par Michèle Cotta et Hervé Bourges
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Qu'à l'occasion de toutes les nominations, le CSA, ou la Haute Autorité qui l'a précédé, n'aient pas délibérément choisi de défier le pouvoir, c'est certain. Qui l'aurait fait, à moins d'être, le mot est à la mode, irresponsable ? Mais il est faux et injurieux de dire, à grands coups d'allusions malveillantes ou de propos méprisants que, depuis 1982, les différents membres des instances de régulation et leurs présidents n'ont été que des marionnettes dont le pouvoir tire les ficelles.
Si tel avait été le cas, beaucoup de ceux qui ont fait la richesse du service public, professionnels ou autres personnalités qualifiées, n'auraient pas été désignés, ni maintenus en fonction. A l'inverse, combien d'amis de tous les pouvoirs en place, de 1982 à aujourd'hui, auraient indûment, et peut-être brièvement, occupé les places promises par les maîtres de l'exécutif.
Oui, sans doute, la politique, ou plus exactement, les hommes politiques, leurs incessantes pressions, leur permanente indignation à voir leurs projets, leurs décisions, en un mot ce qu'ils croient être leur oeuvre, passés au crible des rédactions de France Télévisions ont parfois lourdement pesé sur les désignations. C'est parce qu'ils étaient pragmatiques que les organes de régulation ont souvent pris le pouls de l'exécutif avant de procéder au choix qui leur revenait. Et ce choix ne correspondait pas toujours à celui de l'actionnaire...
Mais comment ne pas voir qu'ils ont, en plus de 20 ans d'existence, progressivement pris leurs distances avec ceux qui les abreuvaient de leurs conseils et de leurs consignes ? Parce que les hommes politiques eux-mêmes ont tout fait pour limiter les prérogatives et les champs d'action des instances de régulation, faut-il pour autant les supprimer ? Parce qu'un système n'a pas été toujours parfait, faut-il, par un bond en arrière de plusieurs années, revenir à un système de nominations qui, lui, de RTF en ORTF, est aujourd'hui unanimement dénoncé ?
Un peu d'histoire : la nomination en conseil des ministres n'est pas une invention d'aujourd'hui. Elle a été pratiquée en France de 1945 à 1982, avec un permanent insuccès, faisant de la télévision française, partout dans le monde, ces années-là, un objet de stupeur, ou du moins d'interrogation. Fonctionnaires ignorant tout de la télévision ; professionnel compétent, nommé par le premier ministre en dépit de la volonté du président de la République (Pierre Desgraupes en 1969) ; président entré en conflit immédiat avec le ministre de l'Information (Arthur Conte en 1972) ; enfin, conseiller d'Etat, désigné par le président de la République pour mettre fin à la permanente insubordination, aux incessants désordres de la télévision d'Etat (Marceau Long, en 1974) : l'histoire de l'audiovisuel en France ne manque pas d'exemples, que la mémoire défaillante de l'actuel exécutif ne peut parvenir à faire oublier.
Si ce mode de nomination a été refusé partout en Europe, peut-être y a-t-il une raison ? Peut-être, au demeurant, y a-t-il, dans la panoplie des différents systèmes de nos voisins, quelques exemples dont il serait opportun de s'inspirer ? De la nomination des intendants allemands - les présidents des différentes télévisions décentralisées - par des commissions indépendantes, avec des représentants de toutes les composantes de la société, politique et civile. De celle du directeur général de la BBC, nommé par le BBC Trust, dont les membres sont désignés sous le contrôle d'une autorité indépendante.
Mais quelle bizarre procédure a-t-on inventée là, avec un choix du prince qui doit ensuite recevoir l'avis conforme du CSA, avant d'être soumis à un vote, à la majorité des 3/5èmes des commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat... Quel inconscient osera être candidat pour passer dans ce triple laminoir ? Au-delà même de la régression démocratique que constitue cette double reprise en main politique d'une nomination qui avait été confiée à une autorité indépendante de l'Etat, le CSA, comment ne pas voir le caractère ubuesque de ce recrutement ? Comme la même procédure est requise pour sa révocation, le président désigné sera de fait inamovible pour la durée de son mandat. Est-ce bien ce que l'on voulait initialement ? Pas le moins du monde !
On aurait pu imaginer de perfectionner le mode de nomination existant et de conforter l'indépendance des choix de l'instance de régulation, si on pensait devoir la contester. Le président de France Télévisions aurait aussi pu être nommé par un conseil d'administration, composé de personnes qualifiées indépendantes et responsables, au terme d'une procédure de recrutement professionnelle, ainsi que procèdent les instances de nomination allemande et anglaise. Mais réunir à la fois une régression démocratique et une usine à gaz en termes de désignation, c'était une gageure. Elle est tenue.
Est-il trop tard pour que, après le vote du Sénat, France Télévisions et Radio France puissent échapper à cet avenir incertain, qui mettrait le service public dans la main des pouvoirs politiques, pour ses dirigeants, ses ressources, son budget, sa ligne éditoriale même ? Veut-on un tel retour à la télévision d'Etat ? Une télévision qui ne serait pas celle de tous les Français, puisqu'elle appartiendrait à quelques-uns, une télévision qui ne fédère pas, mais divise ?
Nous avons l'un et l'autre exercé les fonctions que le président de la République refuse au futur CSA, en essayant de nous placer au-dessus des clivages partisans. Que son président actuel se félicite, presque avec soulagement, du nouveau mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public, c'est son droit et sa responsabilité. Pourtant, le système, aussi inachevé fût-il, demeurait perfectible, préférable, en tout cas, à une incroyable régression.
Hervé Bourges est ancien président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (1995-2001).