Par Maguy Day - Mediapart.fr
La nouvelle flambée de violence qui a touché la Guadeloupe dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 février a fait un mort, le premier en plus de quatre semaines de conflit, tandis que les affrontements de rue ont fait plusieurs blessés par armes à feu parmi les forces de l'ordre.
La victime, Jacques Bino, syndicaliste, membre du collectif contre l'exploitation (LKP), a été atteinte par une balle tirée «depuis un barrage tenu par des jeunes» dans une cité sensible de Pointe-à-Pitre, selon la cellule de crise de la préfecture de Guadeloupe. Trois policiers qui protégeaient les pompiers venus le secourir, trois heures plus tard, ont été légèrement blessés par des tirs provenant «vraisemblablement d'une arme de chasse». Mercredi, Pointe-à-Pitre et d'autres localités ont connu de nombreux pillages, tandis que des barrages, parfois enflammés, étaient érigés dans les rues désertées par les habitants. Le bilan de la préfecture fait état de 15 commerces pillés, 7 établissements incendiés, 21 véhicules brûlés, 13 interpellations et une soixantaine d'interventions de pompiers.
Le maire de Baie-Mahault, Ary Chalus, a pour sa part affirmé que trois gendarmes avaient été légèrement blessés dans sa ville par des jeunes armés de fusils à pompe, qui avaient tiré à balles réelles en direction des forces de l'ordre au cours de violentes échauffourées.
Mediapart publie page suivante la lettre ouverte d'Alex Lollia dans laquelle ce professeur de philosophie, membre de LKP, raconte son agression, lundi 16 février, par les gendarmes mobiles, qui ont, selon lui, tenu des propos racistes alors qu'il le tabassait. Le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, a lancé un appel au calme sur Europe 1, estimant que «la place des uns et des autres, est davantage autour de la table que sur les barricades».
Les négociations sont pourtant au point mort, le LKP accusant le gouvernement d'être revenu sur un engagement du secrétaire d'Etat à l'Outre-mer Yves Jégo de compenser une hausse des bas salaires par des baisses de charges. La ministre de l'intérieur Michèle Alliot-Marie doit tenir, mercredi après-midi, une réunion consacrée à la sécurité publique aux Antilles.
«On a vu ta sale gueule à la télé»
Le professeur de philosophie Alex Lollia, également membre du collectif guadeloupéen contre l’exploitation outrancière LKP (Liyannaj Kwont Pwofitasyon), témoigne des violences perpétrées, lundi 16 février, par les gendarmes mobiles, dans ce département d’Outre-mer où les manifestations prennent une ampleur inédite. Il témoigne, dans une lettre ouverte, de la dérive de forces de police qui n’étaient pas seulement venues lever les barrages mais aussi, selon ce qu'il dit avoir entendu, pour «casser du nègre».
Voici la lettre qu’Alex Lollia a diffusée depuis sa chambre d’hôpital de Pointe-à-Pitre :
«AU PEUPLE MOBILISE!
Chers Camarades, du Centre Hospitalier de Pointe-à-Pitre, je vous adresse ces paroles pour vous rassurer sur mon état de santé. Je suis obligé de rester à l’hôpital puisque je souffre de lésions cervicales et de complications cardiaques consécutives à la violence des coups qui m’ont été portés par les forces de police. Ma date de sortie n’a pas encore été indiquée mais même si mon corps est atteint, mon esprit reste parfaitement intact et je pense que cette épreuve a encore augmenté ma lucidité et ma détermination.
J’étais comme beaucoup d’autres camarades en lutte sur le terrain et notre démarche était pacifique: c’est celle qui a été définie par le LKP. Je suis un combattant aux mains nues! Or en face de nous, les forces de police n’ont pas hésité à nous agresser sauvagement.
Avec des camarades de l’UGTG et de la CTU, nous faisions tout pour calmer le jeu et encadrer les manifestants qui étaient pour la première fois venus nous apporter leur soutien. Nous avons vu tomber sur nous une véritable tornade de coups de matraque alors que nous avions déjà quitté les abords de la route nationale. Les mamblo (gendarmes) nous ont pourchassés dans les ruelles de Belle-Plaine et même dans la mangrove, ils n’ont pas abandonné leur traque.
C'est ainsi que j’ai compris qu’ils n’étaient pas seulement venus lever des barrages mais qu’ils étaient venus «casser du nègre» comme ils l’ont dit eux-mêmes. Ils m’ont encerclé et frappé. Je dois vous préciser ce qu’ils m’ont dit car je veux que vous compreniez à qui nous avons affaire. Lors que je recevais des coups de pieds dans le ventre et que je me traînais par terre, voilà ce qu’ils m’ont dit: «On a vu ta sale gueule à la télé, on va te la casser et tu ne pourras plus la montrer. On va vous casser sales nègres, chiens de nègres!»
J’ai vu qu’ils traînaient par les cheveux, une femme du quartier qui manifestait son indignation lorsqu’ils m’ont frappé. Ma seule arme a été de crier, d’hurler, ce qui a provoqué la colère des habitants du quartier. C’est comme cela que j’ai pu en réchapper. Je ne sais ce qui est advenu de cette dame et je lui envoie, de mon lit, mon salut militant. Je la remercie d’avoir eu le courage, elle qui m’a sauvé avec les voisins du quartier. On dit que les Guadeloupéens sont des lâches mais voilà un exemple d’engagement et de courage.
Je demande aux militants de resserrer les liens, de s’armer de courage, de renforcer la mobilisation. Il faut encore élargir nos rangs et approfondir notre combat. C’est toute la Guadeloupe qui est derrière nous. La victoire est à portée de mains. Nous avons écrit une belle page dans le combat pour l’émancipation: la liberté commence aujourd’hui!
(Ensemble nous luttons, ensemble nous gagnerons)
Alex LOLLIA.
Pointe-à-Pitre, le 17 février 2009»
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/maguy-day
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/160209/trois-politologues-antillais-decryptent-l-ampleur-d-un-mouvement-inedit
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/160209/neuf-intellectuels-antillais-lancent-un-manifeste-de-la-revolte
[4] http://www.mediapart.fr/journal/france/160209/revolte-aux-antilles-le-ps-hesite-et-se-divise
[5] http://www.mediapart.fr/journal/france/170209/olivier-besancenot-part-aux-antilles-et-pas-que-pour-voir
[6] http://chien-creole.blogspot.com/2009/01/entrevue.html