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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

1 avril 2024 1 01 /04 /avril /2024 16:22

Avant le conseil municipal du 6 avril prochain qui portera essentiellement sur le budget, il m'a paru important de remettre en ligne mon intervention lors du conseil municipal du 12 mars 2024 lors du débat sur le rapport d'orientations budgétaires. Il est capital de noter que, durant tout ce débat, la Maire et son équipe ont caché leur volonté d'augmenter les impôts locaux, ce qui sera la principale disposition du prochain budget municipal.

Après une longue et pénible présentation, durant laquelle Mme Beltaïef ne semblait pas totalement maîtriser ce qu’elle lisait et butait sur un mot sur trois, nous avons pu exposer quelques remarques…

Nul ne découvre que la situation est difficile ou que l’État depuis près de 20 ans maltraite les finances des collectivités territoriales, c’est une donnée permanente depuis lors mais l’équipe de Mme Menhaouara semble ne pas avoir la capacité d’y faire face contrairement à celles qui l’ont précédée. Reconnaissons le : les 10 milliards d’euros de suppression de crédits budgétaires que l’État vient d’annoncer deux mois à peine après la promulgation de la loi de finances ne vont pas améliorer la situation frappant l’éducation, l’emploi, l’écologie ou encore le logement, mais elles n’affecteront pas directement les collectivités. Notons cependant que, plutôt que d’être sur une position offensive pour exiger avec d’autres la restauration des services publics locaux (CAF, CPAM, La Poste, le commissariat de police, des dotations dignes pour nos établissements scolaires …), d’une fiscalité locale normale ou de dotations financières décentes, Mme Menhaouara et son équipe préfèrent faire profil bas, affichant une complicité soumise avec les représentants du gouvernement sans jamais rien obtenir de sérieux d’ailleurs.

Cette soumission s’étend d’ailleurs à la communauté d’agglomération – Mme Menhaouara l’a reconnu en séance – au sein de laquelle elle ne se bat jamais pour exiger des attributions de compensations (ce que l’agglomération doit à la commune) à la hauteur de ce que notre Ville mérite : non elle vote toutes les propositions de la droite sans discuter (raison pour laquelle toute la majorité de droite du conseil communautaire lui tresse des compliments) : les communes riches de l’agglomération volent l’argent qui devrait revenir aux Bezonnais et Mme Menhaouara est leur complice : elle vous fait les poches à leur profit ! C’est ainsi plusieurs millions d’euros par an qui nous manquent.

Notons également que l’inflation a baissé (Mme Menhaouara semble avoir découvert que les prix ne baissaient jamais et elle a tenu à nous l’expliquer comme une grande nouveauté et une nouvelle excuse à son incurie : rappelons lui que cela a toujours été le cas), que les conséquences d’une inflation à 2,5% sont plus faciles à gérer que celles d’une inflation à 6%. Notons enfin que, même si les ménages ne peuvent en profiter à cause de la suppression du bouclier tarifaire, les prix de l’électricité et du gaz sont plus bas qu’avant le début de la guerre en Ukraine : il faudrait que la Ville se batte avec d’autres pour en profiter, gageons qu’elle n’en fera rien.

La Maire s’est également plaint de la baisse des recettes des droits de mutation : ce sont les participations que la Ville reçoit à chaque vente ou opération immobilière. La crise immobilière a joué évidemment mais pas seulement : en effet, on se souvient que Mme Menhaouara avait prétendu pendant la campagne arrêter TOUS les permis de construire de ville, elle a concédé n’avoir pu que les diminuer de moitié – sa promesse était intenable, elle le savait, elle vous a menti, une ville sans permis de construire est une ville qui meure –, mais cela n’est pas sans conséquences car cela a aussi durablement impacté les recettes des droits de mutation et donc fragilisé les finances municipales : Bossuet écrivait « la providence se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes. » A quelques mots près, voici qui s’applique parfaitement au cas de Mme Menhaouara !

Elle se plaint également – prétendant pourtant tout faire pour maîtriser les dépenses – que les dépenses progressaient plus vite que les recettes… oui c’est le cas depuis 2021 donc depuis qu’elle gère directement le budget municipal : c’est sa gestion qui est en cause et non celle de qui que ce soit d’autre ! On connaît le discours de Menhaouara, c’est toujours la faute des autres, elle n’a jamais aucune responsabilité en quoi que ce soit, à croire qu’elle n’est pas Maire. On a vu comment elle avait contribué à la baisse des recettes, elle ne peut pas s’exonérer des dépenses : elle prétend payer encore les investissements du mandat précédent ? Mais enfin, il s’agit des programmations budgétaires qu’elle a elle-même votées entre 2014 et 2020 et qu’elle ne peut prétendre découvrir, personne ne lui a laissé de mauvaises surprises ou alors elle se les a faites à elle-même !?!

Par ailleurs, accordons lui que – largement du fait de sa mauvaise gestion – la situation budgétaire soit tendue : dans ce cas, regardons l’accélération des investissements en 2023… il y en a pour plus de 3 millions d’euros, avec pour certains postes des chiffres sous estimés (la cour de Louise-Michel a coûté bien plus que les 785.000€ affichés car il a fallu reprendre des travaux mal faits pour un résultat qui ne satisfait pas les principaux intéressés), chacun de ces investissements peut se justifier mais pourquoi les précipiter quand Mme Menhaouara a mis les finances en difficulté ?

Non à la place, après avoir affirmé du bout des lèvres qu'elle était favorable aux mesures d'augmentation du point d'indice des fonctionnaires (il a été gelé 12 ans quand même !?!), elle n'a cessé, plusieurs fois dans l'année, de se plaindre des conséquences de cette augmentation de la rémunération des agents communaux sur les finances communales. Elle reproche à l'Etat (sans jamais se mobiliser pour obtenir un changement de comportement) de ne pas avoir compensé les quelques 354.000 euros sur 2023 que cela représente : 0,4% du budget municipal, rien qui ne le déséquilibre... même si on le calcule sur une année complète, on atteint 1,4M€, soit 1,6% du budget municipal... rien de comparable avec l'addition des investissements précipités, avec l'absence de prévention et de vigilance sur les bâtiments municipaux (qui peut croire qu'après 3 ans et demi, Mme Menhaouara découvre soudainement des défauts de structure sur le gymnase Jean-Moulin ... sauf s'ils n'ont jamais fait d'inspection pendant tout ce temps), l'engagement de destruction de bâtiments, etc. ou encore avec la diminution des recettes qu'elle a provoquée.

Venons en aux priorités annoncées pour le budget 2024...

On ne reviendra pas sur le b-a-ba, Education, Culture, Sports, si ce n'est pour dire qu'au rythme où cela va Mme Menhaouara prétendra en 2026 avoir ouvert 50 classes (elle crée peut-être des salles, mais les postes d'enseignants ne sont bizarrement pas là, cherchez l'erreur), que le Théâtre manque toujours de financements nous y reviendrons (même s'il y a des choses intéressantes dans la nouvelle programmation) et que la ville n'a toujours pas l'ombre d'un projet de stade depuis que Mme Menhaouara a supprimé le seul projet possible.

La priorité environnement : chacun peut voir à quel point la propreté de la ville s'améliore et nous avons failli nous étouffer de rire lorsque Mmes Beltaïef et Menhaouara ont annoncé l'extension du parc Bettencourt... sur les terrains qui étaient prévus pour étendre le parc Bettencourt, elle a fait construire son terrain de sport synthétique (vive l'écologie), fait abattre des arbres classés comme remarquables et engagé de nouvelles constructions pour un "village associatif" en béton, alors que des locaux associatifs attendaient en 2020 les associations au-dessus de la salle Elsa-Triolet.

La priorité sécurité : un poste coûteux, qui ne peut donner de résultats... vous pourrez engager tous les policiers municipaux de la terre (et à Bezons le turn over des équipes est impressionnant), mettre des caméras partout pour recréer un monde à Big Brother, il n'y aura pas de réels résultats pour la tranquillité publique sans que soit réinstallé un véritable commissariat de police nationale de proximité. Ce sera NOTRE combat, elle l'a abandonné.

Il manque une priorité essentielle, ce qui témoigne de son mépris pour la réalité vécue par les Bezonnais(es) : celle de l'action sociale et de la solidarité... Depuis 2021, nous n'avons de cesse de réclamer un effort plus conséquent en ce domaine, en 2022 elle avait même baissé le budget du CCAS... depuis, elle et son équipe rattrapent petitement le retard pris. Or la situation est inquiétante : chacun a pu voir lors de la dernière foire de Bezons en septembre 2023 les traces de l'appauvrissement d'une partie de la population ; les témoignages sont d'ailleurs de plus en plus nombreux. Un autre indice ne trompe pas : Bezons a vu les périmètres des quartiers classés prioritaires pour la politique la ville (QPV) s'accroître par rapport à 2014-2015 (en 2014, la réforme avait conduit à un fort rétrécissement et nous considérons que l'action "politique de la ville" devrait être bien plus large, mais on comparera l'évolution entre 2015 et 2024 car ce sont les mêmes critères de sélection). Or les critères pour définir les périmètres des QPV sont ceux des taux de pauvreté, si les périmètres augmentent c'est que l'augmentation de la pauvreté a été constaté, Mme Menhaouara prétend l'avoir obtenu par la négociation politique, c'est faux : sans constat sur la pauvreté, elle aurait pu négocier tout ce qu'elle voulait, le périmètre QPV n'aurait pas été le même. Tant d'incompétence et mégalomanie en une seule personne, c'est impressionnant.

Enfin, avec d'autres élus, nous avons tenu à témoigner de notre solidarité avec le personnel municipal ; les témoignages affluent toujours plus nombreux sur des situations de souffrance, dues à des méthodes de management et de gestion des ressources humaines inappropriées, des effectifs insuffisants dans un certain nombre de service (espaces verts, propreté, notamment) ce qui place les agents restant en échec et en usure accélérée, une diminution générale des moyens qui rend plus difficile l'exécution de leurs missions de service public, une application brutale et sans aménagement de la réforme inique des 1607h (M. Cuvillier et Mme Menhaouara se planquent derrière l'application de la loi, mais la réalité c'est qu'il y avait moyen d'atténuer les dégâts et qu'ils ont tout refusé)... Les agents communaux vivent une situation de maltraitance, or ce sont eux qui font vivre au quotidien le service public local, ce sont eux les ambassadeurs la vie municipale, ils ont besoin de retrouver confiance : nous travaillerons avec eux pour redresser la barre. Mme Menhaouara a voulu mettre en avant le fait que son équipe avait créé des dispositif pour accompagner les agents avec des psychologues, etc. le mieux peut-être serait d'abord de ne pas créer à ce point les situations où les agents se sentent et sont contraints de se mettre en arrêt pour se protéger. Un élément important du serment des médecins se dit "Primum non nocere" : d'abord, ne pas faire de mal ! Mme Menhaouara, arrêtez de leur faire du mal !

Frédéric Faravel
Conseiller municipal et communautaire de Bezons
Président du collectif citoyen "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Animateur national du pôle idées, formation et riposte du collectif de direction de la Gauche Républicaine et Socialiste

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1 novembre 2023 3 01 /11 /novembre /2023 10:09

Il aura fallu attendre 4 mois, presque jour pour jour, après la mort de Nahel et les émeutes urbaines qui l’ont suivie, pour que la Première Ministre présente en deux temps les réponses du gouvernement à l’explosion de violences de la fin du mois de juin, qui avait remis au centre du débat public la question de la Ville. On avait suffisamment reproché à l’exécutif de tirer des conclusions hâtives, démagogiques et passe-partout quelques jours après les événements, pour être en droit d’espérer, qu’après ces longues semaines de réflexion, que celui-ci ait enfin affiné son diagnostic et mûri les réponses à apporter.

Il n’en est rien, malheureusement… L’Élysée et Matignon n’ont visiblement pas évolué depuis le mois de juillet, restant scotchés à la surface des enjeux pour les noyer dans un discours de fermeté armée et des propos hors sol sur l’autorité familiale.

Rien d’étonnant donc que, dans la mise en scène des annonces gouvernementale, Élisabeth Borne ait donné la priorité à la réponse sécuritaire avant de réunir à Chanteloup-les-Vignes un Comité interministériel des Villes plusieurs fois reporté.

Elisabeth Borne prenait la pose à Chanteloup-les-Vignes vendredi 27 octobre 2023

Elisabeth Borne prenait la pose à Chanteloup-les-Vignes vendredi 27 octobre 2023

Miroir aux alouettes sécuritaire

Jeudi 26 octobre 2023, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, à Paris, devant un parterre de quelque 250 maires, dont pour la plupart les villes avaient été touchées par les violences urbaines de l’été, Élisabeth Borne a donc présenté une série de mesures destinées à « réaffirmer l’autorité et l’ordre républicain ». Nous ne contesterons pas ici l’idée qu’il n’y a aucune réponse à apporter dans ce domaine : cette question existe et il faut la traiter ; pourtant, nous ne pouvons que nous inquiéter sur l’absence de diagnostic sur ce qui a conduit à cette remise en cause de l’autorité républicaine.

Les mesures annoncées sont clairement inscrites dans une matrice idéologique répressive, peu nourries par les sciences sociales ; il y a un décalage entre les politiques publiques qui s’appuient de plus en plus sur des opinions et de moins en moins sur des travaux de recherche, ce qui est une faiblesse majeure. L’exécutif semble in fine adopter une posture fataliste : les émeutes reviendront et donc la seule préoccupation est de savoir comment nous y ferons face, plutôt que d’en prévenir l’irruption. Devant des élus traumatisés par les destructions de bâtiments et services publics, la logique est la même : personne ne pourra critiquer la promesse de la cheffe du gouvernement de compléter les remboursements des assureurs par un fonds de 100 millions d’euros, mais plutôt que de se contenter de se réjouir que « 60 % des bâtiments publics partiellement ou totalement détruits ont d’ores-et-déjà été remis en état », le rôle d’un gouvernement serait de prévenir de tels événements.

Plus grave, il y a une forme de militarisation du discours gouvernemental : les expressions « opération coups de poing », « envoyer des forces », « task force » l’illustrent à l’envie. Ainsi, le dispositif FAR (Forces d’Action Républicaine), annoncé par la Première Ministre, consisterait à envoyer temporairement sur un territoire en difficulté des policiers, des fonctionnaires des finances, mais aussi des personnels éducatifs. Tout cela témoigne en réalité d’un manque d’action publique pérenne et ancrée sur le terrain. Il existe bien entendu des cas où une telle intervention peut être utile à certains moments, mais la résolution des inégalités urbaines nécessite la mise en œuvre de politiques publiques, dotées de réels moyens, au long terme. Cela fait près de 20 ans que les acteurs de la politique de la Ville se plaignent de voir progressivement les crédits « exceptionnels » remplacer ceux de « droit commun », nous y reviendrons.

La France n’a pas besoin de « coups de poing » mais d’action publique durable

Mais même du point de vue de la stratégie d’ordre public, on sent un flottement de l’État qui ne peut en aucun cas rassurer les différents acteurs du dossier.

Nicolas Sarkozy avait aboli dès 2002 la police de proximité par dogmatisme, or il faudra bien changer de paradigme et ne pas cantonner l’action de la police à des arrivées en force, pour s’imposer dans des quartiers qu’elle ne connaît plus. Ce constat est aujourd’hui assez largement partagé par les élus locaux, parfois même si cela en place certains en contradiction avec leur affiliation partisane. Pourtant, le vocable de « police de proximité » reste tabou et l’expérimentation des unités de « police de sécurité du quotidien » a eu un impact extrêmement limité1 du fait de la faiblesse des moyens et des crédits qui lui ont été consacrés et donc de la réalité de ses implantations. Aussi la cohérence et la pérennité de l’action publique de terrain, y compris sur le thème de la sécurité, devront revenir à l’ordre du jour, même si ce n’est pas le chemin pris par l’exécutif macronien : il faudra remettre ouvertement sur le métier la police de proximité et en tirer les conséquences en matière de politique de tranquillité publique, c’est-à-dire privilégier le quotidien sur le « maintien de l’ordre ».

La question de l’élargissement des pouvoirs des polices municipales est plus controversée. Et, là aussi, elle divise les élus locaux, même au sein de la droite. Certains prétendent évidemment faire des maires de véritables shériffs, comme Arnaud Robinet (Maire Horizons de Reims), Christian Estrosi (Maire Horizons de Nice) ou encore Eric Ciotti, le patron de LR. Mais, là encore, la réalité du terrain rattrape les effets d'annonce : le renforcement des pouvoirs des polices municipales s'accompagnerait immanquablement d'un transfert croissant de l'action de sécurité vers ces services et donc d’un recul de celle conduite par la police nationale et la gendarmerie. Un Maire LR comme Benoît Digeon à Montargis rappelait en marge du happening de La Sorbonne que le commissariat de son secteur a perdu 30 policiers en 4 ans. D'une manière générale, il a été constaté partout que les effectifs de police nationale baissaient là où une police municipale était en place, que la baisse de ces effectifs s'accélérait quand une commune prenait la décision de créer une police municipale pour faire face au dépeuplement des commissariats et que, finalement, cette baisse était d'autant plus forte que le discours sécuritaire de l'édile local était appuyé.

1La police de sécurité du quotidien sous l’angle des partenariats locaux, note de Virginie Malochet pour l’Institut Paris Région – 30 juin 2021

Jusque dans le maintien de l’ordre, le rappel à l’autorité de l’État par Élisabeth Borne masque un désengagement pour renvoyer la responsabilité aux collectivités

Cette « tarte à la crème » des pouvoirs des polices municipales pourrait pourtant séduire momentanément certains élus locaux, car ils sont confrontés à l'effet ciseau des dépenses conséquentes que représentent la création et l'entretien d'un tel service et la déception des électeurs quant aux résultats concrets de son action au regard de ses moindres compétences. Mais mettre en pratique concrètement la logique présentée par Élisabeth Borne signerait également une catastrophe au regard de l'égalité territoriale : enkystées dans une logique de maintien de l'ordre, la police nationale et la gendarmerie déserteraient progressivement les Villes dans lesquelles la sécurité serait dépendante des capacités d'investissements des collectivités territoriales. On pourra compter des effectifs pléthoriques et bien équipés, des caméras par centaines (avec les écrans de contrôle et les « opérateurs » que cela suppose), à Nice ou à Rueil-Malmaison, mais que se passera-t-il à Charleville-Mézières ou à Grigny ?

On voit bien ici la mauvaise réponse apportée par le gouvernement à un problème concret constaté lors des émeutes : le temps d'intervention des effectifs de police nationale parfois éloignés des lieux des violences. On préfère donc l'inégalité territoriale à la police de proximité. Il n’est sans doute pas besoin ici d’insister sur le problème politique que créerait une municipalisation quasiment complète de l’action policière dans certaines communes…

Cela n’empêche pas de réfléchir aux moyens juridiques, aux stratégies d’action… mais là encore on bute soit sur des illusions ou soit sur l’absence d’engagement budgétaire concret.

Par exemple, l’obligation pour un jeune délinquant de respecter de jour comme de nuit un placement dans une unité éducative de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et d'y suivre les activités de formation et d’insertion de l’unité peut apparaître comme une réponse adaptée et proportionnée qui peut déboucher sur une véritable logique de réinsertion, mais faudrait-il encore que les services de la PJJ soient en capacité de l’assumer alors qu’ils subissent depuis plus de 20 ans un déficit constant de moyens humains et financiers.

La Première ministre a encore martelé : « Dans certains cas, nous pouvons envisager un encadrement de jeunes délinquants par des militaires ». Son entourage évoquait après cette annonce la montée en puissance du « partenariat Justice-armées » avec « les classes de défense dans les CEF, la mise en place de mesures d’encadrements militaires dans toutes les régions, la signature de nouvelles conventions locales pour la réalisation de travaux d’intérêt général (TIG) au sein d’unités militaires et la participation des militaires dans l’organisation de stages de citoyenneté ». L’armée française est certes disciplinée et aux ordres du pouvoir politique, mais si le « partenariat Justice-armées » a besoin, aux yeux du gouvernement, de monter en puissance, c’est que les militaires à tous les niveaux de la hiérarchie rechignent légitimement à s’engager dans une logique qui n’appartient en rien à leurs missions et pour laquelle ils n’ont pas été formés. Il est d’ailleurs parfaitement consternant que la seule référence à une démarche éducative fut celle de l’horizon de la discipline militaire, alors que la Première Ministre, d’inspiration sociale-libérale paraît-il, s’adressait aux élus dans l’auditorium de La Sorbonne, haut lieu de l’enseignement s’il en est…

La force d’une sanction, notamment chez les plus jeunes, ce n’est pas sa brutalité, c’est sa précocité et sa certitude…

détournement d'une intervention de Benjamin Morel

« Tarte à la crème » également que les discours sur les réseaux sociaux. Ils ont sûrement joué un rôle important dans les émeutes, en matière de coordination et d’entraînement. Le gouvernement prétend vouloir suspendre les comptes des délinquants et émeutiers. Nous lui souhaitons bon courage dans ses négociations avec Twitter, Snapchat et Meta ; au regard de l’absence de régulation de ces espaces et de la facilité avec laquelle on peut créer de multiples comptes, cette mesure semble illusoire, alors même que le gouvernement refuse d’engager une réflexion sérieuse sur l’évolution de la législation comme l’a démontré l’examen du projet de loi « sécurité et régulation de l’espace numérique ».

La multiplication par cinq de l'amende pour non-respect d'un couvre-feu par un mineur, en la portant à 750 euros (au lieu de 150 euros) et tout le discours autour de la responsabilisation des parents – aggravation de la peine du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales, "contribution citoyenne familiale éducative" versée à une association d’aide aux victimes, responsabilité financière civile solidaire des deux parents d'un enfant coupable de dégradations, stages de responsabilité parentale, etc. – relèvent également de la posture. Rappelons deux chiffres : 60% des jeunes émeutier sont issus de familles monoparentales, 40% des enfants résidant au sein d’une famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté… La définition des aides à apporter aux familles monoparentales est renvoyée aux bons soins d’une commission à créer… alors que la part de ces familles est de 35% en Seine Saint-Denis contre 20% dans le reste du pays. Les moyens dévolus au soutien scolaire et à l’éducation populaire sont très insuffisants. Au regard de cette situation sociale, de telles annonces ne peuvent être que des pétitions de principes.

Pétition de principes, parce que la force d’une sanction, notamment chez les plus jeunes, ce n’est pas sa brutalité, c’est sa précocité et sa certitude. Cela implique d’avoir une justice efficace ; or le problème de la justice en France n'est pas seulement d'être engorgée et de souvent tarder à prononcer des peines, c'est aussi et surtout d'avoir, faute de moyens, la capacité à les faire exécuter, avec des conséquences dévastatrices en matière d'autorité, de sens des responsabilités et de l'impunité. On peut annoncer la plus grande et disproportionnée des sévérités, elle n'en sera que plus contre-productive si on ne peut concrètement l'exercer. Et cela s'applique là encore aux amendes aggravées ou à la responsabilité financière des familles que prétend instaurer le gouvernement – de la même manière que pour la mesure réclamée par la droite de suspension des allocations familiales : personne ne pourra en réalité recouvrer les sommes concernées sur des familles le plus souvent insolvables que cela plongerait également dans des difficultés sociales accrues.

Sans vouloir retomber dans le travers de l'excuse sociale, on voit mal comment on peut exiger d’une mère seule que ses adolescents ne sortent pas dans la rue quand l'appartement est trop petit ou que le réfrigérateur est vide.

Le gouvernement préfère les discours martiaux mais ne pas s'attaquer à la pauvreté. C'est assez logique puisque celle-ci a progressé depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron. Et cette logique ne se dément pas lorsqu'on examine le prétendu "volet social" de la réponse gouvernementale.

Réponse sociale, vous êtes sûrs ?

On connaît la chanson et elle a été entonnée avec entrain aux lendemains des émeutes sur un air qu’on pourrait croire composé par l’association ultralibérale, antifiscale et proche de l’extrême droite Contribuables Associés1 : la politique de la Ville est un échec, « un puits sans fond » qui favorise tout à la fois l’assistanat, le détournement des crédits pour des associations inutiles et nourrit les islamistes… Les violences qui ont suivi la mort de Nahel étaient censées démontrées une nouvelle fois le gaspillage de l’argent public, les émeutiers qui auraient profité « grassement » de ces budgets finissant par détruire les équipements publics mis à leur disposition : « de la confiture pour des cochons », pourrait-on dire… c’était peu ou prou le discours de l’extrême droite, d’une partie de la droite (on ne s’étonnera pas), mais aussi derrière Gérald Darmanin d’une partie de la « non majorité présidentielle ».

Quand on veut tuer la politique de la Ville, on l’accuse « d’avoir la rage »…

Ainsi, chaque année, entre deux et trois milliards d'euros sont débloqués directement ou indirectement pour la politique de la ville. On compte un peu moins de 600 millions d’euros pour les contrats de Ville. S'y ajoutent aussi des mesures fiscales : certaines PME et petits commerces de banlieue sont exonérés de cotisations foncières ; en 2022, cette exonération a coûté 235 millions d'euros à l'État. Il y a également une enveloppe de solidarité urbaine, pour les communes les plus pauvres, à hauteur de 2,5 milliards d'euros dépensés l'année dernière. Mais ce qui concentre le plus d'effort, c'est le programme national de rénovation urbaine et le programme de renouvellement urbain : entre 2003 et 2022, près de 46,5 milliards d'euros ont été dépensés pour rénover quartiers et bâtiments. Sauf que, depuis 2003, l'État n'a investi "que" 3 milliards d'euros. En revanche, 20 milliards d'euros proviennent d'une partie des loyers, versés aux organismes HLM. L'effort vient également de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), près de 12 milliards d'euros déboursés. Les collectivités territoriales aussi, ont mis la main à la pâte, en versant depuis 2003, plus de 9 milliards d'euros.

Or les collectivités territoriales et les organismes HLM ont été parmi les institutions particulièrement maltraitées du premier quinquennat Macron. Les premières, qui assument directement le premier contact avec les citoyens, ont vu leurs recettes stagner et leur fiscalité propre disparaître peu à peu ; quant aux seconds, les gouvernements d’Emmanuel Macron leur ont carrément ponctionné plusieurs milliards d’euros alors même que leur rôle est de construire puis de gérer des logements abordables pour les foyers modestes et que chacun s’accorde à reconnaître une crise de l’accès au logement.

Élisabeth Borne peut bien avoir prétendu le 26 octobre à la Sorbonne qu'elle tenait à apporter des réponses qui « dépasse[nt] largement la question des quartiers et des banlieues », arguant qu'un tiers des villes concernées par les émeutes ne possèdent pas de quartier prioritaire. Mais là encore, il est nécessaire de rappeler que le nombre de « quartiers prioritaires » a été artificiellement mais drastiquement réduit lors du quinquennat de François Hollande : En juin 2014, Najat Vallaud-Belkacem faisait ainsi passer le nombre de 2500 à 1500 quartiers prioritaires répartis sur 700 communes – dont 100 nouvelles. L'affichage de quelques Villes (situées dans ce que certains géographes appellent la "diagonale du vide") a été en réalité payé par l'exclusion de 1000 quartiers en difficulté des dispositifs de soutien. En mars 2018, c’est le dispositif des "emplois francs" (dispositif peu convaincant au demeurant) qui a été circonscrit à 200 quartiers, et non 1500. En mai 2023, l’ex-ministre du logement et de la Ville, Olivier Klein, avait annoncé le lancement de la mise à jour de cette cartographie prioritaire : on l’a crue un temps enterrée par les émeutes et avec le ministre.

Mais en réalité, situer le débat sur la cartographie des quartiers prioritaires revient à se battre pour les miettes du gâteau.

Définir où sont les véritables responsabilités politiques de l’échec

Si la politique de la ville a permis un rattrapage à la marge dans certains quartiers, elle n’a jamais pu jouer un rôle de discrimination positive. La responsabilité de cet échec n’incombe pas à ces dispositifs et ces faibles crédits "exceptionnels", mais bien davantage à l’absence de redistribution massive des ressources ainsi que de politique publique véritablement égalitaire à la base. Ils n'ont jamais permis aux territoires les plus défavorisés de France d'avoir un traitement équivalent à la moyenne : la faute en revient aux inégalités flagrantes qui existent en matière de répartition de l'effort public et privé. Ce n’est pas la faute de la politique de la ville si aucun gouvernement n’a cherché à modifier les structures d’inégalités pénalisant la majorité des habitants des quartiers. De véritables déserts médicaux continuent à se développer en Seine-Saint-Denis, et un enfant scolarisé dans ce département plutôt qu’à Paris a reçu un an d’enseignement de moins lorsqu’il passe le baccalauréat.

Aucun président de la République, aucun premier ministre, aucun gouvernement depuis plus de 30 ans n'a réellement donné mandat à un ministre de l’Éducation nationale de poser sérieusement la question de la réussite éducative des classes populaires, et de s’attaquer enfin à la logique de reproduction sociale frappant l’école de la République. On connaît l'état de l’Éducation nationale, mais on pourrait tenir le même propos pour l'Hôpital public : sa situation est catastrophique en générale, elle est encore pire en Seine-Saint-Denis (par exemple). Mais le raisonnement vaut aussi pour la police nationale : il n’y a rien de surprenant à ce qu’elle se montre plus humiliante dans les quartiers populaires, lorsque l’on regarde les préjugés, ainsi que l’origine sociale et géographique des gardiens de la paix y évoluant la peur au ventre.

Depuis le rapport des ­députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM), publié en 2018 sur les moyens et l’action de l’État en Seine Saint-Denis, on peut affirmer sans être taxé de démagogie que la République accorde aux quartiers populaires dits « prioritaires » « quatre fois moins de moyens qu’ailleurs, rapporté au nombre d’habitants ». À cette inégalité flagrante et fondamentale, les annonces gouvernementales apportent une réponse ridiculement faible.

Au regard des défis pour la cohésion sociale et nationale de la persistance de territoires de relégation voire de ségrégation territoriale, les réponses données par la Première ministre lors du comité interministériel des Villes à Chanteloup-les-Vignes le vendredi 27 octobre semblent tout à la fois faibles et déconnectées des réalités. On voit mal comment le gouvernement pourra sur la base de sa « vision "Quartiers 2030" » de la politique de la ville favoriser « l’émancipation » plutôt que la « réparation ».

La principale mesure, et la plus commentée, annoncée lors de ce comité est la demande faite aux préfets « de ne plus installer, via les attributions de logement ou la création de places d'hébergement, les personnes les plus précaires dans les quartiers qui concentrent déjà le plus de difficultés » ... en clair, cela concerne les ménages "Dalo" (droit au logement opposable) les plus en difficulté qui ne pourront plus être logés dans des QPV. L’idée semble louable : elle paraît mettre en application le principe de ne pas rajouter toutes les difficultés au même endroit pour faciliter l’intégration de tous. Mais elle appelle plusieurs contradictions qui ravalent cette annonce au niveau d’une nouvelle gesticulation.

En effet, on a déjà dit que le nombre de QPV avait été drastiquement réduit ; certains quartiers classés jusqu’en 2014-2015 en politique de la ville n’ont pas vu nécessairement leur situation sociale s’améliorer, il y a fort à parier qu’ils recevront en priorité les publics les plus difficiles venant déséquilibrer une situation déjà précaire. Certains quartiers toujours classés en QPV se voient aujourd’hui accueillir les reclassements des quartiers proches soumis à un programme de renouvellement urbain : les personnes concernées ne relèvent pas du DALO, elles n’en ont pas moins de difficultés. L’annonce de la Première Ministre ne changera donc rien à ce type de situations. Le relogement des « personnes les plus précaires » ne devrait pas se faire non plus dans les zones périurbaines ou rurales : ces publics ont besoin d'une grande présence de services publics pour les accompagner, alors qu’ils ne sont pas véhiculés et ne pourraient alors accéder à des structures désormais éloignées.

Une mesure qui interdirait en pratique le relogement des foyers les plus précaires...

Fin 2022, le nombre de demandeurs de logements a atteint un record avec près de 2,5 millions de personnes, en hausse de 7 % par rapport à 2021. Or la construction de HLM, passée depuis 2020 sous la barre des 100 000 logements par an, devrait continuer de ralentir pour se stabiliser à une moyenne de 66 000 nouveaux logements annuels à partir de 2030. Concrètement, les bailleurs sociaux sont pris entre leurs obligations de rénovation et une dette croissante, dette qui a été aggravées par les milliards d'euros que leur a retirés l’État. Ces derniers n'auront donc pas les moyens de rénover et en même temps de construire de nouveaux HLM. Par ailleurs, poussés par l'interdiction progressive de louer les logements les plus énergivores, les bailleurs sociaux devront donner la priorité à la rénovation. Les réhabilitations de logements atteindraient un pic à 125 000 logements par an en 2025 et 2026, puis reflueraient, pour atteindre 90 000 par an sur la période 2031-2061, selon une étude la Banque des territoires (Caisse des Dépôts et Consignations). Une grande partie de ses demandeurs devraient se voir proposer un logement très social (PLUS ou PLAI). Dans le nouveau Schéma directeur de la région Île-de-France environnemental (SDRIF-E), adopté à la demande de Valérie Pécresse par le conseil régional le 12 juillet dernier, qui sert de référence dans les décisions d'aménagement de la région capitale, il est inscrit que les villes dont 30% ou plus du parc est composé de logements très sociaux ne doivent plus en construire… L’offre et la demande de logements très sociaux va donc subir un brutal effet de ciseau dans la région capitale ce qui aggravera une situation déjà extrêmement tendue.

Car en les cumulant à l’ensemble des initiatives engagées et aux conséquences de la catastrophique politique du logement d’Emmanuel Macron depuis 2017, les annonces du 27 octobre 2023 conduiront tout bonnement à rendre impossible le relogement des foyers les plus précaires. Pourquoi ? Parce que l’offre de PLUS et de PLAI n’existe pas (ou très peu) dans les quartier plus favorisés et pas seulement parce que l’électorat local et ses élus conservateurs s’y opposent – on connaît les combats d’arrière-garde des élus du XVIème arrondissement contre l’installation des foyers d’hébergement ou des logements sociaux… Il existe, en effet, des raisons économiques structurelles qui rendent particulièrement difficile la correction de cette logique de ghettoïsation que la président du conseil régional d’Île-de-France, Valérie Pécresse, dénonce tout en l’entretenant.

Proposer de nouveaux HLM suppose de les financer de leur construction à leur gestion… et le premier écueil est massif avant même la construction, c’est celui des prix du terrain, des prix du foncier. Dans les quartiers « bourgeois » concernés, le foncier est cher, très cher, et il est d’autant plus cher qu’il est rare ; dans ces conditions, même en ayant passé outre les états d’âme des élus conservateurs, même en accumulant tous les dispositifs qui permettent de subventionner la construction et d’alléger les coûts, les prix de sortie rendent impossible une production massive de logements sociaux et encore moins très sociaux dans ces quartiers. Les organismes HLM, confrontés à l’enjeu de la rénovation du parc et aux ponctions financières de l’État, n’ont pas les moyens de présenter des opérations trop déséquilibrées. En conclusion, mettre en œuvre la « fausse bonne idée » d’Élisabeth Borne supposerait une véritable révolution dans la stratégie de l’État en matière de logement, avec des investissements massifs et durables plutôt que de faire les poches du monde HLM, et une action contraignante et radicale sur la formation des prix du foncier… autant dire que l’on ne voit pas venir une telle évolution.

Il y a donc fort à parier que sa mise en œuvre reste à l’état d’effet d’annonces, avec quelques opérations qui seront mise en scène avant que les quartiers en QPV et ceux qui devraient y être continuent finalement d’accueillir les publics les plus défavorisés et restent ce qu’ils sont devenus aujourd’hui : des « hubs » du logement que les quelques foyers qui ont réussi à s’élever socialement fuient dès qu’ils en ont l’occasion pour être remplacés par des foyers extrêmement précaires qui rencontreront les plus grandes difficultés à s’intégrer économiquement et socialement, au milieu d’habitants qui partagent les mêmes peines qu’eux.

Car, en plus d’une action éducative puissante, de mise à niveau généralisée des services publics, le principal enjeu pour sortir les habitants des quartiers populaires est de leur donner durablement accès à l’activité économique. On a vu l’échec des « emplois francs » et des « zones franches », limités à des territoires toujours plus réduits : il vient en grande partie d’un aveuglement idéologique qui lie le chômage à un « coût du travail » supposé excessif… le même raisonnement nourrissait la course à l’ubérisation qui prétendait faire des plus ambitieux des auto-entrepreneurs à succès. On sait quelles frustrations et colères cette illusion a nourri (qui se lisent sans doute dans les votes de la présidentielle et des législatives) dans ces quartiers.

La plupart des territoires concernés ont en réalité subi une désindustrialisation massive et brutale, rendant inaccessible l’emploi pour des décennies. On attend encore le retour d’une politique industrielle digne de ce nom, qui ne donnera des résultats qu’à moyen terme.

Recyclage d’annonces présidentielles sous financées

Et ce ne sont pas les annonces présidentielles recyclées dans l’intervention de la Première ministre qui offriront beaucoup de perspectives. Déjà annoncé par Emmanuel Macron à Marseille en juin 2023, elle reprend le "plan entrepreneuriat Quartiers 2030", porté avec BpiFrance et la Banque des Territoires, doté de 456 millions d’euros sur quatre ans – 114 millions par an pour ancré l’activité économique dans les quartiers populaires. Est-ce bien sérieux ? Mais heureusement, le gouvernement veut également renforcer le programme "Les entreprises s’engagent pour les quartiers", avec l’objectif d’intégrer 2000 nouvelles entreprises pour atteindre un total de 6000 entreprises engagées. Nous voilà rassurés…

Enfin chacune des mesures suivantes, déjà annoncées précédemment, pose un problème de financement ou de logique de rustine. Sur le principe, il n’y aurait rien à redire. Les cités éducatives seraient généralisées d’ici 2027. L’accueil continu de 8h à 18h dans les collèges de REP et REP+, comme annoncé par le chef de l’État en juin à Marseille, serait assuré à partir de la rentrée scolaire 2024. Le gouvernement promet également une « convergence progressive du zonage des QPV et de celui de l’éducation prioritaire en assurant dès 2024 un traitement spécifique pour l’ensemble des écoles orphelines ».Un plan d’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques viserait à toucher 500 collectivités, pour « neuf heures d’ouverture supplémentaire par semaine en moyenne » et en particulier le dimanche. « Un abondement exceptionnel de la dotation globale de décentralisation » devrait financer cette mesure. Enfin, avec l’appui du fonds de co-investissement de l’ANRU, l’expérimentation de 60 centres de santé sera conduite d’ici 2027, avec pour « priorité d’aller vers les habitants et de les orienter vers les soins dont ils ont besoins ». Au regard des suppressions de postes encore annoncées dans l’éducation nationale, on s’étonne de la capacité à financer et assurer subitement les cités éducatives l’accueil continu dans les collèges et la convergence des zonages, alors que le ministère peine aujourd’hui à assurer les remplacements d’enseignants absents dans les mêmes territoires. L’abondement « exceptionnel » pour financier l’ouverture supplémentaire des bibliothèques laisse présager des lendemains qui déchantent, car une fois que ce sera éloigné l’actualité brûlante on connaît le destin des financements exceptionnels de l’État en direction des collectivités : il sera effectivement exceptionnel et les communes devront arbitrer entre le maintien de ces 9 heures supplémentaires et la suppression d’autres services dans le cadre d’un budget toujours plus contraints. Enfin, les expérimentations de centres de santé (60 pour toute la France ?!) ne remplaceront pas la nécessité de travailler à l’installation durable de médecins de ville et à la restauration d’un fonctionnement décent des hôpitaux publics.

Les annonces sur la nouvelle génération de contrats de ville pourraient prêter à rire si la situation n’était pas grave. Leur élaboration vient de gagner un délai de 6 mois supplémentaires (donc une liberté de trésorerie de 6 mois supplémentaires) pour des signatures fin mars 2024. Mais la nouvelle géographie prioritaire, officiellement mise en chantier lorsqu’Olivier Klein était encore ministre ne sera publiée qu’en décembre 2023 : à tout hasard, si de nouvelles communes devaient entrer dans le champ des QPV, elles auront 3 mois pour boucler leur dossier. Mais surtout, le discours sur la flexibilité et la liberté accordée dans l’élaboration des contrats de ville masque une réalité plus crue : les crédits d’État passeront généreusement de 597,5M€ en 2023 à 600M€ en 2024…

Ne rien changer pour que rien ne change

4 mois après des émeutes d’une intensité et d’une violence rarement connues, le gouvernement a donc choisi de privilégier la réponse sécuritaire et les opérations « coups de poing ». La reproduction de tels événements est en réalité perçue par l’exécutif comme inéluctable : à la supposée sécession d’une population à la dérive répond la sécession des élites qui finalement se détourne des habitants de son propre pays pour privilégier des solutions de « gestion de crise ». Et encore dans leur propre logique, on pourrait même finir par considérer que les moyens offerts à cette réponse sécuritaire sont sous-dimensionnés. Les Quartiers populaires sont plus que jamais regardés comme des espaces où il convient de temps à autre de restaurer l’ordre, mais pas d’assurer la tranquillité publique et encore moins de garantir la justice. Le volet social annoncé à Chanteloup-les-Vignes, pour compenser à la marge l’essentiel des mesures de nature répressive, est absolument anémique et inopérant.

Les Quartiers populaires ne sont en réalité que la partie la plus éruptive de la société française qui subit aujourd’hui de plein fouet les conséquences des politiques néolibérales qui lui sont imposées depuis 30 ans et ont non pas détruit mais profondément abîmé et rendu impuissant l’État social. Pour mettre en œuvre ne serait-ce que le début des mots utilisés par la Première ministre dans ses interventions des 26 et 27 octobre 2023 – « émancipation », « intégration », « respect de l’autorité », « cohésion sociale » – il faudrait une transformation radicale tant sur le fond que budgétaire pour l’éducation, la santé, le logement, la reconquête industrielle, le recul de la pauvreté, les collectivités et la présence de l’État sur le terrain.

Finalement, le fatalisme gouvernemental est logique… en ne changeant rien, il peut prévoir que tôt ou tard un nouvel épisode d’émeutes, peut-être plus violent encore, finira bien par intervenir. Sa seule préoccupation est d’être prêt à frapper le moment venu. Il n’est pas question de changer de politique et régler le problème à la racine.

Frédéric Faravel
Conseiller municipal et communautaire GRS de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Animateur national du pôle Idées, formation, riposte de la Gauche Républicaine et Socialiste (GRS)

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16 février 2023 4 16 /02 /février /2023 14:28

4h30 de conseil pour affronter à nouveau le même mépris et le même désintérêt pour les besoins réels des Bezonnais. Pour rappel, nous n'avons eu que 4 jours pour préparer ce conseil chargé... Voici en quelques mots, ce que nous avons défendu hier soir :
nous avons refusé de donner encore plus de délégation de compétences à la Maire qui en a déjà trop.

⁉️ nous avons alerté sur le caractère illégal de la présentation d'une décision budgétaire modificative après le 21 janvier 2023 pour le budget de 2022... Nous avons refusé de prendre part au vote car le prétexte avancé par la Maire était que la Direction générale des Finances publiques avait spécifiquement demandé de présenter cette délibération hors délais : soit c'est faux, soit la DGFIP demande quelque chose d'ouvertement illégal car elle est terriblement en difficulté et que la commune de Bezons est terriblement hors des clous (au point de lui demander une telle contorsion)... dans tous les cas, nous saisirons le préfet et certainement la justice administrative.

💸🗣 Lors du débat d'orientation budgétaire, nous avons pointé les graves insuffisances et déviation de l'équipe municipale : pas de plan d'économies d'énergie💡(la fermeture de la piscine pendant un an explique en grande partie que la Ville ait limité la casse, ça ne devrait pas la dispenser de faire attention sur les autres postes), les présentations des priorités ont été confuses ou même profondément dérangeantes : une des trois priorités regroupent à peu près toutes les activités municipales (ce n'est donc plus une priorité), mais il est intéressant qu'en soit donc absents la médiathèque, le Théâtre Paul Eluard et la solidarité sociale (le CCAS) alors que tout le reste ou presque est cité. Concernant la sécurité, la majorité municipale part dans une fuite en avant : toujours plus de caméras, toujours plus de policiers municipaux (sans préoccupation pour le coût) et sans se préoccuper que cela ne peut résoudre les difficultés qui existent (quelle que soit la qualité de leur travail, ils n'en ont pas la compétence légale) : il nous faut exiger, obtenir, remuer ciel et terre pour rétablir le commissariat de Police Nationale de Bezons et non la Maire ne fait pas tout ce qu'elle pourrait pour cela... les campagnes de communication à la mode Béziers ne sont pas non plus utiles. Moment gênant quand nous avons pointé qu'une mairie tournée vers la sécurité n'avait pas réuni le CLSPDR depuis près de 3 ans (la Maire a osé dire qu'il n'y avait pas de référent municipal pour le CLSPDR avant 2020 ce qui est faux). Aucune information sur la façon de s'y prendre pour végétaliser les espaces publics alors que c'est le contraire qui se passe aujourd'hui ; les enseignants et parents d'élèves de la commune ont été ravis de découvrir qu'ils avaient été concertés pour végétaliser les cours d'école ; le square de la République et le parc Bettencourt ont tout simplement disparu des priorités. Les éléments purement financiers du dossier étaient confus ou manquaient carrément : aucune estimation du montant de subventions attendues en 2023 quand la ville prétend avoir accru celles-ci de + de 2600% en un an 🤡 ; les ratios annoncés dans le dossier n'y sont pas et aucune comparaison possible avec d'autres communes de même strate ; enfin, des données confuses sur les emprunts qui ont pu nous induire en erreur et que nous vérifierons car la présentation est intrigante. Bref de quoi être très inquiets pour l'avenir des Bezonnais.

🌍🗃 nous avons refusé de prendre part au vote sur la mise en révision du plan local d'urbanisme, bien que nous le souhaitions comme tous les Bezonnais : Mme Menhaouara a prétendu pendant la campagne que c'était sa priorité, pourtant le dossier n'est lancée qu'au bout de 3 ans de mandat et prendra 2 ans à 2,5 ans pour aboutir... Le PLU n'aura donc pas été changé dans le cours de ce mandat ! La Maire a décidé seule sans concertation, elle présente le service minimum de consultation des Bezonnais, nous refusons de cautionner cette mascarade et nous nous mobiliserons pendant les débats.

🌳🏘 Nous avons également refusé de prendre part au vote sur le projet immobilier entre les rues Albert-1er, Maurice-Berteaux et des frères-Bonneff : nous souhaitons effectivement voir sortir une nouvelle école, mais les contreparties environnementales sont faibles, la dépollution des terrains sera bien à la charge financière de la ville (c'est en toute lettre dans le dossier) même si la maire a expliqué le contraire en mentant donc ouvertement, 28 logements sociaux sur 254 logements c'est défavorable à la population bezonnaise et une école en RDC pose évidemment des difficultés, le projet n'est pas équilibré selon nous. En fin de débat, la maire a affirmé que les logements dits "en démembrement" étaient prévus sous le système du Bail Réel Solidaire ; or après discussion avec le directeur général des services en fin de conseil il semble que cela ne soit pas le cas : confusion totale donc ! Elle a enfin revendiqué qu'elle n'était pas contre le béton mais contre le "tout béton" : prodigieuse nuance, dont chacun aura mesuré l'étendue au regard de la nature des constructions en cours ou annoncées.

🤝 nous avons présenté le vœu pour que Bezons soutienne la mobilisation humanitaire pour les peuples de Syrie et de Turquie frappés par un grave séisme, vous trouverez ci-dessous le texte : notre vœu a été adopté à l'unanimité. Vexée de ne pas y avoir pensé avant que nous déposions ce texte, la Maire a donc annoncé qu'une petite subvention municipale serait versée à la fondation de France ... adaptation de dernière minute alors que le drame date de plus de 10 jours.

🎭🩰 nous avons défendu le Théâtre Paul Eluard - TPE - Bezons dans un vœu demandant à la maire de redéposer le dossier de renouvellement de la convention comme "scène d'intérêt national" - vous trouverez le vœu ci-dessous - sans laquelle le financement d'une programmation culturelle 2023-2024 est fortement compromise. La majorité municipale a voté contre en développant des arguments mensongers. Plus personne ne peut se faire d'illusions sur leur volonté de briser un outil qui fait la fierté de Bezons et ouvre les horizons culturels de nos enfants.

🏬 nous avons enfin refusé d'assister à la petite comédie mise en scène entre Mme Menhaouara et Mme Paula Ferreira pour permettre à la Maire de dénigrer ceux qui dénoncent sa politique désastreuse à la tête d'AB-Habitat : cela n'a trompé personne, c'était tellement téléphoné. La meilleure réponse était les 400 locataires et agents d'ABH réunis le midi devant l'Hôtel de Ville de Bezons pour dénoncer ses turpitudes... Bravo à eux !

🤪Etant restés discuter avec une partie du public dans le calme devant l'entrée de la salle Elsa-Triolet (où nous avons pu poser nos questions tranquillement au DGS au passage), nous nous sommes aperçus après coup que la maire et sa majorité municipale s'étaient enfuies par une porte dérobée pour ne pas pas croiser les habitants présents nombreux lors du conseil municipal : un comportement de forteresse assiégée et paranoïaque.🤣

Vœu de Vivons Bezons adopté à l'unanimité sur le séisme en Turquie et en Syrie

Vœu de Vivons Bezons rejeté par la majorité municipale sur Théâtre Paul-Eluard

Bezons : confusions et mensonges en conseil municipal... Non au "tout béton", mais vive le béton !
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6 juin 2014 5 06 /06 /juin /2014 20:55

La question territoriale est définie comme une « ambition » majeure de François Hollande depuis le début de son quinquennat. L'actualité brûlante de la réforme territoriale a été rouverte par la conférence de presse présidentielle du 14 janvier dernier et la déclaration de politique générale du Premier Ministre Manuel Valls le 8 avril 2014. Le débat fait rage depuis quelques jours après la présentation, souvent décrite comme maladroite, par François Hollande dans une tribune parue dans la Presse Quotidienne Régionale le 3 juin.

« Hasard du calendrier », ces débats violents se dérouleront au momentdes investitures socialistes pour les élections sénatoriales septembre 2014. Cet article se fixe pour objectifs d'analyser la situation actuelle dans le temps long.

  1. 1/ Dès les premiers mois du gouvernement Ayrault, elle a connu des atermoiements substantiels.

  2. 2/ Une accélération soudaine a été donnée lors de la conférence de presse du Président de la République en janvier dernier, puis lors de la déclaration de politique générale de Manuel Valls.

  3. 3/ Au stade actuel, sans contester en soi le bien fondé d'une réforme territoriale, de nombreuses interrogations restent en suspend tant sur les motivations profondes de la réforme que sur la méthode employée.

I- L'ambition territoriale du Président de la République

4432963_6_9983_le-3-juin-francois-hollande-a-presente-un_97.jpgRappelons l'engagement fort du candidat François Hollande durant la campagne de l'élection présidentielle, ce dernier mettant en avant son expérience d'élu local comme Maire de Tulle puis président du Conseil général de la Corrèze.

Engagement 54 - J’engagerai une nouvelle étape de la décentralisation en associant les élus locaux. Je ferai voter une loi sur le renforcement de la démocratie et des libertés locales. Elle prévoira notamment l’abrogation du conseiller territorial et la clarification des compétences. Un pacte de confiance et de solidarité sera conclu entre l’État et les collectivités locales garantissant le niveau des dotations à leur niveau actuel. Je réformerai la fiscalité locale en donnant plus d’autonomie aux communes, aux départements et aux Régions, en contrepartie d’une plus grande responsabilité. Une véritable péréquation sera mise en œuvre.

I.1. Revenir sur le conseiller territorial :

Le pays était alors soumis à la précédente loi de réforme territoriale voulue par Nicolas Sarkozy, votée en 2009.

Celle-ci impliquait la création d'un élu « local » hybride, le conseiller territorial qui siégerait à la fois au conseil régional et au conseil général et serait élu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, selon un découpage qui restait à définir. L'argument principal était de réduire le nombre d'élus locaux, désignés ainsi à la vindicte populaire. En réalité, il s'agissait de préparer à terme la disparition du Conseiller général et surtout de réformer un mode de scrutin en appliquant une solution que Sarkozy jugeait plus favorable à son camp politique (intuition confirmée par les élections régionales de mars 2010 puis par les départementales de 2011). On voit tout de suite l'inconvénient de ce conseiller territorial (absence de parité, cumul institutionnalisé par une voie détournée, confusion des missions et des mandats). Les mandats régionaux et départementaux voyaient, dès avant les élections de 2010 et 2011, leurs termes fixés à mars 2014. Les régions et les départements perdaient la clause générale de compétence.

Le second volet de la loi impliquait une nouvelle étape de l'intercommunalité, renforçant ses compétences et rationalisant la carte des communautés (notamment en région parisienne). Cette partie « interco » faisait plutôt consensus entre PS et UMP, sauf sur la méthode qui donnait trop de pouvoir et d'initiative aux Préfets aux détriments des élus locaux concernant l'achèvement de la carte des intercommunalités. Était également contestée une vision confuse de l'évolution des métropoles régionales.

En Île-de-France, la loi sur le Grand Paris venait compléter le dispositif. Également votée en 2009, elle sera adaptée suite au camouflet essuyée par Nicolas Sarkozy aux régionales, le Président ayant perdu le bras-de-fer qui l'opposait à la Région Île-de-France.

Dès l'arrivée au pouvoir, François Hollande, Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls se sont donc attelés à revenir à la situation antérieure en supprimant les conseillers territoriaux. La partie interco et « Grand Paris » étaient laissées en l'état.

Les assemblées régionales retrouvent donc le mode de scrutin appliqué en 2004 et 2010. Les élections régionales et départementales sont repoussées à mars 2015, pour permettre la mise en œuvre d'un nouveau mode de scrutin pour ces dernières. Le choix de l'exécutif est de remplacer le conseiller général par un conseiller départemental, élu au scrutin majoritaire à deux tours sur des tickets paritaires (2 titulaires, 2 suppléants), le nombre de conseillers départementaux devant être équivalents (un de plus maximum) au nombre de conseillers généraux auxquels ils devraient succéder.

Cette solution impliquait de procéder à un découpage électoral, pour créer de nouveaux cantons moins inégaux géographiquement et démographiquement que les anciens. La concertation pour ce découpage a été faite, elle a pris du temps ; exercice difficile, il subit aujourd'hui des recours administratifs coordonnés par tous les conseils généraux de droite. À partir du moment où le scrutin majoritaire était choisi ce redécoupage était absolument nécessaire.

Cependant, on peut rappeler que la position du PS (adoptée dans les années 1970 et jamais réexaminée depuis) avait été de favoriser la proportionnelle départementale. Il est vrai que depuis qu'il a accédé au pouvoir en 1981, le PS n'a jamais cherché à mettre en application cette orientation et que l'immense majorité des élus locaux socialistes défendent le mode de scrutin majoritaire, sans que ce revirement n'ait jamais été soumis à nouveau à la validation des militants socialistes.

I.2. L'avant projet de loi Lebranchu, puis « les projets » de lois Lebranchu

L'ambition de François Hollande pour les territoires devaient se traduire dans un grand projet de loi sur la décentralisation et la modernisation des administrations publiques. Il s'agissait de renforcer la dynamique de métropolisation en supprimant les logiques confuses introduites sous le précédent gouvernement, le renforcement du pouvoir des régions (développement économique et formation professionnelle notamment), le rétablissement de la clause générale de compétence pour toutes les collectivités, le développement des « solidarités territoriales » et de la démocratie locale. Cet avant-projet de loi était dense mais pouvait avoir le mérite de la cohérence en terme de vision d'ensemble. Il permettait également de viser une adoption avant les élections municipales de mars 2014, malgré les évidentes résistances qui seraient rencontrés dans les débats parlementaires.

Finalement, lors d'arbitrages internes à l'exécutif dans lesquels le Président semble avoir beaucoup pesé, il est convenu que Marylise Lebranchu déposera finalement trois projets de lois différents, avec toujours pour objectif de les faire adopter avant les municipales (invraisemblable).

  • - Le projet de loi relatif « à la modernisation de l’action publique territoriale et à l’affirmation des métropoles ». Il vise à clarifier les responsabilités des collectivités et de l’État, à affirmer le rôle des métropoles et conforter les dynamiques urbaines et comprend également les dispositions relatives aux transferts et à la mise à disposition des agents de l’État et à la compensation des transferts de compétences de l’État.

  • - Le projet de loi « de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi, et de promotion de l’égalité des territoires ». Il renforce les compétences des régions en matière de développement économique (avec notamment le transfert de la gestion des fonds européen) et de formation professionnelle. Il comporte un titre sur l’égalité des territoires (ingénierie, maisons de services publics, aménagement numérique du territoire confié au conseil général, schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services publics sur le territoire départemental).

  • - Le projet de loi « de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale ». Il accroît les compétences des régions dans le domaine des transports, organise la gestion du logement étudiant, comporte des dispositions relatives aux langues régionales, à l’engagement écologique et à la transition énergétique, et à l’énergie. Un titre traite de la démocratie locale et de la transparence de l’action locale (responsabilité financière des collectivités, création d’une commission des finances dans les communes de plus de 50 000 habitants, création conseils de développement, développement de l’open data). Un titre IV est consacré au renforcement de l’intégration communautaire. Un titre V définit le cadre national de gouvernance pour l’action publique locale.

Seul le premier projet de loi a été débattu et adopté début 2014. Il a redéfini les rôles respectifs des niveau de collectivités par la consolidation de la notion de « Chefs de file » :

  • - la Région « pour l’aménagement et le développement durable du territoire, les développements économique et touristique, l’innovation et la complémentarité entre les modes de transport » ;

  • - le Département « pour l’action et la cohésion sociale, l’autonomie des personnes, l’aménagement numérique et la solidarité des territoires ». ;

  • - le bloc communal « pour l’accès aux services publics de proximité, le développement local et l’aménagement de l’espace ».

Dans chaque région, la conférence territoriale de l'action publique est chargée de favoriser un exercice concerté des compétences des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics. La conférence territoriale de l'action publique peut débattre et rendre des avis sur tous les sujets relatifs à l'exercice de compétences et à la conduite de politiques publiques nécessitant une coordination ou une délégation de compétences entre les collectivités territoriales et leurs groupements.

Le projet de loi vise à renforcer les intercommunalités mais les Établissements Publics de Coopérations Intercommunales (EPCI – communautés de communes, communautés d'agglomération, communautés urbaines) ne deviennent pas pour autant des collectivités de plein exercice. Il fixe définitivement les modalités de transformation des communautés urbaines en métropoles : « La métropole est un EPCI à fiscalité propre regroupant plusieurs communes d'un seul tenant et sans enclave au sein d'un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d'aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d'en améliorer la cohésion et la compétitivité et de concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional. » La loi maintient également la création de pôles métropolitains, malgré la confusion qu'elle entraîne et qui avait été critiquée sous Sarkozy. La détermination de la représentation électorale des communes au sein des métropoles est renvoyée à un texte ultérieur pour la période 2014-2020.

Certaines métropoles deviennent cependant des collectivités à part entière :

  • - Elle confirme la création au 1er janvier 2015 de la Métropole de Lyon (sur un mode plutôt consensuel) qui reprend les compétences du département du Rhône sur son territoire (sauf le SDIS et les archives départementales) ; la métropole de Lyon comptera 1,3 million d'habitants sur les 1,77 million du département.

  • - Elle impose contre la droite locale la création de la Métropole Aix-Marseille-Provence au 1er janvier 2016 ; elle compterait 93 communes pour 1,8 million habitants, soit 93 % de la population des Bouches-du-Rhône et elle fusionnera les six EPCI déjà existantes sur son territoire (Marseille-Provence-Méditerranée, Pays d’Aix, Agglopole Provence, pays d'Aubagne, Ouest Provence, pays de Martigues). La nouvelle métropole pourra demander des délégations de compétences au département, à la région et à l’État.

La loi comporte également une large partie sur l'organisation territoriale de la région parisienne, qui a été particulièrement disputée :

  • - Création de la Métropole du Grand Paris au 1erjanvier 2016, nouvel EPCI qui n'aura pas un statut de collectivité territorial de plein droit :

    • ♦ elle comportera toutes les communes des 4 départements centraux de l'Île-de-France, ainsi que les communes de la 2ème couronne appartenant aux EPCI de la 1ère couronne ;

    • ♦ le communes de la 2ème couronne limitrophes de la future Métropole telle que définit ci-dessus pourront opter au 1er janvier 2015 pour la rejoindre ;

    • ♦ les compétences de la Métropole : aménagement du territoire métropolitain, PLH (l'essentiel des compétences de l’État en la matière lui seront déléguées), politique de la Ville, développement et aménagement économique, social et culturel d'intérêt métropolitain, protection et de mise en valeur de l'environnement et de politique du cadre de vie ;

    • ♦ les communes pourront par délibérations concordantes lui déléguer d'autres compétences ;

    • les EPCI pré-existants en 1ère couronne disparaîtront pour laisser place à des « conseils de territoires » qui n'auront pas de personnalité juridique sui generis, ce qui pose un problème en terme de gestion des personnels des anciens EPCI qui dépendront tous de la Métropole, mais qui pour une part devront être réaffectés aux « territoires » pour assumer les missions exercées par les ex EPCI qui n'entreront pas dans le champ de l'intérêt métropolitain. La question de la gestion du personnel métropolitain issu des ex EPCI et des communes risque donc d'occuper durant les 1ères années l'installation de la nouvelle métropole ;

    • ♦ la région Île-de-France est censée établir des schémas et documents prescriptifs supérieurs à ceux qui seront élaborés par la future métropole (aménagement, habitat, environnement), mais l'émergence de celle-ci apparaît comme un concurrent politique notoire qui impactera les capacités du conseil régional à agir.

  • - Accélération et consolidation de la carte de l'intercommunalité de la 2ème couronne : les EPCI de l'aire urbaine de la région parisienne doivent atteindre un seuil de 200 000 habitants minimum ; le Préfet de Région doit présent un projet de schéma régional de coopération intercommunale au 1er septembre 2014 et qui doit être validé après consultation de la commission régionale de coopération intercommunale composée par les anciennes CDCI qui avaient été consultées sous le précédent quinquennat. Ces nouveaux EPCI doivent être constitués au 1er janvier 2015. De fait, la méthode qui avait été critiquée violemment sous Nicolas Sarkozy est réitérée à l'échelle régionale et dans un calendrier encore plus resserré.

La question de la péréquation territoriale reste traitée dans les PLF et non dans les projets de lois de réforme territoriale. Cependant, notamment en Île-de-France, les changements profonds induits par les évolutions acquises et à venir interrogent fortement les dispositifs actuels, notamment au regard de la création de la Métropole du Grand Paris en région parisienne.

Cette partie de la loi est celle qui a causé le plus de débats et de difficultés tant au gouvernement qu'à la majorité parlementaire : les élus socialistes ont notamment mis en minorité en septembre 2013 au sein du syndicat mixte Paris Métropole sur la question de la Métropole du Grand Paris par les élus UMP, UDI, Front de Gauche et MRC (plus quelques socialistes, comme François Puponni), le représentant de la région s'étant abstenu et de nombreux élus socialistes n'ayant pas pris part au vote. La droite y avait vu l'opportunité de mettre en difficulté les élus PS, qui avaient modifié à 180° leur discours sur la question pour se ranger à la discipline gouvernementale ; le reste des élus de gauche avait décidé eux de continuer à défendre la position de gauche antérieure et élaborée collectivement qui était de promouvoir la Métropole parisienne comme un EPCI d'EPCI (il suffisait de changer un article du Code Général des Collectivités Territoriales pour cela). Il semble que l'avis de parlementaires socialistes franciliens fraîchement élus et sans expérience de l'administration des collectivités locales (comme Alexis Bachelay) ait alors prévalu à l'Assemblée Nationale, aggravant encore la copie gouvernementale.

II- Une accélération soudaine et imprévue

Avant même la défaite des élections municipales, François Hollande va imprimer un nouveau rythme à la réforme territoriale en explorant des pistes non évoquées jusqu'ici.

II.1. Une première touche obscure lors de la conférence de presse de janvier :

Lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, alors même que le Conseil Constitutionnel ne s'est pas encore prononcé sur la première loi Lebranchu, le Président de la République remet en chantier les projets de lois suivants : « Les régions se verront confier dans une nouvelle loi de décentralisation un pouvoir réglementaire local pour [leur] donner encore plus de liberté »[…] « Une clarification stricte des compétences sera introduite. Les collectivités seront également invitées à se rapprocher. Les régions d'abord, dont le nombre peut aussi évoluer. [Les départements] devront redéfinirleur avenir dans les grandes zones métropolitaines. »

On perçoit mal alors où le Président de la République souhaite aboutir. En affichant un volontarisme renouvelé sur la question territoriale, il semble cependant vouloir mettre un terme au procès en indécision qui lui ai fait dans la presse et par la droite. Mais dans le même temps, il semble invalider le travail mené sous sa responsabilité et celle de Jean-Marc Ayrault (de fait, Marylise Lebranchu ne maîtrise plus le processus de réforme territoriale qui a été pris en main dès le redécoupage de son avant-projet de loi par l’Élysée et Matignon) et on ne comprend pas comment il pourra trouver les arguments pour « inviter » les départements à se rapprocher après l'échec référendaire de la fusion des départements alsaciens en avril 2013, que la délégation de compétences départementales aux métropoles a été limité à Lyon et à terme à Aix-Marseille-Provence, ou encore que l'idée de la suppression des départements de la petite couronne francilienne a été écartée.

manuel-valls-et-francois-hollande-10975172oxxld_1713.jpgLa ligne présidentielle reste floue au sortir de cette conférence. La déroute socialiste aux élections municipales va l'inciter à forcer le trait pour démontrer sa stature présidentielle.

II.2. La déclaration de politique générale de Manuel Valls :

Jean-Marc Ayrault est remplacé après une semaine d'atermoiement par Manuel Valls à Matignon. L'ampleur de la défaite municipale incite le couple exécutif à préciser et à accélérer les décisions territoriales dans la logique de la conférence de presse du 14 janvier. Le besoin d'affirmation d'autorité du Président rencontre le besoin d'image volontariste du Premier ministre.

Ce dernier annonce donc dans sa déclaration de politique générale du 8 avril 2014 :

« Notre indépendance financière passe aussi par des réformes de structures. La France est prête à ces réformes et notamment celle du "mille-feuille territorial".

Je propose quatre changements majeurs susceptibles de dépasser les clivages partisans :

  • Le premier concerne nos régions. Il s’inspire du rapport des Sénateurs Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin. Nos régions doivent disposer d’une taille critique. Ainsi elles auront tous les leviers, toutes les compétences, pour accompagner la croissance des entreprises et encourager les initiatives locales. Je propose de réduire de moitié le nombre de régions dans l’hexagone.
    Sur la méthode, il s’agit de faire confiance à l’intelligence des élus. Les régions pourront donc proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1
    er janvier 2017.

  • Mon deuxième objectif, c’est l’intercommunalité. Une nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie entrera en vigueur au 1er janvier 2018.

  • Mon troisième objectif, c’est la clarification des compétences. C’est pourquoi je proposerai la suppression de la clause de compétence générale. Ainsi, les compétences des régions et des départements seront spécifiques et exclusives.

  • Enfin, mon dernier objectif est d’engager le débat sur l’avenir des conseils départementaux. Je vous propose leur suppression à l’horizon 2021. Je mesure l’ampleur de ce changement. Il nous faudra notamment répondre au sentiment d’abandon qui existe dans nos départements et territoires ruraux. Ce changement donnera lieu à un profond débat dans le pays qui associera les élus et les citoyens. Mais il est désormais temps de passer des intentions aux actes.

Pour ce qui concerne l’État, sa présence sur l’ensemble du territoire est indispensable. Le maillage territorial des préfectures, des sous-préfectures, ne sera pas remis en cause, mais il faudra l’adapter progressivement à la nouvelle donne territoriale. C’est la garantie d’un égal accès de tous les citoyens aux services publics. Je veux d’ailleurs rendre hommage à l’ensemble de ces agents, qui sont le visage du service public. »

III- Les nombreuses incertitudes des annonces territoriales de l'exécutif :

Prévue initialement le 14 mai 2014, le projet de loi portant à une « nouvelle organisation territoriale de la République » sera présenté le mercredi 18 juin en conseil des ministres (annonce faite le 3 juin en conseil des ministres). Il reprend à la fois le travail engagé pour le deuxième projet de loi Lebranchu en adaptant son contenu aux annonces de la déclaration de politique générale : renforcement du pouvoir réglementaire des régions ; renforcement de ses compétences en termes de développement économique, tourisme, aménagement du territoire ; modalité de redécoupage des régions ; délégation des compétences départementales aux métropoles ; mais la suppression des conseils départementaux, à l’horizon de 2021 ne figure pas en tant que telle dans le projet de loi.

Elle trouve sa place dans l’exposé des motifs. Elle passe par la constitution d’intercommunalités puissantes à l’horizon de 2018. Le seuil minimal (hors zone de montagne et île mono-communales) pour former un groupement est, dans le texte, relevé de 5 000 à 20 000 habitants. Le concept de « bassin de vie » pour ces intercommunalité est à géométrie variable… Le ministère de la Décentralisation a sollicité le Commissariat général à l’égalité des Territoires pour arrêter une définition des bassins de vie.

Les modalités de la suppression des départements sont donc encore incertaines et repoussées à un projet de loi ultérieur. Pendant un temps, il a été envisagé de surseoir à l'élection des conseillers départementaux, le gouvernement ne sachant pas comment présenter leur mission de liquidateurs de la collectivité départementale dans une campagne électorale.

La confusion a également régné sur la date des élections ; après un entretien du président de la République sur RMC et BFM TV le 6 mai 2014, on a cru comprendre que les élections régionales seraient repoussées en 2016 une fois obtenue tout à la fois le vote de la fusion des régions et de la suppression des départements. Finalement, le conseil des ministres a abouti le mardi 3 juin sur la convocation des élections régionales et départementales en novembre 2015 selon les modes de scrutins prévus initialement par loi Valls. Le gouvernement souhaite cependant obtenir la fusion des régions avant cette date, donc avec 18 mois d'avance sur l'annonce du Premier Ministre.

La contradiction est également majeure sur la question de la clause de compétence générale rétablie par la promulgation de la 1ère loi Lebranchu le 28 janvier dernier ; elle sera à nouveau supprimée dans le prochain projet de loi. Les régions se concentreront sur le développement économique, l'emploi, la formation professionnelle, les transports, l'aménagement du territoire ; les départements seront chargés d'« assurer les solidarités territoriales et humaines » en attendant que soit fixée les modalités de leur suppression.

IV- De nombreuses interrogations sont encore devant nous :

IV.1. Les incertitudes du processus législatif et constitutionnel :

La première d'entre elle est que supprimer purement et simplement le département n’est pas possible sans révision constitutionnelle puisque l’article 72 énumère le département comme collectivité territoriale. Une solution complémentaire a été envisagée par le gouvernement ; elle consiste à retirer des compétences au département pour le vider progressivement de sa substance. Cela reste possible, mais jusqu’à un certain point seulement : une collectivité territoriale doit en effet exercer des compétences « effectives ». Si la suppression du département dans les zones urbaines paraît techniquement réalisable (en transférant les compétences aux métropoles), pour le reste, il semble qu'on n’ait pas envisagé les aspects constitutionnels au préalable, avant de telles annonces. La constitution française est révisable mais on se demande bien de quelle majorité au congrès ou par référendum disposerait le Président de la République. Le président de la République, qui a par ailleurs annoncé dans sa tribune du 3 juin 2014 que les collèges reviendraient aux Régions, convient que « l’objectif doit être une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du conseil général en 2020 », manière de concéder qu'il ne dispose pas aujourd'hui des marges politiques nécessaires (à plus forte raison si le Sénat tombe à droite en septembre).

regions_Hollande_03-06-2014.jpgLe Premier Ministre envisageait dans sa déclaration de politique générale de compter sur l'initiative des conseils régionaux pour faciliter l'élaboration des nouvelles régions. La nouvelle carte territoriale, présentée avec la tribune du Président de la République « prend en compte les volontés de coopération qui ont été déjà engagées par les élus et sera soumise au débat parlementaire ».

Cette affirmation est pour le moins imparfaite : si les fusions des Normandies ou de la Franche-Comté et de la Bourgogne étaient attendues par les élus locaux, la volonté exprimée par les conseils régionaux de Poitou-Charentes et des Pays-de-la-Loire n'a visiblement pas été respectées, non plus que celle du conseil régional de Picardie qui ne souhaitait pas être rattaché à Champagne-Ardennes.

Selon les informations du Journal du dimanche publié le 1er juin, après la phase de regroupement des régions, il serait envisagé de permettre aux départements de changer de région. Mais François Hollande n'évoque pas cela dans sa tribune. Manuel Valls, avait déclaré mardi 3 juin que la réforme va « forcément évoluer à partir du moment où elle [sera] débattue, d'abord au Sénat puis à l'Assemblée nationale ». Au regard du caractère contestable du découpage régional, il est évident que cette possibilité pour tel ou tel département de changer de région créera des tensions. On l'a vu dès le jeudi 4 juin avec les premières manifestations contre le non-rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. Il serait caricatural de n'y voir qu'un nouvel épisode pittoresque de l'aventure hasardeuse des « bonnets rouges ». Le Premier Ministre a mis fin à cette hypothèse en indiquant lors des Questions aux gouvernement les 4 et 5 juin 2014 que les parlementaires n'avaient pas vocation à modifier l'appartenance des Départements à tel ou tel regroupement régional.

Qu'on le veuille ou non, ce débat rouvre celui sur les identités régionales, qui sont faites tout à la fois d'éléments culturels (parfois très marqués comme en Bretagne ou en Alsace), de solidarités locales et d'habitudes de vie (mobilités, emploi, etc.). De fait, il semble que les habitants aient été oubliés de cette réforme de la carte régionale.

Quelles sont donc les motivations avouées de cette réforme ? L’enjeu est « d’offrir une meilleure qualité de service et de moins solliciter le contribuable tout en assurant la solidarité financière entre collectivités selon leur niveau de richesse »écrivait le Président le 3 juin. Or rien n'est dit sur la solidarité financière, les dispositifs de péréquation territoriale étant examinés lors des PLF ; et l'on voit difficilement comment on pourra offrir une qualité de service en réduisant le maillage des services publics sur le territoire : modification de la carte des administrations d’État, suppression du département chargé de l'action sociale, peut-être relayé par les EPCI mais qui sont elles-mêmes appelées à croître en surface et démographiquement.

IV.2. La recherche d'économies d'échelle : rien d'acquis ni d'évident…

« A moyen terme, […]en faisant des économies d'échelle, en supprimant les chevauchements de compétences, les doublons, on peut arriver à une dizaine de milliards d'euros d'économies », a expliqué André Vallini secrétaire d’État à la réforme territoriale à la presse à l'issue du conseil des ministres mardi 3 juin. « 10 milliards, c'est à peu près 5 % de la masse globale des collectivités locales qui est de 250 milliards, ça serait déjà beaucoup, ça va prendre quelques années ».Les économies seraient réalisés sur 5 à 10 ans : donc 1 à 2 milliards par an, ce qui est faible. Première concernée, lAssociation des Régions de France (ARF) se montre bien plus prudente que le gouvernement sur l’impact financier du nouveau découpage : « Nous ne ferons pas d’économies sur les régions. Au contraire », affirme ainsi son président, Alain Rousset, pour qui le chiffre de dix milliards d’euros d’économies « n’est absolument pas étayé ». L’ARF reconnaît que des économies sont « potentiellement possibles à long terme (essentiellement sur la commande publique) » mais met en garde contre « les surcoûts immédiats et à moyen terme » liés à la fusion de plusieurs régions. Parmi ces surcoûts, elle pointe notamment le réalignement sur le mieux disant des régimes indemnitaires, des dotations de fonctionnement des lycées et des dispositifs d’aides et de soutien ainsi que la re-territorialisation des services. Et les régions sont appelées à monter en puissance au niveau de leurs compétences (développement économique, soutien aux entreprises, transports régionaux et lycées), en assumant à l’avenir la gestion des grandes infrastructures et certaines compétences départementales qui leur seront affectées (collèges, routes, transports interurbains).

Le transfert des prestations sociales départementales se révèle encore plus complexe. Si les grandes agglomérations et les métropoles peuvent s’appuyer sur des ingénieries existantes, telle la mission locale, qu’en sera-t-il en milieu rural ? De nombreux acteurs militent donc en faveur d’une réappropriation de l’action sociale par l’État par le biais des caisses d’allocations familiales ou des agences départementales.

On peut douter des avantages que l’une ou l’autre de ces solutions apporterait tant en matière d’économies que de qualité de service, car éclater des compétences départementales en autant de groupements de communes est l’inverse de la mutualisation, il faudrait donc recréer des services dans les EPCI et Métropoles. De plus, les dépenses sociales, qui s’élèvent à près de 35 milliards d’euros, sont peu compressibles sans changement structurant des lois. Au final, l’assiette d’économies potentielles du fait de la suppression ne porte que sur la moitié de leurs dépenses (75 milliards d’euros).

Dès lors, quel volume d’économies peut-on attendre de l’effacement des départements ? Plus besoin d’assemblées délibérantes ni d’élus et fin du dispositif nécessaire à leur fonctionnement (bâtiment, cabinet, communication, etc.). Certes, les sommes en jeu restent réduites, contrairement aux frais généraux qui représentent entre 7 et 8 % des dépenses de fonctionnement des départements (56 milliards d’euros), soit plus de 4 milliards dont 1 de masse salariale (35 000 agents sur 365 000 sont affectés à la gestion).

Mais le gain ne sera pas immédiat car, pour continuer à assurer les interventions des départements, il faudra maintenir certains services opérationnels qui ne seront que progressivement mutualisés avec les autres niveaux de collectivité. Un processus long et coûteux à mettre en œuvre… pas de quoi modifier la situation du déficit public.

On peut suggérer trois leviers d’économies à activer. Le 1er consiste à mettre fin à l’exercice des compétences facultatives par les départements (sport, jeunesse, culture et vie associative) qui distribuent 2,2 milliards d’euros de subventions. Le 2ème concerne la mutualisation de la gestion des collèges (4,4 milliards) et des lycées. Une rationalisation de la restauration et de l’entretien diminuerait, a minima, de 6 % le budget éducation des départements. Mais en tenant compte des limites émises par l'ARF. 3ème levier, la réduction de moitié du taux d’absentéisme (10 % en moyenne) pourrait générer 500 à 600 millions d’euros d’économies sur une masse salariale de 12 milliards. Ce taux élevé étant directement lié aux compétences des conseils généraux et aux métiers difficiles qu’elles impliquent, une meilleure Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. réduirait l’absentéisme par une anticipation du reclassement des personnes avant qu’elles ne deviennent inaptes.

Rien de bien convainquant pour soutenir l'argument principal de la réforme.

IV.3. La compétitivité économique : pas assurée…

« La volonté du gouvernement, c'est d'avoir des régions économiquement fortes et cohérentes » indiquait Bernard Cazeneuve sur I-Télé le 3 juin ; Manuel Valls indiquait le même jour sur BFM TV qu'il fallait « rendre nos régions plus fortes et plus compétitives ». Il faudrait atteindre des régions de taille européenne capables d'assurer la comparaison avec les Länderallemands.

Le rédécoupage devrait faire rentrer 4 régions supplémentaires dans le classement des 50 euro-régions les plus peuplées : Champagne-Picardie, Normandie (3,3 millions d'habitants), Alsace-Lorraine (4,2) et Centre-Poitou-Limousin (5,1). Même changement en termes de richesse : avec ses nouvelles régions, la France devrait placer12 des 50 régions européennes au plus fort PIB, contre 8 actuellement. Rhône-Alpes, renforcée de l'Auvergne, passerait ainsi au quatrième rang européen, derrière le centre de Londres, la Lombardie et l’Île-de-France. En revanche, aucun effet sur la richesse de chaque habitant. Après le redécoupage, l’Île-de-France devrait rester, à la 7ème place, la seule française des 50 euro-régions au plus grand PIB par habitant. Rhône-Alpes devrait même perdre 8 places (de 72ème à 80ème) en s'associant à l'Auvergne. Rappelons tout de même que la réforme vient à peine d'être annoncée, et qu'elle est donc susceptible de modifications avant d'entrer en application.

En fait, en terme de développement économique et de soutien à l'innovation par les Régions, le problème restera entier quel que soit le redécoupage et même si on affecte à celles-ci les dotations des Départements. Les collectivités françaises dépensent en moyenne 350 à 400 €/h/an/h quand un Landinvestit dix fois plus. La force de frappe des nouvelles régions françaises pour le développement économique ne sera pas révolutionnée.

Cela réinterroge la question de la dépendance des collectivités françaises et notamment des Régions aux dotations de l’État et du manque de liberté et dynamisme fiscal de ces dernières. Mais cela réinterroge également et surtout toute la logique du pacte de responsabilitéqui, parmi toutes les économies réalisées sur le budget de l’État (50 Mds), prévoit de retirer 11 milliards d'euros au dotations aux collectivités. Comment dans ces conditions pérenniser les investissements des collectivitésqui remplissent le carnet de commande de nombreuses entreprises grâce aux marchés publics ? Comment renforcer le soutien à l'innovation ?

Ces arguments sont pourtant ceux que les socialistes ont répétés durant les 10 années de gouvernement UMP.

IV.4. Une réforme territoriale de gauche est pourtant possible :

L'empilement des structures administratives est effectivement une source d'inefficacité de l'action publiqueet surtout d'incompréhension des habitants. Mais comment expliquer les « conseils de territoires » dans la Métropole du Grand Paris ou encore la subtilité entre Pôle métropolitain et Métropole ? La question de la démocratie locale n'est pas à négliger.Mais comment soutenir que c'est avec des intercommunalités telles quelles sont conçues aujourd'hui et avec les modes de scrutin actuels que les habitants se sentiront représentés par les élus communautaires et métropolitains.

Dire que le Département est une création de la Révolution Française n'est un argument ni suffisant ni nécessaire pour défendre son maintien. Le débat sur la pertinence des Départements en territoire urbain est posée mais en territoire rural les communautés de communes ne sont pas prêtes à le remplacerpour maintenir le maillage territorial, d'autant que la présence de l’État est appelé à s'y réduire avec la nouvelle carte des sous-préfectures. Ces débats ont fait l'objet de discussions technocratiques mais n'ont jamais été publics.

Enfin, les Régions peuvent parfaitement atteindre des tailles supérieures pour rendre plus efficaces les actions dans lesquelles elles sont compétentes. Mais à la condition qu'elles disposent des moyens nécessaires pour cela, et à ce stade on ne respecte même pas l'engagement 54 qui était de consolider les moyens existants.

La question de l'organisation territoriale de la République ne peut se distinguer du pacte républicain qui lie les citoyens à la puissance publique : la réforme doit donc être globale, elle doit partir des demandes et des besoins des habitants (notamment quand il s'agit rendre cohérentes les régions françaises), pour plus de démocratie, une meilleure représentativité (proportionnelle aux législatives et pour les scrutins locaux, fin du pouvoir exorbitant du Président de la République, droit de vote des étrangers aux élections locales, etc.). En somme, une VIème République. C'est loin d'être au programme de François Hollande ; mais ce dernier n'a pas les moyens parlementaires de la politique qu'il propose (3/5èmes du congrès), les socialistes doivent donc s'emparer du débat politique pour proposer une réforme plus cohérente avec leurs convictions et les attentes du pays.

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5 février 2014 3 05 /02 /février /2014 08:19

excellente analyse de mon ancienne directrice de recherche Béatrice Gilbin-Delvallet, dont l'esprit de géographe est toujours aussi affuté sur les enjeux de la décentralisation, la construction des territoires et les interactions des pouvoirs locaux.

La gazette des communes - 5 février 2014

Redécoupages des régions, fusion des communes, non-cumul des mandats… Béatrice Giblin, à la base du concept de géopolitique locale, combat les idées reçues à-propos de l'Acte 3 de décentralisation. La directrice de la revue Hérodote prône une réforme des collectivités menée dans la durée.

B.-Giblin.pngEn s’en prenant à l’organisation territoriale source, à ses yeux, de « lourdeurs » et d’ « exaspération fiscale », François Hollande ne tient-il pas désormais un discours très proche de son prédécesseur ?

Je ne le crois pas. François Hollande utilise le conditionnel et se réfère directement à son expérience à la tête du conseil général de Corrèze pour défendre la place du département en milieu rural.

L’ancien maire de Neuilly-sur-Seine, lui, employait un ton beaucoup plus martial.

Il s’en remettait aux plans prédéterminés de Jacques Attali et Edouard Balladur. Des personnalités sans doute très qualifiées, mais fort éloignées de la gestion des collectivités locales…

En quoi le pouvoir actuel adopte-t-il une politique si différente ?

Depuis un an et demi, la ministre chargée de la Décentralisation, Marylise Lebranchu consulte notamment les acteurs locaux. Il était impossible de ne pas associer élus et cadres de la fonction publique territoriale à sa réflexion : il y a des gens qui savent penser en dehors de Paris !

Elle fait le choix de la démocratie, par définition source de discussions, de débats et donc de conflits. Sa réforme est le reflet de cette concertation, ce qui la rendra très probablement imparfaite, notamment sur la répartition des compétences entre les différents échelons.

Etes-vous favorable, comme le suggère François Hollande, à la disparition des conseils généraux sur le territoire des nouvelles métropoles ?

Etant donné le caractère polémique du sujet, il est évident qu’il n’y aura pas de réforme pour le simple plaisir de réformer. Mais ceux qui s’attendent à un big-bang territorial dans les six mois qui viennent risquent d’être déçus.

Ce débat n’en est qu’à ses prémices. Régler ces questions difficiles et délicates, comme celle-ci, réclame du temps.

Il semble judicieux de supprimer les départements dans des métropoles de plusieurs millions d’habitants. Cependant – si les conseils généraux disparaissent effectivement de ces territoires bien souvent inégalitaires – que deviendra la nécessaire proximité avec les populations les plus pauvres pour leur attribuer l’aide sociale ?

Quel regard portez-vous sur les métropoles issues de la première loi «Lebranchu», promulguée le 28 janvier ?

Elles marquent un grand changement, puisque, pour la première fois dans l’histoire de France, les métropoles n’exerceront pas obligatoirement toutes les mêmes compétences. Ce qui est vrai pour le grand Lyon aujourd’hui ne le sera pas forcément demain pour la métropole d’Aix-Marseille ou de Brest.

C’est un progrès considérable, car toutes les métropoles ne couvrent pas 70% du territoire d’intervention d’un département-croupion comme l’est celui du Rhône, et tous les départements ne gèrent pas des «quartiers sensibles», comme à Vaulx-en-Velin, dont ils sont ravis de se délester.

Le redécoupage des régions, prôné par François Hollande, peut-il améliorer le développement des territoires ?

Le découpage actuel des régions date de 1956. Il a été opéré sur un coin de table par des hauts fonctionnaires «éclairés» du commissariat général au Plan, pour stimuler le développement économique insuffisant de certains territoires comme l’ouest, moins urbanisé et moins industrialisé à l’époque que l’est du territoire national.

Ces régions-programme n’ont pas été pensées comme pouvant devenir des collectivités territoriales telles qu’elles le sont depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983.

Des fusions sont-elles utiles aujourd’hui ?

L’argument en faveur d’un redécoupage est essentiellement économique. Mais marier deux régions comme l’Auvergne et le Limousin ne va pas en faire automatiquement  une région dynamique.

Rattacher la Loire-Atlantique à la Bretagne, c’est mettre deux crocodiles, Nantes et Rennes, dans le même marigot. A moins de transférer toutes les institutions à Notre-Dame-des-Landes (sic), qui de ces deux capitales régionales va, alors, assurer le leadership d’une Bretagne élargie ?

Je ne suis pas certaine que ces pistes soient nécessairement gages d’efficacité. En Allemagne, les Länder sont de tailles hétérogènes ; l’agglomération d’Hambourg mord sur trois länder différents dont la ville-Etat. Pour autant, personne ne pose la question de leur redécoupage.

Comment expliquez-vous, alors, le plaidoyer présidentiel en faveur de plus grandes régions ?

François Hollande semble bel et bien avoir été convaincu par la doxa vantant l’efficacité de régions plus grandes. Malgré l’absence de solide démonstration en ce sens, elles seraient, affirme-t-on, moins coûteuses pour les contribuables, plus compétitives et davantage adaptées à la mondialisation.

C’est curieux car, il y a dix ans, on ne parlait que de subsidiarité : il fallait que les décisions soient prises au plus près des populations et du territoire concerné. Désormais il faut des ensembles plus vastes afin de faire des économies d’échelle, en supprimant les doublons sources de dépenses inutiles voire pour certains « experts » de gabegie.

Un renforcement du pouvoir des régions vous parait-il cependant nécessaire ?

La centralisation, qui a atteint son paroxysme au milieu des années 1960, a montré ses limites. L’Etat ne peut plus revenir à l’époque où les permis de construire étaient délivrés par les préfets et non les maires, et que ces derniers apprenaient la création de villes-nouvelles sur leurs territoires… par le biais de la presse ! Il convient de gérer, aujourd’hui, les politiques au bon niveau.

Les régions seraient sans doute plus efficaces que l’Education nationale pour déterminer les territoires prioritaires où le nombre d’élèves par classe serait beaucoup plus petit pour éviter les décrochages échecs scolaires alors que dans d’autres territoires les classes pourraient être plus chargées.

Il en est de même dans le domaine de la santé où, à rebours de ce qui a été prévu pour les agences régionales de santé (ARS) imposées par l’Etat, les régions devraient être associées aux décisions qui concernent la santé de leur population.

Faut-il en finir avec les 36 000 communes, comme le souhaite la directrice de l’Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), Agnès Verdier-Molinié ?

Sur le modèle de l’Allemagne où la densité de population est trois fois plus forte qu’en France, Madame Verdier-Molinié estime qu’une commune doit regrouper au minimum 5 000 habitants. A-t-elle oublié que certains territoires, de montagne notamment, ont une densité démographique très faible ? Combien de temps les enfants mettront-ils alors pour se rendre à l’école ? Est-elle au courant que la plupart des élus municipaux ne coûtent pas un sou à la République ?

Soyons plus pragmatiques et moins dogmatiques : tenons compte de la réalité géographique et historique pour penser une réforme territoriale, car ces schémas apparemment si logiques peuvent s’avérer inapplicables voire absurdes !

Au-delà du matraquage médiatique de quelques fausses évidences, le système actuel demeure-t-il, selon vous, lisible aux yeux de nos concitoyens ?

De la commune au syndicat mixte, la France compte à elle seule le tiers des structures territoriales de l’Europe : c’est assurément trop. Très hétérogènes – il y en a de très petites et de très vastes – les intercommunalités restent mal identifiées : quelles sont leurs limites territoriales ? Quelles sont leurs compétences ? Peu de nos concitoyens le savent, et conservent de fait une image technocratique de cette structure.

En revanche, les autres strates telles que la commune, le département, la région et l’Etat sont parfaitement lisibles. Je rappelle, par ailleurs, que c’est l’Etat et l’Europe qui sont le plus pourvoyeurs de découpages fonctionnels(1) contribuant à embrouiller les citoyens… et même les élus locaux !

L’interdiction à venir du cumul parlementaire-président d’exécutif local ne va-t-il pas faciliter la réforme des territoires ?

Sans doute, oui. Mais elle va aussi affaiblir le poids du pouvoir local à Paris et renforcer la technostructure qui est déjà difficile à faire bouger.

Si les principaux élus du bassin minier n’avaient été que maires et non pas aussi députés dans les années 1990, ils n’auraient pas pu assurer la reconversion si difficile de leur territoire.

Que changera la limitation du cumul sur le plan local ?

Le non-cumul favorisera aussi, et c’est heureux, la parité. Elle devrait également permettre de réconcilier une partie des Français avec la vie politique, même si je suis persuadée que l’on ne parlerait pas autant de Montpellier sans la mégalomanie de Georges Frêche.

Mais attention : l’impossibilité pour les maires de cumuler leur mandat avec des pouvoirs discrétionnaires comme la présidence d’une SEM ou de l’office HLM ne sera facteur ni de simplification, ni d’économie…

Comment expliquez-vous le climat de défiance envers les élus locaux ?

Si elle est légitime pour une infime minorité d’entre eux, la diabolisation d’élus irresponsables et obnubilés par leur seule réélection ne fait qu’alimenter le discours «tous pourris» tenu par le Front national.

Je ne conteste pas que certains élus, à l’approche des élections, embauchent plus que de raison dans la fonction publique territoriale. Mais ne me dites pas qu’il n’existe pas non plus des postes inutiles dans la fonction publique d’Etat ou les entreprises…

Est-ce réellement une faute de ne pas avoir mutualisé et réduit les effectifs communaux et intercommunaux quand 25% de votre population est au chômage ?

La géopolitique des régions, mode d’emploi

Quel est le point commun entre l’implantation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la crise des banlieues françaises de 2005, la gentrification du quartier d’Harlem à New York ou encore la gouvernance du Grand Paris ? Tous ces évènements ont donné lieu à un conflit, entre des acteurs ne partageant pas la même conception de leurs territoires.

Dire que les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux font de la géopolitique n’est donc pas une caricature journalistique galvaudant cette discipline très médiatisée : c’est le constat de Béatrice Giblin.
Au sein de l’Institut français de géopolitique (IFG), elle, Philippe Subra et quelques autres enseignants-chercheurs appliquent, depuis une vingtaine d’années, le raisonnement géopolitique à tous ces conflits locaux contemporains.

Contrôle du territoire - Leur discipline – autrefois réservée à l’analyse des conflits internationaux – met en lumière les stratégies de divers acteurs(2) se disputant le contrôle et l’usage d’un territoire.

Les travaux de géopolitique locale, ou géopolitique interne, portent aussi bien sur la montée en puissance des collectivités territoriales depuis la décentralisation, et les luttes de pouvoirs entre administrations locales et administrations déconcentrées que sur les rapports de force entre institutions ou entre responsables politiques lors d’opérations d’aménagement du territoire ou d’élections, les recompositions territoriales à l’œuvre, les rivalités entre forces économiques et sociales, etc…

FPT ou cabinet - Objectif : démonter les ressorts profonds des stratégies de gouvernance, des alliances électorales, mais aussi de certains blocages liés à des affrontements entre groupes de pression opposés sur la construction de ligne à grande vitesse ou à l’implantation de logements sociaux.

A la frontière du technique et du politique, les diplômés de l’Institut Français de Géopolitique travaillent autant dans la fonction publique territoriale que dans les agences de conseil ou les cabinets d’élus.

Note 01:

parcs naturels régionaux, zones relevant de la loi Montagne ou soumise à la loi Littoral, zones urbaines sensibles, zones de revitalisation rurale, SCOT…

Note 02:

élus, préfets, présidents de chambre de commerce, entrepreneurs, riverains, militants environnementalistes, etc.

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