qui vient à nouveau d’échouer lors du dernier scrutin face à l’ultra-conservateur illibéral Viktor Orbán (la gauche hongroise a perdu le pouvoir voici près de 12 ans et croyait le reprendre grâce à une coalition de tout ce que la Hongrie compte d’opposants au premier ministre actuel). Une perspective terriblement réjouissante donc…

De plus, les Français ont le sentiment totalement légitime que la politique conduite par Emmanuel Macron depuis son élection en mai 2017 est dans une complète continuité avec celle qu’avait menée son prédécesseur… On peut à la rigueur considérer qu’Emmanuel Macron est allé encore plus loin que François Hollande mais la logique mise en œuvre est absolument identique sur l’Europe, l’économie, le social, la sécurité et les libertés publiques. Emmanuel Macron est aujourd’hui identifié à droite – il ne reste plus grand monde pour faire semblant de croire au « en même temps » à part François Rebsamen, Marisol Touraine, Élisabeth Guigou et Jean-Yves Le Drian – mais les Français ne peuvent oublier qu’il « vient [immédiatement] de la gauche » et qu’il est la « créature » (au sens premier du terme) de François Hollande et donc de l’État PS.

La gauche semble donc condamnée dans la psychologie collective à une posture oppositionnelle dont les solutions ne seraient pas « praticables » puisqu’elle ne les a pas pratiquées au pouvoir ; si la « gauche de gouvernement » n’est qu’un autre avatar de la politique néolibérale et autoritaire, alors autant garder celui qui le fait déjà sans plus prétendre être « de gauche ». Emmanuel Macron recueille donc en 2022 encore quelques brebis égarées dans l’électorat de gauche qui pensent faire barrage « aux extrêmes », mais il a aussi mis fin à une forme de « faux nez » politique : une partie de l’électorat qui se tournait auparavant vers le PS s’est découverte de centre droit avec Emmanuel Macron et le vit bien.

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GÉOGRAPHIE ET SOCIOLOGIE DU VOTE DE GAUCHE AU 1ER TOUR DE LA PRÉSIDENTIELLE

J’ai largement traité cette question dans la note d’analyse électorale que j’ai récemment publiée sur mon blog (note rédigée le 21 avril 2022)(4). Mais on peut reprendre ici quelques éléments marquants…

On considérera par facilité statistique et politique que les candidatures d’Anne Hidalgo et de Yannick Jadot en 2022 occupent le même espace politique que celle de Benoît Hamon en 2017. Il n’existe quasiment pas d’endroits où la somme des suffrages exprimés en faveur des deux premiers soit supérieure aux suffrages obtenus par le troisième ; ils perdent des voix partout dans le pays et font près de 47 000 voix de moins à l’échelle nationale. C’est un électorat identique où prédominent les urbains, les gagnants de la mondialisation et les personnes qui ont fait des études supérieures.

L’électorat résiduel des candidats trotskistes est également en baisse de près de 161 000 suffrages.

Les mouvements importants se sont donc déroulés autour des candidatures présentées par LFI et le Parti Communiste Français (PCF). Ils soutenaient ensemble Jean-Luc Mélenchon en 2017, ce dernier se représentait en 2022 (pour la dernière fois ?) mais le PCF avait décidé d’envoyer son secrétaire national, le député du Nord Fabien Roussel.

Mélenchon, malgré la division avec Fabien Roussel, gagne 654 623 suffrages. Mais ces gains sont extrêmement concentrés dans un électorat des métropoles et de leurs banlieues ainsi que dans les régions, collectivités et départements d’Outre-Mer. Ainsi, près de la moitié de la hausse correspond à la banlieue parisienne avec près de 327 000 suffrages, soit 49,92 % de sa progression. L’Île-de-France représente à elle-seule 66,3 % des voix gagnées par le candidat insoumis entre 2017 et 2022. Symptomatique : ses deux plus fortes progressions se font à Paris (+107 266 voix) et en Seine-Saint-Denis (+82 509 voix). Les Départements ou anciens départements d’Outre-Mer représentent presque un quart des gains en voix de Jean-Luc Mélenchon, dont près de 15 % pour les seules Antilles et la Guyane. Si on ajoute à ces deux catégories territoriales, les métropoles lyonnaises et marseillaises (départements du Rhône et des Bouches-du-Rhône), on atteint 99,4 % des voix supplémentaires conquises par le député de Marseille, concentrées sur 16 départements et régions, Collectivités d’Outre- Mer (en comptant Saint-Martin et Saint-Barthélémy). Jean-Luc Mélenchon rassemble donc l’électorat classique de la gauche des années 2000, les jeunes et les adultes des quartiers populaires de banlieue et les électeurs d’Outre-Mer en révolte contre le mépris du gouvernement central. Cet électorat composite semble se distinguer de plus en plus d’une autre partie du pays avec des classes populaires qui se sentent exclues du système. François Ruffin le dit assez bien dans Libération le 13 avril 2022 en parlant des départements où Mélenchon perd du terrain : « C’est là qu’on perd. Au-delà même de la gauche, ça pose une question sur l’unité du pays, ces fractures politico-géographiques : comment on vit ensemble ? Comment on fait nation, sans se déchirer ? ».

Car c’est là un enseignement fort et inquiétant – pour toute la gauche, car elle est concernée avec Mélenchon – du 10 avril 2022. Dans 54 départements de l’Hexagone, Jean-Luc Mélenchon perd des voix par rapport à 2017 et parfois beaucoup. Ces départements dans lesquels il recule sont de trois ordres : territoires ruraux, territoires périurbains déclassés, anciens « bassins ouvriers »… tous ont la caractéristique de ne pas participer des « bienfaits » (contestables) de la « mondialisation [supposée] heureuse » des grandes agglomérations et métropoles de notre pays. Cette situation se reproduit à l’intérieur des départements où Mélenchon gagne des voix (hors région parisienne, Rhône et Outre-Mer) : les circonscriptions qui ne sont pas dans l’attraction de la « métropole locale » et les circonscriptions les plus « ouvrières » voient Mélenchon reculer (y compris dans son département d’élection). Elle se reproduit en miroir enfin dans les départements où il perd des voix : les seules circonscriptions où il en gagne sont celles de l’agglomération principale (Troyes, Caen, Angoulême, La Rochelle, Nîmes, Blois, Reims, Laval, Nancy, Lille-Roubaix-Tourcoing, Clermont-Ferrand, Rouen, Amiens, Toulon, Fréjus…).

En résumé, Jean-Luc Mélenchon recule dans ce que les géographes ont délicatement appelé la « diagonale du vide » et les anciens « bassins ouvriers » du nord et de l’est de la France. Dépité, François Ruffin l’exprime assez nettement dans son entretien à Libération : « On ne peut pas, par une ruse de l’histoire, laisser triompher la logique de « Terra Nova ». Je ne sais pas si vous vous souvenez ? En 2011, ce think tank proche du PS recommandait une stratégie « France de demain », avec « 1. Les diplômés. 2. Les jeunes. 3. Les minorités ». » C’est pourtant ce qui s’est passé…

Où sont passés les électeurs de Jean-Luc Mélenchon de 2017 qui l’ont abandonné en 2022 ? Les deux premières explications paraissent superficiellement évidentes : dans l’abstention puisque celle-ci a progressé ; chez Fabien Roussel, puisque le PCF soutenait l’Insoumis en 2017, son électorat se serait logiquement reporté sur le candidat communiste. L’analyse détaillée que j’ai publiée sur mon blog ne permet pas de soutenir cette dernière hypothèse (je vous y renvoie pour plus de détails). Nous connaissons tous nombre d’électeurs potentiels de Fabien Roussel, Yannick Jadot ou Anne Hidalgo, voire des militants qui ont fait campagne pour ces derniers, qui ont finalement glissé un bulletin Jean-Luc Mélenchon dans l’urne le 10 avril. Cela plaide pour que le candidat communiste soit allé chercher hors de l’électorat Mélenchon de 2017 une large partie de son électorat de 2022 et que ces nouveaux roussellistes ne se soient sans doute pas déplacés pour Mélenchon si Roussel avait été absent : on ne peut pas dire « Il manque à Mélenchon 621 000 voix, or Roussel lui en a volé 802 000 : c’est tout vu » comme l’ont fait nombre de sympathisants de LFI. De même, Mélenchon a trouvé, dans les 16 départements qui concentrent 99 % de sa progression, un électorat nouveau, issu des abstentionnistes ou des jeunes électeurs inscrits depuis 2017, notamment dans les quartiers populaires. Il reste donc l’abstention pour expliquer son recul partiel : mais là aussi on trouve des reculs qui ne correspondent pas à l’évolution de la participation dans les départements concernés que ce soit en positif ou en négatif… Ce n’est donc pas l’abstention qui permet d’expliquer à elle seule ce recul de Mélenchon dans 54 départements.

Dans les 4 départements du « Sud-Ouest profond » (Landes, Pyrénées-Atlantiques, Gers et Hautes-Pyrénées), plusieurs milliers de voix sont notamment transférées directement de Jean-Luc Mélenchon en 2017 vers Jean Lassalle en 2022 – le candidat béarnais gagne d’ailleurs plus de voix entre 2017 et 2022 que n’en gagne le candidat insoumis. Dans les départements et les circonscriptions ouvrières du nord et de l’est de la France, notamment dans le Pas-de-Calais, le Nord, l’Aisne, les Ardennes, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, mais aussi dans les Bouches-du-Rhône, on voit nettement qu’il y a eu un déplacement de voix parfois par plusieurs milliers de Jean-Luc Mélenchon en 2017 vers Marine Le Pen en 2022. Ainsi, dans ces départements et dans quelques autres, percevoir les traces ou ressentir la gifle d’un transfert d’électorat de Jean-Luc Mélenchon vers Jean Lassalle et Marine Le Pen devrait interroger toute la gauche plutôt que de perdre notre temps à déterminer si Fabien Roussel est responsable de l’élimination du député de Marseille au soir du 1er tour, ce qui n’est nullement démontré par les relevés de terrain.

Le problème des Insoumis comme de tout le reste de la gauche reste donc entier et c’est un problème sociologique et républicain : les catégories populaires des anciens « bassins ouvriers », des territoires péri-urbains et plus encore des territoires ruraux ont atteint un niveau de défiance telle qu’elles s’abstiennent d’abord massivement, qu’elles préfèrent voter Marine Le Pen ensuite (la différence d’électorat à l’extrême droite est clairement apparue à l’occasion de la division du travail entre Le Pen et Zemmour – qui se distingue avec un électorat concentré dans le sud-est de la France et l’ouest parisien) ou pour des candidats aussi baroques que Jean Lassalle.

Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?

La candidature de Fabien Roussel n’a évidemment pris qu’à la marge sur cet électorat et il partage avec les autres candidats de gauche l’électorat classique de la gauche : les habitants des métropoles éduqués et insérés, les habitants des quartiers populaires et des banlieues de ses métropoles pour qui les conditions économiques et sociales sont bien plus problématiques et qui subissent, souvent du fait de leurs origines, des discriminations importantes. Mélenchon y ajoute un raz de marée électoral dans les Antilles qui se sentent méprisées depuis longtemps par la puissance publique et pour lesquelles on n’a sans doute pas pris la mesure au moment de la crise sanitaire de plusieurs facteurs de ressentiments parfois légitimes se précipitant (au sens chimique du terme) : économie fragile et chômage endémique, environnement dégradé avec les conséquences à long terme du chlordécone, méfiance sanitaire qui a nourri un fort mouvement anti-vaccination…

Cet électorat de la gauche de Mélenchon à Jadot est non seulement très classique mais il est aussi très hétérogène car aucun travail n’a été conduit pour lui donner une cohérence politique. Il n’est d’ailleurs pas dit que les gains de Jean-Luc Mélenchon dans les quartiers populaires et en Outre-Mer puissent être tous qualifiés « de gauche ». Ils viennent aussi en partie d’une défiance anti-rationaliste et ils agrègent des électeurs qui, déçus par une gauche qui a failli à concrétiser l’égalité républicaine de manière concrète dans les banlieues, ont fini par croire au mythe de l’auto-entreprenariat et que Macron a trompé…

Quant aux « bobos » des métropoles si ouverts et si progressistes sur le papier, il n’est pas dit qu’ils comprennent quoi que ce soit à la révolte ultramarine et qu’ils soient particulièrement solidaires des catégories populaires – version banlieusardes « racisées » ou prolos, fils de prolos traditionnels « beaufisés »…

La gauche est donc dans une impasse sociologique et territoriale (les deux critères se croisant régulièrement). Elle est victime de deux biais politiques hérités du début de la décennie précédente : l’imposture Terra Nova et l’imposture Bouvet… L’une et l’autre ont décrit les catégories populaires traditionnelles comme des bastions du conservatisme, concluant pour le think tank qu’il fallait les abandonner et pour le politiste qu’il fallait abandonner les politiques sociétales et résoudre leur « insécurité culturelle » (qu’on peine encore à définir) plutôt que leurs difficultés économiques.

Le problème dans tout cela, c’est que la gauche – enfin une gauche de transformation sociale – ne peut pas se hisser au 2nd tour de l’élection présidentielle sans gagner durablement à sa cause des catégories populaires qui lui ont progressivement puis totalement échappé à partir de la fin des années 1980. Mais il faudra aussi compter avec le poids des organisations politiques, leurs capacités de mobilisation mais aussi leurs défauts substantiels.

Références

(1)Le « compromis social-démocrate » européen a d’autant moins résisté au néolibéralisme, qu’il avait perdu sa fonction politique de troisième voie entre le libéralisme américain et le totalitarisme soviétique et que ses leaders n’ont jamais inventé de pensée cohérente une fois réalisé leurs Bad-Godesberg respectifs (assumés ou rampants).

(2)Lire L’Abdication, Aquilino Morelle, 2017, Paris, éditions Grasset et Fasquelle

(3)Ferenc Gyurcsány, ancien jeune communiste puis chef d’entreprise, était le leader du parti socialiste hongrois, premier ministre de 2004 à 2009. Réélu triomphalement en avril 2006 (un résultat inédit dans la nouvelle Hongrie démocratique), la radio publique hongroise diffuse 5 mois plus tard un enregistrement pirate d’une déclaration prononcée au cours d’une réunion à huis clos de son parti en mai 2006 dans laquelle il admet avoir menti sur l’état des finances du pays pour se faire réélire. Cette trahison politique puis les politiques austéritaires auxquelles le FMI contraindra son gouvernement entraîneront son renvoi en avril 2009 par le groupe parlementaire socialiste hongrois et sa démission, puis la défaite sans appel du PS hongrois en mai 2010. Ce parti a connu plusieurs scissions depuis et ne peut plus prétendre concurrencer sérieusement le Fidesz de Viktor Orbán qui lui a succédé.

(4) Progressions, limites et échec des gauches au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 ➔ http://www.fredericfaravel.fr/2022/05/progressions-limites-et-echec-des-gauches-au-premier-tour-de-l-election-presidentielle-de-2022.html

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2 juin 2022 4 02 /06 /juin /2022 18:27

Le lundi 30 mai 2022, à partir de 19h30, se tenait le conseil municipal de Bezons... La plupart des délibérations qui nous étaient soumises était purement administratives. Deux dossiers ont cependant nécessité des interventions un peu fortes de notre part :

👉 un projet d'aménagement autour de la rue Emile-Zola et du Grand-Cerf

👉 la fusion du comité technique et du CHSCT en comité social de territoire...

Je me suis également permis d'intervenir en fin de conseil municipal concernant les difficultés persistantes de recrutement de cadres que rencontre la Ville de Bezons et qui a conduit l'équipe divers droite a dépensé plus de 40.000 € en cabinet de "chasseurs de têtes".

Je vous laisse les découvrir en images.

Frédéric Faravel
conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes et républicains"
coordinateur national des pôles thématiques de la Gauche Républicaine et Socialiste

Projet d'aménagement pour la Rue Emile-Zola et le Grand Cerf

L'équipe de la maire divers droite soumettait prise en compte d'un projet d'aménagement pour 5 ans avec un périmètre géographique qui permettait de bloquer chaque permis de construire indésirable pour 2 ans (maximum)... L'outil est intéressant, l'idée est sans doute pertinente, sauf que le projet qui prétendait justifier cette démarche est vide et que Mme Nessrine Menhaouara a refusé de répondre aux questions légitimes que Mme Marjorie Noël et M. Arnaud Gibert et moi-même lui avons posées et qu'elle a refusé de transmettre le contenu des études qu'elle aurait (paraît-il) en sa possession.

Illustration du mépris de l'équipe divers droite pour le dialogue social et les agents municipaux

La création du comité social de territoire qui fusionne le Comité technique et le CHSCT communal était soumis aux élus. L'occasion de rappeler à quel point l'équipe divers droite de Mme Nessrine Menhaouara est en délicatesse avec les règles du dialogue social et de plus en plus désapprouvée dans ses méthodes par les représentants syndicaux du personnel municipal.
Le mépris envers l'opposition s'étend donc à toutes celles et tous ceux qui pourraient émettre un point de vue éclairé sur les agissements de la maire... La démocratie locale est de plus en plus une mascarade à Bezons.

à propos des difficultés de recrutement de la Ville de Bezons

En fin de conseil municipal, un débat s'est engagé à l'occasion de la lecture des décisions courantes de la Maire depuis le dernier conseil municipal en mars : plus de 40.000 € dépensés pour recourir à des cabinets de recrutement et dépasser les difficultés de recrutement de la Ville.

Certaines de ses difficultés ne sont pas de la responsabilité de l'équipe de Mme Menhaouara, ce sont celles qui ont trait à la faiblesse des rémunérations des fonctionnaires et notamment des fonctionnaires territoriaux. D'autres ont trait à la stratégie adoptée : abaisser le niveau de recrutement ne fait pas venir plus de candidats (c'est souvent le contraire).

Enfin, la très, très mauvaise réputation extérieure de la Ville à cause de l'équipe municipale divers droite de Mme Menhaouara risque de plomber longtemps notre commune.

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