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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

16 décembre 2015 3 16 /12 /décembre /2015 23:30

Le second tour des élections régionales s'achève sur des résultats ambivalents.

Après un premier tour cataclysmique, qui avait porté le Front National à 30% et aux marches du pouvoir régional en régions Nord-Pas-de-Calais/Picardie et PACA, il est heureux que dans ces deux régions l'élection de Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen ait été évitée ; mais c'est au prix de la disparition de la gauche des assemblées régionales et, dans le cas de PACA, cela signe parfois la quasi disparition des élus locaux de gauche.

Pour certains, cela démontrerait la pertinence de la stratégie du Front Républicain ; pourtant le maintien de la liste socialiste conduite par Jean-Pierre Masseret – qui ne méritait pas les avanies et les insultes publiques dont ses colistiers et lui-même ont été l'objet – dans le Grand Est doit nous faire relativiser cette option. Rien n'indique que le retrait pur et simple, qu'un « Front Républicain », qui s'apparente avant tout à un hara-kiri pur et simple de la gauche au profit d'une droite qui n'a souvent de « républicaine » que le nom que Sarkozy a donné à son parti, soit forcément la solution adaptée à toutes les situations. Le sursaut « républicain » des électeurs, et notamment d'une partie des abstentionnistes du 1er tour, que chacun salue aujourd'hui aurait peut-être pu se produire malgré le maintien de la gauche ; en tous les cas, personne ne peut aujourd'hui asséner de certitudes dans un sens ou dans l'autre.

* * *

Le « c’est moins pire » que ce que prédisaient les sondages est fallacieux. On ne devait avoir que trois régions et on en a cinq ! N'oublions pas que dans la région Centre/Val-de-Loire et dans la région Bourgogne/Franche-Comté nous ne l'emportons que de quelques milliers de voix. Partout le FN reste à des niveaux élevés, voire inquiétants (cf. Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon), sauf en Île-de-France.

N'oublions pas que le total des voix de gauche au 2nd tour des régionales est de 32,12% des suffrages exprimés, moins qu'au 1er tour de la présidentielle de 1969.

La réalité est que la gauche préside désormais seulement cinq régions représentant 20 millions d’habitants, tandis que la droite en dirige sept avec 42,8 millions d'habitants soit plus du double. La gauche n’est par ailleurs plus représentée dans deux régions comptant 10,9 millions d'habitants soit 15 à 16% de la population française ! Et même sans compter ces deux régions, la droite dirige donc cinq régions de 31,9 habitants, bien plus que celles de gauche.

Le cas de la Corse est à part et la situation dans les DOM a débouché sur la défaite des candidats soutenus pas le PS.

* * *

Si l'on s'attarde sur l'Île-de-France, oui il y a eu un vote utile des électeurs du FN du 1er tour en faveur de Valérie Pécresse ; mais si l'on se préoccupe de la gauche, notons que les reports de voix ont été bons (près de 70%, ce qui n'était pas gagné d'avance et qui ne se reproduira peut-être plus demain, ils sont cependant en baisse par rapport à 2010 qui avait connu des reports de plus de 90% du Front de Gauche et de près de 80% d'Europe-Ecologie vers le PS) et que nous avons bénéficié comme la droite de la baisse de l'abstention entre les deux tours.

La gauche totalisait quelque 1.300.600 voix (LO comprise) au 1er tour et en a rassemblé 1.569.262 au 2nd tour. Il faut pour mesurer les évolutions et faire la comparaison avec 2010 (alors qu'il y a 5 ans l'abstention était plus forte) :

  • Voix obtenues par la gauche en 2010 en IdF : 1.720.993 ;

  • Voix obtenues par la gauche en 2015 en IdF : 1.569.262 avec une plus forte participation.

Il manque 150.000 voix à la louche, ce qui est largement supérieur aux 60.000 qui nous séparent de Valérie Pécresse. C'est le même problème que celui que nous avons subit aux municipales et aux départementales : l'abstention différentielle importante de notre électorat (Bartolone maintient le score PS du 1er tour avec probablement le retour au bercail d'électeurs ayant voté EELV en 2010, ce qui compense "artificiellement" la désertion de l'électorat populaire). L'abstention de l'électorat populaire motivée par la déception vis-à-vis de la politique gouvernementale jugée insuffisamment à gauche, en tout cas insuffisamment favorable aux catégories populaires (toutes origines confondues cf. Jérôme Fourquet et FJJ : Janvier 2015 : le catalyseur ; Karim vote à gauche et son voisin vote FN - concernant les considérations relatives à l'électorat d'origine immigrée, cet essai a l'intérêt de démontrer que cette catégorie réduite et très spécifique de l'électorat n'exprime pas de vote communautariste ; ses motivations électorales ou abstentionnistes ne sont pas motivées comme certains l'ont répété ad nauseum par des considérations sociétales, par une réaction au mariage pour tous, mais par des conditions de vie quotidienne concrètes et des attentes déçues quant à la prise en charge de la question sociale par la gauche au pouvoir) nous coûtent considérablement bien plus que les conneries de Ensemble et Clémentine Autain (pas pires que les sorties inopportunes de Bartolone entre deux tours)... Ces électeurs ont envie de gauche mais préfèrent l'abstention : ils considèrent que la gauche est un bloc qui paie de la même manière les reproches faits au gouvernement socialistes et le discours de Mélenchon, seul émetteur réellement visible à gauche du PS, n'est pas compris par les classes populaires...

Si l'on regarde l'évolution des voix pour la gauche par département au 2nd tour entre 2010 et 2015 en Île-de-France : on gagne ou on perd moins à Paris et le 92... on perd fortement partout ailleurs du fait des catégories populaires qui s'abstiennent alors même que la participation augmente ; sans oublier la question de l'éloignement de l'agglomération, du sentiment d'abandon par rapport à la puissance publique et aux services publics. Le pass navigo est arrivé trop tard pour contrebalancer et par ailleurs ne couvre pas toutes les attentes des habitants de la grande couronne qui ont pu avoir le sentiment d'être délaissés dans cette campagne.

  Huchon 2010 % abstention Bartolone 2015 % abstention Huchon-Bartolone participation
Paris 342761 49,90% 354117 40,50% 11356 9,40%
Seine-et-Marne 190846 58,50% 151427 47,20% -39419 11,30%
Yvelines 210466 51,20% 179275 43,76% -31191 7,44%
Essonne 202316 51,70% 171669 44,40% -30647 7,30%
Hauts-de-Seine 222359 50,20% 210107 43,02% -12252 7,18%
Seine-Saint-Denis 182376 59,70% 175247 54,10% -7129 5,60%
Val-de-Marne 203453 54,00% 183838 46,80% -19615 7,20%
Val-d'Oise 166108 55,50% 143582 48,75% -22526 6,75%
  1720685   1569262   -151423  

 

N'oublions pas non plus que le FN compte désormais 354 conseillers régionaux et que les socialistes n'en compteront que 320 à 340. N'oublions pas qu'avec les résultats des régionales transposées dans des législatives, plus rien n'empêche désormais le FN, dans un mode de scrutin majoritaire à deux tours, d'avoir un groupe parlementaire puissant (Le Monde a publié une carte démontrant qu'en transposant les résultats du 2nd tour des régionales sur les législatives, 46 députés FN auraient été élus ; c'est sans compter sur la dynamique de ce parti et il faudra regarder dans le détail là où ses listes arrivent deuxième ou troisième avec un écart de voix très faible pour mesurer la gravité de la menace). N'oublions pas que le FN a dépassé lors de ce second tour le nombre de suffrages obtenus par Marine Le Pen lors de la présidentielle de 2012, battant son propre record : il n'y a pas de plafond de verre pour le FN et faire vivre cette illusion serait politiquement irresponsable.

* * *

Je suis effrayé d'entendre en aparté certains de nos responsables nationaux compter sur ce haut niveau de vote pour l'extrême droite en espérant que la droite se divise ou soit pénalisée encore un peu plus par sa progression pour permettre la qualification in extremis d'un candidat socialiste pour le second tour de l'élection présidentielle.

Cette stratégie est non seulement hasardeuse, elle est cynique donc destructrice.

D'aucuns regardent un sondage qui donnait dimanche soir François Hollande à 21% à égalité avec Sarkozy si la présidentielle avait lieu demain, avec une Marine Le Pen à 27%, c'est la preuve pour eux que la présidentielle peut se gagner en affrontant l'extrême droite. Cela fait l'impasse sur l'incapacité à se rassembler à gauche au 1er tour, cela fait également l'impasse sur la réalité des résultats de la politique économique et sociale qui percute directement ceux dont nous recherchons les suffrages :

  • 42.000 chômeurs en plus,
  • baisse de la consommation populaire de 0,7%,
  • baisse de la production manufacturière de 0,7% tout cela en octobre 2015.

Cela rappelle à quel point le choix non équilibré de la seule politique de l'offre depuis l'automne 2012 est inefficace, mais en plus en contradiction avec nos engagements de campagne et nourrit chez nos électeurs l'idée du déséquilibre et de l'injustice économique et sociale qui leur est faite. Combien de temps croyez-vous une fois que la période des attentats et de l'état d'urgence ce sera éloignée (espérons que de nouveaux attentats n'auront pas lieu, car les conséquences politiques tout autant qu'humaine seraient désastreuses), que la remontée du Président de la République dans les sondages tiendra ? Une fois que la réalité économique reprendra le dessus l'embellie de popularité prendra fin et douchera les illusions des apprentis sorciers politiques.

* * *

Ces élections sont et restent une défaite de la gauche et une sanction de la politique menée depuis 2012, qui échoue et qui est contradictoire avec nos engagements de campagne. La réalité politique du pays a été donnée par les résultats du 1er tour.

Il y a un désaccord majeur à gauche sur l’ampleur des changements nécessaires à la société française, à l’Europe :

  • Ceux qui souhaitent ce bloc central, ce fameux « front républicain » estiment au fond que le libéralisme et la logique dominante du système vont dans le bon sens et qu’il convient au mieux d’en corriger les excès, les aspects les plus insupportables ;

  • et ceux qui pensent qu’il est urgent de s’attaquer aux racines des profondes déstabilisations induites par le système et engager, certes par la voie de réformes, de transformations radicales pour imposer plus de justice sociale, une reconquête de la souveraineté démocratique et nationale/populaire, une nouvelle étape dans l’affirmation du modèle républicain.

L’incantation républicaine sera vite vaine si elle se limite à défendre l’ordre Républicain – qu’il est essentiel de garantir-. La République doit faire la preuve de sa capacité émancipatrice pour tous et tenir sa promesse de Liberté, d’Égalité et de Fraternité… c’est d’ailleurs là, que la gauche devrait être au rendez-vous de l’histoire, en donnant chair à la belle idée de République sociale. Ce n’est pas la République a minima qui répondra à la dureté des temps.

Les tenants de la ligne du « front républicain » surjouent par ailleurs l’importance accordée à la question identitaire pour reléguer complètement la question sociale. Cette situation est apparue clairement lundi soir au sein du Bureau National du PS, où certes cette analyse était minoritaire mais venait en écho aux thèses du premier ministre.

La seconde voie est l’exigence d’unité de la gauche et des écologistes. Après trois ans et demi, où elle a été malmenée, elle a impérativement besoin de volonté politique déterminée et durable. Car chacun tentera de refiler le mistigri de la désunion à l’autre, plutôt que de réellement avancer vers un rassemblement crédible. Il convient d’abord d’alerter les responsables socialistes, qui s’imaginent que le PS représente l’essentiel de la gauche, qu’en réalité au premier tour le PS et ses partenaires immédiats représentent 23,43% et les autres forces de gauche et écologistes (certes en ordre dispersé) totalisent 12,54 %.

Face à un « Front Républicain » qui montrera tôt ou tard ses limites, il est temps d'élaborer un nouveau Front Populaire. C’est le seul antidote qui vaille : unité et offensive sociale, de progrès. Le seul problème est que Jean-Luc Mélenchon l’imagine sans une partie du PS, et particulièrement celle qui dirige actuellement. Bref pas le rassemblement de toute la gauche, donc pas le Front Populaire.

Entre ceux qui veulent s’affranchir de l’Union et ceux qui ne l’imaginent qu’autour de leurs thèses, s’expriment les deux faces d’une même impuissance collective.

* * *

Ceux qui ont créé le problème (à droite et à gauche) ne doivent plus pouvoir s'ériger comme le rempart face au monstre qu'ils ont encore contribué à faire progresser.

  • il faut le plus vite possible établir un inventaire de la politique du gouvernement en rappelant que, même si "on s'en sort bien", on a frôlé la catastrophe et qu'on risque de ne pas l'éviter la prochaine fois si on ne s'interroge pas sur les raisons de la progression du FN depuis 2012 et du choix massif de l'abstention dans l'électorat de gauche ;

  • il faut exiger le retrait de tous les projets de loi fracturent la gauche (la loi Macron II, la réforme du code du travail, l'inscription de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français dans la constitution) et bâtir dans un véritable contrat avec la majorité parlementaire de gauche un nouvel agenda politique qui permettra d'avoir un gouvernement de toute la gauche, avec la relance de l'investissement public et de la consommation...

  • et il faut enfin des primaires si possibles les plus larges à gauche car c'est la seule manière de débattre du bilan et du projet (contrat de mandature) qui permettront de rassembler la gauche ce que nous n'avions pas pu faire aux régionales, pour s'assurer d'être en ordre de bataille pour les présidentielles et les législatives ...

La carte des régions à l'issue du second tour des régionales donne une image trompeuse de la réalité politique de la France

La carte des régions à l'issue du second tour des régionales donne une image trompeuse de la réalité politique de la France

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9 décembre 2015 3 09 /12 /décembre /2015 11:51
logo de Radio Centre-Ville Montréal

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J'étais interrogé hier à 14h05 (8h05 heure de Montréal) dans l'émission Le Plateau Montmartre par François Roberge de Radio Centre-Ville sur l'analyse du premier tour des élections régionales qui ont eu lieu dimanche 6 décembre 2015.

Vous trouverez le fichier mp3 ci-dessous.

L'occasion de faire prendre conscience à nos cousins québécois la catastrophe électorale qu'elles ont à nouveau révélée :

  • le FN à 30%, en tête dans 6 régions sur 13, dépassant ou approchant les 40% dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, PACA et Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes ;
  • une gauche divisée par la politique gouvernementale, et des électeurs qui ont à nouveau sanctionné la gauche toutes sensibilités confondues, parce qu'ils désapprouvent la politique menée, ce qui a également renforcé le FN ;
  • une droite en tassement, car elle ne convainc pas et a depuis 10 ans crédibilisé le discours de l'extrême droite ;
  • une incapacité à rendre audible dans ces conditions le bilan favorable des équipes de gauche dans les régions, et des projets pour l'avenir ;
  • un second tour très incertain qui risque de voir 3 régions tomber dans l'escarcelle du FN, avec un retrait des listes socialistes dans le Nord et en PACA, qui n'empêchera vraissemblablement pas les victoires de Marine et Marion Maréchal Le Pen ;
  • la nécessité de tout faire pour que les régions françaises conservent des projets progressistes là où c'est encore possible grâce au rassemblement de la gauche, et à l'avenir pour réorienter la politique gouvernementale afin qu'elle respecte enfin les engagements de 2012.

Bonne écoute.

Frédéric FARAVEL

en podcast ici

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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 18:41
La gauche confrontée à la crise de la construction européenne

L'année écoulée aura représenté une nouvelle fracture dans l'appréhension, que les citoyens en général, et les militants de gauche en particulier, ont de la construction européenne.

Depuis des années, il est devenu terriblement banal de dire que cette construction européenne se fait sans associer les peuples, qui s'en détournent peu à peu, comme le démontre à chaque élection du Parlement européen le taux d'abstention ou la progression (inégale il est vrai selon les pays) des forces politiques europhobes, populistes ou national-populistes.

Les traités européens, qui se sont succédé depuis la chute du mur de Berlin, ont en effet multiplié les transferts de compétences et de souveraineté des États-Nations vers des institutions supra-nationales, qui n'ont pour la plupart aucun compte à rendre devant les citoyens. Ainsi une partie de la gauche et des socialistes dénoncent depuis plus de vingt ans désormais l'indépendance de la Banque Centrale Européenne et l'insuffisance de pouvoirs réels du Parlement européen, devenu le symbole d'une perte de souveraineté populaire à l'échelle nationale jamais regagné à l'échelle européenne.

À mi parcours, l'épisode du projet de traité constitutionnel européen a illustré une première fois à quel point les choix des électeurs ne pesaient plus sur les destinées de l'Union Européenne : rejeté par référendum en France et au Pays-Bas (sans doute pour des raisons différentes), il réapparaissait en 2007-2008 sous le titre de Traité de Lisbonne pour être ratifié par les parlements sans tenir compte des scrutins référendaires.

La dérive ordo-libérale de la construction européenne est-elle en train de tuer l'idéal européen ?

Lorsque les failles de l'architecture économique et monétaire de l'Union européenne et de la zone euro furent mises au jour par la crise financière de 2008-2009, la réponse des gouvernements européens conservateurs et libéraux fut de graver dans le marbre les politiques d'austérité au travers du TSCG, baptisé traité Merkozy, et depuis complété au parlement européen par les directives Six-pack et Two-pack. C'est sur ce dossier même que l'orientation du quinquennat de François Hollande s'est sans doute joué, dès ses premières semaines, le Président de la République nouvellement élu refusant de renégocier ce traité, comme il s'y était engagé devant les Français, pour négocier des délais supplémentaires afin de se conformer aux mécanismes de contraintes budgétaires que nous avions dénoncés durant la campagne électorale.

Les différents développements de la crise grecque depuis 2009 ont démontré à l'extrême la perversion de la dérive ordo-libérale de la construction européenne : des cures d'austérité sans précédent qui aggravaient les difficultés du pays et saignait à blanc le peuple grec. Lorsque Syriza – au terme d'un processus qui alliait tout à la fois le déshonneur et la déconfiture du PASOK et une profonde aspiration du peuple grec à une alternative anti-austérité – a remporté les élections de janvier 2015, nous avons été nombreux à espérer qu'il y avait enfin une possibilité de faire évoluer le rapport de force, d'abord pour mettre un terme aux supplices infligés aux Grecs et ensuite et à plus long terme pour réorienter l'Union européenne. Mais six mois plus tard, après avoir subi un chantage politique, financier et économique, commis quelques erreurs, et malgré un mandat référendaire sans appel quelques jours plus tôt, le gouvernement d'Alexis Tsípras était contraint par l'eurogroupe d'accepter un troisième memorandum qui ancre dans la durée les politiques d'austérité et enferme la Grèce dans une logique de récession.

Le gouvernement grec n'a pas reçu le soutien qu'il aurait pu espérer des gouvernements de gauche en Europe. La position de la France n'a consisté qu'à maintenir le lien et les négociations quand les pressions pour un Grexit brutal étaient trop fortes, mais François Hollande et son gouvernement n'ont jamais remis en cause la logique austéritaire et le fonctionnement de l'eurogroupe, conseillant aux négociateurs grecs d'adopter une posture identique à celle de la France depuis juin 2012 : accepter les « règles du jeu » de la zone euro et abdiquer finalement toute prétention à mener une politique économique alternative.

A l’issue de la crise grecque – issue provisoire, car le 3ème mémorandum est voué à l'échec –, la question est posée : est-ce qu’on peut concevoir aujourd’hui une politique alternative dans le cadre européen tel qu’il est ? À la fois une alternative au niveau national, alors qu’on est pris dans un réseau de contraintes liées à notre appartenance à l’Union ; mais aussi une alternative au niveau européen, si plusieurs États membres se coordonnent pour infléchir la construction européenne… est-ce que le cadre actuel le permet ? C'est à cette question majeure que la gauche et les socialistes doivent aujourd’hui apporter une réponse car elle détermine la question de la souveraineté populaire, au moment où l'orientation ordo-libérale de la construction européenne semble impliquer un passage durable dans une période post-démocratique.

À ce titre, les propositions reprises par le Président de la République en faveur d'un gouvernement économique et d'un parlement de la zone euro n'apportent pas de réponses : que changerait une telle architecture institutionnelle si ces organes restent soumis aux logiques ordo-libérales inscrites dans les traités ?

La crise des réfugiés est une autre facette symptomatique de la perte de repère et de sens à l’œuvre dans l'Union Européenne. Les institutions et les gouvernements européens n'ont pas découvert cet été la crise migratoire ; si la conquête de territoires immenses à cheval sur l'Irak et la Syrie par Daesh a aggravé le phénomène, il est en marche depuis plusieurs années, conséquences tout à la fois de la transformation des sociétés africaines et moyen-orientales sous l'effet de la mondialisation, du changement climatique et des « déstabilisations » issues des « printemps arabes ».

Voici plusieurs années que les pays méditerranéens de l'UE sont confrontés à un afflux important et dramatique de migrants, dont on fait mine aujourd’hui de découvrir qu'ils mériteraient pour une majorité d'entre eux d'être considérés comme des réfugiés. L'Espagne, l'Italie, Malte ou la Grèce – déjà confrontées à l'imposition des politiques d'austérité – ont été trop longtemps laissées à elles-mêmes pour « gérer » cette situation et les centaines de morts qu'elle provoquait, alors qu'elle concernait l'ensemble des Européens. Les égoïsmes nationaux et l'inertie technocratique ont trop longtemps primé sur l'impératif devoir de solidarité et de fraternité, entre États membres et à l'égard des réfugiés qui sont censées constituer les valeurs de l'Europe.

Lorsque la Commission européenne a commencé à prendre la mesure des enjeux en proposant une répartition solidaire et obligatoire de l'accueil des réfugiés, nous avons tout à la fois été confrontés au populisme et à la xénophobie officielle de certains États d'Europe centrale, comme la Hongrie ou la Slovaquie, l'égoïsme britannique et une certaine hypocrisie française qui n'a rien trouvé de mieux que d'engager une vaine et infondée polémique sur la question des quotas. Poussés par les événements et l'émotion populaire, la Commission et le couple Franco-Allemand œuvrent désormais ensemble pour rattraper le temps perdu. Mais rien ne dit qu'ils arriveront à créer les conditions du consensus qui doivent permettre la mise en place d'une politique migratoire européenne, si ce n'est commune, au moins coordonnée.

Ainsi, l'UE s'accorde finalement sans difficulté sur des contraintes à l'encontre d'un ou plusieurs États membres quand il s'agit d'imposer des politiques d'austérité qui deviennent de plus en plus irrationnelles, mais semble incapable ou impuissante à mettre en œuvre les principes de solidarité et d'humanité qui devrait l'unir.

La crise permanente de la gauche européenne

On pouvait lire en 1972 dans Le Manifeste du PSU «La social-démocratie est devenue gérante, parfois médiocre comme en France et en Angleterre, parfois habile comme en Suède, du capitalisme.» ; on peut dire en 2015 que ce constat est largement dépassé : la social-démocratie, convertie pour l'essentiel au social-libéralisme, est devenue l'un des promoteurs actifs de l'ordo-libéralisme qui vide de son sens la construction européenne. À ce titre, le comportement de Jeroen Dijsselbloem, président de l'eurogroupe, dans la crise grecque aura été parfaitement insupportable. Tout a été fait pour obtenir soit la capitulation de Syriza, soit la chute du gouvernement grec, dans l'objectif officiel de faire respecter les règles budgétaires absurdes inscrites dans les traités européens, et dans le but officieux de faire échouer toute expérience d'une politique alternative à l'austérité. Les propos de Martin Schulz ou de Sigmar Gabriel allaient peu ou prou dans le même sens.

Les élections se succèdent en Europe et confirment toujours la perte d'influence de notre famille politique. À de rares exceptions près, lorsqu'ils gagnent, les partis socialistes le font poussivement, mais leurs défaites sont de plus en plus souvent des déroutes. Dans de nombreux États membres, ils sont déjà réduits à des rôles de supplétifs dans des gouvernements à direction libérale ou conservatrice. La famille socialiste et social-démocrate ne semble pas avoir retenu la leçon des années 1990 et 2000 durant lesquelles ses membres ont mené des politiques d'inspiration libérale, qui se sont révélées funestes tant du point de vue économique et social qu'électoral. Le congrès du PSE à Budapest en juin dernier a démontré l'état de décomposition et d'incohérence politique de cette organisation et de ses membres.

Les socialistes français ont fait l'erreur de considérer l'engagement européen comme un succédané à un internationalisme jamais pensé ; mais que reste-t-il de cette posture lorsque l'idée européenne a été détournée de son sens initial ?... Le PS avait appelé à l'été 2011 à assumer le nécessaire affrontement politique avec les conservateurs allemands, ce qui avait déjà provoqué des réactions surjouées sur la supposée germanophobie des socialistes français. Il paraît aujourd'hui absolument nécessaire, sans préjuger des débats du futur congrès du SPD, d'assumer la confrontation politique avec les dirigeants actuels de ce parti. La gauche du Parti Socialiste doit donc dans ce but entreprendre de consolider les contacts épars avec ses équivalents dans les partis du PSE – quand ils existent. Des contacts peuvent être évidement établis et le sont déjà au Parlement européen, mais il faudra compter également sur le renforcement de nos liens avec le Parti socialiste wallon, qui a pour particularité de n'avoir pas changé son discours européen exigeant entre son passage au pouvoir et désormais dans l'opposition.

La conquête du leadership au sein du Labour Party de Grande-Bretagne par Jeremy Corbyn est un point d'appui évident car, malgré l'affaiblissement réel du Labour, ce parti conduit aujourd'hui un changement de stratégie politique majeur dans la gauche britannique, en rupture avec le libéralisme assumé qui l'a éloigné de sa base électorale après qu'une partie des électeurs blairistes est revenue à ses amours tories, et sans doute avec une évolution marquée des engagements européens de ce parti. L'appui d'un Labour de gauche – même s'il a depuis longtemps pris quelques distances avec le PSE – ne serait pas négligeable pour une alliance des gauches socialistes, qui ont besoin qu'un grand parti demande un fonctionnement plus démocratique et transparent du PSE.

Malgré les désillusions provoquées par l'échec de Syriza face à l'eurogroupe, lorsqu'il existe une dynamique à gauche, ce sont des partis hors PSE qui en profitent, surfant sur les compromissions des sociaux-démocrates ou sur leur incapacité à proposer une alternative crédible à la droite : Syriza en fut le symptôme le plus prégnant, mais c'est aussi le cas de Podemos ou encore d'Izquierda Unida en Espagne. Au Portugal, la gauche radicale (Bloc de gauche BE et alliance écolo-communiste CDU) a plus progressé que le PS (+5,4 points et + 4,3 points) lors des élections du 4 octobre. En Irlande (nord et sud), c'est Sinn Féin qui est en dynamique.

Pour compléter le tableau, plusieurs forces politiques siègent au sein des groupes parlementaires européens écologistes ou GUE/NGL, alors qu'ils portent un discours socialiste assez « classique », c'est le cas de Syriza (dont le leader Alexis Tsípras était le candidat du Parti de la gauche européenne, présidé par Pierre Laurent, à la présidence de la commission) ou de Sinn Féin à nouveau, mais aussi du Parti Socialiste néerlandais, du SNP écossais (qui malgré son échec référendaire sur l'indépendance a triomphé successivement aux élections européennes puis aux élections générales, remportant 56 des 58 membres écossais à Westminster), ou du Parti Socialiste Populaire danois.

Si les socialistes européens, et parmi eux en premier les socialistes français, veulent sortir de l'impasse politique, il est urgent d'engager un dialogue structurel avec ses forces nouvelles ou qui, pour les plus anciennes, ont su se renouveler, alors que nous étions incapables de structurer une alternative à l'offensive libérale engagée depuis la fin des années 1970, au point d'intégrer de manière plus ou moins assumée une partie de ce discours dans notre corpus programmatique.

Nous devons également mettre fin au compromis historique avec les anciens démocrates-chrétiens, devenus conservateurs. Il ne s'agit plus simplement d'assurer la co-gestion du Parlement européen, pour un bon fonctionnement des institutions communautaires, mais trop souvent les compromis s'étendent au fond des politiques et des délibérations et amènent les membres du groupe S&D à concéder trop de points au PPE et aux libéraux. Cela mine durablement la lisibilité et la cohérence de nos options politiques, et nous rend plus inaudibles encore auprès des électeurs européens. Nous devons lui substituer un rapprochement avec le Parti de la Gauche européenne et les Écologistes. Seule cette option nous permet de rendre crédible la perspective d'une alternative politique sur les enjeux de la construction européenne.

Mais ne nous y trompons pas les débats, qui traversent la social-démocratie sur la construction européenne et la possibilité de la réorienter, sont également posés chez nos partenaires écologistes, de la gauche radicale ou (post-) communiste (les positions du PCF sur le mémorandum et la nature de la zone euro en témoignent) : c'est une culture politique dominante dans la « gauche radicale » européenne, qui craint que toute déconstruction ou crise durable d’un cadre international ne finisse par profiter à la droite radicale xénophobe. Ainsi l’idéal européen est finalement confondu avec sa traduction institutionnelle existante, alors même que l’écart entre les deux est régulièrement dénoncé.

Enfin, l'émergence d'une alternative européenne de gauche soit suffisamment forte et coordonnée pour imposer une véritable réorientation de la construction européenne et donc un bouleversement profond des traités actuels s'inscrit forcément sur le temps long.

Il n'est pas dit que les peuples européens soient disposés à attendre jusque là.

Frédéric FARAVEL

La gauche confrontée à la crise de la construction européenne
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24 septembre 2015 4 24 /09 /septembre /2015 09:58

Je viens de voir que le JDD.fr avait fait lundi dernier un vote en ligne (ils ont d'ailleurs laissé courrir les votes et visiblement la fachosphère s'en est donnée à coeur joie, puisque s'affichent 71% de "oui") pour savoir si nous voulions voir "nos" régions passer au FN ? évidemment que non ! la question n'est pas là, mais savoir quels moyens nous mettons en oeuvre pour l'éviter...

Le premier secrétaire de mon parti propose un référendum sur l'unité aux régionales (je dis bien le premier secrétaire - et évidemment l'appareil rangé derrère lui - car le conseil national du Parti Socialiste réuni le samedi 19 septembre, lorsque Jean-Christophe Cambadélis a conclu sur cette proposition, ne l'a pas voté [Lire l'excellent papier de Paul Alliès sur Mediapart.fr) et c'est sur ce moyen qu'il y a divergence !

Comment faire un tel événement de manière sereine en balayant d'un revers de la main tous les débats sur la nature de la politique gouvernementale qui accroît les divisions à gauche et pèsent de plus en plus sur les élections intermédiaires (on l'a vu aux départementales un seul département avait réussi à faire presque toute l'union dès le premier tour) ?

Comment faire cela quand nos ex partenaires et une grande majorité de leurs électeurs considèrent que notre politique est en grande partie responsable de l'explosion des abstentions à gauche et de la progression du vote FN ?

Comment croire qu'on peut mobiliser des électeurs sur un sujet qui leur paraîtra à juste titre parfaitement politicien (et qu'importe en l’occurrence la manière dont ils répondent aux sondages, car évidemment personne ne veut de la défaite et que les questions posées dans un sondage sont réductrices et n'abordent jamais les causes de la division, mais ceux qui répondent aux sondages n'iront pas voter) !????

Toute l'histoire de la gauche et des refondations de la gauche socialiste démocratique démontre que l'union réelle se fait sur un programme, des objectifs économiques et sociaux, pas sur des admonestations et des injonctions morales...

Or que proposons-nous ? seulement de poursuivre la même politique qu'aujourd'hui qui divise la gauche, qui ne réussit pas, de ne pas demander aux députés et aux sénateurs socialistes d'appliquer les consignes du BN du PS sur le budget 2016... et de réduire le débat à un "chers partenaires, vous dont nous ne tenons jamais compte, venez sur nos listes et faites voter pour nous vos électeurs afin qu'on sauve nos sièges de conseillers régionaux... Belle perspective ! On aura encore plus tendu les choses au matin du 19 octobre, les difficultés dans les négociations entre les deux tours des régionales seront accrues pour élaborer des listes d'union.

La pente sera longue à remonter...

Si on consultait les électeurs de gauche sur la politique menée depuis 2012 et le respect des engagements du candidat Hollande, sur les moyens à mettre en oeuvre pour réussir la fin du quinquennat, cela aurait bien plus de sens. Les primaires citoyennes, élargies à toute la gauche, pourraient jouer ce rôle, mais l'ensemble des appareils politiques - le PS et le PG plus que tous les autres d'ailleurs (tiens ! y a au moins un sujet sur lequel leurs dirigeants s'accordent) - le refusent à ce stade. C'est dire le niveau de défiance collective qui étreint la gauche française.

Pourtant, il n'est pas encore trop tard pour faire prévaloir la raison.

Frédéric FARAVEL

La Rochelle 2014, c'est la dernière fois où les dirigeants des partis de gauche (sauf le PG) étaient réunis à la même tribune

La Rochelle 2014, c'est la dernière fois où les dirigeants des partis de gauche (sauf le PG) étaient réunis à la même tribune

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15 septembre 2015 2 15 /09 /septembre /2015 14:21
Répondre à la lettre ouverte de Jean-Christophe Cambadélis à la gauche

Le Premier secrétaire du Parti Socialiste a donc - comme il l'avait annoncé lors de l'université d'été du PS à La Rochelle - envoyé une "lettre ouverte à la gauche et aux écologistes". Ce vocable large et imprécis permet de jouer sur l'ambiguïté concernant les destinataires réels de cette missive : parler aux électeurs de gauche et écologistes en général ou s'adresser aux organisations politiques, syndicales et associatives qui s'identifient à la gauche...? Il est peu probable que nos électeurs se précipiteront pour lire ces trois pages et demi, tout comme personne n'avait lu l'adresse du PS aux Français qui enterraient déjà les engagements de la motion majoritaire du congrès de Poitiers ; et il n'est pas sûr que les organisations que Jean-Christophe Cambadélis souhaite pouvoir dépasser (à plusieurs reprises lors du congrès du PS, les responsables de la motion A ont affirmé leur volonté de squizzer les dirigeants écologistes ou du Front de Gauche pour parler directement à leurs électeurs et les mettre face à leurs responsabilités) apprécient forcément le ton et fond de ce courrier.

Pourtant, cette démarche aurait pu être utile, après tant de mois sans dialogue à gauche.

S'adressant à la gauche et aux écologistes dans son ensemble, le premier secrétaire me permettra donc d'avoir un avis sur son propos.

Mon premier sentiment fut de noter le caractère hors sol et particulèrement tactique de cette lettre : s'il s'agissat de parler aux électeurs de gauche, c'est raté, car il y a peu de chances que ceux-ci se laissent émouvoir ou appeler à la réflexion par des considérations qui oublient leurs conditions de vie concrètes.

Le principal sujet n'est pas de savoir ce que la gauche peut faire ensemble au service des Français mais d'en appeler à une réaction de défense contre le "bloc réactionnaire", qui allierait la droite sarkoziste et l'extrême droite. Inventant de nouveaux vocables comme "arabophobie", qui semble remplacer le racisme, villipendiant l'europhobie du bloc réactionnaire - alors même que Les Républicains avouent eux-mêmes que la dernière chose qui les distinguent encore du FN et du Rassemblement Bleu Marine est la politique européenne, les premiers dénonçants la volonté des seconds de quitter la zone euro et l'union européenne -, Jean-Christophe Cambadélis interpèle donc organisations et électeurs "que croyez-vous qu'ils feront de la République et de l'Etat social ?"

Cette stratégie est suicidaire et défaitiste : elle entérine l'irrésistibilité de la montée de l'extrême droite, plutôt que d'envisager la reconquête de ceux des électeurs de gauche qui ont voté Marine Le Pen aux élections européennes et/ou sont tentés de le faire aux élections présidentielles. Il est vrai que le Premier secrétaire du PS s'est convaincu que la principale motivation des électeurs qui renforcent aujourd'hui les suffrages du FN l'ont fait par préoccupation identitaire, alors que tout démontre qu'ils l'ont fait par la déception que la gauche au gouvernement a suscité chez eux au sujet de la question sociale, cette même question sociale que Jean-Marie Le Guen considérait comme accessoire ou secondaire dans sa tribune publiée par Le Point le 21 juin dernier.

De fait, poser le débat en ces termes évite aux dirigeants actuels du PS et du gouvernement d'affronter une question plus gênante : qu'est-ce qui a provoqué la montée du FN au-delà des 20%, et jusqu'à s'approcher des 30% aujourd'hui, depuis 2012 ? A cela, la majorité des électeurs de gauche ont déjà répondu à plusieurs reprises par voie électorale et cela est rappelé par tous les sondages auprès des sympathisants de gauche : ils considèrent que le PS et l'action du gouvernement qu'il soutient ne sont pas assez à gauche. Qu'importe qu'ils ne votent pas pour une alternative à gauche, on sait que l'inertie des institutions de la Vème République et la nature de la gauche française - que nos électeurs considèrent comme un seul bloc et non comme scindée entre des pôles irréconciliables (ce qui invalide depuis le départ la thèse de Jean-Luc Mélenchon et du PG) - ne permettent pas l'émergence d'une alternative à gauche lorsqu'elle est au pouvoir. Ainsi quand le PS perd des électeurs, tous les autres partis de gauche et écologistes en perdent aussi, dans des proportions différentes comme si les électeurs leur reprochaient également les politiques conduites bien qu'ils ne les soutiennent pas. Ceux qui accusent d'ailleurs les "Frondeurs" de s'insurger contre le gouvernement pour sauver électoralement leur peau souffrent d'une grave myopie, puisque l'étiquette PS qu'ils souhaitent conserver leur inflige la même opprobe qu'à ceux qui soutiennent les choix qu'ils dénoncent.

Or tant que le PS n'aura pas analysé sereinement les raisons dans son action gouvernementale qui ont provoqué une profonde déception et nourri l'abstention massive et la croissance du vote FN, l'appel à se rassembler derrière lui pour y faire barrage sera perçu par ses partenaires politiques comme une tartufferie détestable.

Il n'est pas possible de demander à des électeurs et des partis politiques de soutenir un parti qui soutient des politiques gouvernementales qu'ils considèrent comme cause du problème politique dont le FN est le symptôme, le véhicule. Plus le PS jouera sur une tactique de culpabilisation, plus il provoquera des réflexes d'opposition de plus en plus violents.

Comment d'ailleurs ne pas se pâmer quand on demande aux militants écologistes du Nord-Pas-de-Calais/Picardie de rallier des listes conduites par le PS, lorsque dans la même semaine on voit les manoeuvres présidentielles pour faire imploser de l'intérieur EELV grâce à Jean-Vincent Placé et François de Rugy et la ministre de l'écologie annoncer le report de la fermeture de Fessenheim à 2018 ! on aurait voulu les pousser dans les bras du Front de Gauche qu'on n'aurait pas su faire mieux : c'est d'ailleurs ce qui s'est passé, alors qu'il aurait fallu réunir toutes les conditions pour faciliter l'union dans cette région !

Jean-Christophe Cambadélis rappelle "Dans les années 1970 ou bien 1936, les désaccords au sein de la gauche étaient plus graves puisqu'ils portaient sur le modèle de société. Et pourtant la gauche s'est unie." Sauf qu'en 1936 comme en 1970, la gauche ne cherchait pas à dépasser des divergences idéologiques mais avait fait le choix de s'accorder sur un programme politique ; c'était d'ailleurs la grande innovation de François Mitterrand à Epinay en 1971, abandonner l'idée illusoire de refaire le congrès de Tours à l'envers pour afficher la perspective de gouverner ensemble pour transformer la société. Aujourd'hui le premier secrétaire du PS voudrait donc faire croire à nos électeurs et nos partenaires que nous n'avons plus de divergences idéologiques et que rien n'empêche donc d'agir ensemble, alors même que nous avons été incapable de respecter nos engagements économiques et sociaux et que le Président de la République a confié à François Fressoz à quel point il était conscient de tromper ses électeurs et qu'il avait sciemment changé de programme. Comment instaurer la confiance à gauche pour agir ensemble si nous ne tenons pas nos engagements, si nous ne respectons pas les accords politiques (celui conclu avec EELV en 2011) avec nos partenaires.

Guillaume Balas, député européen, a également répondu à notre premier secrétaire ; je me permets ici de le citer : "Un projet qui serait fondé sur l’égalité politique sans prendre en compte les inégalités sociales, la citoyenneté sans sa traduction en droits concrets, l’appel aux valeurs de la République de manière purement théorique, le rassemblement incantatoire face au « bloc réactionnaire » sans autre projet que d’éviter sa prise du pouvoir est condamné à l’échec, un échec électoral mais pire encore, un échec moral."

De fait, le premier secrétaire fait régresser les socialistes au niveau de l'aveuglement de Lamartine en 1848 qui professait alors qu'"avec l'instauration du suffrage universel, il n'y a plus de prolétaires"... Jean-Christophe Cambadélis vient ainsi d'effacer 150 ans d'histoire sociale et politique !

Frédéric FARAVEL

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 16:30

À quoi sert un parti politique ? Quelle peut être l'utilité d'un Parti socialiste ?

Aujourd'hui, la plupart des partis qui ont une visibilité dans l'opinion publique servent avant tout à sélectionner des candidats et à tenter de les faire élire. Les partis politiques sont donc avant tout des machines électorales. Ils le sont parfois indépendamment du discours porté et des projets soumis aux électeurs, c'est-à-dire que le projet politique qui soutient les candidatures est devenu secondaire, s'effaçant derrière des stratégies de communication, de triangulation, de clientélismes divers et variés, etc.

Il y a plusieurs raisons à cela : pour la gauche, la crise idéologique subie depuis plus de 30 ans par les gauches social-démocrates et communistes les ont laissé avec peu de ressources mobilisatrices pour leurs camps politiques et sociaux ; l'exercice de la décentralisation a fait émerger des élus locaux en grand nombre qui se sont habitués à gérer des collectivités locales, dont les marges de manœuvres financières sont réduites, leurs budgets n'ayant souvent pas vraiment plus de 5% de leur masse pour donner l'occasion de faire des choix qui distinguent une gestion de droite d'une gestion de gauche. Avec l'effacement idéologique, une partie des grands élus locaux ont même tenté de théoriser qu'un projet politique national pouvait être l'addition des « innovations » des « territoires », alors que la gauche avait vécu jusque là dans l'idée que l'exercice de son pouvoir dans les collectivités était une occasion d'expérimenter localement son projet global pour en démontrer l'utilité dans le but d'accéder au pouvoir national. Quel renversement ! Quelle défaite intellectuelle et idéologique !

La caricature a été atteinte au niveau national quand le think tank Terra Nova a publié en 2011 une note stratégique impliquant que les socialistes, par efficacité électorale, devaient abandonner les catégories populaires à leur condition sociale et s’en détourner électoralement. Le nouveau bloc majoritaire du PS, porteur de progrès, est composé selon Terra Nova par les diplômés, les jeunes, les minorités des quartiers populaires, les non-catholiques, les urbains. Ce nouveau sujet politique collectif est soudé principalement par des valeurs culturelles d’«ouverture» et de «tolérance». Pour élargir ce noyau électoral et l’emporter, cibler les classes populaires acquises aux valeurs conservatrices de la droite serait renier les valeurs culturelles de gauche. Le projet social était donc remplacer par un tableur excel à mille lieues de la tradition républicaine et socialiste.

L'atténuation des angles saillant des projets politiques a été (relativement) masqués dans les collectivités du fait même des limites du pouvoir local, mais à l'occasion de la déroute socialiste lors des élections municipales de mars 2014, et celles annoncées pour les élections départementales et régionales en 2015, c'est désormais l'appareil politique, la diversité de ses cadres et le maillage territorial du Parti Socialiste qui pourrait être durablement atteint. C'est là que nous atteignons ce que Laurent Bouvet – qui n'a pas toujours raison par ailleurs – décrit comme la « mort des deux corps du roi » : si sous la monarchie, c'est le corps spirituel (pour nous idéologique) qui était permanent passant d'un corps physique à un autre, dans la « république socialiste décentralisée » le décès ou l'effacement progressif du corps idéologique a précédé de près de 30 ans celui du corps physique (appareil, cadres politiques, maillage territorial). Le politiste conclut donc que le PS a vu mourir ses deux « corps » et ne donne donc plus très cher de la peau de ce qui reste de l'appareil politique de notre parti.

Éviter l'acte de décès du Parti Socialiste, suppose donc que l'on se repose un moment la question de la définition de son rôle dans la société, dans la République.

La représentation que se fait le socialisme français de lui-même veut qu'il soit issu ou du moins soit l'héritier du mouvement ouvrier, des idéologies critiques (mais constructives et dynamiques) du capitalisme et de la modernité économique et industrielle que sont les socialismes utopiques des penseurs français de la première moitié du XIXèmesiècle et le socialisme autoproclamé « scientifique » inventé par Karl Marx et Friedrich Engels. Le socialisme français, comme les travaillismes nordiques et anglo-saxons et les autres partis social-démocrates européens, ont toujours affirmé leur ambition de transformer la société, d'en extirper les causes des inégalités sociales, de créer les conditions durables de l'émancipation (donc l'épanouissement) collectif et individuel. Peu à peu, et assez rapidement à l'échelle historique, dans notre famille politique, s'est également imposé l'idée que seules la démocratie et l'éducation populaire étaient les outils politiques décents et durables pour atteindre ses objectifs, plutôt que la violence, la terreur et la contrainte politiques (attention, ces dernières n'ont pas grand chose à voir avec le concept de « dictature du prolétariat » de Marx et Engels, mais sont l'interprétation – sous forte influence nihilo-populiste – qu'en donna Lénine et ce déjà bien avant la deuxième révolution russe).

Ce rappel historique et philosophique est nécessaire pour établir que dans un parti socialiste démocratique conséquent le projet de société, le projet historique, la vision, l'orientation politique précède très largement l'outil démocratique et électoral qui doit participer à sa réalisation/concrétisation.

Dans ces conditions, si le PS veut éviter sa propre mort, il doit impérativement travailler – et cela peut prendre du temps – à résoudre et dépasser la crise idéologique qui a atteint le socialisme démocratique sous les effets conjugués de la révolution néo-libérale des années 1970 et de l'effondrement du bloc soviétique. Le rôle d'un parti socialiste démocratique, la tâche qu'il confie à ses militants, n'est donc pas en priorité de sélectionner et de faire élire des candidats – cela arrive dans un second temps et on a vu que l'absence durable de cohérence politique finissait par coûter cher électoralement – mais de définir une vision et orientation politiques qui établissent une analyse de la société et les perspectives de transformation sociale. Cette tâche ne sera par ailleurs possible que si nous sommes ancrés dans la société. Pour citer Michel Rocard, qui paraphrasait Karl Marx en conclusion de sa contribution aux états généraux du PS : « Camarades, c'est bien de vouloir changer le monde. Mais vous n'y arriverez que si vous commencez, comme je l'ai fait, à travailler comme des forcenés à longueur de vie pour comprendre comment il marche… » Le rôle d'un militant socialiste et d'un parti socialiste n'est pas de « représenter de manière utile » nos concitoyens, ou de répondre à leurs attentes lorsqu'elles sont conçues comme l'addition d'intérêts individuels, mais de comprendre les ressorts profonds des fonctionnements économiques et sociaux pour trouver les moyens de les transformer et remettre la société sur la voie de l'égalité et de l'émancipation. Le rôle d'un militant et d'un parti socialistes, c'est de travailler à rassembler les citoyens pour chercher ensemble les moyens de concrétiser des objectifs qui nous dépassent. Léon Blum écrivait en 1919 dans une brochure de formation intitulée « pour être socialiste » et rebaptisée « de quoi est né le socialisme ? » : « Le socialisme est donc une morale et presque une religion, autant qu'une doctrine. » Il ajoutait l'année suivante le 27 décembre 1920 lors du congrès de Tours, qui solda la séparation entre socialistes et communistes une démonstration qui fixe une autre tâche essentielle d'un parti et d'un militant socialiste : « Si vous estimez que le but c’est la transformation, que c’est la transformation qui est la révolution, alors tout ce qui, même dans le cadre de la société bourgeoise, peut préparer cette transformation, devient travail révolutionnaire. Si là est la révolution, alors l’effort quotidien de propagande qu’accomplit le militant, c’est la révolution avançant un peu chaque jour. Tout ce qui est organisation et propagande socialiste, tout ce qui est extension à l’intérieur de la société capitaliste de ces organisations ouvrières de toutes sortes,[] tout cela est révolutionnaire. » Le rôle des socialistes est de se doter avec sérieux et ténacité d'un projet de société et de tenter de mobiliser la société pour permettre sa mise en œuvre, ce qui n'empêche à aucun moment de multiplier les allers-retours avec le peuple, de renforcer la démocratie participative, car en aucun cas le parti ne doit être une espèce d'avant-garde éclairée, coupée de la société. L'armée de militants professionnels préparés au renversement du pouvoir bourgeois n'a réussi qu'une seule fois en Russie et dans des circonstances exceptionnelles, et surtout on a vu les résultats qu'il en a résulté : ils sont d'ailleurs en grande partie responsables aujourd'hui de la crise politique des gauches internationales.

Se sentant mis en cause par des camarades qui leur reprochaient que le conseil national du PS du 13 décembre 2014 soit exclusivement consacré à des questions d'organisation et de fonctionnement sur la base d'un rapport un peu hors sol présenté par Christophe Borgel, les amis du Premier secrétaire répliquaient sur le mode léniniste que les questions d'organisation étaient des questions politiques ; ce n'est pas faux, sauf qu'ils oublient largement que les modes d'organisation d'une formation politique ne sont pas détachables de l'image que le Parti a de lui-même, des tâches idéologiques qu'il se fixe et donc de la précision ou de la confusion de son orientation politique. Lorsque Lénine – dès la fin du XIXèmesiècle – développe ses thèses pour donner une orientation totalitaire à la social-démocratie russe et européenne, les modes d'organisation du parti qu'il propose sont cohérents avec sa vision idéologique, ce qui lui vaudra d'être combattu tout autant en cohérence par Rosa Luxemburg, l'autre pôle mythologique de la radicalité socialiste de l'époque.

Pourquoi le rapport de Christophe Borgel présenté lors du CN du 13 décembre 2014 était-il « hors sol » ? parce qu'il traduit la confusion politique et idéologique de la direction actuelle du Parti socialisteCe n'est pas parce qu'il y aurait une mauvaise structuration du Parti que la société civile, les associations, les syndicats rechignent aujourd'hui à rencontrer les représentants du PS (quand ils n'ignorent tout simplement pas ses fédérations départementales) ; ce n'est pas parce que les modalités d'adhésion au PS seraient complexes (ce n'est vraiment pas le cas) que le parti connaît aujourd'hui une perte massive de ses adhérents (en tout cas à ce qu'en dit la presse, car le BNA n'a toujours pas fait le point sur l'état des fichiers, malgré les nombreux démentis estivaux et automnaux de la direction du parti) ; ce n'est pas parce que nous serions mal organisés sur twitter, que nous manquerions de pédagogie ou que nos infographies (ou celles du gouvernement) ne sont pas assez percutantes que l'exécutif et le PS sont désavoués par l'opinion publique : c'est l'effet de la politique économique gouvernementale, qui les éloigne de nous et qui est en contradiction avec nos engagements de campagne et nos valeurs. Pour retenir électeurs et militants socialistes, il n'y a pas besoin d'un « choc de simplification » bureaucratique et partisan, il faut pratiquer la gauche acoustique, et répondre à leurs attentes, respecter la cohérence entre nos engagements et nos actes au pouvoir.

Tant que les socialistes n'auront pas compris et intégré cette réalité cuisante, ils seront à la fois incapables de regagner une dynamique dans la société et de faire vivre correctement leur organisation partisane. Si nos propositions sont fondées sur une mauvaise analyse de la société, nous serons incapables de construire l'alliance de classe qui permettra à nouveau de l'emporter électoralement ; si nous ne redéfinissons pas les bases idéologiques qui sous-tendraient la reconquête de l'hégémonie culturelle, nous pourrons faire toutes les campagnes électorales que nous voudrons, nous ne regagnerons pas la confiance des catégories populaires, qui ont perdu la conscience de classe qui les caractérisaient des années 1920 à 1980. Si nous continuons d'utiliser les mots et les concepts des néo-libéraux, nous serons victimes de la triangulation que nous avons voulu mettre en œuvre, et les droites radicales et le Front National continuerons de prospérer chez les ouvriers et les employés (aux côtés de l'abstention), sur fond de mise en compétition des « opprimés », des « déclassés » contre les « assistés », avec un renforcement de l'ethnicisation de certains rapports sociaux et politiques propices à ce qu'on appelait autrefois la « lepénisation des esprits ». Si nous ne nous mettons pas au clair sur notre rapport au pouvoir, notre rapport à une démocratie toujours plus abîmée par les logiques de la Vème République, nous ne pourrons pas faire fonctionner correctement notre organisation politique qui ne sait plus où elle en est entre la démocratie proportionnelle héritée de son identité politique et la personnalisation croissante instillée dans nos statuts sous la pression du régime institutionnel actuel.

Un parti démocratique, socialiste et favorable à l'action parlementaire ne peut pas continuer à fonctionner avec la concentration des décisions entre les mains de quelques responsables tout puissant : la limitation des candidatures au poste de premier secrétaire réservée au seul premier signataire des deux motions arrivées en tête, l'élection du premier secrétaire au suffrage direct des militants (plutôt que par les délégués au congrès qui avait été la règle instituée au congrès du Bourget en 1993), la désignation des cadres et représentants à tous les niveaux du parti par les seuls mandataires des motions plutôt que par les assemblée générales de motions, l'intégration des premiers secrétaires fédéraux au conseil national et du tiers des secrétaires de section dans les conseils fédéraux sont autant de réformes statutaires héritées du référendum Jospin de l'automne 1995 qu'il faudrait aujourd'hui réinterroger car elles n'ont en rien été des avancées de la démocratie interne, elles n'ont en rien amélioré la capacité du parti à élaborer son orientation politique et à la diffuser parmi nos concitoyens.

Si donc la première tâche d'un parti socialiste démocratique est d'élaborer un projet de société, une orientation politique, en associant les militants à cette élaboration, alors il est indispensable de donner aux militants socialistes les outils intellectuels, critiques, les connaissances, nécessaires à leur intervention dans l'élaboration de l'orientation politique. C'est pourquoi le rôle de la formation dans le parti est vital. Pendant de trop nombreuses années, son action dans ce domaine s'est borné à donner des capacités gestionnaires à ses élus locaux et à apporter à ses cadres des compétences techniques pour conduire des campagnes électorales et organiser des réunions ; ce n'est pas inutile, mais il y a lieu de s'étonner qu'on forme nos cadres à conduire des campagnes électorales abstraction faite du projet politique qu'ils doivent porter, qu'on forme nos élus locaux sur la gestion des collectivités abstraction faite du rôle de celles-ci dans le projet de transformation social que devrait porter le PS.

Il est donc essentiel que la formation idéologique redevienne une priorité du parti ; pour être pertinente, celle-ci doit battre en brèche la pensée unique, sortir des sentiers battus trop souvent jalonnés des poncifs de l’idéologie néo-libérale, aiguiser l’esprit critique des militants, les éloigner de la « zone de confort » intellectuel dans lequel le parti s'est trop longtemps contenté de les cantonner pour éviter de faire naître trop de débats en son sein.

Les rapports problématiques du Parti Socialiste au pouvoir

Il ne s'agit évidemment pas ici de dire que tout ou partie des socialistes auraient des problèmes avec l'exercice du pouvoir. Ce type d'assertion fait partie des poncifs médiatiques, sous-tendus par une analyse néo-libérale de la plupart des groupes de presse, qui fourbissent un arsenal en illégitimité des socialistes au pouvoir qui auraient du mal à assumer la difficulté des responsabilités et à dépasser leur « sur-moi » marxiste.

Que ce soit aux responsabilités locales ou nationales, les socialistes n'ont évidemment aucune difficulté à assumer l'exercice du pouvoir. Et la première partie du quinquennat matignonesque de Lionel Jospin démontre que l'ensemble des socialistes est assez à l'aise avec l'exercice de l’État lorsque l'on met en œuvre les engagements de campagne.

Ici il sera question de s'interroger sur les difficultés rencontrées par le Parti Socialiste à exister et à être utile en tant qu'organisation politique lorsque les siens sont aux responsabilités. D'une certaine manière, on pourrait transposer la réflexion à tous les échelons de responsabilité (la section avec la municipalité, la fédération avec le conseil général, … la région et les EPCI non puisque le PS n'a jamais réussi à transposer efficacement ces niveaux d'organisation dans son organisation), mais nous nous contenterons ici d'évoquer le pouvoir national.

Quelle que soit la période d'exercice du pouvoir, le problème de l'utilité du PS est posé.

« Le PS fermé pour cause de gouvernement » après l'élection de François Mitterrand en 1981 ; l'édredon Hollande de 1997 à 2002La différence de ces deux périodes avec les autres, c'est qu'au moins de 1981 à 1983, puis de 1997 à 2000, tout ou du moins une grande partie du programme électoral du parti avait été mis en œuvre comme annoncé aux électeurs. Après 1983 et après 2000, les choix gouvernementaux n'ont jamais été réellement débattus dans le parti : la « parenthèse » théorisée par Jospin en 1983, le cantonnement au rôle de porte-parole du gouvernement sans même préparer le mandat suivant avec François Hollande de 2000 à 2002.

Entre 1988 et 1993, la situation est différente, car le président de la République a été réélu sans véritable programme et sans que le Parti socialiste lui-même en ait réellement préparé un auparavant, s'en remettant déjà à l'aura présidentielle pour lui permettre de revenir au pouvoir en 1988 après une cohabitation au détriment du RPR et de l'UDF. Le Parti a connu dans ses conditions une période d'instabilité gravissime, sans boussole qui lui permette de tenir son organisation. Elle n'a pris fin qu'à l'automne 1995 avec le retour de Lionel Jospin au premier secrétariat et l'élaboration d'un nouveau programme électoral qui a conduit ce dernier à Matignon au printemps 1997.

De 2002 à 2009, le PS conduit par François Hollande n'a pas non plus tiré les enseignements des périodes précédentes et notre actuel président de la République n'a pas présidé à la tête du PS à l'effort d'élaboration nécessaire qui lui aurait permis de reprendre le pouvoir. La théorisation de « l'alternance » simple et de la « cohabitation territoriale » a servi de substitut indigent à toute stratégie et projet politiques.

De 2009 à 2011, après le remplacement dans des conditions difficiles de François Hollande par Martine Aubry, le Parti Socialiste a cependant repris un travail d'élaboration programmatique, pas à la même échelle qu'en 1996 et 1997, mais non négligeable ; le PS en 2011 avant les primaires citoyennes disposait d'un corpus très cohérent qui lui permettait d'aborder les élections présidentielles et législatives de 2012 dans de bien meilleures conditions qu'en 2002 et 2007. C'est François Hollande qui a été désigné par le biais des primaires citoyennes comme candidat socialiste à la présidentielle, sur la base d'un programme substantiellement différent de celui du parti, mais entre le discours du Bourget et les 60 engagements du candidats Hollande celui-ci a été clairement identifié par les électeurs, ce qui a permis au candidat d'arriver en tête du premier tour le 22 avril 2012, puis de l'emporter le 6 mai.

Pourtant, depuis juin 2012 et l'abandon de toute velléité de renégocier le TSCG, il apparaît nettement que les engagements du candidat tout du moins sur le plan économique et social ne sont pas mis en œuvre par le président et ses gouvernements.

Le Parti Socialiste se trouve donc plus que jamais pris au piège des institutions de la Vème République : un pouvoir législatif soumis à l'exécutif, doublé d'une déviation radicale de l'action gouvernementale par rapport aux engagements, sans que la direction du parti soit associée aux arbitrages au-delà des mises en scène habituelles. Le parti a été réduit sous la direction d'Harlem Désir a publié des communiqués de presse en contradiction totale avec l'orientation de la motion arrivée en tête au congrès de l'automne 2012, voire parfois en contradiction complète avec les déclarations de ses responsables quelques semaines plus tôt. Depuis son remplacement par Jean-Christophe Cambadélis en avril 2014, la direction du parti tente de se montrer plus incisive lorsque des ballons d'essais libéraux sont lancés dans la presse par différents ministres en exercices (seuils sociaux, indemnisation des chômeurs, etc.), mais à aucun moment cela n'a eu de conséquences sur l'action gouvernementale ou sur les groupes parlementaires socialistes. Car dans le même temps, la direction du PS continue d'exiger de ses responsables et des parlementaires un légitimisme sans faille menaçant d'exclure des parlementaires qui voteraient contre des dispositions gouvernementales. Le Parti Socialiste empêche donc lui-même, en renforçant la position de l'exécutif sur le législatif, les parlementaires de contester certains aspects de la politique gouvernementale dont il conteste par ailleurs également d'autres annonces, tout cela sans que qui que ce soit ne disposent plus de repères programmatiques, renforçant à l'occasion des états-généraux du PS la distorsion entre les discours et les actes.

C'est tout à la fois la conséquence jusqu'au-boutiste de la logique de la Vème République renforcé caricaturalement par le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral en 2000, qui soumet finalement tous les pouvoirs et contre-pouvoirs aux errements du l'exécutif, mais aussi une pratique particulière du pouvoir de François Hollande, qui reprend d'une certaine manière à l’Élysée les modes de gouvernance qu'il avait employé à la tête du PS de 1997 à 2008 : maniant le flou et l’ambiguïté, personne ne sait à part le Président lui-même qu'elle est la direction qu'il va imprimer à son action économique quand il échange avec ses interlocuteurs.

L'un des enjeux du congrès qui vient sera de savoir comment le Parti Socialiste peut reprendre une position forte dans le débat sur la politique gouvernementale et de peser sur les choix pour les deux ans qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle. C'est un nouveau rapport au pouvoir qui reste à créer, notamment en renforçant la coopération avec les groupes parlementaires tout en mettant fin au caporalisme qui y règne pour que les députés et les sénateurs socialistes puissent eux-mêmes à nouveau peser avec le parti sur les choix de l'exécutif.

Frédéric Faravel, membre titulaire du BNA, BF PS95, section de Bezons – Jean-François Thomas, premier secrétaire fédéral de la Meuse, BN – Jean-Alain Steinfeld, membre titulaire du BNA, trésorier fédéral du PS93

et Arnaud Delcasse, SF PS06 – Brice Giacalone, titulaire au CN, SF PS14 – Dylan Boutiflat, SF PS75, membre titulaire de la CNCF – Jérôme Haine, secrétaire de section Méry-s/Oise, BF PS95 – Élodie Schwander, titulaire au CN, BF PS07 – Mathieu Pouydesseau, SF FFE – Martine Chantecaille, titulaire au CN, BF PS85 – Sébastien Lombard, SF PS95 – Étienne Valois, SF PS29 – Soumia Zahir, SF PS93 – Nelly Morisot, titulaire au CN, CF PS74 – Patrick Chasserio, CF78

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 16:17

Mercredi 7 janvier, en plein cœur de Paris, les locaux de Charlie Hebdo ont été victimes d'une attaque terroriste perpétrée à l'arme de guerre. Des membres de l'équipe de l'hebdomadaire ont été sauvagement assassinés, mais aussi des employés et des policiers qui assuraient leur sécurité.

En s'attaquant à Charliec'est la liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté de conscience, la République, qu'ont voulu assassiné les terroristes ! En visant Charlie, ce sont aussi des figures de la gauche intellectuelle, sociale, critique, atypique, un brin « libertaire », que les assassins ont ciblé ; c'est une part de nous-mêmes qu'ils ont voulu tuer.

« Nous avons tué Charlie Hebdo » ont-ils hurlé… nous devons leur donner tort ; et nous devrons, dans les jours, les semaines, les mois qui viennent, apporter notre soutien total pour que ce journal continue de vivre et de porter avec indépendance et irrévérence sa légendaire liberté de parole.

L'horreur ne s'est pas arrêtée là : une policière municipale a été abattue de sang froid le lendemain à Montrouge et le vendredi 9 janvier 2014, le même terroriste prenait des otages dans l'Hypercacher de la Porte de Vincennes, tuant dès les 1ères minutes quatre personnes dont le seul tort à ses yeux étaient d'être juifs.

Les trois djihadistes ont finalement été logés et abattus par les unités d'élite de la police et de la gendarmerie, mettant ainsi fin à la tragédie. Ce dénouement était probablement inévitable, au regard de la folie idéologique de ces individus. Nous regretterons malgré tout qu'ils n'aient pas pu être appréhendés, jugés et condamnés ; c'est ce qu'aurait moralement exigé notre conception démocratique de la justice.

Au-delà de la stupeur et de la peine, le peuple, la société française ne doit pas céder à la paranoïa et au repli, mais démontrer la force de la République française et de ses valeurs démocratiques et sociales.

Les citoyens français ont réagi d'une manière admirable dès le premier soir, en se rassemblant spontanément à Paris et un peu partout en France pour signifier leur solidarité aux victimes, leur attachement aux libertés républicaines et leur refus de céder à la peur.

Au lendemain de l'équipée terroriste, les rassemblements organisés partout en France puis à Paris ont donné lieu à une mobilisation historique, rassemblant plus de 4 millions de personnes. Une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement ont tenu le dimanche 11 janvier à affirmer, auprès du Président de la République et au milieu de près de 2 millions de manifestants, leur solidarité dans l'épreuve avec la République Française. Malgré la portée symbolique de soutiens internationaux, nous ne pouvons pas non plus être dupes du double discours d'un certain nombre de dirigeants présents sur la liberté en général et la liberté de la presse en particulier, et nous n'aurons pas la naïveté de croire que leur présence – quelque peu incongrue au regard des mots d'ordre de la mobilisation – signifie un quelconque engagement de leur part pour l'avenir.

L'ampleur inégalée de la mobilisation citoyenne des 10 et 11 janvier a rendu totalement vains les débats sur l'union nationale : les Français se sont rassemblés pour faire face à l'adversité, pour affirmer la volonté d'un peuple de ne pas se laisser dicter par d'autres son destin collectif et ses valeurs partagées. La polémique, déclenchée sur l'opportunité de la participation officielle du FN– parti qui a une fois de plus démontré à cette occasion qu'il n'était pas républicain – dans les rassemblements, n'aurait sans doute pas eu lieu si certains ne s'étaient mis en tête de faire savoir qu'ils avaient officiellement invité l'UMP (parti qui n'avait pourtant même pas songé à tel événement). Les Français n'avaient pas besoin que soient formalisées des invitations à tel ou tel parti politique pour savoir quel était leur devoir républicain, et c'est heureux.

Au lendemain de ces drames et de la réaction rassurante des Français, il est désormais temps de s'interroger sur leurs conséquences, sur le contexte dans lequel ils se sont déroulés, sur ce qui nous paraît nécessaire et possible à mettre en œuvre pour répondre aux défis ainsi mis en lumière.

La liberté de la presse est-elle menacée ?

C'est bien elle qui a été visée le 7 janvier par les fanatiques qui s'étaient décidés à « punir » un hebdomadaire ayant usé de son droit à prendre la parole, à défendre la liberté de croire et de ne pas croire. Cependant, la liberté de la presse n'est pas en danger en France, sauf par l'autocensure des médias que la peur pourrait susciter. Sauf par les difficultés matérielles et financières que toute la presse rencontre depuis des années. Charlie Hebdo connaissait déjà de graves difficultés, avant même l'incendie de ses locaux ; et si la mobilisation civique pour permettre la survie du journal est bienvenue, elle ne suffira pas si les pouvoirs publics ne prennent pas la mesure de l'enjeu auquel la presse française est confrontée, notamment la presse d'opinion. Un gouvernement de gauche se doit de garantir les principes édictés pour l'indépendance de la presse dans le programme du Conseil National de la Résistance. Il s'agit notamment d'empêcher leur tutelle par des puissances financières qui ont intérêt à manipuler l'opinion publique. Nous proposons donc de légiférer sur l'interdiction de la prise de contrôle des médias et groupes de presse par des sociétés bénéficiant de la commande publique. Renforçons également le mode de subvention public à la presse en intégrant dans leur calcul le niveau de création originale (artistique ou journalistique).

La défense de nos libertés rend-t-elle nécessaire des évolutions de notre droit ?

Des questions se posent légitimement sur les défaillances de nos dispositifs de surveillance et de sécurité. L'absence de surveillance durable de personnages connus pour leur potentielle dangerosité et leurs fréquentations djihadistes marque sans conteste l'insuffisance de nos dispositifs et au premier chef des moyens humains et matériels disponibles.

Mobiliser des moyens supplémentaires pour le renseignement intérieur et extérieur, pour stopper la dégradation des prisons (surpopulation et promiscuité, insalubrité, insuffisants efforts pour la réinsertion, difficultés croissantes à garantir la sécurité et à contrôler la diffusion du radicalisme), pour la justice en général et surtout les parquets anti-terroriste et financier, pour améliorer les conditions d'exercice des missions des forces de l'ordre, nous paraît bien plus utile qu'une nouvelle loi ad hocréclamée avec insistance par toute la droite qui l'a déjà baptisée « Patriot Act à la française ». Cette référence démontre la dérive de la droite dite « républicaine » et sa déconnexion de la réalité au regard des résultats pour le moins mitigés Outre-Atlantique : le recul des libertés individuelles et la justification hypocrite du recours à la torture n'ont pas empêché l'attentat de Bostonl'UMP veut-elle donc qu'on aille encore au-delà ?

Sans vouloir appliquer sans discernement le discours du Premier ministre norvégien après le massacre d'Utoya – la Norvège n'est pas la France – il peut néanmoins nous servir de boussole : «J’ai un message pour celui qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça : vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur.» «Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance.» Si la droite veut que la France perde son âme en apportant une victoire posthume aux djihadistes, telle n'est pas notre conviction.

Nous considérons que la loi Cazeneuve du 13 novembre 2014 met déjà en place des outils juridiques permettant de mieux lutter face aux filières djihadistes et qu'il n'est pas besoin d'une surenchère : une interdiction administrative de sortie du territoire ; renforcement de la répression de l’apologie du terrorisme et de la provocation à des actes de terrorisme ; pénalisation des actes préparatoires aux crimes terroristes et création d'un concept d'entreprise terroriste individuelle qui donnent à la justice et à la police les moyens juridiques d'investigation et de poursuite… Les décrets d'application devront préciser l'application de la loi sans angélisme et sans dérive.

Nous pensons également que la coopération internationale avec les autres pays de départ et les pays de transit doit être intensifiée. Les démocraties occidentales doivent également concrétiser leur action commune afin que certains de leurs services ne considèrent pas que le cantonnement de foyers radicaux dans un pays voisins est la garantie d'une certaine tranquillité. Des impulsions doivent enfin être données, en France comme au niveau européen, en direction des opérateurs de l'internet, pour que les contenus illicites et les sites de recrutement fassent l'objet de procédures de suppression effectives et rapides. Cela devra se faire dans le respect de l’État de droit : une extension du blocage par des entités administratives (ou privées) devra tenir compte d'un contrôle judiciaire.

Contre le choc des civilisations.

Nous récusons toute forme de discours qui donnerait à croire à l'opinion publique qu'une « guerre de civilisations » est en cours comme le laissent entendre la droite et l'extrême droite. L'immense majorité des victimes de l'islamisme radical et du djihadisme sont des habitants des pays de culture arabo-musulmane ; la guerre contre le djihadisme est un conflit sanglant qui affecte d'abord les sociétés dominée par l'Islam, qui voit s'affronter des interprétations très divergentes de l'Islam par les musulmans eux-mêmes et les tenants du sécularisme dans ces mêmes sociétés. Durant des dizaines d'années, ces pays ont malheureusement été également le théâtre d'opération version « apprentis sorciers » des puissances occidentales, ce qui n'a fait qu'accélérer le phénomène.

Aujourd'hui, les démocraties occidentales, dont la France, sont engagées dans un conflit international, que leurs propres turpitudes ont souvent aggravé, avec un ennemi djihadiste difficilement saisissable. Nous en subissons évidemment le contrecoup dans notre chair et désormais sur notre sol. Mais il n'est pas question de le transposer fantasmatiquement dans nos banlieues et nos campagnes, comme une sorte de prélude à la guerre civile. C'est le rêve des relais français du djihadisme : exacerber les tensions communautaires pour déchirer un peu plus la société française. De fait, les premiers résultats visibles des attentats du mois de janvier, au-delà de la peine causée, aura été bien plus la multiplication des actes de vandalismes et des violences à caractère raciste qu'une mise à mal durable de nos libertés collectives et individuelles.

Le 10 et le 11 janvier ont exprimé l'attente d'un sursaut républicain.

Les socialistes et la gauche doivent être à la hauteur de l'élan républicain du peuple français qui s'est exprimé deux jours durant dans la rue. Depuis trop longtemps, nous n'avons pas mesuré les dégâts produit les offensives idéologiques des libéraux et, dans le même mouvement, la montée des thèses fascisantes ou intégristes, les secondes se nourrissant en grande partie des premières. Nous devons comprendre que la riposte ne peut se contenter d'être morale, sauf à être inopérante. C'est un combat majeur qui doit nous impliquer tous et singulièrement notre parti.

La gauche doit mener une bataille culturelle qu'elle a négligée ; elle a parfois abdiqué en adoptant les codes intellectuels et le vocabulaire de nos adversaires, laissant trop souvent l'extrême droite définir le terrain et l'agenda du débat politique. Lorsque la droite dénonce l'hégémonie culturelle de la gauche, c'est un un artifice supplémentaire pour tromper les citoyens et placer nos responsables sur la défensive : « la plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu'il n'existe pas » écrivait Baudelaire.

Nous devons reprendre l'objectif d'établir une hégémonie culturelle de la gauche afin de consolider les valeurs républicaines : nous défendonsl’idée qu’il faut faire avancer en même temps la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Mais l’égalité recule ; la fraternité est mise à mal par la ségrégation territoriale, sociale, comme par l’individualisme exacerbé par la mise en concurrence des personnes. Nous sommes convaincus plus que jamais que, pour être plus forte, notre République doit être une République sociale.

Enfin, notre combat doit conduire à restaurer l’humanisme, le sens de l’intérêt général, la culture et la connaissance, la raison et la science, l’esprit critique, le respect des consciences, des convictions religieuses, des choix philosophiques, mais aussi l’amour de ce qui nous unit au-delà de ces engagements personnels et qui construit notre destinée nationale.

Réaffirmer la laïcité de manière décomplexée.

La République française n'est pas neutre, elle est laïque. Elle n'a donc pas à respecter un équilibre entre les croyances ou des susceptibilités confessionnelles. La République est là pour garantir à tous les Français la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire (la grande majorité des Français est d'ailleurs athée ou agnostique), et elle doit d'abord promouvoir les valeurs qui permettent à tous nos concitoyens de se sentir une seule communauté nationale.

La République et ses représentants doivent restaurer chez chacun de nos concitoyens la fierté d'en être membre. La République ne reconnaît pas les communautés religieuses comme intermédiaires avec les citoyens, et elle doit être capable de rappeler à l'ordre ceux de ses élus locaux qui instrumentalisent et entretiennent les communautarismes.

Nous ne devons plus laisser s'installer dans notre pays l'idée contre laquelle Charlie Hebdo s'est souvent battu de manière isolée, que le concept de blasphème serait pertinent et que personne ne serait autorisé à critiquer ou moquer une religion quelle qu'elle soit. Tout le monde pense aux caricatures de Mahomet, mais nous avons connu ces dernières années de nombreux actes de vandalisme contre des œuvres d'art dénoncées comme blasphématoires à l'encontre du catholicisme. Affirmons le haut et fort, en République le blasphème n'existe pas ! Nous ne céderons jamais face à ces pressions pour établir un délit de blasphème.

À ce titre, il nous paraît urgent de réagir dans la durée à certains comportements constatés dans les établissements scolaires en marge de la minute de silence en mémoire des victimes de l'attentat de Charlie Hebdo. L'équivalence plaidée entre les dessins supposés blasphématoires du journal, la violence terroriste dont ses membres ont été victimes ou encore la logorrhée antisémite de Dieudonné Mbala-Mbala, doit nous interroger. Sans doute eut-il sur la méthode été préférable de précéder les minutes de silence de réunions d'information et de débats comme ce fut le cas en 1990 à la suite de la profanation du cimetière juif de Carpentras. Cela a mis en lumière le désemparement de nombreux enseignants face à des discours intellectuellement violents de beaucoup de jeunes gens eux-mêmes en pleine confusion, sous l'influence parfois des entourages mais aussi des discours complotistes et/ou radicaux que l'on trouve facilement sur internet.

C'est un travail d'éducation civique et républicaine qu'il faudra mener sur un temps long et nos enseignants doivent être armés pour réussir. Ce doit être une priorité essentielle du ministère de l’Éducation nationale, avec à l'esprit la nécessité d'y intégrer les associations et les mouvements d'éducation populaire.

Les organisations confessionnelles ont cependant une responsabilité importante : elles doivent entreprendre en leur sein une immense œuvre éducative pour expliquer que certaines dérives sectaires et communautaristes ne font pas partie de leurs messages et ne les représentent pas. Tout le monde s'accorde à dire notamment que, pour lutter contre la diffusion de l'islamisme (qui est une interprétation déviante et politique d'une religion), il est crucial que le nombre d'imams formés en France, connaissant et respectant les règles de la République, qui interviennent dans les mosquées et en prison, soient plus nombreux et que c'est une des rudes tâches du CFCM. Par contre, il n'est pas acceptable d'exiger de nos compatriotes français, qui vivent de manière sereine et aussi souvent distante leur foi musulmane, de se justifier et de témoigner de leur différence avec les terroristes. A-t-on considéré que les catholiques français avaient à s'expliquer pour les commandos anti-IVG ou l'attentat contre un cinéma qui avait projeté La dernière tentation du Christ ? Ce type d'exigence est la trace que certains responsables politiques ne considèrent toujours pas une partie de nos concitoyens comme des Français à part entière. Nous savons parfaitement que les attaques proférées par l'extrême droite et une partie de la droite française, qui dénonçaient dès le soir du 7 janvier des boucs émissaires, contre l'Islam en France visent avant tout à maquiller et à recycler un racisme plus classique contre les immigrés d'origines maghrébine et subsaharienne et leurs enfants et petits-enfants nés en France. Nous lutterons avec acharnement contre le racisme et nous travaillerons encore pour faire disparaître les discriminations de toute sorte qui leur pourrissent la vie au quotidien. À ce titre, l'engagement non honoré de récépissé de contrôle d'identité est une des mesures à remettre à l'ordre du jour, si l'on veut être crédible sur ce chemin.

Nous voulons également demander aux différentes organisations religieuses juives de travailler avec tous les Français pour convaincre nos concitoyens de confession juive que leur avenir se trouve en France, chez eux. Nous savons parfaitement quelle peur pèse sur eux et les angoisses qui les assaillent souvent à juste titre. Nous soutiendrons toutes les mesures qui viseront à les rassurer et garantir concrètement la sécurité à laquelle ils ont droit comme n'importe lequel de nos concitoyens. Nous avons toujours été engagés contre l'antisémitisme ; ce combat est intrinsèque à l'identité socialiste depuis plus d'un siècle, nous le porterons toujours avec force. Nous avons été profondément choqués que la veille de son arrivée en France et ensuite à plusieurs reprises lors de ses déplacements à Paris, le Premier ministre israélien se soit permis de transformer sa visite en campagne électorale et d'appeler nos concitoyens à quitter massivement notre pays pour rejoindre Israël. Cette posture est inacceptable, nous regrettons par ailleurs qu'elle soit partagée par des personnalités israéliennes plus modérées et responsables. Nous pensons que ce n'est pas l'intérêt de ceux à qui cet appel à l'alyah s'adresse, car à tout prendre ils sont plus en sécurité en France qu'ils ne le seraient en Israël ou dans les colonies illégales de Cisjordanie. Ce serait offrir une victoire posthume aux terroristes puisque c'est l'incarnation absolue de l'antithèse du message républicain qui postule que l'on partage un destin civique commun quelle que soit sa confession.

Nous engageons chaque Français à ne pas céder à la tentation du repli sur soi, la tentation de se barricader derrière des verrous toujours plus nombreux, la tentation du repli sur sa communauté symbolisé par l'affichage toujours plus ostentatoire de son appartenance confessionnelle.

Réinvestir dans l'éducation et la culture.

C'est à l'école publique que la République peut le plus aisément et légitimement faire passer ses messages et transmettre ses valeurs. Le budget de l’Éducation nationale reste le premier de la Nation, mais l'ambition que nous avons toujours porté dans ce domaine doit désormais redoubler d'effort. Nous avons besoin d'investir dans notre école, de lui donner les moyens de recruter et de former des enseignants armés pour mener les missions d'instruction publique mais également pour transmettre les valeurs républicaines.

Les écoles supérieures du professorat et de l'éducation doivent donc en conséquence voir leur montée en puissance accélérée, avec les moyens qui vont de pair, pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés. On peut également s'interroger sur le rythme de recrutement des enseignants et des 60 000 postes annoncés en 2012.

L'action et la création culturelle sont également cruciaux pour créer une émotion partagée, des débats, des échanges, des rencontres. L'effort financier doit être aussi renforcé dans ce domaine, car ils sont un moyen de créer une identité commune en commençant par les plus jeunes. Le soutien aux associations nationales ou locales et aux mouvements d'éducation populaire doit enfin être renforcés : généraliser le service civique à leur profit peut y aider.

Rendre la présence de la République concrète pour nos concitoyens.

Partout où la République recule, partout où la solidarité nationale faiblit, les communautarismes prospèrent.

Mais qu'est-ce que la République au quotidien pour nos concitoyens ?

Ce sont les services publics, qui assurent un présence régulière des pouvoirs publics auprès d'eux. C'est le bureau de poste, le commissariat, l'antenne de la CPAM ou de la CAF, mais aussi la mairie et ses services, qui démontrent au quotidien que l'exercice de la solidarité nationale n'est pas un vain mot. Ce sont les lignes de train et les gares, même les plus petites, qui assurent concrètement le droit de tous à circuler. Ce sont aussi tous ceux qui assurent le respect de l'ordre public social dans le monde du travail.

Depuis 20 ans, nos concitoyens ont le sentiment parfois légitime que cette République concrète a peu à peu reculé et que, depuis quelques années, elle entre concrètement en régression : la fermeture d'une gare, d'une ligne de train, d'un bureau de poste, au prétexte d'un manque de rentabilité, la fermeture de commissariats, de gendarmeries, de postes de police, tout ce qui est vécu comme un recul des droits sociaux, sont autant de faux pas qui nourrissent chez nos concitoyens un sentiment d'abandon, qui se traduit à la fois par une partie du vote d'extrême droite et par le refuge dans les solidarités communautaires ou communautaristes.

Longtemps la décentralisation et le relais pris par les collectivités territoriales – au premier rang desquelles les communes – ont pu donner l'impression qu'une partie de ce recul des services publics était compensé. Mais désormais les collectivités vont être elles-mêmes amenées à réduire leur voilure sous l'effet des baisses de dotations, ce qui ne manquera pas de renforcer cette dynamique régressive.

Le retour de la République concrète n'est pas compatible avec les politiques aveugles de restrictions budgétaires, qui ont montré par ailleurs leur inefficacité dans la lutte contre les déficits et la dette publics. Sur tous les sujets que nous avons abordés – sécurité, justice, éducation, culture, services publics, etc. – il faudra faire des efforts budgétaires conséquents si nous voulons rattraper le temps perdu et retisser un tissu et un imaginaire national particulièrement abîmés.

Le Parti socialiste a un rôle à jouer.

Le rôle d'un parti politique est de proposer un projet de société dans l'espace démocratique. À plus forte raison, le rôle d'un parti socialiste démocratique et républicain est d'offrir une analyse sociale, une vision du monde et un chemin pour la transformation de la société dans le sens de l'égalité et de l'émancipation collective et individuelle.

Depuis trop longtemps, nous n'assurons plus ce rôle d'explication du monde et de projection sociale. Notre tâche est immense et nous voulons que le Parti Socialiste soit à nouveau à la hauteur de sa mission.

C'est l'objet d'une autre contribution thématique intitulée « Le rôle du Parti Socialiste et son rapport au Pouvoir ».

Frédéric Faravel, membre titulaire du BNA, BF PS95, section de Bezons

Jean-François Thomas, premier secrétaire fédéral de Meuse, membre du BN – Jean-Alain Steinfeld, membre titulaire du BNA, trésorier fédéral PS93

 

et Arnaud Delcasse, SF PS06 – Brice Giacalone, titulaire au CN, SF PS14 et suppléant CN – Mathieu Pouydesseau, SF FFE – Dylan Boutiflat, SF PS75, membre titulaire de la CNCF – Jérôme Haine, secrétaire de section Méry-s/Oise, BF PS95 – Élodie Schwander, titulaire au CN, BF PS07 – Martine Chantecaille, titulaire au CN, BF PS85 – Étienne Valois, SF PS29 – Patrick Chasserio, CF78

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4 février 2015 3 04 /02 /février /2015 19:27

Etienne Baldit - Sébastien Tronche - lelab@europe1.fr - mercredi 4 février 2015

Des-elus-de-l-aile-gauche-du-PS-demandent-a-Cambadelis-plus.jpgINFO LAB - À seulement cinq mois de son congrès, et alors que les contributions des forces en présence peuvent être déposées avant samedi 7 février, le Parti socialiste n'a toujours pas arrêté le corps électoral qui devra désigner son prochain premier secrétaire. En cause : "Le nombre d'adhérents n'est toujours pas arrêté", comme le rapporteLe Canard Enchaîné mercredi 4 février.

Une situation qui inquiète sérieusement des élus socialistes, dont certains parlementaires. Plusieurs d'entre eux, membres de l'aile gauche du parti, ont ainsi écrit à l'actuel patron de Solférino, Jean-Christophe Cambadélis, pour "l'alerter" à ce sujet. Un courrier que Le Lab s'est procuré.

Des membres du courant de Benoît Hamon Un monde d'avance (Henri Emmanuelli, Guillaume Balas), des frondeurs (Laurent Baumel, Christian Paul, Pascal Cherki) mais aussi Emmanuel Maurel (eurodéputé, animateur du courant Maintenant la gauche et candidat quasi-déclaré pour la tête du parti), cosignent ce courrier envoyé à Jean-Christophe Cambadélis mardi 3 février. Ils écrivent :

Alors que les contributions vont être déposées cette semaine,nous déplorons que la situation des effectifs du parti ne soit toujours pas établie, dans la clarté. 

Voici leur lettre en intégralité :

Des élus de liaile gauche du PS s'inquiètent auprès de Cambadélis diun manque de transparence d...

Ils mentionnent trois points problématiques à leurs yeux :

- Le Bureau National des Adhésions (BNA), en charge de ce sujet,n'a pas répondu aux interrogations émises. Il est de notre devoir de t'en alerter personnellement.

- Les résultats complets - fédération par fédération - de notre dernier scrutin [les États généraux du parti en décembre, ndlr] n’ont toujours pas été communiqués. Nous constatons qu’il a été empreint d’une singularité inquiétante : celle de ne pas avoir de corps électoral constitué lors du vote.

- Les travaux menés sur notre base de données Rosam2 [nouvelle version du système de recensement des adhérents du PS, ndlr] n’ont pas, à notre connaissance, été partagés conformément aux engagements du dernier Conseil national. 

"Comme tu le comprendras, l’ensemble de ces éléments ne peut satisfaire personne à l’approche d’une échéance majeure pour tous les socialistes", mettent-ils en garde. Ils demandent donc solennellement au premier secrétaire d'"engager une clarification sur ces sujets qui pourraient devenir sensibles dans les semaines qui viennent". Et ajoutent :

Jusqu’au congrès, un dispositif de transparence doit être garanti à tous.

Comprendre : ils s'interrogent sur la sincérité du vote à venir et le respect des statuts du parti. Le congrès aura lieu à Poitiers les 5, 6 et 7 juin.

De fait, la question du nombre des adhérents socialistes est *légèrement* sensible. Fin octobre 2014, Europe 1 révélait la baisse historique qu'enregistrait Solférino dans ce domaine. Début décembre, à l'occasion des États généraux du parti qu'il avait mis en place, "Camba" annonçait son intention de faire du PS un "parti de masse" comptant 500.000 militants d'ici à 2017.

Contacté par Le Lab, l'entourage de Jean-Christophe Cambadélis confirme la réception de cette lettre ce mercredi. 

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30 janvier 2015 5 30 /01 /janvier /2015 15:13

Jeudi 29 janvier 2015, Maintenant la Gauche Val-d'Oise organisait une réunion publique intitulée "La réponse de la gauche et des socialistes aux défis du pays ? La République sociale !" avec Emmanuel Maurel, député européen socialiste et vadoisien. L'occasion de débattre avec la quarantaine de participants. Vous retrouverez ci-dessous mon intervention destinée à introduire la réunion.

14375_10205334937084950_7269067509276592580_n.jpgMerci à toutes et à tous d'être venus ce soir à Vauréal, merci Guillaume Merlet, nouveau secrétaire de section du PS de la commune, de nous accueillir ; merci à Emmanuel Maurel d'avoir trouvé dans son agenda chargé un moment pour venir discuter avec vous.

Quelques mots avant de donner la parole à notre député européen.

Faravel_Vaureal_29-01-2015.jpgIl y a 3 semaines débutaient 3 journées effroyables : un attentat contre Charlie Hebdo, l'assassinat d'une policière municipale le lendemain, et enfin le vendredi la prise d'otage contre l'Hypercacher de la Porte de Vincennes avec l'assassinat de 4 de nos concitoyens dont le seul tort aux yeux du terroriste était qu'ils soient juifs.

Les Français ont été profondément choqués, mais la sidération n'a pas duré dès le 1er soir, ils étaient des milliers dans les rues pour crier #JeSuisCharlie et les 10 et 11 janvier, plus de 4 millions de personnes ont défilé dans un élan républicain jusqu'ici insoupçonné.

10957333_860182527365319_8601367526639503098_n.jpgLe Val-d'Oise a perdu un de ses enfants terribles : Charb qui a reçu un émouvant et militant hommage à Pontoise. Moi, j'ai perdu un héros de mon enfance. Car ils ont tué Cabu. Cabu, comment imaginer que l'incarnation même de son personnage fétiche le « Grand Duduche » puisse un jour tomber sous les balles.

J'ai découvert Cabu dans RécréA2 ; oui j'ai l'honneur d'avoir cet âge entre deux eaux, qui permet à la fois d'avoir vécu mes premières émotions enfantines devant la télévision et que les jeunes gens qui sont dans la salle se disent en levant le sourcil « mais de quoi il nous cause le vieux con ? ». J'avoue avoir été surpris quand j'ai découvert quelques années après vers 10 ans, les albums de Cabu : l'adjudant Kronebourg, Duduche, les bonnes sœurs décaties décidant de virer leur cutie à l'approche de la fin du monde

Sans doute, une première initiation à cet esprit anticlérical français qui me permit d'apprécier adolescent La Religieusede Diderot.

Ce que je veux dire, et qu'il faut savoir répéter, c'est qu'en s'attaquant à Charlie,c'est bien sûr la liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté de conscience, la République, qu'ont voulu assassiné les terroristes ! Mais en visant Charlie, ce sont aussi des figures de la gauche intellectuelle, sociale, critique, atypique, un brin « libertaire » et « paillarde », que les assassins ont ciblé ; c'est une part de nous-mêmes qu'ils ont voulu tuer, car ils ont accompagné nombre d'entre nous dans notre adolescence et à l'âge adulte.

Les Français ont décidé de ne pas se laisser faire, de ne pas sombrer dans la peur et dans le repli. Le Président de la République et le gouvernement ont su être à la hauteur de ce que la situation exigeait : le gouvernement a justement exprimé son refus d’un Patriot Actà la française, il a préféré la mise en œuvre de mesures exceptionnelles aux mesures d’exception.

 

Mais si la France restait bloquée dans un débat pseudo-consensuel sur les questions de sécurité, si nous oublions tout le reste, y compris de rechercher les solutions aux malaises mis en lumière à l'occasion des attentats, alors nos ennemis auraient finalement réussi à avoir eu un peu prise sur nous. Les problèmes d'avant le 7 janvier n'ont pas disparu, ils sont toujours là, devant nous, et le nécessaire rassemblement pour faire face à la barbarie – rassemblement d'ailleurs largement mis à mal dès les premiers jours par des propositions et propos abjects des responsables de la droite et de l'extrême droite – ne doit pas éteindre nos débats nécessaires.

La démocratie doit reprendre ses droits, le débat public doit revenir à la normale. Car reprendre le cours normal de la démocratie c'est déjà vaincre les terroristes.

Frédéric FARAVEL

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20 janvier 2015 2 20 /01 /janvier /2015 10:16

Presque deux semaines nous séparent de l'attentat de Charlie Hebdo, des meurtres qui ont suivi, de la prise d'otage antisémite, et la semaine dernière le peuple français nous a démontré à quel point il était éloigné de l'apathie dans lequel on le décrivait confit, démontré qu'il conservait de bons réflexes républicains.

Je ne reviendrai pas directement sur ces événements, je n'arrive pas encore à les évoquer sans être submergé par l'émotion, donc je vais m'éviter cela et vous l'éviter par la même occasion.

L'atmosphère de rassemblement (plutôt que d'union nationale) face au drame, face à l'agression, semble quelque peu perdurer, bien que l'extrême droite et une bonne partie de la droite se soient déjà distinguées par des propos et des propositions abjects.

À gauche, une trêve existe. Rendez-vous compte, Luc Broussy a liké certains de mes statuts et j'ai trouvé qu'Ali et lui avaient eu de l'humour dans leurs commentaires... trop d'amour tue l'amour, il faudra bien que ça s'arrête.

Plus sérieusement, François Hollande, notre Président de la République, et Manuel Valls ont géré avec le gouvernement l'épreuve avec hauteur et une grande maîtrise. Dire le contraire serait perdre toute crédibilité.

J'ai écrit, et je le pense toujours, que Manuel Valls a fait devant l'Assemblée Nationale un excellent discours qui restera dans les annales. Il a été à la hauteur de ce moment, la République en avait besoin. Cela ne gomme pas les divergences, les désaccords que nous avons sur la politique économique, cela n'efface pas nos propositions pour une alternative. Il est cependant nécessaire de se rassembler derrière l'essentiel, lorsque la République est attaquée. Je me réjouis notamment que Manuel Valls ait clairement expliqué pourquoi la réponse de la France serai déterminée mais que nous ne ferions pas l'erreur d'un Patriot Act à la française.

Je me permettrait quelques remarques sur des détails de son intervention :

  • un bémol sur le fait d'utiliser le terme « guerre contre le terrorisme » : ce vocabulaire est plus piégeux que l'autre vocable utilisé par le premier ministre « guerre contre le djihadisme ». Ce dernier permet de rappeler qu'il s'agit à l'origine d'un conflit extérieur dans lequel nos ennemis tentent de manipuler certains éléments sur notre territoire. Nous ne devons pas donner prise à une rhétorique de la guerre civile. S'il s'agit aussi d'une bataille idéologique alors les mots que nous utilisons sont importants.

  • Le Premier ministre souhaite que les « musulmans français » ne disent plus pour certains qu'ils ont honte de l'être. Malheureusement, la problématique n'est pas celle-là qui reste accessoire. Tout comme les lieux de culte et d'enseignement géré par les institutions religieuses juives, aujourd'hui les mosquées et tous les lieux assimilés par certains à la religion musulmane sont sous une menace accrue de vandalisme et de violence physique. Il est donc question d'assurer comme pour les lieux de cultes juifs, comme pour toute association ou congrégation, la sécurité et non un simple « réconfort moral ». On sait bien d'ailleurs que les agressions « anti-musulmanes » ne sont souvent que le paravent d'un racisme anti-maghrébin et anti-africain plus classiques (nos voisins et compatriotes originaires de ces régions étant assimilés musulmans, quelles que soient leur croyance par ailleurs).

À ce titre, je sais gré à Manuel Valls de ne pas utiliser dans ses interventions le terme d'islamophobie, qui est également piégé, car il mêle dans un même amalgame nauséabond ceux qui s'attachent à la critique de la religion et les vrais racistes. Je regrette que ce vocabulaire soit banalisé trop souvent par nos dirigeants.

  • Concernant les mesures annoncées, je comprends que l'on veuille améliorer la riposte contre la propagande djihadiste sur internet. La loi Cazeneuve de novembre dernier le permet : mais au-delà de la fermeture de sites par l'autorité administrative, il conviendra de ne pas écarter la régulation judiciaire et ce sujet doit être réintroduit dans l'élaboration des décrets d'application.
    Au passage, on a vu les potentiels dégâts pour le renseignement et l'investigation judiciaire qu'avaient pu causer les attaques punitives des Anonymous ; le blocage d'internet n'est donc pas en soi une solution... qui réside bien plus dans les moyens mis pour le contrôle et le suivi.

  • L'action sur les prisons me paraît bien plus prioritaire : on sait que la radicalisation en prison fournit un grand nombre de potentiels candidats au djihad. Mais là aussi, attention à ne pas prendre de mesures contre-productives. Si l'on regroupe tous les potentiels djihadistes avec des radicaux avérés, on risque d'accélérer la radicalisation de certains. Je vous invite à lire l'entretien accordé par le sociologue Fahrad Khosrokhavar dans Le Monde daté du 14 janvier : il faudra faire le tri parmi tous ceux qui rentrent des théâtres de guerre au Moyen Orient pour ne pas mettre ceux qu'il appelle les « déçus » et les « traumatisés », que l'ont peut tenter de réinsérer, avec les plus dangereux et les plus manipulateurs.

Tout cela marque un besoin en locaux pénitentiaires décents, en personnels pénitentiaires et sociaux, en moyens pour le parquet antiterroriste, pour le renseignement intérieur dont on a touché les limites. On l'a dit aussi c'est une obligation de moyens, de recrutements accélérés, de formation, de supports pédagogiques, dans l'éducation nationale et au-delà dans le soutien qu'on apporte à l'éducation populaire.

Cela suppose de traiter les difficultés toujours plus prégnantes de relégation et de ségrégation territoriales. Cela implique que la République sache rappeler à l'ordre, ceux de ses élus – même au PS – qui jouent à instrumentaliser et entretenir les communautarismes, comme un outil de contrôle social et électoral.

Cela suppose enfin de résoudre ce qui gangrène l'ascenseur social depuis trop longtemps dans notre pays ; de redynamiser son économie atone, qui nourrit toujours un peu plus un chômage massif.

Il est temps que le débat politique normal – sur les moyens du service public, sur les moyens de relancer notre économie – reprenne dans notre pays. J'ai entendu des responsables socialistes regretter ce retour à la normale : quelle erreur ! Si la France restait bloquée dans un débat pseudo-consensuel sur les questions de sécurité, alors nos ennemis auraient finalement réussi à avoir eu un peu prise sur nous.

 

Non ! La démocratie doit reprendre ses droits et nous devons reprendre nos débats, car comme le disait Gilles Finchelstein les problèmes d'avant le 7 janvier n'ont pas disparu.

Frédéric FARAVEL
mandataire fédéral de la motion 3 

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