Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Le jour se lève à peine. On a tiré toute la nuit dans Pointe-à-Pitre. Le feu ne s'est calmé qu'aux petites heures du matin, dans l'épuisement et la peur. Ce samedi 27 mai 1967, Max Jasor, 13 ans, le fils du libraire, est très tôt levé, dans l'appartement familial de la rue Barbès. Au no 25, devant la porte en fer grillagée, on a jeté un homme comme un sac. Il a plusieurs côtes brisées, la mâchoire enfoncée, des dents cassées. Du haut de l'escalier, l'adolescent ne voit qu'une masse informe, qui geint. Son père, Hubert Jasor.
La veille, vendredi 26 mai, des émeutes ont éclaté place de la Victoire, en début d'après-midi, puis se sont propagées dans Pointe-à-Pitre et ses faubourgs. Un millier d'ouvriers du bâtiment, en grève depuis le 24 mai pour obtenir une augmentation de salaire, se sont massés autour de la darse, dès la fin de la matinée.
Huit mois auparavant, le cyclone Ines a ravagé la Guadeloupe, faisant 32 morts et des millions de francs de dégâts. Les ouvriers du bâtiment ont du travail - mais peu de revenus. Ils attendent le résultat de négociations qui traînent à la chambre de commerce. Dans le petit bâtiment blanc de style colonial, au bord de la place - aujourd'hui office du tourisme -, patronat et syndicats se séparent sur un échec.
Hubert Jasor n'a rien à voir avec cette grève. Le libraire a bien été inquiété plusieurs fois pour avoir, l'un des premiers, cru à l'avenir des écrivains antillais. C'est une époque où les livres de Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs ou Les Damnés de la terre, avec sa célèbre préface de Jean-Paul Sartre, sont saisis par la police.
Une époque où littérature se confond avec politique et se conjugue avec décolonisation. Le père aime aussi Voltaire et les encyclopédistes, Racine et les tragédies, Balzac et le roman, les six enfants ont intérêt à connaître leurs classiques. "Un peu comme Prométhée avait volé le feu aux dieux, il fallait voler la lecture aux Blancs", dit aujourd'hui Max Jasor.
Cet après-midi du vendredi 26 mai, Hubert Jasor se pointe sur la darse. Un bâtiment de la marine nationale est au mouillage, les marins en ville. Un matelot blanc est pris à partie par la foule, Jasor s'interpose, une balle lui frôle la nuque. Puis il est blessé par le coup de crosse d'un gendarme. Recousu à l'hôpital Ricou, le libraire rentre chez lui, quand une patrouille de "képis rouges" l'arrête. L'insulte. Emmené dans la cour de la sous-préfecture, il y est battu comme plâtre.
Caché sous des corps inertes, Hubert Jasor entend ces mots qui le glacent : "Les morts, on les fout à la darse ou à la Gabarre" - le pont qui sépare Grande-Terre de Basse-Terre. Vers 4 heures du matin, reconnu par les forces de l'ordre, il échappe à son calvaire. Conduit à la gendarmerie, il entend des têtes cogner contre les murs, lors d'interrogatoires où les aveux pleuvent à la vitesse des coups. "Ils l'ont arrêté puis l'ont jeté devant la maison", raconte son fils.
Depuis des heures déjà, la situation a dégénéré en une violence incontrôlable. Une phrase, que son auteur présumé jure ne jamais avoir prononcée, a fait en un éclair le tour des manifestants et déclenché l'émeute, en tout début d'après-midi : "Quand les nègres auront faim, ils se remettront au travail." Georges Brizard, le président du syndicat des entrepreneurs du bâtiment, patron de la Socotra, l'aurait prononcée. C'est lui qui négocie avec la CGT Guadeloupe. Le Savoyard, bonhomme costaud et fort en gueule, moustache en balai-brosse, a la réputation de ne pas mâcher ses mots. Les CRS devront l'évacuer en urgence, et le plus discrètement possible.
L'un des fils de cet ingénieur agronome, Michel Brizard, 62 ans aujourd'hui, patron d'une PME dans la zone industrielle de Jarry, raconte que son père a été mortifié de vieillir avec cette tache. "Non seulement parce que je ne l'ai pas dit, mais parce que même si j'en avais eu envie, je n'aurais pas osé", lui répétait ce dernier, désormais décédé.
Sur la place, deux sections de 25 CRS et un peloton de 14 gendarmes gardent la chambre de commerce et, en face, la sous-préfecture. Les gardiens de la paix, dépourvus d'équipement de protection, ont été retirés. Au bord de l'eau, où accostent d'ordinaire les bateaux chargés de sel de Saint-Martin ou de boeufs vivants de Porto-Rico - qui s'échappent parfois, semant la panique dans la ville -, des conques de lambis sont entassées. Ce mollusque, spécialité culinaire antillaise, est vendu sans sa lourde coquille, hérissée de six pointes. Les conques, dont les esclaves usaient comme d'une trompe pour communiquer, vont devenir une arme redoutable.
La première atteint un CRS en pleine tête : il a enlevé son casque pour s'éponger, à cause de la chaleur. Il s'écroule, évacué par deux collègues. Jean Chomereau-Lamotte, seul journaliste sur place, témoin de la scène, prend une photo. "Qu'est-ce que vous foutez là ?", lui a demandé le chef de la section de CRS. Il a brandi sa carte de presse, no 19797.
Après une sommation du commissaire Canales, qu'aucun témoin n'a entendue,
le feu se déclenche. "Ils utilisaient des MAT 49 (Manufacture d'armes de Tulle) qui ont beaucoup servi en Algérie","Yo pren Nestor !" Ils ont tué Nestor. Cette nouvelle va porter la tension à son paroxysme. témoigne Chomereau-Lamotte. Il entend les balles ricocher sur la fontaine de la place, au milieu des gaz lacrymogènes, et tout à coup, un cri :
"Jacques Nestor, membre du GONG, et l'un des principaux meneurs", comme l'écrira le préfet Pierre Bolotte, vient de recevoir une décharge en plein ventre. Il meurt en arrivant à l'hôpital. Le GONG, Groupe d'organisation nationale de la Guadeloupe, est la cible désignée pour les autorités. Ce ne sont que quelques dizaines de personnes, mais très actives et très surveillées. Le groupe indépendantiste, créé en 1963 à Paris par une soixantaine de militants anticolonialistes, pour la plupart issus de l'AGEG (Association générale des étudiants guadeloupéens), est même devenu une obsession pour le préfet. Il produit sur ce sujet pléthore de notes pour sa hiérarchie.
Louis Théodore le sait bien, qui passera dix ans dans la clandestinité. Cet ex-militant de l'AGEG, membre du Front antillo-guyanais, organisation interdite, a rencontré Mao, le Che, Ben Bella, voyagé dans les pays de l'Est, au beau milieu de la guerre froide. Quand un camarade vient le trouver, à l'école de Gérard Lauriette - dit "Papa Yaya", figure de la créolité guadeloupéenne -, où il enseigne, il n'hésite guère. "Loulou, Jackie est mort", lui a dit son ami en lui montrant un mouchoir imbibé de sang. "Il y avait énormément d'arrestations. La répression commençait, et je savais qu'ils frapperaient tout le monde." Ces militants avaient été formés avec l'idée qu'ils devraient un jour se cacher, et ils avaient pris des dispositions. "On se déplaçait tout le temps. On a fait rentrer Sonny Rupaire (militant nationaliste et poète) de Cuba. On était un petit noyau." En une nuit, ils sont capables de mobiliser quarante personnes pour couvrir la Guadeloupe de tracts et d'inscriptions.
Mais, dans Pointe-à-Pitre, ils n'organisent rien, ces 26 et 27 mai. Près de 56 % de la population de l'île a moins de 20 ans, en cette fin des années 1960. Devant les CRS, les jeunes voient rouge. Des barrages sont érigés partout, des voitures incendiées, le supermarché Unimag, au bout de la rue Frébault, pillé, les pierres volent. Et surtout, l'armurerie Boyer, rue Delgrès, en centre-ville, a été dévalisée. Noir ou Blanc, il ne fait pas bon être dans les rues.
Le jeune Jasor a raccompagné chez lui l'un de ses copains du lycée Carnot pour le protéger, car il a la peau si claire qu'il pourrait passer pour un Blanc. Au retour, il observe, médusé, une femme noire, assez sophistiquée, que l'on questionne méchamment sur un barrage : "Tu es noire ou tu es blanche ?" Elle : "Je n'ai pas à répondre à cette question." Alors que son véhicule est secoué de plus en plus fort, elle se met à pleurer et dit en créole : "Zot pa ka voué an nwé ?" ("Vous ne voyez pas que je suis noire ?")
Serge Glaude, fils de notables guadeloupéens qui a participé à la fondation du GONG, est enseignant au collège de Sainte-Rose. Il a alors 32 ans. Le jeudi, il a conjuré en vain "Kiki" Nestor de quitter Pointe-à-Pitre. Ce dernier lui a raconté que, la veille, il est allé tirer du commissariat un vieux à qui la police avait pris son vélo et qu'il a été, à cette occasion, pris en photo "en long en large et en travers". Quand il apprend sa mort, Serge Glaude tente de se rendre à la veillée funèbre avec deux amis. Des gendarmes mobiles arrêtent son ID 19. "J'ai fait l'Algérie : ces gars étaient dopés au vin rouge et au bismuth. Ils sautillaient sur place en disant : "On va tirer."" L'enseignant assure que certains d'entre eux parlaient mal le français, des légionnaires. On lui intime l'ordre de descendre de voiture. "Le couvre-feu, on s'en fout. On a ordre de tirer sur les nègres comme sur des lapins." Il est aligné contre un mur quand arrive une Jeep de gendarmes, avec un chef de détachement. Les hommes baissent tout de suite leur arme.
Outre les CRS et les forces de police déjà sur place, le préfet Bolotte reçoit vers 1 heure du matin le renfort de deux pelotons venus de Martinique. Dans l'après-midi, il a aussi pris la décision de ramener sur Pointe-à-Pitre un escadron de gendarmes mobiles sur le point d'embarquer à l'aéroport du Raizet. Leurs armes sont déjà dans l'avion. Ce sont ces "képis rouges" qui ont laissé le pire souvenir. Ces hommes avaient été appelés en renfort au mois de mars, lors d'incidents qui avaient éclaté à Basse-Terre avec Srnsky, un militant de l'UNR, le parti gaulliste.
Propriétaire du magasin de chaussures Sans Pareil, il avait lancé son berger allemand contre un cordonnier-cloutier ambulant, un Noir infirme nommé Balzinc, qui s'était installé sur le trottoir devant sa boutique. Le commerçant blanc, exfiltré par le préfet, avait échappé de peu au lynchage, et sa Mercedes avait fini à l'eau. L'affaire a surtout servi aux Renseignements généraux pour établir des listes de militants à surveiller, voire à arrêter, parmi lesquels le docteur Pierre Sainton, l'un des fondateurs du GONG.
En fin d'après-midi, le préfet reçoit la visite du maire communiste de Pointe-à-Pitre, Henri Bangou. Voici comment il le décrit à son ministre de tutelle, le général Pierre Billotte, avant une visite que ce dernier doit effectuer dans l'île : "Le docteur Bangou, c'est un problème que vous connaissez très bien. Vous le reconnaîtrez vite : il est très grand, une tête très intelligente, un aspect avenant et fort bien élevé." La description tient toujours la route. Au plus fort des troubles, le maire a ceint son écharpe et s'est rendu, accompagné d'une partie de ses adjoints, vers le marché central, où des groupes de jeunes font face aux CRS. "Je vais haranguer la foule, pour dire : calmez-vous", explique-t-il. Mais l'épisode tourne court, l'équipe municipale est obligée de battre rapidement en retraite. Lorsque le maire demande au préfet de retirer les forces de l'ordre, celui-ci refuse. "Il m'a répondu qu'il ne pouvait pas. Qu'il avait été accusé de mollesse lors des événements de Basse-Terre."
La chasse à l'homme a commencé. Dès le 26 mai au soir, à 18 h 45, le préfet envoie un long télégramme au ministre, qui mentionne notamment ceci : "Ai ordonné arrestation principaux meneurs dont TOMICHE, secrétaire syndical employé de commerce et récemment exclu du comité central du Parti communiste STOP." Sur une radio amateur, Paul Tomiche capte les ondes de la police : il faut amener le propriétaire de "l'Opel Corsa 77 MV, Max, Victorine, mort ou vif à Petit Papa" (la gendarmerie de Petit-Pérou). Sa voiture. Il se cache à Bergevin, puis beaucoup plus loin, à Petit-Canal. Coupe sa barbe. Part au Moule. L'Etincelle, l'organe du PCG, titrera : "Les aventuriers ont pris la fuite." Il sera arrêté et fera onze mois de prison.
Le bilan officiel tiré par Pierre Bolotte pour le ministère, dans un télégramme daté du 30 mai, est le suivant : "Sept morts identifiés. Possibilité autres victimes non déclarées." Ce sont tous des manifestants. Il y a de nombreux blessés parmi les civils, mais combien ? Pour les forces de l'ordre : "Armée, un sous-lieutenant sérieusement blessé. Gendarmerie, six gradés et gendarmes, dont deux par armes à feu. CRS, vingt-sept gradés et gardiens, dont dix gravement et quatre blessés par armes à feu." Vingt-sept arrestations de droit commun ont lieu, et vingt et une inculpations. Dix inculpés écopent de peines de prison ferme. Les arrestations vont se poursuivre. Le dimanche 30 mai au soir, à la préfecture de Basse-Terre, les ouvriers, qui demandaient une augmentation de 2,5 %, en obtiennent une de 25 %.
Un autre procès a lieu, à Paris, du 19 février au 1er mars 1968, à la Cour de sûreté de l'Etat, où 18 indépendantistes guadeloupéens sont jugés pour atteinte à l'intégrité du territoire français. La raison ? Leur appartenance au GONG, supposé avoir organisé les émeutes de Pointe-à-Pitre, bien que le rapport du commissaire Honoré Gévaudan, en juin 1967, ait clairement écarté cette hypothèse. Aimé Césaire et Jean-Paul Sartre feront partie des témoins de la défense.
Le préfet Bolotte n'aura jamais à répondre de ses actes, il ne paraîtra dans aucun procès. Il a été enterré le 27 mai 2008. Le commissaire Canales n'ira pas non plus à la barre, prétextant une dépression nerveuse. Glaude, Makouke, Sainton et Théodore ont pris quatre ans avec sursis. Deux inculpés ont eu trois ans avec sursis. Tous les autres, dont Lauriette et Rupaire, ont été acquittés. C'est dans la préface des Damnés de la terre que Jean-Paul Sartre écrivit : "Les voix jaunes et noires parlaient encore de notre humanisme, mais c'était pour nous reprocher notre inhumanité." Depuis 1967, aucun CRS n'a remis les pieds dans l'île.
Vers une loi sur les mères porteuses ?
Yves Jégo a déploré que le LKP ait choisi la voie de "la marginalisation". "Le LKP avait deux choix à la sortie des manifestations, soit de rentrer dans la concertation (...) soit la marginalisation. Ils ont choisi d'être dans la marginalisation. Je pense que les Guadeloupéens ne sont pas très satisfaits de cette position parce qu'ils attendaient que le LKP soit aussi force de propositions", a déclaré le secrétaire d'Etat à l'outre-mer sur France 2.
Les principales centrales syndicales devraient également boycotter ces états généraux. L'UGTG, dont Elie Domota est secrétaire général, a fait savoir qu'elle n'y participerait pas, affirmant que la problématique lui semble "artificielle" par rapport aux "attentes sociales du peuple guadeloupéen". Elie Domota est par ailleurs le porte-parole du Liyannaj kont pwofitasyon (LKP, collectif contre l'exploitation) regroupant (à l'exception de la CGC) l'ensemble des confédérations et centrales syndicales représentées en Guadeloupe.
La CGTG (19,83% aux prud'homales) avait également décidé, lors de son congrès il y a une semaine, de ne pas prendre part aux états généraux. Une décision similaire a été adoptée cette semaine par la troisième centrale syndicale locale, la CTU (8,57%). Le LKP regroupe quarante-neuf organisations syndicales, politiques et associatives. La plupart, de la CFTC à la FSU en passant par FO, ne se sont pas encore prononcées sur leur éventuelle participation à ces états généraux.
La situation sociale pourrait à nouveau se tendre en Guadeloupe alors que le gouvernement s'apprête à annoncer une extension limitée de l'accord salarial conclu le 5 mars, et devrait notamment en retirer la clause mettant à la charge des employeurs dans trois ans les 200 euros de hausse concédés pour mettre fin à la grève générale.
du lundi au vendredi de 18h30 à 19h15 | ![]() |
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![]() ![]() | ![]() | émission du vendredi 27 mars 2009 En direct et en public de la Gare Saint Sauveur à Lille - Lille / Berlin: quelle politique de mixité sociale ? |
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Nous sommes à Lille, en direct et en public de la gare Saint-Sauveur, Lille qui a invité pour cette première cession de la manifestation XXL, des artistes berlinois –c’est l’occasion, pour nous, de confronter quelques points de vue français et allemands sur la ville, sur la façon de la concevoir et de la faire. Thierry Paquot vient de diriger un ouvrage passionnant sur les « gates communities », ces ensembles d’habitation privés et sécurisée qui fleurissent sur la planète ; elles rappellent que la ségrégation urbaine n’est pas qu’un phénomène d'emprisonnement des plus pauvres dans des quartiers-ghettos, mais qu’elle est aussi une volonté des plus riches de se mettre à l’écart. Il ne faut jamais le perdre de vue - si bien qu’alors qu’elles étaient autrefois par essence des lieux de passage et de mélange, les villes sont aujourd’hui menacées de toute part par l’entre soi, désiré (donc) ou subi. En France particulièrement la thématique de la mixité urbaine a envahi la discours sur la ville. Il faut dire que les émeutes de 2005 dans les banlieues sont encore dans les esprits et qu’on en a attribué la cause, à tort ou à raison, en grande partie à l’urbanisme de ces zones périphériques. En Allemagne, les experts se retrouvent pour dire que les phénomènes de ghettoïsation sont moins développés et que, si la ségrégation existe, elle sévit depuis moins longtemps et avec une moindre intensité. Autre différence significative : le regard porté sur le désir de rester ensemble, de ne pas se mélanger, notamment quand il est exprimé par des hommes et des femmes issus de l’immigration, est loin d’être aussi négatif. En Allemagne il semble qu’on ne considère pas la mixité comme la clef ultime de la cohésion sociale ou du désir d’intégration. Voilà qui nous apporte du grain à moudre à l’heure où certains en France s’interrogent aussi sur les bienfaits attribués peut-être un peu vite à ladite « mixité sociale ».
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Par Maguy Day - Mediapart.fr
Dans un entretien à Mediapart, Elie Domota, leader du collectif guadeloupéen de Liyannaj kont pwofitasyon (collectif contre l’exploitation outrancière, LKP), explique pourquoi, malgré l'accord salarial signé en Guadeloupe entre le LKP et une partie du patronat, la tension n'a pas baissé dans l'île. Outre l'ouverture d'une enquête judiciaire à son encontre pour incitation à la haine raciale, il dénonce l’intransigeance du Medef local, absent de la table des négociations, et de certains békés (descendants d’esclavagistes) qui, contrairement à de nombreuses PME, refusent toujours d’accorder une augmentation aux bas salaires.
Le secrétaire d’Etat à l’outre-mer, Yves Jégo vient de qualifier de «dérapage verbal inadmissible» vos propos contre les patrons békés alors que vous aviez déclaré à leur propos en créole: «Soit ils appliquent cet accord, soit ils quittent la Guadeloupe. (…) Nous ne laisserons pas les békés rétablir l'esclavage.» Que pensez-vous de l’ouverture, samedi 7 mars, par le parquet de Pointe-à-Pitre d’une enquête pour provocation à la haine raciale et tentative d'extorsion de signature à votre encontre?
S’ils m’envoient devant les juges, c’est toute la Guadeloupe qui ira au tribunal. Souvenez-vous qu’en 1967, il y a eu 100 manifestants tués en Guadeloupe. Et ce sont les Guadeloupéens qui se sont retrouvés derrière les barreaux et que l’on a accusés d’être subversifs. Nous sommes très sereins. De toute façon, cela fait partie de l’alliance justice-Etat-grand patronat. Nous y sommes habitués. Cela fait 400 ans que nous subissons le racisme, la répression et la discrimination, donc nous ne sommes pas étonnés. On leur dit simplement que cela ne passera plus. Si l’affaire est portée devant les tribunaux, le monde entier verra que les questions de race et de classe sont restées inchangées depuis la période de l’esclavage.
Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, a déclaré vendredi 6 mars, qu'on voyait en Guadeloupe agir «des sortes de tontons macoutes du LKP», faisant ainsi allusion à la milice paramilitaire créée par l’ancien dictateur François Duvalier à Haïti dans les années 1960.
C’est un affront. Ils cherchent à salir et discréditer le LKP. Cela fait quatre semaines que Monsieur Lefebvre et ses amis, par l’intermédiaire du journal Le Figaro, nous accusent d’actes de violence, nous dénigrent, cherchent à décrédibiliser un mouvement social légitime et les Guadeloupéens qui manifestent depuis un mois et demi dans le calme. Les choses sont simples: les supermarchés Match, Champion, Cora, Carrefour, au service d’une certaine caste, refusent d’appliquer l’accord Jacques-Bino alors que les autres PME l’appliquent. Ils veulent que la société guadeloupéenne reste inchangée.
Dès lors que nous nous élevons contre des critères de race ou de caste, ils se sentent menacés. Une plainte contre M. Lefebvre et certains journalistes est à l’étude chez nos avocats. Quant à Monsieur Yves Jégo, il n’a pas réagi aux propos de Monsieur Lefebvre mais il a cru bon de partir dans une grande envolée lyrique à mon sujet.
Au lendemain de la signature de l’accord salarial, vous avez dit que tout n’était pas réglé. Que vouliez-vous dire?
Il y a pas mal de supermarchés, de chaînes hôtelières qui refusent de signer l’accord salarial. Elles s’opposent à l’accord de pérennité qui prévoit qu’après trois ans, elles prennent en charge la totalité des 200 euros d’augmentation pour les plus bas salaires. D’ici là et pour les entreprises de plus de 100 salariés, 100 euros seront à la charge de l’entreprise, 100 euros à la charge de l’Etat. Comme par hasard, ce sont des membres de la catégorie bien particulière que sont les békés [qui refusent]. Comment expliquez-vous que les petits artisans aient accepté de vendre pratiquement à prix coûtant, alors que les familles Hayot ou Huygues-Despointes, qui dégagent encore des marges commerciales, refusent. Et alors même que les aides actuelles et futures en leur faveur ne sont pas comptabilisées. C’est le monde à l’envers! Il faut que l’Etat intervienne et dise: «Les gars, arrêtez vos conneries.»
Quelle est la part de responsabilité de l’Etat français?
Les positions dominantes et de quasi-monopoles des familles békés sont depuis toujours tolérées par le gouvernement. Aujourd’hui, certains semblent le découvrir mais cela s’est fait avec l’autorisation de l'Etat. Alors que nous voulons être entendus, et que nous demandons que les richesses en Guadeloupe soient redistribuées de manière plus équitable, en particulier celles des grandes chaînes de distribution alimentaire, on nous demande de nous taire.
En Guadeloupe, le 29 janvier 2009
Au lendemain de l’assassinat du syndicaliste Jacques Bino, Nicolas Sarkozy proposait, «dès le calme revenu», la tenue d’«états généraux» dans chaque collectivité d’outre-mer, que pensez-vous de ce rendez-vous?
Il a du plomb dans l’aile. Puisque le vrai problème d’une réalité sociale qui obéit à des critères de race et de classe n’est pas résolu, nous devons continuer la lutte. Nous sommes dans une dynamique de changement et nous demandons simplement de ne plus être traités en serviteurs. C’est seulement en luttant que nous arriverons à la transformation sociale dans le respect et la dignité.
Y a-t-il une volonté de vous évincer de la scène syndicale en Guadeloupe avant cette échéance?
Soyons clair. Je n’ai aucune ambition politique, ou objectif à atteindre. Alors inutile de me barrer la route. C’est le peuple guadeloupéen qui décidera où il veut aller.
Laurence Parisot, à la tête du patronat français, a déclaré: «On sait que l'économie guadeloupéenne est KO. Comment voulez-vous que l'on s'engage?!» Que lui répondez-vous?
En Guadeloupe, le Medef ne représente même pas 4.000 personnes, comparé aux 46.000 salariés employés par les petites entreprises, et pourtant on n’entend que lui. Cela dit, je ne pense pas que Laurence Parisot ait une quelconque autorité sur le Medef guadeloupéen. Je crois que les békés prennent seuls les décisions. Certains d’entre eux, par leur position intransigeante, ont conduit de nombreuses entreprises à quitter l’organisation patronale. Ainsi, la fédération du BTP, la chaîne Leader Price, Christian Viviès, ancien président du Medef de Guadeloupe, ont signé l’accord salarial. Par leur politique, ils n’ont réussi qu’à faire imploser le Medef.
Par Maguy Day - Mediapart.fr
La nouvelle flambée de violence qui a touché la Guadeloupe dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 février a fait un mort, le premier en plus de quatre semaines de conflit, tandis que les affrontements de rue ont fait plusieurs blessés par armes à feu parmi les forces de l'ordre.
La victime, Jacques Bino, syndicaliste, membre du collectif contre l'exploitation (LKP), a été atteinte par une balle tirée «depuis un barrage tenu par des jeunes» dans une cité sensible de Pointe-à-Pitre, selon la cellule de crise de la préfecture de Guadeloupe. Trois policiers qui protégeaient les pompiers venus le secourir, trois heures plus tard, ont été légèrement blessés par des tirs provenant «vraisemblablement d'une arme de chasse». Mercredi, Pointe-à-Pitre et d'autres localités ont connu de nombreux pillages, tandis que des barrages, parfois enflammés, étaient érigés dans les rues désertées par les habitants. Le bilan de la préfecture fait état de 15 commerces pillés, 7 établissements incendiés, 21 véhicules brûlés, 13 interpellations et une soixantaine d'interventions de pompiers.
Le maire de Baie-Mahault, Ary Chalus, a pour sa part affirmé que trois gendarmes avaient été légèrement blessés dans sa ville par des jeunes armés de fusils à pompe, qui avaient tiré à balles réelles en direction des forces de l'ordre au cours de violentes échauffourées.
Mediapart publie page suivante la lettre ouverte d'Alex Lollia dans laquelle ce professeur de philosophie, membre de LKP, raconte son agression, lundi 16 février, par les gendarmes mobiles, qui ont, selon lui, tenu des propos racistes alors qu'il le tabassait. Le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, a lancé un appel au calme sur Europe 1, estimant que «la place des uns et des autres, est davantage autour de la table que sur les barricades».
Les négociations sont pourtant au point mort, le LKP accusant le gouvernement d'être revenu sur un engagement du secrétaire d'Etat à l'Outre-mer Yves Jégo de compenser une hausse des bas salaires par des baisses de charges. La ministre de l'intérieur Michèle Alliot-Marie doit tenir, mercredi après-midi, une réunion consacrée à la sécurité publique aux Antilles.
«On a vu ta sale gueule à la télé»
Le professeur de philosophie Alex Lollia, également membre du collectif guadeloupéen contre l’exploitation outrancière LKP (Liyannaj Kwont Pwofitasyon), témoigne des violences perpétrées, lundi 16 février, par les gendarmes mobiles, dans ce département d’Outre-mer où les manifestations prennent une ampleur inédite. Il témoigne, dans une lettre ouverte, de la dérive de forces de police qui n’étaient pas seulement venues lever les barrages mais aussi, selon ce qu'il dit avoir entendu, pour «casser du nègre».
Voici la lettre qu’Alex Lollia a diffusée depuis sa chambre d’hôpital de Pointe-à-Pitre :
«AU PEUPLE MOBILISE!
Chers Camarades, du Centre Hospitalier de Pointe-à-Pitre, je vous adresse ces paroles pour vous rassurer sur mon état de santé. Je suis obligé de rester à l’hôpital puisque je souffre de lésions cervicales et de complications cardiaques consécutives à la violence des coups qui m’ont été portés par les forces de police. Ma date de sortie n’a pas encore été indiquée mais même si mon corps est atteint, mon esprit reste parfaitement intact et je pense que cette épreuve a encore augmenté ma lucidité et ma détermination.
J’étais comme beaucoup d’autres camarades en lutte sur le terrain et notre démarche était pacifique: c’est celle qui a été définie par le LKP. Je suis un combattant aux mains nues! Or en face de nous, les forces de police n’ont pas hésité à nous agresser sauvagement.
Avec des camarades de l’UGTG et de la CTU, nous faisions tout pour calmer le jeu et encadrer les manifestants qui étaient pour la première fois venus nous apporter leur soutien. Nous avons vu tomber sur nous une véritable tornade de coups de matraque alors que nous avions déjà quitté les abords de la route nationale. Les mamblo (gendarmes) nous ont pourchassés dans les ruelles de Belle-Plaine et même dans la mangrove, ils n’ont pas abandonné leur traque.
C'est ainsi que j’ai compris qu’ils n’étaient pas seulement venus lever des barrages mais qu’ils étaient venus «casser du nègre» comme ils l’ont dit eux-mêmes. Ils m’ont encerclé et frappé. Je dois vous préciser ce qu’ils m’ont dit car je veux que vous compreniez à qui nous avons affaire. Lors que je recevais des coups de pieds dans le ventre et que je me traînais par terre, voilà ce qu’ils m’ont dit: «On a vu ta sale gueule à la télé, on va te la casser et tu ne pourras plus la montrer. On va vous casser sales nègres, chiens de nègres!»
J’ai vu qu’ils traînaient par les cheveux, une femme du quartier qui manifestait son indignation lorsqu’ils m’ont frappé. Ma seule arme a été de crier, d’hurler, ce qui a provoqué la colère des habitants du quartier. C’est comme cela que j’ai pu en réchapper. Je ne sais ce qui est advenu de cette dame et je lui envoie, de mon lit, mon salut militant. Je la remercie d’avoir eu le courage, elle qui m’a sauvé avec les voisins du quartier. On dit que les Guadeloupéens sont des lâches mais voilà un exemple d’engagement et de courage.
Je demande aux militants de resserrer les liens, de s’armer de courage, de renforcer la mobilisation. Il faut encore élargir nos rangs et approfondir notre combat. C’est toute la Guadeloupe qui est derrière nous. La victoire est à portée de mains. Nous avons écrit une belle page dans le combat pour l’émancipation: la liberté commence aujourd’hui!
(Ensemble nous luttons, ensemble nous gagnerons)
Alex LOLLIA.
Pointe-à-Pitre, le 17 février 2009»