Année après année, de réformes constitutionnelles hasardeuses (quinquennat et inversion du calendrier) en réformes constitutionnelles partiales, les institutions de la Vème République ont aggravé leur nocivité.
Les citoyens n'ont plus le sentiment que leurs choix et leurs votes pèsent sur l'évolution des événements et de la société. Ils se sentent dépossédé de leur capacité à agir sur leur destinée collective ; désormais, c'est la notion de souveraineté populaire qui est clairement mise en cause.
Le quinquennat de François Hollande n'a fait que renforcer cette impression populaire. Alors que le candidat avait clairement affiché sa volonté de rupture avec la pratique du pouvoir de Nicolas Sarkozy, le Président s'est – comme ses prédécesseurs – complètement moulé dans les institutions monarchisantes de la Vème République. Certes, la Justice est aujourd'hui plus indépendante qu'elle ne l'était avant François Hollande et Christiane Taubira, mais les principes de la délibération collective et du débat démocratique serein n'ont pas été renforcés.
En tournant le dos à tout ou partie de ses engagements, notamment dans le domaine économique, le Président a joué pleinement de la soumission du pouvoir législatif au pouvoir exécutif ; les velléités de contestation en interne à la majorité parlementaire des choix économiques présidentiels se sont heurtés à la logique institutionnelle du régime actuel : elle renvoie toute décision réelle au sommet de la pyramide, avec un Premier ministre qui « exécute » la politique définie par le Président, une majorité parlementaire contrainte, un parti majoritaire sans grande marge d’initiative. Lors du quinquennat Hollande, les militants socialistes ont légitimement pu s'interroger sur l'utilité de leur parti : renonçant à son autonomie, le Parti socialiste s’est rendu volontairement inaudible. Le PS et ses groupes parlementaires ont vécu trop souvent de manière autonome, si ce n'est distante. C'est encore le cas d'ailleurs. Les dirigeants de notre parti auront tout à la fois la mission de porter l'orientation du parti et de s'assurer qu'elle se nourrit et irrigue tout à la fois le travail parlementaire tant à l'Assemblée nationale, qu'au Sénat ou au Parlement européen.
La crise actuelle trouve ses racines autant dans les mécanismes économiques que dans le blocage des institutions françaises. Le mythe de l’homme providentiel dont découleraient tous les choix et la plupart des pouvoirs a démontré son inadéquation.
Dans ce contexte, la « pratique jupitérienne » du pouvoir d'Emmanuel Macron nous fait un peu plus sentir les dérives présidentialistes et démagogiques de l'actuelle constitution, à laquelle s'ajoute une forme de dépossession de la démocratie par l'alliance fusionnelle d'une partie de la technocratie d’État et des milieux d'affaires, qui culmine aujourd'hui avec sa présidence.
La réforme constitutionnelle qu'il prétend mener à bien n'est rien de mieux qu'un « populisme chic », une variante de l’antiparlementarisme à la sauce néolibérale qui voudrait que la réduction des effectifs des députés et des sénateurs rende la démocratie forcément plus efficace. Comme si le problème était le nombre, et pas les pouvoirs réels qu’on donne aux parlementaires pour exercer leur mandat ! Qui ne comprend que dans un mode scrutin uninominal territorial majoritaire, alors que chaque département doit disposer d'au moins un député, la réduction du nombre de députés – et de sénateurs – provoquera avant tout une réduction du nombre de circonscription dans les départements les plus peuplés : ainsi l'inégalité des citoyen.ne.s devant le suffrage deviendrait tout bonnement caricaturale.
Non content de cantonner les parlementaires à un rôle supporteurs ou de spectateurs, ou de contraindre l'action des élus locaux par la diminution des dotations aux collectivités (celles-ci ont par ailleurs produit toutes proportions gardées un effort financier bien plus grand que l’État entre 2010 et 2017, alors qu'elles participent peu voire très peu aux déséquilibres des comptes publics), l'exécutif du « nouveau monde » méprise ouvertement tous les élus et les corps intermédiaires.
Une vraie réforme constitutionnelle pour poser les bases d'une VIème République
Nous considérons pourtant qu'une une réforme institutionnelle majeure s’impose. Les conditions de sa mise en œuvre seront toujours complexes, au regard des majorités à réunir. La voie du congrès reste aujourd'hui difficile, malgré la majorité godillot dont dispose Emmanuel Macron à l'Assemblée nationale. Elle continuera de l'être lorsque qu'une gauche républicaine, antilibérale et écologiste se sera reconstruite, rassemblée et aura reconquis la confiance des Français et le pouvoir.
Néanmoins, il revient à la gauche de préparer une véritable réforme constitutionnelle, d’en clarifier la logique et le sens, mais aussi de modifier la pratique des institutions en donnant plus de pouvoir d’initiative au Parlement, en ne craignant pas de recourir au référendum à un moment où nos concitoyens ont le sentiment que leur avis ne compte pas.
Nous proposons donc de constituer un comité national rassemblant les forces de gauche, des personnalités, des représentants du monde syndical et associatif afin de travailler à des grandes modifications constitutionnelles, en lien avec nos concitoyens, ce qui permettra que le débat public soit mûr pour en permettre l'adoption lorsque nous serons enfin à nouveau en capacité d'exercer la responsabilité du gouvernement de la France.
D'ores-et-déjà, nous voulons mettre dans le débat plusieurs lignes fortes sur lesquelles devrait s'articuler une véritable réforme constitutionnelle.
Rééquilibrer les pouvoirs entre exécutif et législatif
Un gouvernement ne doit plus pouvoir utiliser la procédure du vote bloqué ou du 49.3. Mais beaucoup se joue dans la capacité des parlementaires eux-mêmes à prendre des initiatives, à manifester leurs prérogatives en exerçant leur droit d’amendement et de contrôle mais aussi d'évaluation des politiques publiques. Oui la démocratie a un coût et les parlementaires de tout bord auraient plutôt intérêt à exiger qu'on leur donne de véritables moyens (collaborateurs, interpellation, contraintes, etc.) pour exercer concrètement et réellement leurs nombreuses missions (jusqu'ici trop théoriques), plutôt que de se plaindre d'un contrôle accru et légitime sur la justification de leurs dépenses pour frais de mandat.
Un parlement efficace c'est un parlement représentatif : l'injection d'une dose de proportionnelle est donc impérative. Pour les mêmes raisons évoquées plus haut d'égalité devant le suffrage, il n'est pas possible de retrancher des circonscriptions territoriales un pourcentage significatif de députés pour les faire élire à la proportionnelle sur une liste nationale. C'est pourquoi nous proposons que dans les départements les plus densément peuplés, le mode de scrutin appliqué soit la proportionnelle, le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours étant conservés pour les départements comptant peu de députés et peu densément peuplés.
Nous proposons également que l'Assemblée nationale dispose d'un moyen de pression sérieux et constructif de pression sur l'exécutif sur le modèle existant en Allemagne, en Belgique ou en Espagne : la « motion de censure constructive » qui doit automatiquement prévoir un Chef de gouvernement et donc une coalition parlementaire durable de rechange pour remplacer celui qu'elle propose de renverser. Ce type de motion, inventé par la Loi fondamentale allemande, empêche ainsi toute coalition de circonstance (ou « coalition des extrêmes ») entre des partis qui, une fois la censure votée, ne pourraient se mettre d'accord sur le nom d'un nouveau chef du Gouvernement.
Il faudra également réexaminer l'exercice du droit de dissolution pour prendre modèle sur ce qui existe au sein des autres démocraties parlementaires européennes, plutôt que d'en faire l'arme atomique constitutionnelle du Président de la République.
Nous devrons revenir sur les excès présidentiels induits par la Vème République, en limitant son pouvoir de nomination prévu à l'article 13 et la durée des pouvoirs exceptionnels prévu par l'article 16 : le parlement réuni en congrès doit pouvoir se prononcer sur la pertinence des pouvoirs exceptionnels dans les 30 jours qui suivent leur mise en application.
Il conviendra également de rénover le fonctionnement du conseil constitutionnel pour le transformer en véritable cour constitutionnelle, qui permette de consolider son rôle de défenseur des principes et libertés constitutionnelles sans qu'il n'empiète sur des domaines qui devraient appartenir au seul pouvoir législatif (notamment dans le domaine économique et social).
Le Parlement doit enfin pouvoir se prononcer sur les questions internationales. L'engagement de la France dans les conflits armés ne peut pas résulter du seul ressort du président de la République.
Réformer la haute fonction publique
Il faut retrouver le respect de la fonction publique, dont les agents se dévouent au service de l’État et de l’intérêt général.
La nature consanguine entre le « nouveau monde » macronien, étape aboutie de la fusion entre les intérêts des puissances financières et d'une partie de la technocratie de Bercy, est apparue au grand jour l'été dernier lorsque le gouvernement dénonça au Sénat tout amendement visant à mieux encadrer les conflits d'intérêts dans la Haute Fonction Publique ; afin que le message fut plus clair encore, il demanda à la majorité LREM-MODEM de l'Assemblée nationale de modifier le titre de la « loi Confiance dans la vie publique » en « Confiance dans la vie politique ».
C'est pourquoi il est plus que jamais nécessaire d'engager une mutation de la haute fonction publique, garantir son indépendance et son intégrité. L’aller-retour entre la fonction publique et le privé, le « pantouflage », doit être interdit, les règles de déontologie cessées d’être tournées (quand on a été honoré par la haute carrière administrative et qu’on veut aller faire de l’argent pour le CAC40, on démissionne !).
Il faut rallonger le délai permettant de quitter le public pour une mission privée dans le même domaine d’activité. Le mode de formation et de recrutement des hauts fonctionnaires devra être repensé comme leurs carrières, tant s’est creusé l’écart entre les citoyens et ceux qui devraient être les « hussards de la République ».
Retrouver le sens de la décentralisation
Il faut consolider la légitimité de l'action publique à tous les niveaux.
La France n'a ni trop d'élus, ni franchement plus d'échelons que ses voisins. Les vrais enjeux sont :
- la clarification des compétences ;
- la simplification de la prise de décision ;
- la redistribution des richesses et la solidarité ;
- la garantie de l'égalité républicaine dans la décentralisation.
Appliquons strictement le non cumul, dotons les élus d'un statut, améliorons les capacités d'intervention des citoyens, augmentons transparence de la gestion publique.
L'engagement n° 54 de François Hollande en 2012 exposait des priorités, dont nous n'aurions jamais dû nous éloigner : « Renforcement de la démocratie et des libertés locales […] clarification des compétences […] pacte de confiance et de solidarité […] entre l’État et les collectivités garantissant le niveau des dotations […] réforme de la fiscalité locale en donnant plus d’autonomie […] et plus de responsabilité. Une véritable péréquation. »
Les dotations des collectivités ont connu une baisse considérable et nous savons que le gouvernement actuel souhaite qu'elle se poursuivre.
Osons dire que la manière dont ont été conduites les successives réformes territoriales de 2013 à 2016 fut difficilement lisible. Menons la réforme fiscale, notamment pour la fiscalité locale ; on voit bien que l'impasse faite sous les précédents quinquennats (assiette, bases et valeurs locatives) a favorisé la décision démagogique du gouvernement Macron-Philippe de supprimer l'essentiel de la Taxe d'habitation, en augmentant la dépendance des collectivités sans que cela rende notre fiscalité locale plus juste.
Les doublons constituent des handicaps pour l’efficacité de l’action publique. Faisons le ménage avec précision. Garantissons l’égalité républicaine avec une vraie péréquation, le maillage des services publics et l’aménagement du territoire. Un enjeu politique est négligé : des populations entières ne se sentent plus représentées, fragilisant la République, favorisant le vote FN.
Les élus locaux ne sont pas des gestionnaires mais des représentants du peuple. Les transformer en techniciens traitant de dossiers stratégiques est délétère. L'impuissance publique vient d'abord de l’État lui-même et du contournement de la souveraineté populaire dans l'Europe actuelle et la mondialisation libérale.
L’implication citoyenne, le militantisme, la rénovation du politique
D’une manière générale, sortir de la crise de défiance politique suppose de promouvoir la culture de la participation, ouvrir des lieux d’expression, faire des partis des lieux de débat et de contre-pouvoir, valoriser le militantisme et redonner du pouvoir aux citoyens.
La gauche doit interroger sa pratique du pouvoir à tous les niveaux de la société. Depuis 30 ans, notre conduite dans les collectivités s'est souvent accompagné d'une volonté de tout contrôler parfois dans un souci d'efficacité de l'action publique mais aussi malheureusement dans l'objectif de limiter les contre-pouvoirs sur lesquels la gauche s'était pourtant appuyée pour conquérir de nombreuses agglomérations.
Les socialistes doivent donc retrouver le chemin de relations saines avec le monde associatif et lui rendre sa capacité de contre-pouvoir et d'interpellation des pouvoirs publics à tous les niveaux.
Frédéric Faravel
Nos propositions avec "L'Union & l'Espoir"
1. Constituer un comité national pour la réforme constitutionnelle rassemblant les forces de gauche, des personnalités, des représentants du monde syndical et associatif afin de travailler à des grandes modifications constitutionnelles, en lien avec nos concitoyens ;
2. Introduire par la loi une dose de proportionnelle substantielle pour les élections législatives en l'instaurant pour l'élection des députés dans les départements les plus peuplés ;
3. Créer une procédure de motion de censure constructive et réexaminer notre procédure de dissolution de l'Assemblée nationale ;
4. Limiter les pouvoirs de nomination (art. 13) et la durée des pouvoirs exceptionnels du Président de la République prévus à l'article 16 ;
5. Redonner au parlement son rôle légitime en politique étrangère, une intervention militaire ne pouvant pas résulter que de la décision du seul président de la République ;
6. Rénover le fonctionnement du conseil constitutionnel pour le transformer en véritable cour constitutionnelle, qui permette de consolider son rôle de défenseur des principes et libertés constitutionnelles sans qu'il n'empiète sur des domaines qui devraient appartenir au seul pouvoir législatif ;
7. Renforcer l'initiative parlementaires et la capacité des députés et sénateurs à présenter des amendements sur les projets de loi de finance et le budget de la sécurité sociale ;
8. Améliorer la loi pour rendre effectif le principe du référendum d’initiative populaire ;
9. Interdire le pantouflage des hauts fonctionnaires ;
10. Engager dans le cadre de la réforme fiscale, une révision profonde de la fiscalité locale ; renforcer les dotations des collectivités territoriales pour qu'elles puissent garantir l'investissement public et accompagne réellement le développement économique des territoire.