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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

21 janvier 2014 2 21 /01 /janvier /2014 14:32

Le 21 janvier est une date anniversaire importante.

Certains y voient l'un des passages obligés de la Révolution française, avec l'exécution de Louis XVI, jour où la République rompt enfin de manière radicale et définitive avec une vision monarchique, religieuse et sacrée de la société et de la communauté. Ne comptez donc pas sur moi pour tenir des propos révisionnistes sur l'Histoire et regretter que l'héritier des Bourbons aient payé de sa vie les crimes de sa dynastie et de sa caste, tout comme les siens propres.

Je vois également quelques camarades verser une larme sur le 90 ans de la mort de Vladimir Illitch Oulianov dit Lénine. Autant je peux à la rigueur comprendre que certains de nos camarades communistes conservent une approche sentimentaliste de leur propre histoire et fiction politiques. Mais j'avoue comprendre moins, quand de jeunes camarades socialistes l'intègrent dans leur propre Panthéon fictionnel. Il y a là sans doute une tâche à parfaire pour ceux qui sont engagés à la gauche du PS afin de rétablir quelques éléments de formations historiques et idéologiques, indispensables à ceux qui veulent promouvoir le socialisme démocratique.

rosa-luxemburg-older-rlsmedium_blum.2.2.jpgLa lecture du discours de Léon Blum prononcé le 27 décembre 1920 lors du congrès de la SFIO, qui vit deux-tiers des délégués du parti voter pour rejoindre la IIIème Internationale, est un premier antidote contre des fantasmes historico-politiques malsains.

J'ajouterai à cette saine lecture celle de la brochure de Rosa Luxemburg intitulée Questions d'organisation de la social-démocratie russe et paru en 1904 dans dans l'Iskra, organe de la social-démocratie russe, et dans Die Neue Zeit revue théorique de la social-démocratie allemande. Cet ouvrage polémique, est la réponse de Rosa Luxembourg aux conceptions d'organisation du parti développées par Lénine dans l'ouvrage Un pas en avant, deux pas en arrière.

Lenine_petit_chat.jpgC'est une analyse acérée des débats internes aux sociaux-démocrates de l'Empire russe qui venaient de se diviser entre Bolcheviks, Mencheviks et Bund (parti social-démocrate yiddish de Pologne, Lituanie et Russie). C'est un texte visionnaire qui sait déceler dès cette date tous les germes du totalitarisme léniniste.

bonne lecture.

"La tâche sur laquelle la social-démocratie russe peine depuis plusieurs années consiste dans la transition du type d'organisation de la phase préparatoire où, la propagande étant la principale forme d'activité, les groupes locaux et de petits cénacles se maintenant sans liaison entre eux, à l'unité d'une organisation plus vaste, telle que l'exige une action politique concertée sur tout le territoire de l'État. Mais l'autonomie parfaite et l'isolement ayant été les traits les plus accusés de la forme d'organisation désormais surannée, il était naturel que le mot d'ordre de la tendance nouvelle prônant une vaste union fût le centralisme. L'idée du centralisme a été le motif dominant de la brillante campagne mence pendant trois ans par I'lskra pour aboutir au congrès d'août 1903 qui, bien qu'il compte comme deuxième congrès du parti social-démocrate, en a été effectivement l'assemblée constituante. La même idée s'était emparée de la jeune élite de la social-démocratie en Russie.

Mais bientôt, au congrès et encore davantage après le congrès, on dut se persuader que la formule du centralisme était loin d'embrasser tout le contenu historique et l'originalité du type d'organisation dont la social-démocratie a besoin. Une fois de plus, la preuve a été faite qu'aucune formule rigide ne peut suffire lorsqu'il s'agit d'interpréter du point de vue marxiste un problème du socialisme, ne fût-ce qu'un problème concernant l'organisation du parti.

Le livre du camarade Lénine, l'un des dirigeants et militants les plus en vue de l'Iskra, Un pas en avant, deux pas en arrière, est l'exposé systématique des vues de la tendance ultracentraliste du parti russe. Ce point de vue, qui y est exprimé avec une vigueur et un esprit de conséquence sans pareil est celui d'un impitoyable centralisme posant comme principe, d'une part, la sélection et la constitution en corps séparé des révolutionnaires actifs et en vue, en face de la masse non organisée, quoique révolutionnaire, qui les entoure, et, d'autre part, une discipline sévère, au nom laquelle les centres dirigeants du parti interviennent directement et résolument dans toutes les affaires des organisations locales du parti. Qu'il suffise d'indiquer que, selon la thèse de Lénine, le comité central a par exemple le droit d'organiser tous les comités locaux du parti, et, par conséquent, de nommer les membres effectifs de toutes les organisations locales, de Genève à Liège et de Tomsk à Irkoutsk, d'imposer à chacune d'elles des statuts tout faits, de décider sans appel de leur dissolution et de leur reconstitution, de sorte que, enfin de compte, le comité central pourrait déterminer à sa guise la composition de la suprême instance du parti, du congrès. Ainsi, le comité central est l'unique noyau actif du parti, et tous les autres groupements ne sont que ses organes exécutifs.

C'est précisément dans cette union de centralisme le plus rigoureux de l'organisation et du mouvement socialiste des masses que Lénine voit un principe spécifique du marxisme révolutionnaire, et il apporte une quantité d'arguments à l'appui de cette thèse. Mais essayons de la considérer de plus près.

On ne saurait mettre en doute que, en général une forte tendance à la centralisation ne soit inhérente à la social-démocratie. Ayant grandi sur le terrain économique du capitalisme, qui est centralisateur de par son essenœ, et ayant à lurter dans les cadres politiques de la grande ville bourgeoise, centralisée, la social-démocratie est foncièrement hostile à toute manifestation de particularisme ou de fédéralisme national. Sa mission étant de représenter, dans les frontières d'un État, les intérêts communs du prolétariat, en tant que classe, et d'opposer ces intérêts généraux à tous les intérêts particuliers ou de groupe, la social-démocratie a pour tendance naturelle de réunir en un parti unique tous les groupements d'ouvriers, quelles que soient les différences d'ordre national, religieux ou professionnel entre ces membres de la même classe. Elle ne déroge à ce principe et ne se résigne au fédéralisme qu'en présence de conditions exceptionnellement anormales, comme c'est, par exemple, le cas dans la monarchie austro-hongroise. À ce point de vue, il ne saurait y avoir aucun doute que la social-démocratie russe ne doit point constituer un conglomérat fédératif des innombrables nationalités et des particularismes locaux, mais un parti unique pour tout l'empire. Mais, c'est une autre question qui se pose, celle du degré de centralisation qui peut convenir, en tenant compte des conditions actuelles, à l'intérieur de la social-démocratie russe unifiée et une.

Du point de vue des tâches formelles de la social-démocratie en tant que parti de lutte, le centralisme dans son organisation apparaît à première vue comme une condition de la réalisation de laquelle dépendent directement la capacité de lutte et l'énergie du parti.

Cependant, ces considérations de caractère formel et qui s'appliquent à n'importe quel parti d'action sont beaucoup moins importantes que les conditions historiques de la lutte prolétarienne.

Le mouvement socialiste est, dans l'histoire des sociétés fondées sur I'antagonisme des classes, le premier qui compte, dans toutes ses phases et dans toute sa marche, sur l'organisation et sur l'action directe et autonome de la masse.

Sous ce rapport la démocratie socialiste crée un type d'organisation totalement différent de celui des mouvements socialistes antérieurs, par exemple, les mouvements du type jacobin-blanquiste.

Lénine paraît sous-évaluer ce fait lorsque, dans le livre cité, il exprime l'opinion que le social-démocrate révolutionnaire ne serait pas autre chose qu'un jacobin indissolublement lié à l'organisation du prolétariat qui a pris conscience de ses intérêts de classe. Pour Lénine, la différence entre le socialisme démocratique et le blanquisme se réduit au fait qu'il y a un prolétariat organisé et pénétré d'une conscience de classe à la place d'une poignée de conjurés. Il oublie que cela implique une révision complète des idées sur l'organisation et par conséquent une conception tout à fait différente de l'idée du centralisme, ainsi que des rapports réciproques entre l'organisation et la lutte.

Le blanquisme n'avait point en vue l'action immédiate de la classe ouvrière et pouvait donc se passer de l'organisation des masses. Au contraire : comme les masses populaires ne devaient entrer en scène qu'au moment de la révolution, tandis que l'œuvre de préparation ne concernait que le petit groupe armé pour le coup de force, le succès même du complot exigeait que les initiés se tinssent à distance de la masse populaire. Mais cela était également possible et réalisable parce qu'aucun contact intime n'existait entre l'activité conspiratrice d'une organisation blanquiste et la vie quotidienne des masses populaires.

En même temps, la tactique, aussi bien que les tâches concrètes de l'action, puisque librement improvisées par l'inspiration et sans contact avec le terrain de la lutte de classes élémentaire, pouvaient être fixées dans leurs détails les plus minutieux et prenaient la forme d'un plan déterminé à l'avance. Il s'ensuivait, naturellement, que les membres actifs de l'organisation se transformaient en simples organes exécutifs des ordres d'une volonté fixée à l'avance en dehors de leur propre champ d'activité, en instruments d'un comité central. D'où cette seconde particularité du centralisme conspirateur : la soumission absolue et aveugle des sections du parti à l'instance centrale et l'extension de l'autorité de cette dernière jusqu'à l'extrême périphérie de l'organisation.

Radicalement différentes sont les conditions de l'activité de la social-démocratie. Elle surgit historiquement de la lutte de classes élémentaire. Et elle se meut dans cette contradiction dialectique que ce n'est qu'au cours de la lutte que l'armée du prolétariat se recrute et qu'elle prend conscience des buts de cette lutte. L'organisation, les progrès de la conscience et le combat ne sont pas des phases particulières, séparées dans le temps et mécaniquement, comme dans le mouvement blanquiste, mais au contraire des aspects divers d'un seul et même processus. D'une part, en dehors des principes généraux de la lutte, il n'existe pas de tactique déjà élaborée dans tous ses détails qu'un comité central pourrait enseigner à ses troupes comme dans une caserne. D'autre part, les péripéties de la lutte, au cours de laquelle se crée l'organisation, déterminent des fluctuations incessantes dans la sphère d'influence du parti socialiste.

Il en résulte déjà que le centralisme social-démocrate ne saurait se fonder ni sur l'obéissance aveugle ni sur une subordination mécanique des militants vis-à-vis du centre du parti. D'autre part, il ne peut y avoir de cloisons étanches entre le noyau prolétarien conscient, solidement encadré dans le parti, et les couches ambiantes du prolétariat, déjà entrainées dans la lutte de classes et chez lesquelles la conscience de dasse s'accroît chaque jour davantage. L'établissement du centralisme sur ces deux principes : la subordination aveugle de toutes les organisations jusque dans le moindre détail vis-à-vis du centre, qui seul pense, travaille et décide pour tous, et la séparation rigoureuse du noyau organisé par rapport à l'ambiance révolutionnaire comme l'entend Lénine — nous paraît donc une transposition mécanique des principes d'organisation blanquistes de cercles de conjurés, dans le mouvement socialiste des masses ouvrières. Et il nous semble que Lénine définit son point de vue d'une manière plus frappante que n'aurait osé le faire aucun de ses adversaires, lorsqu'il définit son «social-démocrate-révolutionnaire» comme un «jacobin lié à l'organisation du prolétariat qui a pris conscience de ses intérêts de classe». En vérité la social-démocratie n'est pas liée à l'organisation de la classe ouvrière, elle est le mouvement propre de la classe ouvrière. Il faut donc que le centralisme de la social-démocratie soit d'une nature essentiellement différente du centralisme blanquiste. Il ne saurait être autre chose que la concentration impérieuse de la volonté de l'avant-garde consciente et militante de la classe ouvrière vis-a-vis de ses groupes et individus. C'est, pour ainsi dire, un «auto-centralisme» de la couche dirigeante du prolétariat, c'est le règne de la majorité à l'intérieur de son propre parti.

Cette analyse du contenu effectif du centralisme social-démocratique montre déjà que les conditions indispensables à sa réalisation n'existent pas pleinement dans la Russie actuelle : l'existence d'un contingent assez nombreux d'ouvriers déjà éduqués par la lutte politique et la possibilité pour eux de développer leur action propre par l'influence directe sur la vie publique (dans la presse du parti, dans les congrès publics, etc.).

Cette dernière condition ne pourra être évidemment réalisée que dans la liberté politique ; quant à la première — la formation d'une avant-garde prolétarienne consciente de ses intérêts de classe et capable de s'orienter dans la lutte politique —, elle n'est qu'en voie d'éclosion et c'est à hâter cette dernière que doit tendre tout le travail d'agitation et d'organisation socialistes. [...]"

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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 13:16

Le communisme bolchévique (léninisme, trotskisme, stalinisme, maoïsme) était vicié dès l'origine ; la social-démocratie est aujourd'hui mise en échec par la mondialisation et échoue à penser une alternative politique, culturelle et économique au néo-libéralisme, quand certains n'ont tout simplement fait qu'abandonner leurs valeurs en se vautrant dans le blairisme ou le social-libéralisme.

Pour aider à penser la politique dans ces temps troublés et difficile, je vous rappelle qu'il est un ouvrage à mettre entre toutes les mains.

Frédéric Faravel

Couverture de l'ouvrage : Réconcilier marxisme et démocratie - David Muhlmann

"Réconcilier marxisme et démocratie"

David Muhlmann

Actualités/Essais/Documents / Essais

Date de publication : 14/05/2010

EAN13 : 9782021002027

 

 

http://www.recherche-et-organisation.com/upload/om_news/muhlmann.jpgCe livre pourrait avoir pour sous-titre Du bon usage de Rosa Luxemburg. Il restitue en effet la vie et l’œuvre de la fondatrice de la Ligue spartakiste, assassinée en 1919, qui a su percevoir avec une lucidité exemplaire la dérive autoritaire du bolchévisme d’un côté, et la capitulation de la social-démocratie de l’autre. Son souci n’est pourtant pas purement historique, puisqu’il tente aussi d’éclairer, à la lueur des textes du siècle passé, les débats et enjeux politiques d’aujourd’hui, et de dessiner les voies possibles d’un renouveau fidèle aux enseignements de Marx.

Alors que les recherches se multiplient dans le monde, notamment en Allemagne, aux États-Unis et en Amérique latine, où son influence est particulièrement vivace, aucun travail d’envergure ne lui a été consacré en France depuis plus de trente ans. C’est précisément l’ambition de cet ouvrage que de présenter et de mettre ses œuvres en perspective pour mieux contribuer au développement d’une pensée radicale actuelle, indissociablement socialiste et démocratique, face aux crises à venir. Il appuie son propos sur huit entretiens menés avec des intellectuels et des leaders de la gauche internationale, parmi les meilleurs spécialistes mondiaux de Rosa Luxemburg : Daniel Bensaïd, Michael Löwy, Toni Negri, Paul Singer, Paul Le Blanc, Isabel Loureiro, Nahiriko Ito, Michael Krätke.


Né en 1974, David Muhlmann est docteur en sociologie (Institut d’Études Politiques de Paris) et psychanalyste. Il a publié Les Étapes de la pensée psychanalytique (Desclée de Brouwer, 2007).

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17 juin 2010 4 17 /06 /juin /2010 16:55

POUVOIR & DÉMOCRATIE, AUJOURD'HUI

Le monde a connu depuis 35 ans une extension importante du modèle démocratique pour présider à la conduite de la majorité des États. En 1975, une quarantaine d'États seulement pouvait prétendre au statut de démocratie, auquel il était assez évident d'opposer les modèles des États autoritaires et totalitaires. Vingt ans plus tard, après l'effondrement de l'Union soviétique, ce nombre dépassait largement la centaine alors que l'on recense aujourd'hui un peu moins de 200 États sur la planète.

Cette globalisation du modèle démocratique le rend du même coup plus difficilement opposables à son contraire, au point qu'il peut être légitime d'interroger ses critères face à la diversité de sa traduction, entre les démocraties strictement électorale et la démocratie « libérale », satisfaisant à des exigence plus nombreuses.

La démocratie est étymologiquement « le pouvoir du peuple », on pourra ajouter « par le peuple et pour le peuple », mais de quel pouvoir et de quel peuple s'agit-il ? En dehors de l'exercice « collectif » du pouvoir, les formes de « démocraties » ou des modalités de prise de décision, peuvent renvoyer à des modèles contradictoires, opposés ou aussi difficiles à articuler que la « démocratie locale » et celle qui ne le serait pas.

Or la généralisation de la démocratie comme modèle de gouvernement des puissances publiques étatiques s'est opérée parallèlement – certains diront dans le même mouvement – avec la globalisation économique et financière qui semble remettre en cause de manière sérieuse la définition du siège du pouvoir et de la nature des personnes, institutions et organisations en capacité de l'exercer. La pertinence de la démocratie comme définition du pouvoir légitime est interrogée au moment même ou elle devenait un modèle universel, accompagnant ce que certains ont voulu décrire comme une « fin de l'histoire » (La fin de l'histoire et le dernier homme, Fukuyama, 1989).

Il paraît donc nécessaire de distinguer à ce titre les modèles théoriques et les modèles historiques (1), pour démontrer au-delà du plus petit dénominateur commun qui la singularise, « la » démocratie est toujours un compromis spécifique pour organiser les rapports entre pouvoir et société (2), face au défi de savoir si elle est encore un outil efficace pour conquérir l'exercice du pouvoir (3).

Pouvoir et démocratie entretiennent – aujourd'hui comme hier – des relations ambigües comme le montre la variété des « modèles » démocratiques.

La référence à la démocratie s'est exprimée de manière extrêmement diverses tant du point de vue théorique que dans sa mise en œuvre historique. De manière relativement abstraite on distinguera ici trois principales formes : démocratie radicale, démocratie libérale et démocratie déléguée.

La démocratie comme « pouvoir de tous »
la démocratie « radicale » ou la « dictature de la majorité »

La typologie de la « démocratie radicale » a été définie par Raymond Boudon1. Dans cette conception largement hérité de l'expérience historique et idéologique de la Révolution française, il n'est rien au-dessus du pouvoir de décision du peuple et de son expression majoritaire. Ce qu'il a fait il peut fort bien le défaire. C'est une forme de « dictature de la majorité », catégorie à laquelle on peut également rattacher la « dictature du prolétariat » telle qu'elle fut théorisée par Karl Marx et Friedrich Engels.

Or cette dictature de la majorité peut fort bien être vécue comme une forme de violence pour les « minoritaires », minorités religieuses, ethniques, linguistiques, politiques qui peuvent ne pas se reconnaître dans la volonté exprimée par la majorité, d'autant que certaines formes de minorités peuvent être édictées par la loi : suffrage universel strictement masculin, collèges électoraux différenciés (l'Empire allemand avant 1918, l'Algérie française entre 1946 et 1962, Apartheid sud-africain, suffrage économique pondéré en Irlande du Nord avant 1969), suffrage censitaire… il ne suffit donc pas d'établir des élections pour achever la démocratie, tout comme le suffrage universel ne résolvait pas la question sociale malgré les déclarations de Lamartine (1848).

Cette conception de la « démocratie radicale » est assez bien illustrée sous des formes différentes par la constitution de 1793 où pouvoirs exécutif et législatif sont entremêlés voire confondus dans un système monocaméral (le pouvoir judiciaire leur est clairement subordonné) ou même dans les constitutions de la IIIème et IVème Républiques qui n'établissent pas de juge constitutionnel permettant de tempérer les décisions de la représentation populaire.

On peut également faire entrer dans cette catégorie le concept de « démocratie directe » avec des différences subtiles entre la possibilité de révocabilité des mandataires et le strict de respect du « mandat impératif ».

Enfin en lien avec cette conception, peut être approchée la définition de la « démocratie socialiste » telle qu'elle pouvait être conçue par certains cadres sociaux-démocrates révolutionnaires avant la Première guerre mondiale et la Révolution bolchévique d'octobre 1917 : la prise du pouvoir dans un pays capitaliste avancé par un prolétariat pleinement conscient de sa tâche historique et organisé en conséquence, une « dictature du prolétariat » est mise en place comme dictature de la majorité pour transformer les rapports économiques, mais qui n'est pas antinomique avec la liberté d'opinion, d'expression, de presse, de réunion, etc. la pluralité de la vie démocratique s'exprimant à la fois au travers d'une assemblée parlementaire et la multiplicité des conseils ouvriers sur le modèles des soviets d'ouvriers et de soldats en 1905, cette « dictature du prolétariat » ne pouvant fonctionner sans contre-pouvoirs.

La démocratie comme « pouvoir de chacun »
la démocratie « libérale » ou la « souveraineté limitée »

De fait, depuis les différentes déclarations des droits (bills of rights britannique de 1689 ou américain de 1787)ou la déclarations des droits de l'homme et du citoyen (1789), la proclamation de droits naturels et inaliénables vient de fait limiter l'exercice d'un pouvoir qui ne viendrait que du peuple. Le préambule de la constitution de 1946 (IVème République), reprise en préambule de la constitution de 1959 (Vème République) stipule ainsi que « Le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des Droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. »

La question des libertés fondamentales et des droits de l'individu est posée d'entrée dans la tradition libérale anglo-saxonne pour laquelle la constitution régissant une société doit limiter au maximum le risque que l'État peut représenter pour l'individu. La forme la plus avancée de cette conception se retrouve dans la constitution américaine (1787) et dans la Loi Fondamentale allemande de 1949. La première institue une stricte séparation des pouvoirs2exécutif, législatif et juridique, qui se contrôlent les uns les autres (au risque de l'inertie) et invente la Cour Suprême comme seul juge constitutionnel, ultime recours. Le préambule de la Loi Fondamentale de la République fédérale allemande pour des raisons historiques permet également une définition très précise de l'État de droit et des libertés fondamentales qui vient de ce fait limiter l'exercice du pouvoir, avec une très forte prégnance du tribunal fédéral constitutionnel.

L'influence de la Loi fondamentale allemande a infusé dans l'ensemble de l'Europe au rythme de la construction européenne ; déjà la constitution de la VèmeRépublique innove avec la tradition française en créant le Conseil constitutionnel dont on vient de voir entrer en vigueur une nouvelle avancée d'inspiration germano-européenne avec la « Question préjudicielle de constitutionnalité ». Les institutions européennes, Cour de justice de l'Union européenne, Cour européenne des droits de l'homme, charte des droits fondamentaux rendue contraignante par son intégration dans le Traité de l'Union européenne (Traité de Lisbonne), sont extrêmement représentatives de cette question.

Il n'est pas indifférent que cette catégorie démocratique soit entrée en vigueur dans des États fédéraux, comme les États-Unis d'Amérique ou la République fédérale allemande, où il fallait en plus des droits des citoyens faire valoir les droits des États fédérés par rapport au pouvoir de la fédération. La question de la subsidiarité entre les différents échelons d'exercice du pouvoir n'est pas anodine : l'existence d'échelons locaux forts d'exercice du pouvoir, comme en Espagne avec des Régions autonomes aux compétences à géométrie variable, est une limitation du pouvoir central. Il faut regarder dans ce sens la contradiction des gouvernements de droite en France qui ont inscrit en 2004 dans la constitution le caractère « décentralisé » de la République française et qui aujourd'hui proposent de restreindre fortement le champ de la « démocratie locale ».

La démocratie comme « pouvoir de quelques uns »
le pouvoir délégué de la « démocratie représentative » ou confisqué de la « démocratie populaire » ?

On fera d'abord ici référence à la « loi d'airain des oligarchies » théorisée par le sociologue socialiste allemand Robert Michels dans Les Partis politiques, Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties (1914). Cette intuition est également reprise dans La société des socialistes (2006, éditions du Croquant) de Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre, sur la sociologie du Parti socialiste français. Les partis politiques ont tendance a créé en démocratie des fonctionnement notabilitaires, auto-reproductifs, qui se séparent peu à peu de la société que les élus sont censés représenter. Il existe donc des tendances de fond qui mènent à la création de bureaucraties syndicale et politique.

Il n'est pas très étonnant que cette réflexion sociologique soit née en Allemagne au début du XXème siècle, alors que le binôme formé par le SPD et les syndicats ouvriers allemands était considéré comme le joyau de la social-démocratie révolutionnaire, et que ses intellectuels officiels donnaient le ton à toute l'Internationale Ouvrière. Michels démontre la construction de l'oligarchie social-démocrate et à la même époque Rosa Luxemburg dénonce le fait que la social-démocratie allemande, qu'elle soit politique ou syndicale, ait été peu à peu absorbée par l'appareil d'État prussien, avec une bureaucratisation autoritaire, décourageant l'initiative autonome des mobilisations des masses ouvrières, ne se battant plus que pour des réformes subalternes en attendant que l'Empire allemand, nation capitaliste la plus avancée de l'époque, tombe comme une fruit du seul fait de l'évolution historique. Les sociaux-démocrates ne devaient selon leurs dirigeants que se préparer pour le moment où naturellement le pouvoir échoirait à la classe ouvrière ; le rêve n'était de faire tomber l'Empire pour créer une République socialiste, mais de faire de l'Empereur Guillaume « l'empereur des ouvriers ».

C'est cette même Rosa Luxemburg qui dénoncera, dès 1904 (et jusqu'à son assassinat en janvier 1919 par le gouvernement social-démocrate allemand) près de 16 ans avant le congrès de Tours de la SFIO (1920) et le discours remarquable de Léon Blum sur le même thème, les tendances autoritaires et dictatoriales inhérentes à l'organisation partisane conçue par Lénine et les Bolchéviques. La conception d'avant-garde composée de révolutionnaires professionnelles portait dès le départ en germe la construction d'un État-Parti totalitaire dont l'objectif serait de faire le bonheur du peuple malgré lui, sous prétexte qu'il aurait anticipé la connaissance scientifique de l'évolution historique et économique et précéderait donc les aspirations profondes du peuple.

L'État « ouvrier » soviétique a donc été une machine à opprimer les ouvriers et les travailleurs, Trotsky, qui avait organisé la répression des marins de Kronstadt et la militarisation du travail et des syndicats, continuera de vouloir défendre les « acquis » de ce qu'il considérait toujours comme un « État ouvrier » bien que dégénéré. Dans le même temps d'autre responsables politiques de la gauche critique voyait dans l'URSS la construction d'un Capitalisme d'État au service d'une nouvelle classe sociale dirigeante, la nomenklatura, qui avait pris la place de la bourgeoisie.

L'illusion de « l'État ouvrier »fut encore moins défendable lorsqu'au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l'URSS imposa par occupation militaire des « Démocraties populaires ». Si on peut encore discuter des conditions de la Révolution russe de février et d'octobre 1917, il est évident que les populations d'Europe orientale et centrale à qui l'on imposait ces « démocraties populaires » n'avait absolument pas choisi de faire la révolution communiste et que ce gouvernement était imposé contre la volonté du peuple.

Au-delà du plus petit dénominateur commun, « la » démocratie est un compromis spécifique organisant les rapports entre pouvoir et société.

Dans l'articulation entre société et puissance publique, la démocratie apparaît comme le moyen d'exercer le pouvoir et de régler le plus pacifiquement possible les conflits qui traversent la société. Mais la souveraineté populaire ne saurait être respectée par la seule définition de l'exercice du pouvoir, elle a besoin également d'établir des contre-pouvoirs.

La démocratie, c'est organiser les conflits et les régler le plus pacifiquement possible :

La démocratie comme organisation des conflits, de leur expression à leur résolution, paraît répondre parfaitement à la culture politique ayant présidée aux destinées de la République française. Les clivages y apparaissent souvent violemment exprimés et la résolution du conflit se solde fréquemment par l'imposition des choix de la majorité sur ceux de la minorité plutôt que par la négociation ; il est vrai que ce n'est pas forcément ce qu'il y de plus pacifique.

À l'opposé, les institutions de l'Union européenne (en partie parce qu'elle associe en son sein des histoires politiques diverses) sont clairement orientées vers la recherche du consensus et du compromis, a priori, entre des options divergentes.

La question sociale a pu apparaître mettre en péril un temps la démocratie naissante. Loin des pronostics établis par les Libéraux du XIXème siècle comme Lamartine, l'instauration du suffrage universel (masculin) n'avait pas suffi à la résoudre. L'antériorité de la démocratie républicaine sur un mouvement social organisé et la naissance d'une organisation socialiste en rance a perpétué ce conflit. Au contraire, les autres partis sociaux-démocrates européens avaient tout à la fois la démocratie et l'égalité sociale à conquérir (on a pu voir dans la partie précédente à quel point le SPD avait fini par s'intégrer au paysage de l'Empire allemand conduisant à sa bureaucratisation et à son ossification).

On doit donc à Jean Jaurès et à Léon Blum l'intégration de la question sociale dans le débat démocratique et républicain. Le premier y voyait un moyen de construire pour le mouvement ouvrier son propre espace public au sein de la société capitaliste, soutenant que la défense de la démocratie s'apparentait à croire en « la force du prolétariat ». Le second défendit le 27 décembre 1920, contre la majorité des délégués de la SFIO qui prônait l'adhésion à l'Internationale Communiste, contre la vision bolchévique de la prise du pouvoir armée, que la révolution était le militant socialiste faisant œuvre quotidienne de propagande et s'atteindrait donc par le recueil de la majorité des suffrages de citoyens éduqués et conscients de enjeux.

La démocratie politique comme la démocratie sociale impliquent que soient créées des espaces où s'expriment la contradiction et où elle se tranche. Encore faut-il que l'on ne dénie pas (comme les bolchéviques et la droite nationaliste) tout droit au conflit et à son expression là où elle était possible.

La démocratie naît de la tension entre organisation de la confiance et organisation de la défiance :

L'expression par le suffrage universel pour déterminer des institutions représentatives, tant sur le champ politique que dans le champ social, est l'organisation de la confiance entre société et pouvoir. La séparation des pouvoirs et l'existence de contre-pouvoirs devrait permettre d'encadrer un principe de défiance. Pour les Libéraux comme Benjamin Constant, « toute bonne constitution est un acte de défiance » car elle vise à encadrer l'action des pouvoirs publics, donc à limiter les possibilités d'abus de pouvoir sur les individus.

Si le principe de séparation des pouvoirs établi par Montesquieu semble avoir trouvé sa concrétisation dans la Constitution américaine, tel n'a jamais été le cas des constitutions démocratiques françaises depuis 1871.On peut considérer, dans le cas de la IIIème et de la IVème République, que la défiance devait s'exprimer théoriquement tout à la fois avec la confiance, dans le vote des citoyens sanctionnant ou non les coalitions gouvernementales sortantes.

La Vème République établit depuis son entrée en vigueur en 1959 une démocratie régulée où le contrôle par le droit serait le pendant d'un pouvoir exécutif puissant. Mais alors que des polémiques ont surgi en nombre ces dernières années pour dénoncer la mise en cause du pouvoir législatif et du pouvoir de contrôle du parlement et celle du contre-pouvoir médiatique face à la puissance exécutive, on peut s'interroger sur la pertinence d'un contre-pouvoir qui ne serait plus exercé que par le Conseil Constitutionnel ou le Conseil d'État. L'avis de ce dernier sur un éventuel projet de loi portant interdiction générale du voile intégral en une illustration très récente.

Encore faut-il s'interroger sur la portée des sujets sur lesquels les pouvoirs ont en démocratie encore le « loisir » de s'appesantir.

La Démocratie est-elle encore un outil efficace pour conquérir l'exercice du pouvoir ?

La globalisation économique et financière est venue largement entamer la réalité du pouvoir des États-Nations dans lesquels avaient émergé l'exercice du pouvoir par la démocratie. La démocratie représentative fait les frais de cette perte d'efficacité de la puissance publique. Contestée par le haut, elle l'est aussi par le bas, des voix s'élevant pour promouvoir la « démocratie d'opinion ».

Que reste-t-il de la souveraineté populaire face à la mondialisation ?

Souveraineté populaire et souveraineté nationale se sont longtemps identifiées l'une à l'autre quand l'action publique trouvait une exécution efficace au sein des États et des États-Nations en particulier.

La construction européenne et la globalisation économique compliquent sérieusement le tableau. La première n'a pas été conçue à l'origine comme une expression de la souveraineté populaire démocratique, mais comme une mise en commun utilitaire par un certain nombre d'États européens (toujours plus nombreux) d'un nombre croissant de compétences et de politiques publiques. Des transferts de souveraineté ont donc été opérés, car ils étaient sans doute nécessaires, sans que les peuples soient réellement associés dans un débat de fond transparent, autrement que par l'intermédiaire de leurs gouvernements. Les référendums ont été tardifs et ils ont pour défaut de chercher à simplifier à l'extrême la réponse demandée à des problématiques complexes. Le processus d'adoption d'institutions communes plus démocratiques a connu des difficultés et des ratés réguliers de 1992 à 2009, nés de cet malentendu originel : « non » danois en 1992, « non » irlandais en 2001 et 2008, « non » français et néerlandais en 2005.

La globalisation financière a posé des problèmes autrement plus angoissant pour les populations. Bien que diverses institutions internationales existent pour encadrer la libéralisation des échanges commerciaux, la financiarisation de l'économie et l'instantanéité des mouvements financiers avec internet d'un bout à l'autre de la planète ont donné légitimement à penser que les États étaient devenus impuissants à répondre aux préoccupations de leurs administrés : développement économique, emploi, environnement A contrario, de grands multinationales semblaient pouvoir imposer leur volonté sur la marche économique du monde et Ronald Reagan disait que l'État n'était « pas la solution mais le problème ».

La crise financière internationale de 2008 a pu faire penser que le politique était de retour. Les États sont massivement intervenus pour sauver le système financier international et ont exprimé leur souhait d'une plus grande régulation économique et financière en contrepartie. Mais les illusions politiques de 2009 semblent aujourd'hui se dissiper : les grandes entreprises financières ont repris les pratiques précédemment condamnées comme partiellement responsables de la crise financière, les États n'ont pas modifié dans le sens d'une plus grande régulation le système capitaliste, pis ils n'ont pas vraiment exigé de contreparties pour le sauvetage du système. Les attaques financières dont ont été l'objet la Grèce et in fine la monnaie européenne renforcent le doute quant aux capacités des États à faire prévaloir leurs vues sur celles des marchés financiers, d'autant que l'accroissement de leur dette souveraine les a sans doute durablement affaiblis.

La démocratie d'opinion est un échappatoire face au manque d'efficacité d'une démocratie régulée ?

En juillet 2001, Romano Prodi, président de la Commission européenne, déclarait que « l'Europe n'est pas administrée que par les autorités européennes, mais aussi par les autorités nationales, régionales et locales, ainsi que par la société civile » : le flou d'une telle déclaration, l'habillage de la difficulté à assumer les décisions politiques exigées par le suffrage des citoyens en notion de « bonne gouvernance » ne sont sans doute pas de nature à, rassurer les électeurs sur l'efficacité de la puissance publique.

On peut y voir, avec la difficulté à répondre à leurs préoccupations les plus criantes, la cause de la montée de l'abstention à toutes les élections dans toutes les démocraties occidentales, ainsi que la montée des votes protestataires, populistes ou nationalistes, depuis 25 ans. Selon Pierre Rosanvallon, l'abstention ne traduirait pas un désintérêt des citoyens pour la démocratie, mais l'intérêt des citoyens se déplacerait selon lui de la représentation vers l'invention de nouveaux contre-pouvoirs pris en charge par la société civile : actions de pétition, de manifestations ou de solidarité… Le principe en serait de dénoncer pour contraindre le pouvoir à agir ; partis et syndicats, exerçant une fonction de représentation, seraient complétés par des ONG, chargées de mobiliser l'opinion.

Michel Rocard, alors Premier ministre, incitait en 1989 ses ministres à plus tenir des sondages pour réussir leurs réformes. Nicolas Sarkozy, président de la République, est un grand consommateur de sondages qualitatifs, mais cela ne lui garantit pas forcément des victoires électorales.

Il est vrai cependant que l'intervention citoyenne s'est déplacée avec une certaine efficacité dans le domaine de la dénonciation/contestation. Philippe Subra, professeur de Géographie à l'université Paris 8, explique en 2007 dans La Crise de l'aménagement du territoireque depuis 25 ans les associations de défense des riverains ont de cette manière mis fin au règne sans partage du pouvoir technocratique (mandaté par les autorités démocratiques) dans ce domaine.

Les expériences d'institutionnalisation du Débat public (Commission Nationale du Débat Public - CNDP) et de la démocratie participative visent à capter ce nouvel investissement citoyen. Mais cela appelle plusieurs remarques :

  • Le vote de ceux qui se sont exprimés n'a pas moins d'intérêt parce que les abstentionnistes sont nombreux sauf à considérer que les élus ne sont pas légitimes à s'adresser à la population dans le « Débat public » ;

  • Jusqu'ici le débat sur l'aménagement du territoire, notamment, est essentiellement le fait de regroupements protestataires qui peuvent parfois être assimilés à des démarches populistes. Le syndrome NIMBY « pas dans mon jardin » anime le plus souvent ces mouvements qui restent les plus structurés ;

  • Il est nécessaire de former de véritables interlocuteurs avant de reconnaître tout et n'importe quoi comme « représentatif ». « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des égaux, Messieurs, c'est d'en faire » disait Gambetta ;

  • Le terme « société civile » regroupe des réalités tellement diverses et contradictoires, que sa reconnaissance non balancée pourrait plus contribuer à défaire les institutions qu'à les démocratiser ;

  • Enfin, la nature des débats soumis à la démocratie participative reste aujourd'hui accessoire et il n'y a pas la matière à prétendre transformer réellement et profondément la vie de nos concitoyens.

* * * *

L'interrogation sur l'évolution des sociétés démocratiques est aujourd'hui plus forte que jamais. La démocratie, comme mode de désignation des gouvernements nationaux donc comme pouvoir, ne subit pas dans la plupart des pays aujourd'hui réellement la concurrence d'autres modèles (fascisme, autocratie, théocratie, bolchévisme), mais elle pâtit de la perte d'efficacité de l'action publique des États et de la puissance publique en général.

C'est la problématique soulevée par Emmanuel Todd en 2008 dans son essai Après la démocratie, dénonçant un débat démocratique qui se serait concentré selon lui lors de l'élection présidentielle de 2007 sur des sujets secondaires, comme l'identité nationale et la sécurité, pour masquer l'impuissance des gouvernements démocratiques nationaux à trouver les outils pour résoudre les enjeux économiques et la question sociale.

Sans pouvoir effectif, la démocratie se limiterait de plus en plus à un théâtre d'ombres justifiant le décrochage institutionnel grandissant d'une majorité de la population et ouvrant la voie à un populisme autoritaire pour répondre à des conflits sociaux qui ne seraient plus régulés.

La restauration de la souveraineté populaire qui ne peut s'exprimer qu'au travers de la démocratie suppose deux piliers :

  • Le premier est celui d'un véritable débat politique où les enjeux sont clairement identifiées, les clivages assumés et les choix annoncés. L'élection de présidentielle américaine entre Barack Obama et John McCain en 2008 semble correspondre à ce type de confrontation nécessaire, même si l'on mesure chaque la distance entre la conquête et l'exercice du pouvoir ;

  • le second est sans doute l'émergence d'espaces cohérents et pertinents où la puissance publique pourrait s'exercer efficacement dans le cadre de la globalisation. C'est tout l'enjeu de la construction européenne, l'union connaissant des difficultés à élaborer une véritable démocratie expression d'une souveraineté populaire européenne, alors que les États membres peinent encore à s'accorder sur la manière de défendre leur monnaie unique.

Frédéric Faravel
secrétaire fédéral du PS 95
aux relations extérieures


1Raymond Boudon est un sociologue français né le 27 janvier 1934 à Paris. Avec Alain Touraine, Michel Crozier et Pierre Bourdieu, c'est un des plus importants sociologues français de la deuxième moitié du XXème siècle. Il est le chef de file du courant de l'« individu rationnel » et l'« individualisme méthodologique » dans la sociologie française. Il s'agit donc plutôt d'un penseur libéral.

2Attention à ne pas confondre « séparation des pouvoirs » et nécessité d'avoir des contre-pouvoirs. La confusion vient de l'habitude prise aux États-Unis de définir la Presse comme le 4ème pouvoir ; or si celle-ci a une mission d'information du citoyen, donc éventuellement de formation de son jugement et d'influence des décisions, la presse en tant que telle n'exerce pas de POUVOIRS dans le sens où elle ne prend pas de décisions.

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20 janvier 2009 2 20 /01 /janvier /2009 12:39
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15 avril 2006 6 15 /04 /avril /2006 10:35
Se poser la question d’une alternative au capitalisme, c’est d’abord savoir définir le capitalisme. Pour nous le capitalisme n’est ni une personne ni une institution. Il ne veut ni ne choisit. Il est une logique d’accumulation à l’œuvre à travers un mode de production. Il n'a aucune morale, et, ne se préoccupe pas de la recherche du bien être collectif son seul objectif étant l’augmentation de la plus-value ou profit. Il y a deux questions sous-jacentes quand on examine la logique capitaliste : celle de la propriété des moyens de production, du capital initial ; celle de la répartition de la plus-value ou profit.


Ce texte est le produit d'un groupe de travail de Nouvelle gauche qui s'est réuni au cours de l'année 2004 pour tenter de répondre à la question suivante : "Y-a-t-il une alternative au capitalisme ?"

Télécharger le texte : aternative_capitalisme.doc

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22 février 2006 3 22 /02 /février /2006 11:29
CGT et PS : 100 ans de solitude

La séparation, décidée en 1906 à Amiens, empêche l'instauration d'une social-démocratie.
Par Michel WIEVIORKA, sociologue - Libération - mercredi 22 mars 2006

Dans quelques semaines, la CGT va tenir son congrès à Lille. Ce pourrait être l'occasion de commémorer utilement le centième anniversaire du congrès de 1906, tenu à Amiens, et célèbre pour la charte qui y a été votée. Du 8 au 14 octobre 1906, la CGT tient congrès, quelques mois après l'échec de la grève générale du 1er Mai. Rédigée, selon la légende, au buffet de la gare d'Amiens par quelques leaders, une motion est proposée par le secrétaire de la confédération Victor Griffuelhes. Elle recueille 830 mandats contre 8, et un bulletin blanc. Ce vote en faveur de ce qui deviendra dans l'historiographie du mouvement syndical la «charte d'Amiens» constitue le principal moment d'unité d'un congrès marqué plutôt par la confusion.

Le texte est court. Il affirme l'indépendance syndicale par rapport aux partis politiques (et aux «sectes»). Il demande à chaque syndiqué de ne pas introduire dans le syndicat «les opinions qu'il professe au dehors» et fait de la CGT l'acteur d'une «émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste». Il préconise comme moyen d'action la grève générale.

La charte d'Amiens a en fait 2 implications décisives. La première est qu'elle marque, pour un temps, l'échec de ce qui s'appelle alors le guesdisme, du nom du leader socialiste Jules Guesde, qui entend subordonner le syndicat au parti, politiquement comme financièrement. Un vote ­ qui précède celui de la charte ­ signifie déjà le rejet de cette orientation, puisque la proposition de Victor Renard (secrétaire de la Fédération du textile et militant socialiste tendance guesdiste), d'établir des relations entre le conseil national du Parti socialiste et le comité confédéral de la CGT, est repoussée par 724 mandats contre 34 et 37 bulletins blancs. Mais ce refus n'est que partie remise car plus tard, durant l'entre-deux-guerres, la CGT deviendra la courroie de transmission du Parti communiste.

Le syndicalisme d'action directe, dit parfois aussi anarcho-syndicalisme ou syndicalisme révolutionnaire, semble en 1906 à son apogée ; en réalité, il ne se remettra pas de la déception et des désaccords consécutifs aux revers subis lors de la grève générale du 1er Mai. Il inaugure alors sans le savoir son déclin historique qui débouchera sur l'entrée dans l'ère de la soumission du syndicat au Parti communiste, et non pas socialiste.

La deuxième implication de l'adoption de la charte d'Amiens est d'autant plus dramatique que nous continuons à en subir les effets : elle annonce l'immense difficulté qu'il y a, en France, à mettre en place une social-démocratie, c'est-à-dire une formule d'articulation de l'action syndicale et de l'action du parti caractérisée par un lien fort mais sans domination de la seconde sur la première. Ainsi, en rejetant le guesdisme, la CGT d'alors s'écarte d'un modèle protocommuniste, plutôt méprisant à l'égard du syndicalisme, préléniniste, ou, si l'on préfère, avant-gardiste, et au marxisme sommaire ­ mais ce qui rend cette charte attachante ne durera pas. En revanche, en marquant leur défiance vis-à-vis du «Parti socialiste, section française de l'Internationale ouvrière» (la SFIO, qui vient, en 1905, d'unifier les socialistes), les congressistes d'Amiens indiquent leur refus d'une association du combat politique, au sein d'un parti, et de la lutte sociale, au sein d'un syndicat. Du coup, il n'y aura guère de double appartenance, de double militantisme, au syndicat et au Parti socialiste ; il n'y aura pas non plus, ou bien moins qu'ailleurs, de forte mobilisation politico-syndicale, ni de capacité à faire remonter directement et systématiquement, par la voie des réformes et de la représentation politique, les attentes ouvrières jusqu'au niveau du système institutionnel et de l'Etat.

La naissance de la SFIO n'a pas créé les conditions favorables à une formule social-démocrate. L'établissement de la République en France, l'instauration de la démocratie, le suffrage universel, le parlementarisme, n'ont pas été le fait des composantes de ce parti antérieures à l'unification. La démocratie représentative leur doit peu. L'espace de la défense et de la promotion de l'idéal républicain est bien davantage occupé par le Parti radical, et celui-ci interdit aux socialistes d'envisager d'incarner le monopole d'une opposition gauche-droite (opposition qui est aussi celle des Républicains) contre leurs adversaires. Empêtrée dans de fortes tensions entre partisans et critiques de la République, entre logiques parlementaires et logiques de rupture révolutionnaire, même si Jean Jaurès peut donner l'impression d'avoir su les résoudre, ne comptant en 1906 que 40 000 adhérents, sans base ouvrière forte, même si elle comporte un nombre significatif d'adhérents et de militants ouvriers, la SFIO ne se présente pas comme l'expression d'une puissante classe ouvrière, d'une «contre-société ouvrière», selon l'expression d'Alain Bergounioux et Gérard Grunberg (1). Son assise est plus municipale que liée au mouvement ouvrier, à ses syndicats, mutuelles ou coopératives. Griffuehles, à Amiens, souligne qu'elle compte avec le pouvoir et en subit la pénétration ; de même, le secrétaire de la Fédération de l'alimentation, Bousquet, signale que, ce parti «comprenant des patrons dans son sein, nous ne pouvons faire alliance avec lui».

Ainsi, il y a 100 ans, et aidé en cela par une SFIO conjuguant le marxisme sommaire de Jules Guesde et une implantation plus municipale que sociale, le syndicalisme CGT refusait tout autant la préfiguration du modèle communiste que la social-démocratie. Il était bien anarcho-syndicaliste. Dans plusieurs pays d'Europe du Nord et centrale se mettaient en place de puissants partis ouvriers, à l'action réformiste coordonnée avec de non moins puissants syndicats. Et, aujourd'hui encore, la France apparaît comme bien éloignée de pouvoir envisager une quelconque formule social-démocrate. Son Parti socialiste souffre d'un déficit s'il s'agit de sa base proprement sociale (en dehors du secteur public et notamment de l'Education nationale, ou de quelques bastions locaux). Il élabore sa politique sans avoir entièrement tranché entre réformisme et rupture. Quant au syndicalisme, il est affaibli, limité pour l'essentiel aux secteurs protégés de la fonction publique et de quelques grandes entreprises, méfiant à l'égard des partis politiques.

Au prochain congrès de la CGT, il est peu probable que des voix se fassent entendre pour commémorer la charte d'Amiens, du moins pour rappeler qu'elle a signifié le contraire de ce qu'est devenue ensuite la Confédération au temps de sa splendeur, avec ses liens de subordination avec le Parti communiste. Mais à Lille, si près d'Amiens, pourquoi ne pas revenir sur l'autre implication de cette fameuse charte, fondatrice du drame politique majeur de notre pays : la difficulté à le doter d'une social-démocratie efficiente ?

(1) L'Ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir. Fayard, 2005.

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