Isabelle Rodrigue - La Presse - lundi 26 mars 2007 - Montréal
Revanche des régions ou simple expression du ras-le-bol envers les «vieux partis», les électeurs québécois auront réussi à passer à l'histoire, lundi, en faisant sortir de l'ombre l'Action démocratique du Québec (ADQ) et en élisant le premier gouvernement minoritaire depuis 1878.
Après une campagne marathon de 34 jours, qui a donné lieu à l'une des luttes les plus serrées de l'histoire politique récente du Québec, la soirée de lundi aura transformé complètement le paysage politique québécois.
Le gouvernement libéral de Jean Charest continuera à gouverner pour un 2nd mandat mais, statut de gouvernement minoritaire oblige, il sera tenu en laisse par les 2 partis d'opposition. L'ADQ formera l'Opposition officielle, reléguant le Parti québécois (PQ) à la 3ème place.
«Les Québécois ont rendu un jugement, il faut reconnaître que c'est un jugement sévère. Mon parti et moi-même devrons en tirer des conclusions», a souligné M. Charest, dans son discours à Sherbrooke où il a été réélu.
Par contre, «jamais je ne baisserai les bras», a ajouté le premier ministre, d'un ton combatif mais se disant prêt à travailler avec les 2 autres partis à l'Assemblée nationale.
L'engouement pressenti envers le parti de Mario Dumont se sera donc concrétisé, la formation ayant balayé comme prévu les régions de Québec et de Chaudière-Appalaches. Plus encore, l'ADQ aura fait des incursions importantes dans des secteurs où personne n'aurait prédit cette tournure il y a un mois, comme en Montérégie, en Mauricie, dans Lanaudière et dans les Basses-Laurentides.
L'ADQ termine au 2ème rang, derrière le Parti libéral (PLQ) qui n'a été en mesure que de conserver ses bastions traditionnels de Montréal, Laval, de l'Estrie et de l'Outaouais.
La formation de M. Dumont a remporté 41 circonscriptions, seulement 7 de moins que le Parti libéral qui termine cette course avec 48 députés élus. Le Parti québécois vient ensuite, avec 36 députés élus.
En pourcentages, le PLQ obtient 33,1% des appuis, suivi de l'ADQ avec 30,8% et du PQ avec 28,3%. Il s'agit du pire score des libéraux depuis la Confédération.
Les Québécois ont écrit une page d'histoire, a déclaré M. Dumont lors de son discours, à Rivière-du-Loup. «Ils ont fermé un chapitre et en ont ouvert un autre», a-t-il lâché, donnant déjà rendez-vous à ses sympathisants pour la «prochaine étape», faisant allusion à la prochaine élection.
M. Dumont a été le 1er chef a être déclaré élu, devançant largement son adversaire libéral, Jean D'Amour, l'ex-maire de Rivière-du-Loup.
Une vague adéquiste a déferlé sur la grande région de Québec, où seuls les péquistes Agnès Maltais (Taschereau) et Rosaire Bertrand (Charlevoix) ainsi que les libéraux Philippe Couillard et Sam Hamad ont pu sauver les meubles devant l'ADQ qui y aura amassé 7 sièges, dont celui de la vedette Gilles Taillon.
Les électeurs auront montré la porte au ministre des Transports, Michel Després, dans Jean-Lesage, et à Carole Théberge, ministre de la Famille, dans Lévis, faisant place à des députés adéquistes là aussi.
Mais la grande surprise vient de la Montérégie, où l'ADQ s'est imposée dans La Prairie, Shefford, Huntingdon, Saint-Hyacinthe, Iberville, et Marguerite d'Youville.
Dans Saint-Jean, un comté considéré baromètre, les électeurs ont accordé leur confiance à l'adéquiste.
Dans les Basses-Laurentides, le parti de M. Dumont remporte la mise dans Blainville (battant l'ex-ministre péquiste Richard Legendre), Groulx, Prévost et Deux-Montagnes.
Le PQ, qui connaît son plus bas score depuis l'élection de 1970, garde la main sur Lac-Saint-Jean, où les libéraux n'auront pas réussi à faire élire leur vedette, le médecin Yves Bolduc. Le parti conserve aussi les comtés montréalais de Hochelaga-Maisonneuve, Bourget, Mercier, Gouin et, à l'arraché, Vachon.
Les libéraux conservent sans grande surprise leurs châteaux forts montréalais ou lavallois, ne cédant que Crémazie à la péquiste Lisette Lapointe. Si plusieurs ministres libéraux ont dû se battre bec et ongles pour conserver leur comté, 2 auront été défaits par leur adversaire péquiste : le ministre des Ressources naturelles, Pierre Corbeil, a été battu dans Abitibi-Est, tout comme la ministre Françoise Gauthier, dans Jonquière.
L'ex-journaliste de Radio-Canada, Christine St-Pierre, aura réussi à se faire élire dans L'Acadie, tout comme son ex-collègue, Bernard Drainville, dans Marie-Victorin. Pierre Curzi, candidat dans Borduas, délaissera sa carrière de comédien pour celle de député péquiste.
Le chef du PQ, André Boisclair, a conservé son fief de Pointe-aux-Trembles. Il a été le 1er à prendre la parole devant ses partisans, réunis à Montréal.
Moins souriant qu'à l'habitude, un brin crispé, il a tenté d'amoindrir le choc pour le PQ en soulignant que seulement «quelques sièges nous séparent du pouvoir».
L'élection est décisive pour MM. Charest et Boisclair, qui pourraient être forcés de faire des choix cruciaux quant à leur avenir politique, au terme de cet exercice.
Signe que les tiers partis semblent réussir à s'imposer malgré des moyens moins grands, le Parti vert obtient 3,9% des voix, une croissance notable depuis 2003 alors que la formation avait terminé avec moins d'1% des voix.
Son chef, Scott McKay, aura terminé au 4ème rang dans la circonscription de Bourget, où il se présentait.
Québec solidaire aura perdu son pari de faire élire un de ses porte-parole. Françoise David et Amir Khadir ont mordu la poussière, non pas sans une lutte féroce : les 2 candidats ont terminé au 2ème rang dans leur comté respectif. Leur formation obtenait 3,9% des voix.
Le PQ subit sa pire raclée depuis 1970
Martin Ouellet - Montréal
Malgré la débâcle électorale, le chef péquiste André Boisclair a donné l'impression lundi soir de vouloir demeurer à la tête de son parti.
«Bientôt, nous nous reverrons», a lancé le chef du Parti québécois, manifestement ému, aux quelque 300 militants qui s'étaient donné rendez vous au Club Soda, à Montréal.
Celui qui a mené le parti à sa plus cuisante défaite depuis 1970 a assuré les Québécois que le PQ allait offrir, à l'Assemblée nationale, «une opposition solide» et «sans complaisance» à un gouvernement qui sera sous «haute surveillance».
M. Boisclair a fait son entrée au Club Soda à 23h00, affichant un sourire crispé qui masquait mal son malaise.
Avec moins de 30% des suffrages, le Parti québécois a subi lundi sa pire raclée électorale depuis 1970, où il avait obtenu 23% des voix.
«Les flammes ne sont pas éteintes, elles brillent moins que nous l'aurions souhaité, il faut le reconnaître», a-t-il illustré, peu avant d'être rejoint sur la scène par ses députées réélues Marie Malavoy, Louise Harel, Diane Lemieux et Rita Dionne-Marsolais.
«Une chose est sûre, les Québécois voulaient du changement, ils ont parlé et humblement il faut respecter leur décision», a dit M. Boisclair, félicitant au passage les électeurs de sa circonscription de Pointe-aux-Trembles, et ses adversaires Jean Charest et Mario Dumont.
«Ce qu'il faut réaliser, c'est que quelques sièges uniquement nous séparent du pouvoir, quelques voix», a-t-il laissé tomber.
Reste maintenant à savoir si le leadership de M. Boisclair, qui demeure fragile, résistera à la critique.
Dès le début de la soirée électorale, les militants péquistes réunis au Club Soda avaient déjà perdu tout espoir de former un gouvernement.
Même si de l'avis général André Boisclair a connu une bonne campagne électorale, son leadership demeure fragile et risque d'être à nouveau remis en question.
Le député sortant des Iles-de-la-Madeleine, Maxime Arseneau, a été le 1er candidat du la cuvée électorale 2007 à être déclaré élu un peu après 20h00, donnant aux péquistes l'occasion d'y voir un heureux présage pour le reste de la soirée. Mais ils ont rapidement déchanté.
En fin de campagne, M. Boisclair avait bien senti la force de l'Action démocratique (ADQ), allant jusqu'à tendre la main à Mario Dumont en faveur d'une nouvelle coalition souverainiste.
Durant la journée de lundi, les stratèges du PQ estimaient qu'au moins une 15ne de circonscriptions étaient encore susceptibles de basculer dans un camp ou dans l'autre. Mais ils n'avaient pas anticipé une telle poussée de l'ADQ.
Le PQ reprend le Saguenay-Lac-Saint-Jean
Louis-Gilles Francoeur - Le Devoir - Édition du mardi 27 mars 2007
Le Parti québécois se dirige vers son seul balayage avec cinq comtés sur cinq
La vague adéquiste s’est brisée sur la rive du Saguenay–Lac-Saint-Jean alors que le Parti québécois récupérait son fief historique dans cette région en remportant les cinq circonscriptions où il a déjà dominé la scène électorale. À n’en point douter, cette consolidation de sa majorité par deux nouveaux gains aux dépens des libéraux constituait hier soir le prix de consolation du Parti québécois dans cette élection qui l’a ramené au rôle de tiers parti, isolé désormais des forces progressistes qui constituaient son ferment.
Les deux victoires du PQ dans cette région ont été remportées aux dépens de la ministre libérale du Tourisme, Françoise Gauthier, et d’une vedette libérale régionale, le député Karl Blackburn, battu par un militant écologiste de longue date, qui s’est fait élire sous la bannière péquiste, Denis Trottier.
Mais la principale victoire du PQ au Saguenay–Lac-Saint-Jean est sans conteste celle de Jonquière, ravie aux libéraux aux dépens de Françoise Gauthier. Cette dernière avait remporté l’élection en 2003 avec 2440 voix de majorité, ce qui lui avait assuré 44,2 % des voix comparativement à 36,5 % pour le PQ. Cette fois, la ministre Gauthier a mordu la poussière devant Sylvain Gaudreault, qui l’a défaite par une majorité de 1514 voix. L’adéquiste Marc Jomphe n’a pas franchi la barre des 20 %. Mais les votes conjugués du Parti vert et de Québec solidaire totalisent 6 % du vote.
Le match dans Roberval a retenu beaucoup d’attention hier soir dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, car le nouveau candidat du Parti québécois, Denis Trottier, a défait le député sortant, le fils de l’ancien ministre libéral Gaston Blackburn, par une confortable majorité de 2385 voix. Karl Blackburn avait remporté la circonscription de Roberval en 2003 par une mince majorité de 244 voix.
L’autre surprise de cette soirée d’élection a été sans contredit l’avance croissante qu’a maintenue le député péquiste sortant, Stéphane Bédard, aux dépens du candidat libéral André Harvey dans la circonscription de Chicoutimi. Au début de la soirée, André Harvey avait une légère avance sur le fils de l’ancien ministre péquiste Marc-André Bédard. Mais elle a fondu rapidement. André Harvey, qui a fait cette année le saut en politique provinciale et dans le camp libéral, avait été élu sur la scène fédérale dans le camp conservateur de 1983 à 1993 puis de 1997 à 2004. Dans Chicoutimi, le candidat adéquiste Luc Picard terminait avec seulement 17,6 % des voix.
Dans Dubuc, le député sortant du PQ, Jacques Côté, a maintenu une avance relativement confortable tout au long de la soirée, qu’il a haussée à 1719 voix à la clôture des bureaux de vote. Mais cette victoire, il ne l’a pas remportée contre son vieil adversaire libéral de 2003, Johnny Simard, mais contre l’adéquiste Robert Émond, désormais en deuxième place dans Dubuc. C’est le seul adéquiste de la région d’ailleurs à se retrouver en deuxième position. Johnny Simard s’est donc retrouvé en troisième position cette année, beaucoup moins chanceux que la dernière fois alors qu’il avait réduit l’avance du député Côté à seulement 44 voix.
On assistait à une lutte traditionnelle entre le PQ et les libéraux dans la circonscription de Lac-Saint-Jean où le péquiste Alexandre Cloutier a décroché la plus importante majorité du fief régional, avec 5589 voix ou 46,45 % des votes exprimés. Son adversaire libéral, Yves Bolduc, qui vient au deuxième rang, n’a pu récolter plus de 28,8 % des voix. Cette circonscription était représentée depuis 2003 par le jeune député péquiste Stéphan Tremblay, qui avait alors pris une avance de 7795 voix sur son adversaire libéral de l’époque, Benoît Harvey.
Avant l’élection de 2003, le PQ détenait quatre des cinq comtés de la région. Il devait en perdre un autre en 2003. Mais l’élection d’hier l’a réinstallé en force dans le fief qu’il a dominé historiquement avec des majorités difficiles à imaginer aujourd’hui. Au référendum de 1995, les majorités en faveur du Oui oscillaient entre 65 % et 71 % dans les cinq comtés de la région.
Le Saguenay–Lac-Saint-Jean comptait cette année 213 043 électeurs, soit 1642 votants de moins qu’en 2003. Lors du vote par anticipation, 9,3 % des électeurs inscrits avaient exercé leur droit de vote. La région s’est signalée dans le débat politique des dernières semaines alors qu’un de ses animateurs radio lançait des propos discriminatoires, qui l’ont discrédité devant tout le Québec, à l’endroit du chef péquiste, André Boisclair.
Le scénario catastrophe du Parti québécois
Antoine Robitaille - Le Devoir - Édition du mardi 27 mars 2007
La victoire «morale» qu'André Boisclair espérait ces jours derniers, soit de se hisser à la tête d'un gouvernement minoritaire, ne s'est pas du tout réalisée, et c'est une catastrophe qui semblait se produire pour la formation politique, son chef et l'idée même de la souveraineté, au moment d'écrire ses lignes. Le Parti québécois au troisième rang, tant pour ce qui est du nombre de sièges qu'en ce qui concerne le pourcentage de votes: il s'agit d'une première depuis la création même du parti en 1968. Avec 28 % du vote, le score du PQ est pire qu'en 1973. «C'est gros, très gros. Mais on continue à espérer de passer en seconde place», disait la présidente du Parti québécois, Monique Richard, au moment de mettre sous presse, vers 22h10. «Ah mon Dieu, s'écrie-t-elle soudain, Lucie Papineau [députée de Prévost] a perdu!»
La foule de quelque 300 militants réunie au Club Soda se montrait tour à tour incrédule, déconcertée et révoltée, hier, par les ravages que faisait l'ADQ dans certains châteaux forts péquistes comme Masson. «J'ai le goût de vomir!», a lancé un militant au moment où le numéro deux de l'ADQ, Gilles Taillon, est apparu à l'écran. «Avais-tu vu venir ça, toi?», a lancé la directrice des communications du Parti québécois, Shirley Bishop, à Pierre-Luc Paquette. Mme Bishop, vers 21h30, disait espérer que, dans les luttes à trois, le Parti québécois puisse tirer son épingle du jeu. «Laissez-moi mes illusions», a-t-elle tout de suite ajouté. Vers 20h35, le directeur général du parti, Pierre-Luc Paquette, continuait même à dire que l'on se dirigeait vers un «gouvernement péquiste minoritaire».
Plus tard, il affirmait qu'au fond, les choses allaient être encore plus difficiles pour Jean Charest: «Une baisse de 13 % et un gouvernement minoritaire, des ministres battus à la pocheté. C'est pire que pour André [Boisclair]», a-t-il dit. L'ancien député péquiste de Joliette, Jonathan Valois, présent hier, soutenait qu'il aurait voulu accompagner ses collègues pour «partager cette défaite». Il se désolait que son collègue Alexandre Bourdeau, le dernier des «mousquetaires» -- ces trois jeunes députés qui avaient signé en 2004 un rapport mordant pour «réinventer» le Parti québécois --, ait mordu la poussière dans Berthier. «Il n'y a plus de mousquetaire [puisque Stéphan Tremblay ne s'est pas représenté dans Lac-Saint-Jean]. Mais je recommande au parti d'aller relire notre rapport. C'est très pertinent», a-t-il déclaré.
Les militants présents avaient toutefois droit à certains moments de joie et manifestaient bruyamment. Par exemple lorsque Philippe «citoyen» Leclerc est venu annoncer les cinq victoires du PQ dans le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la réélection d'André Boisclair dans Pointe-aux-Trembles et la défaite du chef libéral Jean Charest dans Sherbrooke aux mains du péquiste Claude Forgues. La salle avait commencé à s'animer à 20h15, au moment de l'annonce du premier député péquiste élu, Maxime Arsenault, dans le comté des Îles-de-la-Madeleine, mais les mauvaises nouvelles se sont par la suite accumulées. Les péquistes se consolèrent aussi en voyant qu'Agnès Maltais et Rosaire Bertrand avaient tous deux résisté à la vague adéquiste dans la région de Québec.
Ce matin
André Boisclair a voté hier matin vers 10h dans sa circonscription de Pointe-aux-Trembles, disant qu'il faisait confiance aux Québécois. Au moment d'écrire ces lignes, le chef péquiste prenait connaissance des résultats des élections en compagnie de ses conseillers dans une suite de l'hôtel Le Germain, rue Mansfield. Il était attendu vers 22h50 au Club Soda.
Dans les derniers jours, il répétait être confiant d'obtenir un «gouvernement majoritaire». Il s'était lancé dans un blitz qui l'avait conduit à faire quelque sept discours par jour dans autant de comtés.