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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

20 décembre 2006 3 20 /12 /décembre /2006 09:39

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Podcast


France Culture "du grain à moudre"
émission du mardi 19 décembre 2006
L'Algérie malade de son passé ?



Entre 1954 et 1962, la guerre de décolonisation a fait entre 250 et 300 000 morts parmi la population algérienne. Côté français, les « évènements » ont fait 27 500 morts parmi les militaires, ainsi que 5 000 parmi les civils et il faut ajouter un nombre mal connus de harkis – on parle généralement de 30 000 à 100 000 tués. Entre 1991 et 2000, une nouvelle guerre d’Algérie a coûté la vie à environ 100 000 personnes. Comment un pays doté de tant d’atouts a-t-il pu basculer dans de tels engrenages de violence ? Y a-t-il entre ces deux guerres d’Algérie un rapport et si oui lequel ? Comme toute guerre, celle-ci avait deux côtés. Des deux mémoires qui la prennent aujourd’hui en charge, quelle est celle qui, ici, en France, l’emporte sur l’autre ? La seconde guerre d’Algérie a été largement interprétée par les deux camps en référence à la première. Tahar Djaout et les centaines de journalistes et d’intellectuels qui sont tombés victimes des attentats islamistes ont été pris pour cible parce qu’ils étaient considérés par le GIA comme des « Français ». De son côté, le pouvoir algérien dénonçait chez les islamistes des « fils de harkis ». C’est dont l’imaginaire de la Guerre de décolonisation qui a été mobilisé pour mettre en scène la Guerre civile. Y aurait-il une alors une « violence originelle du colonisateur » qui expliquerait, qui excuserait la violence ultérieure du colonisé ?

Invités

Daniel Leconte.  Producteur, Journaliste.

Daniel Lefeuvre.  Professeur d'histoire à l'Université Paris 8.

Benjamin Stora.  Historien. Professeur des Universités.

Abderrahmane Moussaoui (au téléphone).  Enseignant en anthropologie à l'université de Provence et Chercheur au CNRS / Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme.





les livres


Daniel Leconte
Camus, si tu savais... Suivi de Les pieds-noirs
Seuil - 5 octobre 2006

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Reprise d'un titre publié en 1980 et qui retraçait l'histoire des populations d'Européens installées en Algérie suite à la conquête de 1830. La préface qui donne le titre de cette nouvelle édition inscrit le livre dans l'actualité la plus contemporaine autour du retour en force de notions comme "assimilation", "citoyenneté", "intégration".


Daniel Lefeuvre
Pour en finir avec la repentance coloniale
Flammarion - Septembre 2006

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Après celle de la guerre d'Algérie, une nouvelle génération d'anticolonialistes s'est levée, qui mène combat pour dénoncer le péché capital que nous devons tous expier : notre passé colonial, à nous Français. Battons notre coulpe, car la liste de nos crimes est longue Nous avons pressuré les colonies pour nourrir notre prospérité, les laissant exsangues à l'heure de leur indépendance ; nous avons fait venir les " indigènes " au lendemain des deux guerres mondiales pour reconstruire la France, quitte à les sommer de s'en aller quand nous n'avions plus besoin d'eux ; surtout, nous avons bâti cet empire colonial dans le sang et les larmes, puisque la colonisation a été rien moins qu'une entreprise de génocide : Jules Ferry, c'était, déjà, Hitler ! Contrevérités, billevesées, bricolage... voilà en quoi consiste le réquisitoire des Repentants, que l'auteur de ce livre, spécialiste de l'Algérie coloniale et professeur d'histoire à l'université Paris-8, a entrepris de démonter, à l'aide des bons vieux outils de l'historien - les sources, les chiffres, le contexte. Pas pour se faire le chantre de la colonisation, mais pour en finir avec la repentance, avant qu'elle transforme notre Histoire en un album bien commode à feuilleter, où s'affrontent les gentils et les méchants.
- Note de l'éditeur -


Benjamin Stora
Les trois exils, juifs d'Algérie
Stock, coll. Un ordre d'idées - septembre 2006

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L'idée de ce livre est née un matin de novembre 2004, quand Benjamin Stora, accompagné de son fils, s'est rendu pour la première fois à Khenchela, petite ville de l'Est algérien d'où vient sa famille paternelle.
Voyageant entre mémoire et histoire, quête personnelle et enquête historique, il reconstitue les trois exils qui ont marqué le destin des juifs d'Algérie. En moins d'un siècle en effet, ils sont sortis par trois fois de ce qui était jusque-là leur univers familier. Ils se sont éloignés de leur vie en terre d'islam quand le décret Crémieux de 1870, faisant d'eux des citoyens français, les a mis sur la voie de l'assimilation. Ils ont été rejetés hors de la communauté française de 1940 à 1943 avec les lois de Vichy. Et ils ont quitté les rives algériennes avec l'exode de 1962.
À travers cet essai historique sensible et rigoureux, enrichi de documents inédits, on découvre l'originalité de ce judaïsme algérien à la fois passionnément attaché à la République française et profondément pétri de traditions religieuses, mais aussi la complexité et les ambiguïtés des relations entre juifs et musulmans. Et l'on comprend mieux comment, dans les tensions d'aujourd'hui, quand crainte de l'islamisme et montée de l'antisémitisme se conjuguent, revient une « mémoire longue de l'inquiétude ».
- Présentation de l'éditeur -


Abderrahmane Moussaoui
De la violence en Algérie : les lois du chaos
Actes Sud - 3 novembre 2006

Que s'est-il passé en Algérie au cours des "années noires" ? Ce livre, fondé sur un travail d'enquête de plusieurs années, nous permet de mieux comprendre les mécanismes de la violence.
A partir de quels discours cette violence a-t-elle pu sembler légitime ? Comment le passage à l'acte a-t-il été rendu possible ? Ce livre propose une analyse à partir notamment des références aux catégories du discours islamique (djihad, umma...) et des conditions historiques spécifiques à l'histoire nationale algérienne, notamment la guerre de libération nationale.
L'approche anthropologique ici proposée, qui se distingue d'une analyse politique du drame algérien, nous donne des clefs pour comprendre l'incompréhensible. Les lois du chaos de la violence en Algérie apparaissent ainsi au fil de l'analyse.
Un document rare et saisissant, fondé sur une étude en profondeur d'une réalité algérienne complexe.
- Présentation de l'éditeur -
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8 décembre 2006 5 08 /12 /décembre /2006 20:17
Portrait
Olivia, rescapée de la Star Ac
LE MONDE | 08.12.06 | 15h31  •  Mis à jour le 08.12.06 | 15h31

t si Olivia Ruiz justifiait à elle seule l'existence de la "Star Academy" ? Cette femme-lutin n'aurait peut-être pas percé au-delà des orchestres de bal de son Aude natale, si elle n'était pas passée, en 2001, par la première promotion de la "Star Ac". Il aurait pourtant été dommage de rater son minois de brune mutine. Sortie du lot par les castings de ce petit conservatoire du showbiz, elle s'est épanouie en s'en affranchissant.

Le 14 décembre, Olivia Ruiz remplira l'Olympia. Pas une apothéose, plus simplement l'une des 160 dates d'une tournée marathon, en phase avec le succès d'un 2ème album, La Femme chocolat, sorti en novembre 2005 et devenu en septembre 2006 numéro un des ventes de disques, avec plus de 500 000 exemplaires vendus. A quelques petits problèmes de dos près - "les chanteurs enrichissent au moins autant les ostéopathes que les O.R.L.", rigole Olivia -, la demoiselle se sent sur scène dans son élément.

En courte robe d'héroïne de Chapeau melon et bottes de cuir, elle met en scène des comptines au croisement du réalisme et du merveilleux. Dosant allégrement efficacité de la variété et distorsions rock, elle dialogue spontanément avec son public avec son accent chantant du Sud-Ouest.

La môme Ruiz, que l'on pourrait aussi croire sortie d'un film d'Almodovar, a toujours eu des rêves d'enfant de la balle. Perdu au milieu des vignes, son village de Marseillette (600 habitants) aurait pu être un frein à sa vocation, mais la smala familiale veillait. Plusieurs chansons de La Femme chocolat"Mes parents avaient un café qui accueillait des musiciens, le juke-box jouait sans arrêt, explique Olivia. Ma mère, fan des Rita Mitsouko, m'habillait en Catherine Ringer ; mon père était guitariste de bal ; une de mes grands-mères m'initiait à la chanson réaliste, l'autre aux chansons traditionnelles espagnoles. Même en me bouchant les oreilles, je n'aurais pas échappé à la musique." replongent dans cette généalogie pléthorique. On trouve même dans le livret du disque des photos de papa-maman, des tontons, des tatas et des quatre grands-parents, dont trois ont fui l'Espagne franquiste.

Le micro et les planches lui sont vite familiers. Animatrice à 10 ans de sa propre émission sur Radio Marseillette, elle connaît une vraie révélation en participant à 12 ans à un spectacle d'Yvan Chiffre, chante à 14 ans dans son premier groupe de rock, puis dans des groupes de bal. Ses années de lycée à Narbonne, à préparer un bac théâtre en admiratrice d'Ariane Mnouchkine, seront celles d'une adolescence en crise - "J'ai fait toutes les conneries" - et du vent de liberté soufflé par le rock alternatif français, mené par Bérurier Noir, Mano Negra, les VRP et autres Garçons Bouchers, mariant chanson de rue et punk rebelle.

Dès cette époque, l'envie de s'éloigner de sa famille sera aussi grande que son besoin irrépressible de s'y ressourcer. "Cela tient peut-être à nos racines espagnoles, analyse celle qui a écrit une chanson sur le sujet (Thérapie de groupe), je me sens porteuse de l'exil de mes grands-parents, un sentiment qui accroît le besoin de famille, avec les côtés bénéfiques et destructeurs d'être les uns sur les autres."

Elle a goûté son déménagement à Paris, sur la butte Montmartre, avec l'émerveillement d'une Amélie Poulain de la garrigue. Mais elle se languit vite de la chaleur du cocon audois. Au point qu'en tournée, le groupe joue parfois le rôle d'une famille de substitution. Ses musiciens la taquinent sur ses besoins de "gros câlins" ou ses envies de traîner en bande jusqu'à plus d'heure. "Je finis par me retrouver seule dans ma chambre d'hôtel, admet-elle, alors j'écris. L'autre matin, je me suis réveillée avec un texte imprimé sur la joue. Je m'étais endormie dessus."

Ses soifs affectives contredisent parfois ses exigences professionnelles. Dans le travail, l'adorable copine peut se révéler cassante. Interdiction, par exemple, d'alcool et de fumette avant les concerts. Cette bosseuse aspire à la bohème mais connaît les lois de l'industrie : "Si j'ai mal vécu artistiquement et psychologiquement mon passage à la 'Star Ac', il m'a aussi fait gagner beaucoup de temps. A mon arrivée, je ne savais même pas ce qu'était un label."

"Une des forces d'Olivia, constate son producteur de spectacles, Olivier Poubelle, c'est sa capacité à admirer." Au moment de son premier album, J'aime pas l'amour, encore marquée par son statut de "star académicienne", celle qui n'était encore qu'une interprète avait ainsi démarché des auteurs aussi éloignés que possible de l'esthétique TF1, comme la chanteuse Juliette ou Néry, ex-leader des VRP, figures du rock alternatif.

"Juliette s'est aperçue qu'elle ne pouvait me caler sur aucune de ses chansons, jubile encore Olivia Ruiz, entre deux cigarettes roulées à la main. Elle m'a tout de même fait cuisiner par deux de ses copains, pour savoir ce que j'avais dans le ventre." Pour La Femme chocolat, cette fan de Roald Dahl, Tim Burton et Tom Waits a confié la production et plusieurs compositions à Mathias Malzieu, frénétique chanteur du groupe Dionysos. "On s'était déjà rencontrés avant la 'Star Ac' à l'occasion d'un de nos concerts près de Carcassonne", se rappelle Christian Olivier, chanteur des Têtes Raides, formation phare de la chanson "néoréaliste", avec qui elle duettise dans un des morceaux (Non-dits) de son deuxième album. "Elle est restée une vraie fan de musique, elle vibre pour les choses et sait se servir de son vécu."

Le contrat "merdique" de miss Ruiz avec Polydor, une branche d'Universal, a enfin été renégocié à l'aune de son récent succès. "Olivia n'est pas une femme d'argent, affirme Olivier Poubelle, les élèves de la 'Star Ac' connaissent les beaux hôtels, l'hystérie des fans, mais sont très mal payés. Elle a eu l'intelligence de mesurer la superficialité de cette gloire-là."

Récemment, on lui a proposé de revenir chanter à la "Star Academy". Olivia Ruiz a décliné l'invitation. Pascal Nègre, patron d'Universal, n'a pas insisté. Sans doute conscient que sa réussite avait trouvé une autre voie.


Stéphane Davet

Parcours

1980
Naissance, le 1er janvier, à Carcassonne (Aude).

1998
Chante, jusqu'en 2001, dans des groupes de bal.

2001
Demi-finaliste de la "Star Academy", première édition.

2003
Parution de son premier album, "Je n'aime pas l'amour".

2005
Deuxième album, "La Femme chocolat".

2006
Première au classement des ventes d'albums, part en tournée.

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16 janvier 2006 1 16 /01 /janvier /2006 11:40
Une société construite sur une méritocratie parfaite serait probablement inégalitaire.

Redoutable égalité des chances

Par François DUBET, sociologue à l'université Bordeaux-II et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales - Libération - jeudi 12 janvier 2006

Après les émeutes de novembre dernier, un nouvel horizon de justice paraît s'imposer à tous : l'égalité des chances. Comment ne pas y être favorable tant il est évident que, dans les sociétés démocratiques affirmant l'égalité fondamentale des individus, l'égalité des chances est la seule manière de produire des inégalités justes, c'est-à-dire des inégalités tenant au mérite de chacun, à son travail, à sa vertu et à sa liberté puisque chacun doit être libre de mettre son propre mérite à l'épreuve. L'égalité des chances et la méritocratie qui lui ressemble comme une soeur sont les seules figures de la justice acceptables dans une société où nous sommes égaux tout en occupant des positions sociales inégales. L'affaire est donc entendue : il faut d'autant plus lutter pour l'égalité des chances que notre société reste scandaleusement «aristocratique», dominée par la reproduction des rentes, des héritages et des privilèges, par la reproduction de la pauvreté et de l'exclusion et par toutes les ségrégations qui interdisent aux femmes, aux minorités, aux enfants de migrants, aux handicapés, d'entrer dans une compétition équitable.

Mais ce n'est pas parce que l'égalité des chances est si essentielle que nous devons ignorer les difficultés et les limites de ce principe cardinal de justice. La première d'entre elles est de savoir si nous sommes véritablement capables de construire une égalité des chances «pure», neutralisant les effets de la naissance et des inégalités sociales sur l'accomplissement du mérite des individus. Sans doute faut-il viser cet objectif, mais tout devrait nous conduire à être prudent en la matière car, après tout, l'ensemble des recherches sociologiques conduites en France et ailleurs montre que ni l'école ni le marché du travail ne parviennent à effacer les effets des inégalités sociales. Il serait sage de ne pas être totalement naïf si l'on ne veut pas préparer des lendemains amers et l'expérience de la massification scolaire devrait nous instruire.

Pour aussi peu contestable qu'elle soit, l'égalité des chances ne vise pas à produire une société égalitaire, mais une société dans laquelle chacun peut concourir à égalité dans la compétition visant à occuper des positions inégales. En cela, ce fut longtemps un thème de droite opposé aux idéaux d'une gauche cherchant d'abord à réduire les inégalités entre les positions sociales. Imaginons que l'accès différentiel aux diplômes, aux emplois, aux revenus, à l'influence, au prestige... procède d'une pure égalité des chances, d'un strict mérite, d'une stricte performance individuelle : est-ce que la répartition de ces divers biens serait juste pour autant ? Serait-il juste que les vainqueurs de l'égalité des chances possèdent toutes les ressources et que les autres n'en aient aucune sous le seul prétexte qu'ils auraient moins de mérite ? Une société construite sur une égalité des chances parfaitement juste pourrait, en même temps, être parfaitement inégalitaire. Autrement dit, le principe de l'égalité des chances n'est acceptable que si l'on prend soin de le situer dans un espace des inégalités sociales elles-mêmes acceptables. Sans cela, l'égalité des chances peut n'être qu'une idéologie de vainqueurs justifiant leur succès au nom de leur mérite. L'orgueil des élites issues des compétitions économiques et scolaires montre aisément que l'égalité des chances peut être, à la fois, une forme de justice et une manière de légitimer de plus grandes inégalités puisque celles-ci sont produites par un principe indiscutable. Dès lors, l'égalité se retourne contre elle-même.

Dans ce cas : malheur aux vaincus ! Leur sort peut être d'autant plus cruel que la réalisation de l'égalité des chances les rend responsables de leur propre défaite. Si chacun a eu la même chance que les autres de réussir et de se saisir des opportunités offertes à tous, ceux qui échouent dans la mise en oeuvre de leur mérite ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes. Ils ne peuvent pas se consoler ou se révolter en invoquant le destin, les dieux ou le capitalisme. Ils ne sont pas condamnés aux emplois les plus précaires et les plus mal payés à cause de la fatalité de leur naissance et de l'injustice de la société, mais à cause de leur absence de mérite. Ce scénario n'est pas une fiction quand nous voyons combien les élèves en échec développent une amertume et du ressentiment contre l'école parce qu'aux yeux de tous, et à leurs propres yeux aussi, ils ont effectivement moins de mérite, de courage, de talent, d'intelligence que tous les autres qui ont su réussir. Obligés de reconnaître leur défaite, écrasés par leur indignité, ils cassent le jeu ou ne jouent plus.

Puisque l'égalité des chances implique nécessairement l'affirmation du mérite, on pourrait se demander si le mérite existe vraiment. Faut-il sanctionner les performances objectives, faut-il sanctionner les efforts ? Sommes-nous certains que nos succès et nos échecs dans l'égalité des chances sont les conséquences de notre liberté plus que de nos gènes, plus que du hasard, plus que de la myriade des relations et des histoires qui nous constituent sans que nous le sachions ? Au fond, si nous méritons nos succès et nos échecs, nous ne méritons pas forcément les vertus et les handicaps qui nous font triompher ou échouer.

Pourtant, même si ces quelques critiques sont relativement fortes, il reste que l'égalité des chances constitue notre horizon de justice central, qu'elle est la fiction sur laquelle nous continuons à imaginer qu'il est possible de construire des inégalités justes. Un enseignant peut être révolté par les inégalités sociales qui pèsent sur les performances de ses élèves, il n'empêche qu'il est «obligé» de croire à l'égalité des chances quand il note leurs copies, et la plupart d'entre nous pensons que les plus diplômés doivent être mieux payés que ceux qui ne sont pas qualifiés. Dans le monde du marché, la croyance est la même : la prise de risques, les responsabilités et le travail doivent être sanctionnés parce qu'ils mesurent le mérite de chacun. On croit d'autant plus à l'égalité des chances et au mérite que l'on pense souvent que cette forme de justice est efficace : les élites sont les meilleures possibles, chacun est à la place qui lui convient, chacun a intérêt à être efficace, ce qui contribue à l'efficience collective et à «la richesse des nations».

Mais, sauf à devenir perverse, sauf à devenir une forme élégante de darwinisme social ou, plus vraisemblablement, sauf à devenir une liturgie, l'égalité des chances doit être associée à d'autres principes de justice. La lutte pour l'égalité des chances ne peut pas faire l'économie du combat pour la réduction des inégalités sociales, des inégalités des positions et des ressources. Non seulement c'est la meilleure manière de se rapprocher de l'horizon de l'égalité des chances lui-même, mais c'est aussi la seule façon d'offrir des garanties et une égalité sociale fondamentale à ceux qui échouent dans la compétition égalitaire, fût-elle juste. Autrement dit, il faut définir les inégalités tolérables engendrées par l'égalité des chances et définir les biens, la dignité, l'autonomie, la santé, l'éducation... qui doivent être offerts à chacun indépendamment de son mérite et, surtout, de son absence de mérite. En ce sens, la gauche ne saurait totalement attacher son projet et son destin à celui de l'égalité des chances car, même s'il devenait juste que certains soient plus mal payés, plus mal logés et plus mal instruits que d'autres, il serait injuste qu'ils soient trop mal payés, trop mal logés et trop mal instruits. Pour être justes, les conséquences inégalitaires de l'égalité des chances et de la méritocratie doivent donc être sérieusement limitées.

Parce que l'égalité des chances reste le pivot d'une distribution juste des individus dans des positions sociales inégales, elle risque de transformer la vie sociale en une sorte de compétition continue dans laquelle chacun serait le concurrent, sinon l'ennemi de tous, afin d'acquérir des positions et des ressources relativement rares. Sur ce point, l'évolution du système scolaire est sans ambiguïté : chacun y recherche la performance et l'utilité à travers les meilleurs établissements, les meilleures filières, les meilleures formations, c'est-à-dire les plus rentables, quitte à ce que les plus faibles soient relégués et à ce que la culture elle-même soit ramenée à son efficacité sélective. Pour être juste et vivable, une société ne peut se réduire à cette sorte de compétition permanente et d'autant plus permanente qu'elle serait juste, à une société dans laquelle chacun ne serait que l'entrepreneur de lui-même. Pour cette raison, la justice ne consiste pas seulement à réduire les inégalités de position, elle conduit aussi à faire que ces positions soient les meilleures possibles en permettant à chacun de construire la vie qui lui semble bonne. Alors, les «vieux» thèmes de la qualité du travail, du logement et de la ville, de la qualité de l'éducation, de la civilité des relations, doivent contribuer à la formation d'une société moins injuste.

Travaillons d'autant plus à la réalisation de l'égalité des chances que nous en sommes loin, mais craignons que ce mot d'ordre écrase aujourd'hui toutes nos conceptions de la justice et, plus immédiatement, qu'il écrase un débat politique où la gauche et la droite semblent partager les mêmes liturgies. Craignons aussi qu'un horizon aussi ambitieux ignore ses propres faiblesses et engendre des déceptions dont nous aurons beaucoup de mal à nous remettre. Même juste, l'égalité des chances implique mécaniquement qu'il y ait des vaincus, or la justice sociale consiste plus à se placer de leur côté qu'à s'assurer de l'équité de leur échec.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=350659

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