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Charlie Hebdo et Siné : l'exacte vérité sur le précédent de 1982
Par Edwy Plenel - 7 août 2008 - Mediapart.fr
En 1982, dans la nuit du 16 au 17 août, Siné est l'invité de ce que l'on appelait à l'époque une radio libre, en l'espèce Carbone 14. L'animateur, lui-même humoriste provocateur, fera ensuite carrière, de Radio Nova à Europe 1, en passant par Canal Plus, sous le pseudonyme de Jean-Yves Lafesse. Il n'y a, sur cette antenne, ni format contraignant, ni pression publicitaire, mais, en revanche, des libations forcenées, au whisky semble-t-il, ainsi que des audaces détestables. Le résultat est une virée radiophonique nocturne qui tourne au désastre et au massacre.
Dans le contexte dramatique de l'été 1982, où Paris est ensanglanté par des attentats d'origine proche-orientale dont les cibles disent l'antisémitisme de leurs auteurs - c'est notamment le cas contre le restaurant Goldenberg, rue des Rosiers -, tandis qu'Israël a lancé au Liban l'opération dite «Paix en Galilée» qui conduira son armée jusqu'aux portes de Beyrouth, Siné ne se contente pas déraper. Au prétexte de défendre la cause palestinienne, il se lance dans une tirade délirante où il soutient les attentats terroristes, souhaite la destruction d'Israël et se revendique antisémite. Extraits, et ce ne sont même pas les pires : «Tant que je serai vivant, Israël n'existera plus. Je suis prêt à faire des Brigades internationales contre Israël. [...] Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s'il est pro-palestinien. Qu'ils meurent. [...] Je suis devenu antisémite depuis qu'Israël bombarde. Je suis antisémite et je n'ai plus peur de l'avouer, je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs.»
Proférés sur des ondes alors marginales, ces propos seraient passés inaperçus sans la vigilance de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) dont Me Bernard Jouanneau était à l'époque l'un des avocats et l'un des animateurs de sa commission juridique. La plainte de la Licra avec constitution de partie civile mit en mouvement l'action publique, entraînant l'ouverture d'une instruction judiciaire confiée au magistrat Claude Grellier. Le directeur de Carbone 14, l'animateur Lafesse et, bien sûr, Siné furent tous trois inculpés - on dit aujourd'hui mis en examen - des chefs de «provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence raciale et complicité». Le 30 janvier 1984, le juge Grellier rendait une ordonnance de non-lieu partiel pour le responsable de la radio ainsi que pour son animateur, et décidait de renvoyer le seul Siné devant le tribunal correctionnel.
Trois pages d'excuses et une réponse de la Licra
C'est alors que cette histoire connut un dénouement inattendu qui est indissociable de ce qui précède. Sauf à être inéquitable, on ne peut se contenter de rappeler les propos inadmissibles de Siné, vieux de 26 ans, sans prendre soin de rappeler aussi ce qui suit. Le 22 septembre 1984, Siné écrivait une lettre à la Licra. Vous pourrez la découvrir intégralement dans sa version originale aux pages suivantes – 3, 4 et 5 – de cet article. Vous pouvez également la télécharger en format PDF en cliquant sur ce lien: la lettre de Siné à la Licra.
Sur la recommandation de sa commission juridique, la Licra décidera ensuite de retirer sa plainte et sa constitution de partie civile. Mais ce geste n'interrompait pas l'action publique, d'autant moins qu'une toute jeune association, née en 1983, prit le relais : Avocats sans frontières, créée par Me William Goldnadel. Contrairement à ce que semble indiquer son intitulé général, cette association se donne surtout pour but de traquer l'antisémitisme parmi les soutiens français de la cause palestinienne, dans un combat politique dont ses animateurs ne cachent pas l'engagement très à droite de la droite. On la retrouvera, de nos jours, contre le sociologue Edgar Morin, qu'elle traina devant la justice pour antisémitisme, heureusement en vain, tandis qu'à l'inverse, Me Goldnadel assurera la défense de la journaliste italienne Oriana Fallaci dont les écrits, à tout le moins, ne témoignaient pas d'une grande humanité envers les musulmans, tout comme il soutiendra le nationalisme serbe face aux musulmans bosniaques.
Siné sera donc logiquement condamné, ses excuses publiques n'effaçant évidemment pas son délit radiophonique. Mais ses excuses font aussi partie de cet épisode, tout comme leur acceptation par la Licra. Près de 25 ans plus tard, les nuances de cet épisode des années 1980 et les précautions de ses protagonistes semblent d'un autre âge, tant nous avons basculé dans une autre époque depuis les attentats du 11 septembre 2001, une époque autrement guerrière, autrement passionnelle, autrement intolérante.
Tournez les pages suivantes pour lire la lettre d'excuses de Siné.
«Mes essais de provocation étaient ratés et odieux»
«Je possède le sens de la démesure, je gagne ma vie avec»
«Ces propos sont en flagrante contradiction avec tout ce que je pense»
le-precedent-de-1982
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/edwy-plenel
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/180708/l-affaire-charlie-hebdo-ou-la-caricature-de-l-epoque
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/030808/charlie-hebdo-la-verite-des-faits-contre-la-folie-
des-opinions
[4] http://www.mediapart.fr/files/SinePDF.pdf
[5] http://www.mediapart.fr/files/JouanneauPDF.pdf