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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 09:20
Du grain à moudre
par Julie Clarini et Brice Couturier
du lundi au vendredi de 18h30 à 19h15
  Du grain à moudre


  de Brice Couturier

Ecoutez



 
  émission du mardi 14 avril 2009
Les religions monothéistes sont-elles plus violentes que les autres ?
 

 
Freud considérait le monothéisme comme un progrès décisif de la civilisation. Après le passage du totémisme aux « dieux humains », le monothéisme aurait constitué un retour au père primitif – Moïse, en l’occurrence, assassiné par les Hébreux, qui ne voulaient pas s’en souvenir… En outre, comme on sait depuis longtemps, le Dieu unique a une vertu décisive : il veut le salut de tous les hommes et de tous les peuples, même s’il lui arrive parfois d’en élire un pour son service particulier. Il est donc possible de le partager – et aux hommes de devenir frères en lui.
Jean Soler, au terme d’une enquête en quatre volumes et plus de 1 500 pages sur les origines de la Bible, aboutit à des conclusions rigoureusement inverses et c’est cela qui est intéressant. A ses yeux, « l’invention du monothéisme constituerait plutôt une régression. C’est « la religion du moindre effort », écrit-il. Elle a la force de persuasion des petites idéologies faciles à comprendre… Prosélytes par nature – si Dieu est unique, il convient d’en imposer la croyance à tous les hommes - les monothéismes sont naturellement portés aux guerres de religion, à la conversion forcée. En outre, là où les religions polythéistes se réjouissent des fruits de ce monde et appellent à en user avec modération, les monothéismes sont tentés par une forme particulière de nihilisme qui consiste à tout miser sur le pari risqué de la survie, dans un au-delà, de ce qu’ils appellent l’âme….
Le monothéisme ayant pris le parti de l’Unique, il est porté à refouler les contraires, là où les sagesses – chinoises et grecques, en particulier – pensent au contraire l’idéal du côté de leur complémentarité : pas de jour sans la nuit, pas de beauté sans courage, les vertus du masculin ne valent rien sans leur contrepoids féminin.
Bref, à vous lire, Jean Soler, le monothéisme a tous les torts. Voulez-vous donc nous faire revenir aux petits dieux locaux protecteurs de vos chères cités grecques ?

  Invités

 
Jean-Louis Schlegel.  Philosophe
Editeur, écrivain

 
Abdelwahab Meddeb.  Producteur à France Culture de « Cultures d'Islam »
Professeur de Littérature Comparée à Paris X

 
Jean Soler au téléphone.  Ancien diplomate culturel
Historien


 
 
           
les livres
 

 

 
Jean-Louis Schlegel
La Loi de Dieu contre la liberté des hommes. Intégrismes et fondamentalismes
Seuil - octobre 2003


Comment et pourquoi les grandes traditions religieuses, monothéistes en particulier, voient aujourd'hui une partie de leurs adeptes basculer dans des formes de contestation radicales de la société moderne, dans des formes de croyance archaïques, dans des croisades et des guerres " saintes " ? Ce livre tente de saisir, sous des angles multiples, la logique qui sous-tend les fondamentalismes et les intégrismes, leur " problème " avec la modernité. Et du même coup, comment ils sont eux-mêmes un produit typique de ce qu'ils rejettent.

 
 

 
Jean Soler
La violence monothéiste
éditions de Fallois - janvier 2009
 

Il y a violence et violence. Jean Soler s'attache à étudier ici la violence qui est pratiquée pour des raisons religieuses.
Dans le prolongement de sa trilogie Aux origines du Dieu unique, il soutient que l'extrémisme qui se traduit sous nos yeux par des massacres collectifs n'est pas la dérive accidentelle que peut subir, passagèrement, n'importe quelle religion, c'est une tendance inhérente aux trois religions monothéistes, qui trouve sa source dans l'idéologie biblique.
Pour nous en convaincre, l'auteur confronte le monde de la Bible à deux civilisations polythéistes qui se sont formées à la même époque, la civilisation grecque et la civilisation chinoise. Ni l'une ni l'autre n'a justifié l'usage de la violence au nom d'un dieu et elles n'ont pas connu de guerres de religion.
Jean Soler s'est attardé sur la civilisation grecque parce que notre propre civilisation est née au confluent de la Grèce et d'Israël. C'est ainsi que ce livre comporte dans sa partie centrale un Parallèle entre Athènes et Jérusalem.
L'auteur examine ensuite l'influence qu'a eue le modèle biblique, avec sa propension à l'extrémisme, sur l'Occident devenu chrétien, et sur les terres musulmanes. Il décèle cette influence jusque dans des doctrines qui n'ont rien, en apparence, de religieux, comme le marxisme et l'hitlérisme.
Il nous fait faire par ce biais un parcours de la pensée humaine de l'Antiquité à nos jours.

 
 

 
Abdelwahab Meddeb
Sortir de la malédiction : l'islam entre civilisation et barbarie
Le Seuil. Collection La couleur des idées - 17 janvier 2008
 

«C'est dans la désolation d'Auschwitz que prit pour moi un sens actuel le "pré de malédiction", cette expression d'Empédocle d'Agrigente pour désigner le lieu où agit le démon de la discorde, de la haine, du mal - auxquels s'oppose l'action du dieu mû par l'amour... Ce "pré de malédiction" est toujours là, à disposition pour les candidats qui se proposent de l'occuper. Après les forces du mal européennes, de genèse chrétienne, le voilà investi par celles d'islam. L'horreur se déplace ainsi à travers les croyances, les langues, les nations, les peuples, les cultures... Des communautés croient y gagner leur régénération, mais elles dégénèrent et s'abîment. Pour sortir de ce pré, nous devons le savoir et agir en conséquence, dénoncer l'inacceptable et donc le désigner sans relâche. Notre honneur est d'être l'allié du dieu qui incarne le pôle contraire, celui dont le défi consiste à avaler le démon qui répand le sang sur le pré de malédiction... D'être du côté du juste qui se détache de sa communauté pour conjurer le mal qui la taraude et l'anime contre autrui.»
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8 décembre 2008 1 08 /12 /décembre /2008 16:54

"Dans l’Apocalypse, la littérature est à l’œuvre"

[attention ne pas louper la petite pique à la fin - NDB]

Interview - Dans la série «L'Apocalypse» diffusée actuellement sur Arte, Mordillat et Prieur mettent un point final à une question fondamentale : comment une petite secte juive a pu devenir la religion de l’Empire romain.

Recueilli par CATHERINE CALVET et BÉATRICE VALLAEYS - Libération - samedi 6 décembre 2008

Gérard Mordillat (h.) et Jérôme Prieur, écrivains et cinéastes, nés respectivement en 1949 et 1950, ont l’habitude de travailler ensemble. Sur Antonin Artaud d’abord (un film, En compagnie d’Antonin Artaud en 1993). Avant de s’embarquer dans une grande enquête pour la télévision sur le christianisme : Corpus Christi(1997), L’Origine du christianisme (2003) et maintenant L’Apocalypse. Chaque série documentaire - en DVD chez Arte Vidéo - a été complétée par un livre au Seuil : Jésus contre Jésus (1999), Jésus après Jésus (2004) et Jésus sans Jésus (2008).

La dernière saison a commencé le 3 décembre et s’achèvera le 20 (chaque mercredi et samedi à 21 heures sur Arte). Mordillat et Prieur mettent un point final à une question fondamentale : comment une petite secte juive a pu devenir la religion de l’Empire romain.

Pourquoi vous êtes-vous lancés pendant quinze ans dans un travail sur le christianisme ?

Gérard Mordillat : On ne savait pas qu’on y consacrerait tant de temps. Quand on a terminé Corpus Christi en 1997, on pensait en avoir fini, heureux. Nous avons reçu une lettre d’un grand chercheur allemand qui louait notre travail et finissait par une remarque provocatrice : «Il serait temps pour vous de passer aux choses sérieuses : à Paul.» Nous avons fait l’Origine du christianisme. Nous étions arrivés au bout, mais il manquait deux heures ; nous avons continué de lire, de rencontrer des chercheurs et nous nous sommes dit qu’il fallait aller au bout. De quoi ? D’une phrase qu’on avait mise en exergue de nos travaux sans en mesurer la portée : «Jésus annonçait le Royaume et c’est l’Eglise qui est venue», d’Alfred Loisy. Nous avons donc fait tout le programme : Corpus Christi c’est Jésus, le Jésus historique, l’Origine du christianisme, c’est la séparation d’avec le judaïsme, et l’église qui est venue c’est l’Apocalypse. Au début, la phrase de Loisy était comme une énigme du Sphinx, elle nous a emmenés quinze ans plus tard.

Avez-vous une éducation religieuse ?

G.M. : Non, je ne connais le christianisme que par culture. Le premier livre que j’ai écrit concernait la réforme allemande, l’opposition entre Luther et Münzer (Thomas Münzer, chef religieux de la guerre des paysans au XVIsiècle) et je m’étais intéressé au fait qu’à ce moment-là de l’histoire, le discours religieux devient le vecteur du discours politique.

Jérôme Prieur : J’ai eu une éducation religieuse chez les oratoriens pendant mes études primaires et secondaires, mais cela ne m’a laissé qu’une sorte de vernis. Pour Gérard, les textes étaient probablement exotiques, moi, j’ai dû vaincre une sorte de tabou : considérer les textes sur le plan purement littéraire. J’avais lu Roland Barthes qui s’était essayé à faire de l’analyse structurale de récit appliquée aux Evangiles. J’ai découvert que les Evangiles inventaient quelque chose d’incroyable dans la littérature de l’Antiquité : on pouvait parler de façon noble d’événements triviaux.

G.M. : Mes goûts littéraires me portant vers la littérature anglo-saxonne, très naturellement j’ai été amené à lire ces textes pour mieux comprendre Joyce, Faulkner… Ce qui m’a intéressé, c’est le rapport de la littérature et de l’histoire. Car dans tous ces textes, la littérature est à l’œuvre. Dans tout le Nouveau Testament, cette approche par la littérature est essentielle, elle nous permettait de le lire, hors de toute perspective confessionnelle, dans un propos extrêmement laïc. On ne pouvait qu’applaudir des répliques comme celle, célèbre dans l’Evangile selon Jean : «Mon royaume n’est pas de ce monde.» Ou cet échange - de l’humour, j’en suis convaincu -, où Pilate demande à Jésus : «Es-tu le roi des Juifs ?» et que Jésus répond : «Tu l’as dit.»

Vous présentez cette histoire comme une histoire politique, comme si la politique de l’époque c’était la religion ?

G.M. : La politique et la religion sont indissociables durant les premiers siècles, du côté juif comme du côté romain. On a demandé aux chercheurs de dater l’an zéro du christianisme. Chacun a donné une réponse différente. Tantôt, c’est la naissance de Jésus ; tantôt, sa mort ou sa résurrection ; pour d’autres , c’est l’apôtre Paul, ou le règne de l’empereur Constantin. Pour nous, c’est la chute du Temple en 70.

Pourquoi la chute du Temple ?

G.M. : Car à partir du moment où le judaïsme ne se reconnaît plus dans la fréquentation d’un lieu sacré, quand il n’y a plus de temple, l’ensemble des courants juifs vont entrer en concurrence, pour savoir lequel a la juste lecture de l’histoire et est donc à même de guider le peuple. Pour les rabbins pharisiens, ce sera par la lecture d’un texte indestructible, la Torah. Le Temple est destructible pas le texte, donc c’est la lecture perpétuelle de ce livre qui vous met en contact avec Dieu, ce qui amènera le judaïsme rabbinique que l’on connaît aujourd’hui. Les partisans de Jean le Baptiste vont dire qu’il faut suivre un grand mouvement de repentance. Ceux de Jésus revendiqueront Jésus comme messie. Pour faire nombre, ces derniers vont s’ouvrir aux craignants-dieu, c’est-à-dire aux païens attirés par le monothéisme. Après 70, ils commencent à écrire des textes : les Evangiles sont des textes de propagande pour convaincre les autres juifs que Jésus est bien le messie. Des chercheurs, historiens, exégètes juifs lisent ces textes comme les meilleurs témoins de l’histoire du judaïsme dans les Ier et IIsiècles. Nous nous sommes situés dans cette perspective, ce qui nous a valu beaucoup d’injures. Aujourd’hui encore, pour nombre de chrétiens, affirmer que Jésus est juif, qu’il a toujours vécu sous la loi juive, sans autres horizons pour lui qu’Israël, est une chose provocatrice, irrecevable. Dire que le messie est Jésus, messie pour Israël, alors qu’Israël ne le reconnaît pas. Dire que Jésus n’a jamais appartenu à la religion dont il est la figure tutélaire est encore difficile à vivre.

J.P. : C’est dit dans une très belle citation de Joseph Klausner (1874-1958) rapportée par Amos Oz, son neveu : «Quand tu seras grand, mon cher enfant, tu liras le Nouveau Testament au nez et à la barbe de tes maîtres et tu t’apercevras que cet homme [Jésus] était de notre chair et de nos os, que c’était une sorte de "juste", de "thaumaturge", un rêveur dépourvu de toute compréhension politique, qui trouverait parfaitement sa place au panthéon des grands hommes d’Israël, près de Baruch Spinoza, qui mériterait également qu’on lève l’anathème dont il fut frappé.» (1)

Pour ceux qui viennent du paganisme, les craignants-dieu, il est difficile de devenir juif, il faut être circoncis, respecter des interdits alimentaires, sexuels, etc. C’est une manière de se mettre en marge de la société, or l’enjeu n’est pas seulement théologique mais aussi politique : les chrétiens aimeraient bien se faire reconnaître au sein de l’empire comme des citoyens normaux, au moins comme les juifs, c’est-à-dire bénéficier du statut des juifs de religio licita (religion licite). On tolère les juifs, les premiers monothéistes, parce que leur religion est ancienne et parce qu’ils ont des ancêtres. Cela va entretenir une rivalité théologique. Sans l’Ancien Testament, les écritures chrétiennes s’effondrent. Les Evangiles n’ont de sens que s’ils sont connectés avec la tradition juive. Jusqu’au milieu du IIe siècle, une série de mouvements chrétiens vont s’approprier les textes juifs. Ils se revendiquent comme les seuls lecteurs. Puis l’idée émerge que les chrétiens doivent avoir leur livre de référence: le Nouveau Testament.

Comment s’est opérée cette ouverture vers les païens ?

J.P. : Le premier parmi les judéo-chrétiens qui s’ouvre aux sympathisant du judaïsme, aux craignant-dieu, aux païens semble être Paul. Mais du vivant de Jésus c’est impensable. Dans l’Evangile de Mathieu, Jésus dit qu’il n’est venu que pour les brebis perdues de la maison d’Israël, pour les juifs. Une fois ressuscité, il dit à ses disciples d’aller enseigner toutes les nations. Donc l’évangéliste fait dire à Jésus que le mouvement a échoué à l’intérieur d’Israël, que le judéo-christianisme est une voie sans avenir et qu’il faut au contraire recruter hors du judaïsme. Il faut prendre acte d’une situation sociopolitique qui a évolué à cause de la destruction du Temple en 70. Les chercheurs disent qu’il n’y a pas un judaïsme au premier siècle, il y a des judaïsmes, comme il y aura plus tard des christianismes.

De quand date l’ambiance de fin du monde, tant attendue par les chrétiens ? Des apocalypse
s ont été écrites avant l’ère chrétienne ?

G.M. : C’est un point absolument essentiel, il faut lire le Nouveau Testament dans une perspective de la fin des temps. Apocalypse signifie révélation, lever le voile. La fin des temps, c’est aussi l’espoir : le retour en gloire du ressuscité qui viendra prononcer le jugement dernier, qui jugera les vivants et les morts et qui établira sur terre le royaume de dieu, un monde meilleur.

Surout un monde débarrassé de l’occupation romaine ?

G.M. : Bien sûr, là aussi la liaison politique et religieuse est indissociable. Pour les juifs occupés depuis Pompée (106-48 avant J.C.) c’est à la fois un territoire sous domination ennemie mais c’est surtout le symptôme de l’impureté d’Israël vis-à-vis de son Dieu : si une telle impureté est permise par Dieu, c’est qu’Israël a péché, thème récurrent de la littérature dans la Bible hébraïque.

On écrit énormément pendant l’Antiquité. A qui écrit-on et pour qui ?

J.P. : Il y a des lectures collectives au sein des différentes communautés. Les auditeurs sont plus nombreux que les lecteurs. La grande chance du christianisme c’est que cette littérature - importante et considérée comme sacrée a été globalement conservée, recopiées, transmise.

Les communautés chrétiennes discutent-elles entre elles ?

G.M. : Les auteurs de ces textes ne s’adressent pas à nous et il faut les lire dans cet esprit-là. Ce que les exégètes ont du mal à faire. Ils s’adressent d’autant moins à nous qu’ils sont persuadés que la fin des temps est imminente.

J.P. : Et qu’elle réunira Jésus et l’ensemble de ses disciples. Il a fallu trouver des accommodements avec le fait que cette fin des temps n’arrive pas. C’est pour cette raison que nous avons nommé notre dernière série l’Apocalypse comme une espèce d’étendard de ce qu’attendent les premiers chrétiens. Il faut transformer cette attente de l’apocalypse en autre chose qui va devenir l’église ou la Cité de Dieu pour reprendre la phrase de saint Augustin.

Il faut sans cesse trouver des accommodements. Ainsi, la question de la Sainte Trinité, qui peut mettre en doute le monothéisme chrétien, discutée au IVe siècle, est encore évoquée par Benoît XVI. L’affaire n’est-elle pas entendue ?

J.P. : La chose est entendue mais comme dit Flaubert dans Bouvard et Pécuchet : «Adorons sans comprendre» parce que justement le dogme trinitaire défie l’entendement. On peut le croire, mais il est impossible de l’expliquer rationnellement. Le problème de Benoît XVI est justement de vouloir concilier la foi et la raison. Il veut justifier le dogme rationnellement. Son texte, rhétorique, explique que la Trinité rompt avec le judaïsme et montre le croisement du christianisme avec la pensée grecque, il sort le christianisme de la tentation politique du judaïsme.

G.M. : C’est l’affirmation de l’autorité incontestable du pape : il défend l’institution. Les réactions d’hostilité à nos travaux ont toujours porté sur des questions dogmatiques. Prenons la virginité de Marie. Alors que tous les chercheurs disent qu’elle a eu d’autres enfants que Jésus, elle est dogmatiquement vierge. Les frères et sœurs de Jésus ou la croyance en la résurrection posent dogmatiquement autant de problèmes. Dans le dogme trinitaire, survit quelque chose du polythéisme, Dieu étant figuré par trois personnes.

Le succès du christianisme est incroyable vu toutes ses fragilités : une captation d’héritage vis-à-vis du judaïsme, un opportunisme extraordinaire au sein de l’empire romain et la présence d’un texte aussi judéo-chrétien que l’Apocalypse dans le Nouveau Testament…

J. P. : Au contraire, c’est toute la force du christianisme de profiter de ce qui lui préexistait, de le récupérer. Les historiens disent bien qu’avec les empereurs Constantin ou Théodose, on ne passe pas de la nuit au jour. Même s’il y a une christianisation officielle, le christianisme s’impose progressivement, le paganisme et le polythéisme ne disparaissent pas d’un coup. D’un point de vue anthropologique, le christianisme a récupéré nombre de rites païens, certains héros païens sont devenus des saints chrétiens. Le christianisme a digéré le paganisme de la fin de l’Antiquité.

Est-ce le signe d’une grande tolérance ?

G.M. : Pas vraiment, plutôt une capacité d’absorber tout ce qui peut servir. Il y a un christianisme pour les philosophes, les intellectuels et en même temps avec les mêmes références, un christianisme pour les païens, les paysans, les illettrés, le peuple.

Les premiers chrétiens dépensent beaucoup d’énergie à labelliser leur nouvelle religion sans jamais vouloir citer leurs sources. Peut-on parler de «mauvaise foi» notamment envers le judaïsme ?

G.M. : C’est la blessure qui ne se fermera jamais. Comment reconnaître Jésus comme Christ, comme messie du judaïsme dont il est un membre qui ne le reconnaît même pas comme tel. La force du christianisme est là aussi. On conserve les juifs dans les textes. On les conserve comme la figure de la surdité, de l’aveuglement. Sans cesse, on s’invente un adversaire pour mieux mettre en valeur ses propres qualités. Quand, dans l’Evangile de Jean, on fait dire à Jésus s’adressant aux juifs «vos lois», comme s’il n’en était pas lui-même, on se sert des juifs comme un repoussoir. A force d’instrumentaliser les juifs comme symbole du mal, l’antijudaïsme intellectuel et théologique se transformera en antisémitisme, la part la plus sombre et la plus terrible du christianisme des pogroms jusqu’à la Shoah.

Cela commence au IIsiècle avec Méliton de Sardes (apologiste grec) qui a inventé le peuple déicide. Alors que ce sont les Romains qui ont tué Jésus. On peut aussi citer les Homélies de Chrysostome (IVe siècle, archevêque de Constantinople, dit Bouche d’or) contre les juifs qui ont servi de ferment idéologique à tous les antisémites : elles ont été écrites pour lutter contre les chrétiens qui fréquentent indifféremment l’église ou la synagogue. Chrysostome fait un portrait à charge des juifs pour décourager les chrétiens d’aller à la synagogue. Comme disait l’un des chercheurs interviewés, Guy Stroumsa, il y avait concurrence entre les deux cinémas. Ensuite, ces textes seront sortis de leur contexte et on ne retiendra que les attaques terribles contre les juifs, qu’on verra reprises par Luther. Et comme l’écrit Karl Jasper, à propos des écrits de Luther : «Là, vous avez déjà l’ensemble du programme nazi.» Qu’est-ce qui est plus fort que l’écriture ?

J.P. : Ce sont souvent des textes d’une minorité. Leur situation minoritaire rend leurs propos d’autant plus violents. Tous les coups, tous les mots sont permis. Si, au IVe siècle, les intellectuels chrétiens avaient fait le travail d’exégèse un peu critique des textes, peut-être aurait-on évité les conséquences terribles de ces mots.

Vous rapportez aussi des infamies écrites sur les chrétiens à la fin du IIe siècle, qui rappellent ce qu’on entendra plus tard sur les juifs d’Europe de l’Est…

J.P. : Au IIIe siècle, ces rumeurs ne sont déjà plus d’actualité. On peut penser que les reprendre est une façon de discréditer ceux qui les ont proférées contre les chrétiens. Ce qui est sûr c’est qu’au IIe siècle, les chrétiens sont vus comme des gens bizarres, adeptes d’une superstition malfaisante, comme dit Tacite, venue d’Orient. On s’en méfie comme on se méfie aujourd’hui de certains groupes musulmans.

Comme pour vos précédentes séries, «l’Apocalypse» privilégie la discussion. Vous avez rencontré une centaine de chercheurs, en avez gardé cinquante. Ils ne sont jamais d’accord ?

G. M. : Les sources et l’intelligence critique étant ce qu’elles sont, on ne peut pas se laisser aller à conclure définitivement. Les chercheurs qui discutent dans nos séries remettent en cause leur propre pensée. Nous montrons un état de la recherche à un instant donné, comme un instantané de ce qu’était la recherche en 2008, au moment où on les a filmés. Ce ne sont pas des vérités éternelles, au contraire c’est une pensée en marche et c’est ce qui est passionnant. Nous ne voulions pas d’une suite de déclarations définitives, tel un cours magistral. On filme des hommes et des femmes qui acceptent cette chose très difficile, de réfléchir à voix haute. Donc de remettre en jeu leurs certitudes et de nous faire partager leurs doutes et leurs hypothèses. C’est ce que la télévision en général dénie au téléspectateur : un esprit critique. C’est là la pertinence de notre travail cinématographique.

Votre démarche est intellectuelle et sans foi. Arte vous donne douze fois 52 minutes pour cette série. Cette appétence pour l’histoire de la religion ne correspond-elle pas à une époque ?

J.P. : Nous n’aurions pas pu faire cette série dans les années 60 mais nous ne pourrions pas commencer ce travail aujourd’hui. La série s’adresse à tous, qu’on ait ou pas la foi. Les spécialistes sont prévenus qu’ils seront interviewés en tant qu’historiens ou exégètes, pas en tant que théologiens. Au moment de Corpus Christi l’idée du fait religieux commence seulement à émerger. Nous sommes un peu déclencheurs. On espérait d’ailleurs qu’après cela, l’histoire des religions serait enseignée à l’école, qu’on apprendrait à faire une critique des sources pour le Nouveau Testament comme pour le Coran, c’est le contraire qui se passe. On assiste depuis cinq, six ans à un resserrement du rapport à la religion. Il faut donner des gages aux religieux. Un communautarisme s’est installé. C’est mal vu de s’intéresser au christianisme si on n’est pas chrétien, ou au Coran si on n’est pas musulman. Chaque communauté a à gérer son histoire sainte. On retrouve la laïcité positive de Sarkozy : accepter de ne pas se mêler des religions. Dans ce domaine, il y a eu des épiphénomènes comme le Da Vinci Code. Idem pour le film de Mel Gibson, la Passion du Christ, qui était un moyen d’agiter le refoulé intégriste ou antisémite chrétien.

G. M. : Cela me fait penser à une scène extraordinaire dans les Nouveaux Monstres, film italien : on voit Vittorio Gassmann en évêque, il pleut, il se réfugie dans une église du Trastevere, un petit curé de gauche est en train de faire une lecture très sociale de l’Evangile. Soudain Gassmann fait de la reprise en main théologique, le curé est stupéfait et lui dit «mais Monseigneur, ce n’est pas dans les Evangiles» et Gassmann a cette réplique géniale : «Vous, vous n’avez pas vu le dernier film de Zeffirelli !» Le film de Mel Gibson a eu cet impact.

Ministre de l’Education, Lionel Jospin encourageait l’enseignement de l’histoire des religions à l’école laïque. Est-ce trop conflictuel ?

G.M : Il faudrait que les professeurs d’histoire acceptent de dire qu’ils ne savent pas, qu’ils ne peuvent qu’avancer des hypothèses, qu’il faut étudier les sources. Historiquement,, on peut dire que Jésus était juif et qu’il a été crucifié. Le motif de condamnation est intéressant : roi des juifs. Les juifs ne s’appelaient pas juifs eux-mêmes, donc c’est une accusation extérieure. Ceux qui ont exécuté Jésus étaient de l’extérieur, donc des Romains. Quant au message de Jésus, ce n’est pas qu’un message d’amour : «Ceux qui n’ont pas voulu que je règne égorgez-les en ma présence». Il y a donc un travail pédagogique qui peut-être passionnant. Il n’y avait pas de charpentier en Judée à cette époque. Je me souviens d’un débat sur la religion dans un lycée parisien, en présence d’élèves laïcs, chrétiens, musulmans, juifs… Il n’y a eu aucun problème, pourtant on a évoqué les origines judéo-chrétiennes de l’islam, expliqué comment, au début de l’islam, Mahomet se tournait vers Jérusalem pour prier. Jésus le précède.

Pensez-vous que des laïcs puissent être agacés qu’on parle tant de religion ?

G.M. : Certains ont peur qu’on tombe dans la bondieuserie, mais ils ont pu voir quenotre travail est le contraire.

J.P. : On a éveillé une curiosité. Personne ne l’avait fait à la télé avant nous. La sobriété de nos émissions est encore plus décalée qu’il y a dix ans car la télé a changé.

Vous faites plusieurs parallèles avec le Parti communiste…

J.P. : Les anachronismes permettent de mieux appréhender l’étrangeté de la période antique. L’anachronisme crée un court-circuit qui aide à comprendre que le saccage de Rome en 410 par les barbares, a un impact comparable à celui du 11 Septembre. L’inimaginable se produit. Cela permet d’introduire un peu de familiarité avec ces temps lointains.

G.M. : On établit aussi des comparaisons avec le Hamas ou le Hezbollah : le christianisme a mis en place très tôt un système d’entraide aux veuves et aux orphelins quelle que soit leur religion. Cela permettait de mieux pénétrer la société. La religion est populaire. Dans les années 50 le Parti communiste et l’Eglise s’affrontaient aussi sur ce terrain social.

Vous expliquez très bien comment l’Eglise a entretenu le mythe des martyres après que le phénomène est dépassé.

J.P. : C’est un moyen de rendre glorieux le passé, de le magnifier. C’est ce qu’on appelle la Légende dorée dans le livre de Voragine au XIVe siècle, alors qu’on pourrait accuser les chrétiens d’être devenus les persécuteurs, ils insistent sur les persécutions qu’ils ont eues à subir et ils se refont une image.

G.M. : Les franquistes font la même chose, en voulant béatifier leurs martyres pour minorer les répressions et les crimes monstrueux de Franco. Là ce n’est pas un anachronisme, c’est la même démarche qui se perpétue.

J.P. : De même pour Benoît XVI qui veut béatifier Pie XII au moment où on peut s’interroger sur le rôle du Vatican pendant la Seconde Guerre mondiale.

N’est-ce pas Jean-Paul II qui a lancé le processus de béatification ?

G.M. : L’un est polonais, l’autre allemand…

J.P. : Jean XXIII ne l’aurait pas fait.

G.M : La première décision de Jean XXIII, le lendemain de son élection a été de faire supprimer l’exécration perpétuelle des juifs prononcée tous les jeudis saints.

Ségolène est-elle le nouveau Paul ?

G.M. et J.P. : La Paulette du Parti socialiste ? Une Paulette qui d’ailleurs en pince pour l’épaulette (papa était militaire) et pour l’admonestation des fidèles, qui doivent s’aimer les uns les autres et voter pour elle sous peine de finir en enfer. Si c’est le cas, une question surgit quelle est l’épine qui lui travaille la chair ?

(1) Une histoire d’amour et de ténèbres, traduction de Sylvie Cohen, Gallimard, 2004.

Derniers ouvrages parus : Notre part des ténèbres, Gérard Mordillat (2008, Calmann-Levy) Roman noir, Essai sur la littérature gothique, Jérôme Prieur (Seuil, 2008).

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11 juillet 2008 5 11 /07 /juillet /2008 09:48

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IDEES


Du grain à moudre
par Julie Clarini et Brice Couturier
du lundi au vendredi de 17h à 17h55

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émission du jeudi 10 juillet 2008
Héritage judéo-chrétien : mythe ou réalité ?



Autrefois – c’était il y a 30 ans – les lycéens apprenaient que l’identité spirituelle de l’Europe plongeait ses racines dans le sol de trois villes : Athènes, Rome et Jérusalem. Ces 3 capitales de l’Antiquité étaient censées incarner la philosophie, le droit et la religion. Mais quelle religion ? Juive ou chrétienne ? A cette question, il n’était pas apporté de réponse précise. «Jérusalem» avait précisément pour but de noyer le poisson. Cela valait mieux que l’enseignement du mépris et l’accusation de «déicide», que les chrétiens avaient portée contre les Juifs durant de longs siècles.
Depuis Vatican II et en particulier la Déclaration Nostra Aetate, du pape Jean XXIII, les catholiques cherchent, en effet, un rapprochement avec un judaïsme qu’ils ont cessé de combattre. Jean-Paul II s’est rendu à la synagogue de Rome, au Mur des lamentations. Les relations sont plus décontractées. Mais le dialogue auquel ils sont conviés n’est-il pas un piège pour les Juifs ? Ne risquent-ils pas de se perdre dans un syncrétismes hasardeux ?
Telle est en tous cas la thèse qui était soutenue avec véhémence dans une étude retrouvée du célèbre penseur israélien Yeshayahou Leibowitz, que publie, ce mois-ci la revue Cités pour relancer le débat.
Pour Leibowitz, le christianisme, loin d’être un rameau du judaïsme, était le produit «d’une dégénérescence de l’hellénisme oriental», un «syncrétisme gréco-oriental polythéiste». Il aurait même pu avoir pour fonction de déstabiliser le judaïsme en ne lui faisant que des emprunts superficiels et trompeurs. Le christianisme serait une religion «anthropocentrique», en tous points opposée au judaïsme, religion «théocentrique».
La vie et l’œuvre de Mgr Lustiger, incarnation du judéo-christianisme parce qu’il se voulait fidèle à ces deux voies, a relancé les interrogations sur la possibilité d’une réconciliation non plus seulement politique, mais spirituelle. La relance du dialogue n’est peut-être pas étrangère au défi commun que représente à nouveau en Europe, la présence de l’islam, qui réclame, lui aussi, sa place.



Invités


Florence Taubmann.  Pasteur à l'Eglise Réformée de France à Limoges
Présidente du Comité Directeur de l'Amitié Judéo-Chrétienne de France


Michel Kubler.  Rédacteur en chef religion à La Croix


Raphaël Draï.  Politologue
Professeur à la faculté de droit et de Sciences Politiques d'Aix-en Provence
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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 08:04
Intense émotion hier soir sur le parvis de l'Hôtel de Ville de Paris. La municipalité avait installé un grand écran et un chapiteau pour permettre aux Franciliens de suivre en direct les cérémonies d'hommage national à Aimé Césaire. Nous étions donc quelques milliers à être présents à Paris face aux dizaines de milliers de personnes venues de toute la Martinique pour saluer le Grand Homme à Fort-de-France.
Soirée un peu spéciale tout de même où un animateur de soirée qui meublait pour faire attendre le direct a rapidement chopé quelques sueurs froides, demandant que l'on passe sur un champ moins politique, après avoir démandé à l'assistance de venir témoigner sur Aimé Césaire. Mais comment parler de cet homme sans parler de politique ?

Comment parler de cet homme qui a toujours choisi une voie pacifique pour transformer le réel, sans parler des violences officielles qu'il a subi, censuré dans son oeuvre, censuré par les médias jusqu'aux années 1980, sa ville censurée dans les subventions qu'elle ne recevait pas du fait de la clarté politique de son maire ; bref comment parler de Césaire - de sa poésie, de sa pensée, de son choix démocratique - sans parler de la violence subie par sa terre, par son peuple et par toutes les humanités souffrantes ?

Certains orateurs hier soir ont rappelé l'isolement du député-maire de Fort-de-France aux moments les plus intenses de son action politique... Conspué par le Parti Communiste Français dont il avait dénoncé avant bien d'autres (et avant Budapest) les travers et les mensonges, ostracisé par la République quand pourtant il avait réaffirmé les liens des antilles à la nation française. Qu'ils étaient nombreux hier les hypocrites venus saluer Aimé Césaire à Fort-de-France, sur ces rangs de droite qui devaient haïr cet adversaire si coriace et si pertinent. Comment ne pas avoir une sorte d'ironie à voir le président de la République - qui reçut une cuisante leçon en 2006 de la part du vieillard - réduit au silence dans la ville du poète, alors qu'il s'agit d'un hommage national ?

On retiendra l'effort du Dr Aliker à 101 ans sortant d'un texte que l'émotion et l'âge l'empêchaient de suivre et qui reprit sa force et sa fermeté pour asséner quelques vérités politiques et humaines sans doute dures à entendre pour quelques uns des premiers rangs de l'assemblée. La force des textes de Césaire fut remarquablement présente et intérprétée par les artistes après ce discours. En plein débat sur les "effets positifs" de la colonisation, sur l'identité nationale et sur l'immigration, qu'il était sain et nécessaire d'entendre retentir cette parole. Malheureusement tout cela n'était retransmis que sur France Ô...

Alors qu'enfin l'école de la République se mette à enseigner les écrits et les poêmes d'Aimé Césaire pour sa parole se pérennise : voila le plus bel hommage national et le panthéon que ses mânes réclament. Qu'enfin s'ouvre la réalité du débat sur la colonisation et l'identité face à l'universalité. Car la France n'a jamais réellement eu ce débat, ce qui implique que des gens instruits peuvent aujourd'hui vous soutenir que "si, tout de même la colonisation a eu des effets positifs". Lisons et faisons lire Césaire, ses poêmes et ses textes politiques, pour faire comprendre en métropole et en outre-mer, que l'esclavage, la colonisation n'implique pas qu'une oppression physique et chronométrée mais qu'elle déstructure profondément les hommes et les sociétés et que ces conséquences impliquent une violence subie psychologiquement sur plusieurs générations.
Et pourtant malgré cette humanité violentée et déracinée, comment ne pas entendre le cri d'espoir de Césaire qui nous rappelle qu'une société peut malgré se reconstruire avec ces individus meurtris. Un optimisme sur l'humanité.

Frédéric Faravel

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18 avril 2008 5 18 /04 /avril /2008 15:08
«Nègre je suis, nègre je resterai»
NATALIE LEVISALLES - Libération - vendredi 18 avril 2008

Quelques jours avant d’être hospitalisé, Aimé Césaire faisait comme il avait fait chaque jour toutes ces dernières années. Après avoir passé la matinée à la mairie de Fort-de-France où il recevait tous ceux qui voulaient le rencontrer, des mères qui venaient lui présenter leurs enfants aux lycéens qui lui demandaient de l’aide pour un exposé, il mangeait un peu de riz, montait dans la voiture conduite par son chauffeur et partait se promener dans l’île.

L’écrivain Daniel Maximin, qui le connaît depuis près de 40 ans, a fait cette balade avec lui en décembre. Ils se sont arrêtés à l’endroit préféré d’Aimé Césaire, le sommet d’une colline d’où on voit, à droite, la mer des Caraïbes, à gauche, l’océan Atlantique. Ils se sont aussi arrêtés sous l’arbre préféré du poète, un énorme fromager dont les branches et le feuillage traversent la route. Dans un entretien avec Maximin, paru en 1982 dans la revue Présence africaine (1), Césaire raconte qu’il a toujours été fasciné par les arbres. «Le motif végétal est un motif qui est central chez moi, l’arbre est là. Il est partout, il m’inquiète, il m’intrigue, il me nourrit.»

«Libération». Aimé Césaire, poète, dramaturge et homme politique, est mort hier matin à Fort-de-France. Il était né le 26 juin 1913 dans une famille modeste de Basse-Pointe, dans le nord-est de la Martinique. Son père était petit fonctionnaire, sa mère couturière. Le jeune Aimé a fréquenté le lycée Schœlcher de Fort-de-France, dont il a été un élève exceptionnellement brillant. Quand il s’ennuyait en classe, il écrivait un ou deux actes d’une tragédie à la manière des tragédies grecques, avec son ami guyanais Léon-Gontran Damas. A 15 ans déjà, la culture grecque et latine était pour lui comme un antidote au monde colonial martiniquais qu’il s’était mis à détester, raconte-t-il. Ce monde «fermé, étroit» , ces petits-bourgeois de couleur, snobs et superficiels, qui singent l’Europe… Il déteste tout ça et veut partir en France. Dans le livre réunissant les entretiens qu’il a accordés à Françoise Vergès, il raconte : «Je me disais : "ils me foutront la paix, là-bas, je serai libre." C’est une promesse de libération, un espoir d’épanouissement.»

Le voilà donc à Paris. Le petit campagnard antillais et pauvre, mais brillant et boursier du gouvernement français, se retrouve en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand. Le jour même de son arrivée, il croise un garçon dans un couloir. «Bizuth, comment t’appelles-tu ?» - Je m’appelle Aimé Césaire. Je suis de la Martinique et je viens de m’inscrire en hypokhâgne. Et toi ? - Je m’appelle Léopold Sedar Senghor. Je suis sénégalais et je suis en khâgne. Bizuth, il me donne l’accolade, tu seras mon bizuth.» C’est le début d’une très profonde amitié, qui durera jusqu’à la mort de Senghor.

A Louis-le-Grand, les amis étudient le latin et le grec, mais aussi Rimbaud - «Il a beaucoup compté pour nous, parce qu’il a écrit : "Je suis un nègre." » Ils lisent Shakespeare, Claudel et les surréalistes. Mais aussi les écrivains noirs américains, Langston Hugues et Claude McKay. En métropole, Césaire rencontre toutes sortes d’étudiants noirs : des Caribéens, des Africains, des Américains. C’est là qu’il commence à découvrir vraiment la composante africaine de son identité martiniquaise, et à réfléchir sur ce que c’est d’être noir.

En septembre 1934, avec Senghor et Damas, son ami de lycée retrouvé à Paris, il fonde le journal l’Etudiant noir. C’est dans ses pages qu’apparaît pour la première fois le concept de négritude , inventé par Césaire et Senghor. Le projet, a raconté Césaire, était de chercher, par-delà les couches de la civilisation, «le nègre en nous». Leur idée secrète : «Nègre je suis et nègre je resterai… Mais Senghor et moi, nous nous sommes toujours gardés de tomber dans le racisme noir.» Il ajoutait : «Aucun de nous n’est en marge de la culture universelle. Elle existe, elle est là et elle peut nous enrichir. Elle peut aussi nous perdre. C’est à chacun de faire le travail.»

Poésie. A peine admis à l’Ecole normale supérieure en 1935, Césaire commence à écrire son premier livre de poésie, Cahier d’un retour au pays natal. Senghor a raconté avoir assisté à une très «douloureuse parturition». En fait, Césaire était si éprouvé par l’écriture de ce livre que le médecin de l’ENS lui avait prescrit six mois de maison de repos. Pour Maximin, «c’était comme s’il se disait : "Qui suis-je moi, pour lutter contre l’inacceptable, le malheur du monde ?" C’était comme un volcan enfermé dans une montagne. Tout est bouclé et, tout d’un coup, ça explose, comme la montagne Pelée.» Césaire disait d’ailleurs : «Ma poésie est peléenne.» Il parlait de la poésie comme de la «communication par hoquets essentiels face à l’inepte bavardage». Dès ce premier texte, il veut écrire sur «cette foule inerte» brisée par l’histoire, et rêve d’«un pays debout et libre».

En 1939, Aimé Césaire retourne en Martinique avec Suzanne, qu’il a épousée en 1937, qui sera comme lui professeur au lycée Schœlcher, et avec qui il aura 6 enfants, avant qu’ils ne se séparent. C’est aussi avec Suzanne, et avec l’écrivain René Ménil, qu’il fondera la revue culturelle Tropiques.

Tous ceux qui ont rencontré Aimé Césaire décrivent un homme petit, fragile, courtois. Et en même temps une personnalité d’une force et d’une puissance incroyables, un homme qui n’a jamais plié et qui, dès l’enfance, était un râleur, ou un rebelle. «J’ai toujours été un rouspéteur», disait-il encore récemment. Ces dernières années, même très âgé, il n’avait pas changé. Comme il ne supportait pas son appareil auditif, il l’enlevait tout le temps, même quand on lui demandait de le garder pour recevoir François Fillon. Il était aussi épuisé par les insomnies et se faisait remettre, sans ordonnance, des somnifères par les pharmaciens de l’île. Son médecin, le docteur Pierre Aliker, était obligé de les lui sortir de la poche. Le docteur Aliker, qui a été l’adjoint d’Aimé Césaire à la mairie de Fort-de-France, est pour sa part en pleine forme. Il est âgé de 101 ans et a toujours dit : «Je reste vivant pour ne pas mourir avant Césaire.»

Césaire était donc un rebelle, il avait aussi horreur des relations de dépendance. «Il est lui, il veut qu’on lui fiche la paix, dit Daniel Maximin. Et même s’il a été maire et député pendant 50 ans, il se moque du pouvoir, au fond.»C’est dans mes poèmes les plus obscurs, sans doute, que je me découvre et me retrouve.» Ce qui, paradoxalement, est peut-être une des raisons de son aura politique, en Martinique, mais aussi dans toute la Caraïbe, l’Afrique et le monde afro-américain. Comment a-t-il pu, tout au long de sa vie, réussir à lier politique et poésie ? A Françoise Vergès qui lui a posé la question, il a répondu : «C’est dans mes poèmes les plus obscurs, sans doute, que je me découvre et me retrouve.»

«Espérance». De Soleil Cou Coupé (1948) à Ferrements (1960) et Moi, laminaire (1982), il aura écrit une poésie à la fois inspirée du surréalisme, tellurique et bucolique, «une poésie de culture et de nature, c’était un homme enraciné dans la terre, comme un arbre» , dit Maximin.

Figure politique d’un rayonnement mondial, Césaire était poète avant tout. «Le langage poétique, disait-il, est le seul qui permette d’exprimer la complexité de l’homme.» Le seul, avec celui de la tragédie grecque, le modèle de ses quatre pièces, qui étaient en même temps très politiques. La Tragédie du roi Christophe (1963) est une réflexion sur l’expérience haïtienne, Une saison au Congo (1966) part de l’assassinat de Patrice Lumumba, Une tempête (1969), inspirée de Shakespeare, a pour sujet l’aliénation coloniale et le Black Power américain.

Dans l’entretien de Présence africaine, Aimé Césaire disait : «C’est quoi une vie d’homme ? C’est le combat de l’ombre et de la lumière… C’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur… Je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté.»

(1) Voir aussi la préface écrite par Daniel Maximin pour l’édition de Ferrements et autres poèmes, Points Seuil, février 2008.

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17 avril 2008 4 17 /04 /avril /2008 16:00
Aimé Césaire est mort

Aimé Césaire en janvier 2007. (Reuters)
Le poète martiniquais Aimé Césaire est mort ce jeudi à l'âge de 94 ans. Il était hospitalisé depuis le 9 avril.
LIBERATION.FR : jeudi 17 avril 2008

Le poète martiniquais Aimé Césaire, 94 ans, chantre de la «négritude», est décédé jeudi matin au CHU de Fort-de-France (Martinique), où il était hospitalisé depuis le 9 avril, a-t-on appris jeudi de source gouvernementale.

Depuis son hospitalisation, pour des affections «de nature cardiologique», à l’hôpital Pierre Zobda-Quitman de Fort-de-France, des rumeurs alarmistes circulaient sur son état de santé, qualifié de «préoccupant» par ses médecins.

Aimé Césaire fut, avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon-Gontran Damas, l’un des chantres du courant de la «Négritude».

L’auteur du «Cahier d’un retour au pays natal» avait consacré sa vie à la poésie et à la politique. Principale figure des Antilles françaises, il fut depuis les années 1930 de tous les combats contre le colonialisme et le racisme.

Les Martiniquais attendaient ces derniers jours avec sérénité et dans la discrétion l’évolution de l’état de santé d’Aimé Césaire, notamment à Fort-de-France, la ville dont il fut le maire pendant 56 ans, de 1945 à 2001.

Le président Nicolas Sarkozy avait salué le 26 juin dernier en Aimé Césaire le poète et «homme d’action», «porteur d’un message de paix, de tolérance et d’ouverture», à l’occasion du 94e anniversaire de l’écrivain, dans une lettre rendue publique par l’Elysée.

Après avoir refusé de rencontrer M. Sarkozy lors d’un voyage prévu, puis annulé, aux Antilles en 2005, le poète martiniquais avait finalement reçu en mars 2006 celui qui était alors ministre de l’Intérieur.

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14 mars 2008 5 14 /03 /mars /2008 15:08
Je ne peux m'empêcher de revenir sur une actualité chaude... Celle de la polémique qui accompagne l'ouverture du salon du Livre, mettant cette année à l'honneur, les écrivains israéliens de langue hébraïque (y compris un arabe israélien écrivant en hébreu, je le précise).
Plusieurs Etats arabo-musulmans ont choisi de boycotter cette manifestation culturelle, au prétexte qu'elle était inaugurée hier soir par Shimon Péres, chef de l'Etat hébreu, et par "soutien aux souffrances du peuple palestinien" dont l'union des écrivains aurait appelé initialement au boycott.
Le conflit israélo-arabe est une plaie morale que personne ne peut éviter et nier. Mais je trouve assez fallacieux d'appeler au boycott d'une manifestation culturelle quand le pays et les auteurs invités sont Israël et ses ressortissants : le fait même que le pays éponyme du salon de cette année ait été choisi pour signifier le 60ème anniversaire  de la création de l'Etat d'Israël démontre qu'en fait ce n'est pas la politique actuelle de l'Etat d'Israël, l'occupation des territoires palestiniens ou la souffrance du peuple palestinien, qui motiveraient réellement le boycott mais l'existence même d'Israël. Il y a un moment où il faut arrêter de montrer l'arbre quand la forêt des sentiments inavouables et odieux se cache derrière.
Je comprendrais qu'à la rigueur comme le fait Tahar Ben Jelloul (voir émission "Du Grain à moudre" plus bas) l'on boycotte l'inauguration effectuée par Shimon Péres car il serait nécessaire de séparer Etat, Littérature et Culture, mais qu'ensuite on participe au débat et au salon. Quelques écrivains arabes le feront et c'est heureux, c'est la démonstration la plus marquante de l'instrumentalisation politique et haineuse des malheurs du peuple palestinien par les dictatures arabes et musulmanes.
Les auteurs invités sont des personnalités éminemment critiques de la politique menée par Sharon puis Olmert, ils méritent qu'on vienne débattre avec eux et jeter des ponts pour préparer la paix et la création d'un deuxième Etat , le palestinien, à côté d'Israël.
Fred

Du Grain à moudre, le 13 mars 2008 : "
Faut -il accueillir les écrivains israéliens au Salon du Livre ?" - écouter
Le 7-10 de France Inter avec Avraham B. Yehoshua le 14 mars 2008 :
L'invité du 7-10
Interactiv'
Les Matins de France Culture le 14 mars 2008 : l'invité David Grossman - écouter
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6 mars 2008 4 06 /03 /mars /2008 10:36
Municipales 2008 : meeting Val-de-Reuil
 

Posted by Benoit Hamon on mars 5, 2008 at 05:49 PM
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1 mars 2008 6 01 /03 /mars /2008 13:58

Les vendredis de la philosophie
par François Noudelmann
le vendredi de 10h à 11h
  Vendredis de la philosophie (les)


Ecoutez

Podcast
    émission du vendredi 29 février 2008
Archives - L'apparition de l'idée de civilisation
 
  par Marc-Hubert Floriot
Mixage : Jean-Michel Cauquy
Réalisation : Bruno Sourcis

1. Extrait d'un débat entre Louis Althusser, Jean Cazeneuve, Michel Foucault et Georges Gusdorf ("Analyse spectrale de l'Occident", par Pierre Sipriot, 11 novembre 1961) ;

2. Rencontre entre Raymond Aron et Michel Foucault, diffusée la première fois le 8 mai 1967 ("Les idées et l'Histoire").

A la surprise générale, le terme de "civilisation" semble devoir obéir désormais à l'emploi idéologique par l'Etat d'un concept développé naguère par Edgar Morin et Sami Naïr, dans «Pour une politique de civilisation» (Ed. Arléa, 1996).

Il n'y a pas de rapport de pouvoir, selon Foucault, qui ne se donne nécessairement dans l’histoire et inversement.

Le débat : Michel Foucault venait de soutenir sa thèse en Sorbonne (avril 1961) et de publier son «Histoire de la folie».

L' «Introduction à l’Anthropologie du point de vue pragmatique d’Emmanuel Kant» - thèse qui annonçait «Les mots et les choses», vient d'être publiée pour la première fois en version intégrale (Librairie Vrin, Paris, 2008).

En 1966, Raymond Aron et Michel Foucault publiaient simultanément chez Gallimard «Les étapes de la pensée sociologique» et «Les mots et les choses». Interview en règle de Michel Foucault par Raymond Aron, sur son historicisme kantien et son nietzschéisme.

1961, 1966, 2008 : à la lumière de ces trois moments de la généalogie philosophique de Foucault (de Kant à Nietzsche, en passant par les Encyclopédistes, les Idéologues et Sade), comment l'idée de civilisation peut-elle encore relever d' «une critique de la finitude qui serait libératrice, aussi bien par rapport à l’homme que par rapport à l’infini ? [Une critique de la finitude] qui montrerait que la finitude n’est pas terme, mais cette courbure et ce nœud du temps où la fin est commencement ?»
 
     
 
 
 
 

 
Edgar Morin
Pour une politique de civilisation
Arléa, Paris - Collection Arléa-poche, n° 76 - 16 mai 2002
 

Pour conjurer la crise actuelle que traverse la société, E. Morin propose de rétablir l'être humain comme moyen, fin, objet et sujet de la politique, et d'insuffler l'espoir, non en tant que résurrection de la grande promesse, mais en tant que résurrection d'une possibilité, pour qu'il porte l'élan salvateur.
 
 
 

 
Emmanuel Kant et Michel Foucault
Anthropologie du point de vue pragmatique
Vrin, Paris. Collection Bibliothèque des textes philosophiques - 15 janvier 2008
 

« Les rapports de la pensée critique et de la réflexion anthropologique seront étudiés dans un ouvrage ultérieur ». C'est sur cette phrase que s'achevait la brève « Notice historique » que Michel Foucault avait placé en tête de l'édition de sa traduction de l'Anthropologie de Kant (Vrin, 1964). La note annonçait sans aucun doute l'ouvrage à venir, d'abord caractérisé, dès 1963, comme « le livre sur les signes », et qui paraîtra en avril 1966 : Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines.

En réalité, la courte notice historique, de trois pages, en ouverture de la traduction du texte de Kant ne proposait qu'un extrait fort réduit de ce qui avait constitué l'élément principal de la Thèse complémentaire soutenue en Sorbonne le 20 mai 1961 : Introduction à l'anthropologie de Kant, et dont Jean Hyppolite était le rapporteur. Si la thèse complémentaire, intitulée Genèse et structure de l'anthropologie de Kant, était restée inédite (à l'exception de la traduction de Kant), ce n'est pas que Foucault en eût été insatisfait : suivant les conseils des membres du jury, il allait bientôt, dès l'automne 1963, en faire le matériau central de son grand livre à venir.

D'où l'intérêt considérable de la présente édition qui donne pour la première fois l'Introduction complète, Genèse et structure de l'anthropologie de Kant, et qui permet ainsi au lecteur d'entrer dans l'atelier d'un penseur dont l'oeuvre entier aura été nourri par un débat critique avec Kant : qu'est-ce que l'homme ?

traduit de l'allemand par Michel Foucault
présentation D. Defert, Fr. Ewald, F. Gros
Précédé de Introduction à l'Anthropologie
Michel Foucault

Résumé
La thèse complémentaire soutenue en Sorbonne (1961) par Foucault est ici éditée pour la première fois. La traduction de Kant par le philosophe français est parue chez Vrin en 1964.
 
 
 

 
Raymond Aron / Michel Foucault
Dialogue
Lignes Essais

Voir le site

Inédit. Deux philosophes que tout semble séparer (l'âge, l'histoire, l'engagement) dialoguent. Raymond Aron vient de faire paraître Les Étapes de la pensée sociologique. C'est sur ce livre que devait porter l'entretien ici retranscrit pour la première fois. Or, c'est au contraire autour de celui que Michel Foucault vient de publier, Les Mots et les Choses, que s'organise la conversation.

On serait tenté de donner à l'année 1966-67 le sous-titre d'"année structuraliste". Les débats autour du mot, de la méthode et des ses possibles applications font rage dans l'espace intellectuel français. C'est en 1966, surtout, qu'au "matérialisme dialectique" d'Althusser, au structuralisme anthropologique de Claude Lévi-Strauss et aux travaux psychanalytiques de Lacan, s'ajoutent les conclusions de Les Mots et les Choses, où Michel Foucault remet en question le point de vue classique des sciences humaines, tout en annonçant la mort prochaine de l'homme. L'important succès de ce livre n'éteint pas les critiques, et le jeune philosophe doit à de nombreuses reprises clarifier son projet et clarifier sa méthodologie, justifier l'emploi d'un style quelque peu "flamboyant", contre ce qu'il considère être de fausses interprétations. C'est dans cette période passionnée que Michel Foucault rencontre Raymond Aron lors d'un entretien radiodiffusé le 8 mai 1967, et intitulé "Les Idées et l'Histoire". Le sociologue, de vingt-cinq ans son ainé, vient de faire paraître dans la même collection que Les Mots et les Choses son important ouvrage: Les Étapes de la pensée sociologique. La discussion devait initialement porter sur ce dernier. Or, cette rencontre est au contraire l'occasion, pour les deux philosophes, d'aborder les questions relatives à la méthode et à la nouveauté (contestées) que propose Les Mots et les Choses. On y découvre que Raymond Aron est un lecteur passionné et passionnant, tout à la fois contradicteur et défenseur du travail de Michel Foucault. Si cette archive nous apprend peu sur l'attitude de Michel Foucault, sa dénonciation de l'existentialisme, des "marxismes mous", elle documente d'une nouvelle façon la réception problématique de Les Mots et les Choses. Dans son analyse, Jean-François Bert fait revivre les débats méthodologiques de grande qualité qui animaient la vie intellectuelle de l'époque (en citant notamment les articles critiques parus dans les revues d'alors).
 
 
 

 
Philippe Artières et Mathieu Potte-Bonneville
D'après Foucault : gestes, luttes, programmes
Les Prairies ordinaires - novembre 2007
 

Des prisonniers aux migrants, de la maladie aux formes inédites de contrôle, de la géopolitique au renouvellement des vieilles questions «que faire ?» et «d'où parlez-vous ?», de multiples raisons portent aujourd'hui à se mettre à l'écoute de Michel Foucault. Comment penser d'après lui ce qui vient après lui ? Comment se saisir de ses analyses pour renouveler la lecture du présent et les manières d'y intervenir ? User, comme il y invitait, de son oeuvre comme d'une boîte à outils suppose de briser l'image d'une doctrine sagement rangée aux côtés d'autres académismes : sous les mots trop connus du «discours», du «pouvoir», faire lever la série des gestes inventés par Foucault (une nouvelle manière de parler, d'écrire, de disparaître ou de rire), et la série des luttes auxquelles il prit part (tout en visant du coin de l'oeil d'autres luttes, actuelles, où ses travaux peuvent encore servir). Passeurs, parmi d'autres, de cette oeuvre dans un monde qui n'est plus le sien, nous voudrions prendre appui sur elle pour crayonner les programmes d'une histoire, d'une philosophie, d'une politique à venir. À quatre mains, on tâche ici de mettre le feu à la boîte pour s'inventer d'autres outils.
 
 

 
Michel Foucault
Histoire de la folie à l'âge classique
Gallimard - coll. Tel - octobre 1976


A l'âge classique. C'est, en principe, une histoire de la folie qu'on enferme, du Moyen Age au XIXe siècle ; c'est, plus profondément, à travers l'étude de cette structure qu'est l'internement, une tentative pour établir un dialogue entre folie et déraison ; c'est enfin une esquisse de ce que pourrait être "une histoire des limites - de ces gestes obscurs, nécessairement oubliés dès qu'accomplis, par lesquels une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l'Extérieur".
 
 

 
Michel Foucault
Les Mots et les Choses : une archéologie des sciences humaines
Gallimard, Collection Tel, n° 166 - 12/09/1990


Dans la culture européenne, l'"homme" est une invention récente. Il est né d'une mutation dans notre savoir. Cette mutation est ici étudiée à partir du 17e siècle dans les trois domaines où le langage classique avait alors le privilège de pouvoir représenter l'ordre des choses : grammaire générale, analyse des richesses, histoire naturelle.
 
 

 
Raymond Aron
Les Étapes de la Pensée Sociologique
Gallimard, coll.Tel - 1987
 

Le livre est une synthèse des cours prononcés entre 1959 et 1962, et, à travers la lecture détaillée de Montesquieu, Comte, Marx, Tocqueville, Durkheim, Pareto et Weber, pose la question de savoir s'il existe en sociologie une place pour une pensée critique, entre d'un coté les doctrines globalisantes, et de l'autre les démarches empiriques.
 
 

 
Raymond Aron
Introduction à la philosophie de l'histoire : essai sur les limites de l'objectivité historique
Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines - 1986
 

(Edition de sylvie Mesure)
Une analyse devenue classique de l'historicité, publiée pour la première fois en 1938 et qui fait ici l'objet d'une édition nouvelle, revue et annotée.
 
 
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14 février 2008 4 14 /02 /février /2008 10:24
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