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Son père, commerçant en bois, "montagnard peu érudit", et sa mère, enseignante de mathématiques, "cérébrale et cultivée", étaient de stricts observants. Raison pour laquelle ils se sont installés à Aix-les-Bains, ville de Savoie qui constituait dans les années 1950 un centre juif orthodoxe réputé. "Mon frère et moi étions scolarisés dans l'enseignement public. Le samedi, nous allions à l'école, mais nous restions les bras croisés", se souvient-il, joignant le geste à la parole. "Pour nous conformer aux règles du shabbat, nous n'avions le droit ni d'écrire ni de porter quoi que ce soit", explique-t-il dans un sourire. Seuls les jours de Kippour (jour du Pardon) et de Rosh Hashana (Nouvel An) étaient chômés pour les petits Bernheim.
Le futur rabbin naît donc à Aix-les-Bains, où il vit jusqu'à l'âge de 14 ans, année de la mort de son père et de la première cassure dans une vie qui en connaîtra d'autres, aussi douloureuses. "On dit souvent que je suis froid et distant, mais j'ai traversé des choses dures", explique sobrement le grand rabbin. "Ces épreuves m'ont jeté dans les études et donné une capacité d'écoute aux difficultés des autres. Je vois comme une parole thérapeutique dans le commentaire talmudique que je livre lors de mes enseignements", théorise le religieux marié à une psychanalyste, tout aussi pratiquante que lui, mère de ses quatre enfants.
Le ton cassant qu'il adopte parfois, tout en dévisageant son interlocuteur d'un regard bleu pâle et appuyé, a aussi contribué à forger auprès de ses détracteurs une réputation d'arrogance qu'il semble ne pas comprendre. La précision qu'il demande en toute chose, son souci de comprendre et d'être compris, sa manière de chercher dans un silence le mot juste, puis d'énoncer une idée d'une traite dans une diction impeccable n'incitent pas à l'approximation.
"Il intellectualise tout à l'excès", jugeait son concurrent Joseph Sitruk quelques jours avant l'élection au grand rabbinat. "Il ne nous trouve pas assez cultivés à son goût", regimbe un rabbin, qui préfère garder l'anonymat. "Je travaille avec les gens en fonction de leurs vertus et de leurs compétences", précise, lapidaire, le grand rabbin. Le cardinal Philippe Barbarin y voit, lui, une qualité : "Il ne fait jamais dans la démagogie." L'archevêque de Lyon, avec qui il a cosigné un ouvrage Le Rabbin et le Cardinal (Stock, 2007), souligne "les qualités intellectuelles de cette belle figure d'humanité, attentif à la vie sociale, homme de Dieu, de prières et d'études".
Le respect des rites et de la loi juive est central dans la vie de Gilles Bernheim. Aussi les attaques sur son supposé "libéralisme" en matière religieuse l'agacent-elles au plus haut point. "Dans le judaïsme, un libéral est quelqu'un qui suit moins qu'un orthodoxe les commandements juifs : ce n'est pas mon cas", insiste le rabbin. Durant la campagne qui l'a opposé au grand rabbin Joseph Sitruk, il a dû sortir de sa réserve naturelle, "prouver" son orthodoxie, celle de sa femme, "qui porte une perruque du matin au soir", de ses enfants, "qui ont tous suivi une année d'études de la Torah avant de commencer leurs études" et dont deux vivent en Israël. Il a dû redire que les conversions "généreuses" du courant libéral, qui se montre moins regardant sur la filiation des convertis, butaient de toute façon "sur la loi religieuse". "Est juif celui qui a une mère juive", défend-il en toute orthodoxie, au risque de décevoir les familles mixtes, de plus en plus nombreuses, dont certains membres restent exclus du judaïsme. Joseph Sitruk lui-même a reconnu que "le débat n'(était) pas là". "Pour certains juifs, est libéral celui qui est cultivé, celui qui ne pense pas à Dieu toute la journée et qui a d'autres curiosités", regrette Bernheim l'érudit, qui ne partage évidemment pas cette conception.
Une frange de la communauté lui a aussi reproché de trop en faire dans le dialogue avec les chrétiens. Sur ce sujet-là aussi, le rabbin posé est capable de sortir de ses gonds. "Pour moi, le dialogue judéo-chrétien est une discussion pied à pied sur la résurrection, la christologie. Mais le fait est que beaucoup de rabbins pensent encore que Jésus est un hérétique qui méritait la mort", déplore celui qui persiste à dire que, "sur les trente-trois premières années de Jésus, il n'y a rien d'irréparable entre juifs et chrétiens ; ce sont ses deux derniers jours et après qui nous éloignent pour toujours". En dépit des critiques, celui qui est aussi le vice-président de l'Amitié judéo-chrétienne de France assure qu'il continuera sur cette voie, convaincu qu'"un axe intelligent de dialogue entre juifs et chrétiens" doit servir d'exemple à l'islam, dont "le pire ennemi est l'islamisme".
Mais c'est bien une voix juive qu'il souhaite faire entendre, dans la communauté comme à l'extérieur. En philosophe et en talmudiste rompu à l'argumentation, le nouveau grand rabbin ne devrait pas se priver d'intervenir dans les débats de société. "Ce n'est pas parce que les rabbins sont contre l'euthanasie ou le pacs que nous devons considérer leurs partisans comme des ennemis mortels. Au contraire, c'est à ceux-là qu'il faut que je donne à penser", explique le religieux. La pensée, moteur infatigable du grand rabbin-philosophe.
Parcours
1952
Naissance à Aix-les-Bains (Savoie).
1978
Début d'exercice rabbinique auprès des étudiants à Paris.
1997
Nommé rabbin de la synagogue de la Victoire à Paris.
2002
Publie "Le Souci des autres. Au fondement de la loi juive", chez Calmann-Lévy.
2008
Elu le 22 juin grand rabbin de France.