Par Stéphane Alliès - jeudi 28 mai 2009 - Mediapart.fr
Une porcelaine (d'une entreprise viennoise en difficulté) contre une statue africaine (de «femme debout»). Par cet échange de cadeaux, Martine Aubry et Ségolène Royal ont symboliquement entériné une réconciliation que les militants socialistes attendaient depuis la fracture du congrès de Reims, en novembre dernier. Face à elles, plus de 2.500 personnes ont applaudi à tout rompre, dans une salle bondée de Rezé, dans la banlieue nantaise.
On pourra toujours dire que le rabibochage n'est que de façade, mais force est de reconnaître que la mise en scène de l'unité retrouvée n'a pas connu le moindre accroc. Mieux, on a pu déceler chez les deux femmes fortes du PS une certaine aisance dans le compliment. Après une entrée côte à côte sous les vivats et devant une impressionnante cohorte de photographes et caméras, Royal et Aubry ont échangé une série d'amabilités qui ont ravi l'assistance.
La présidente de Poitou-Charentes a ouvert le bal, par un «chère Martine, notre première secrétaire» ovationné, avant de louer la «vaillance en campagne» de la maire de Lille. Ne renonçant pas pour autant à son «style participatif», Ségolène Royal a fait rosir de plaisir la halle de la Trocardière de Rezé, en s'exclamant: «N'est-ce pas que ça fait du bien d'être ensemble?» Puis de pronostiquer: «Divisés, nous ne pouvons pas gagner. Mais ensemble, nous allons gagner!»
De son côté, Martine Aubry n'a pas été en reste, assurant son «bonheur d'être à ses côtés»: «Je connais son combat pour la rénovation, et elle a raison quand même, car ce parti a bien besoin de bouger (…) On aime nous opposer, et c'est vrai que nous sommes différentes. Mais nous avons l'essentiel en commun: nous sommes indéfectiblement socialistes.»«le parti tout entier a été fier quand Ségolène a prononcé son discours à Dakar».
Avant elles, Bernadette Vergnaud, la tête de liste de la région Ouest, avait chauffé la salle, avec un discours aussi concret qu'intéressant sur son expérience d'eurodéputée sortante. Critiquant François Bayrou et «son livre sans un mot sur l'Europe», Michel Barnier «déjà en orbite pour la commission», Philippe de Villiers «le plus absentéiste du Parlement», ainsi que son adversaire de l'UMP Eric Béchu, «qui promet de siéger à plein temps à Strasbourg, mais aussi à la présidence de son conseil général», elle a lancé: «Mais quel mépris ont-ils tous pour la chambre des peuples!»
Elle s'en est enfin pris à Nicolas Sarkozy et son bilan de la présidence de l'Union («Aucun plan de relance européen, et le plus riquiqui, minable et radin des plans nationaux») ou son action au G20 («Il nous dit: "je suis fort, je suis puissant, je suis grand, et je vais interdire les paradis fiscaux". Et finalement, sa puissance s'est arrêtée aux portes du Duché du Luxembourg»).
«Si la Turquie fait ses preuves, pourquoi ne l'accepterions-nous pas?»
Sur l'Europe, Royal et Aubry ont martelé leurs leitmotivs respectifs. L'ancienne candidate socialiste à la présidentielle a recyclé son discours d'Athènes, évoquant «les Etats-Unis d'Europe» de Victor Hugo ou le «social-humanisme du XXIe siècle» axé sur l'écologie. Elle y a ajouté un «appel vibrant à la mobilisation», réitéré tout au long de son intervention, et a vivement critiqué «la droite décomplexée qui séduit en flattant ce qu’il y a de plus négatif dans la nature humaine: l'individualisme, le populisme, l'imposture, la brutalité, l'avidité, la démagogie».
Quant à la première secrétaire du PS, elle a de nouveau mis en avant «la directive de sacralisation des services publics qui est prête» et qu'elle a obtenue du Parti socialiste européen (PSE), avant le meeting de Toulouse en avril dernier. Elle a aussi tenu à répondre aux discours de Sarkozy sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, pointant son «hypocrisie», prenant au passage une position enfin claire pour le PS sur le sujet: «Et après tout, si la Turquie fait ses preuves, pourquoi ne l'accepterions-nous pas?» Auparavant, elle avait déjà épinglé d'un ton goguenard le porte-parole de l'UMP Frédéric Lefebvre: «Il fait peur, quand même, ce gars-là. On aimerait pas le croiser dans un couloir la nuit…»
En reparlant de «Ségolène», tout en saluant l'ancienne premier ministre Edith Cresson assise au premier rang («C'est pas facile d'être une femme en politique, n'est-ce pas Edith?»), Martine Aubry a déclaré: «Nous les femmes, nous avons intérêt à nous serrez les coudes, car nos combats ne sont jamais terminés.» Mais elle a aussi tenu à ne pas dévoiler tous leurs «jardins secrets», s'amusant du «feuilleton» qui serait alors «empêché de continuer».
On ne saura donc pas tout de suite ce qu'elles se sont dit dans leur loge commune («En fait, il n'y en avait qu'une», précise-t-on dans l'entourage d'Aubry), une demi-heure avant d'entrer en scène. Sans doute que la future fonction de Royal à l'intérieur du PS y a été évoquée, avant une annonce officielle après le scrutin européen.
Pour l'heure, Aubry a confié avoir déjà «directement parlé avec Ségolène d'un poste à l'Internationale socialiste», tout en précisant qu'il n'y avait «jamais eu de condition préalable pour le meeting de sa part». Problème, ce poste dans le présidium, normalement réservé au chef de parti, a déjà été négocié avec François Hollande, qui l'a conservé à la fin de son mandat de premier secrétaire. Mais, dans la lignée de la soirée nantaise, une convalescence concrétisée du parti pourrait faciliter les choses autour d'un autre poste. Reste à ne pas dévisser électoralement, alors qu'un nouveau sondage TNS-Sofres situe pour la première fois le PS en dessous des 20%, le créditant de 19% des voix (détail des résultats ici).
«La démission d'Aubry n'aurait aucun sens»
Sur une éventuelle déroute le 7 juin, «aubrystes» comme «royalistes» sont bien moins diserts que lorsqu'il s'agit de vanter l'unité du parti. Avec une règle d'or, répétée à l'envi, notamment par le sénateur David Assouline, proche de Ségolène Royal entré dans la direction: «Quand plus de la moitié des interrogés ne sait pas si elle ira voter, il faut faire super gaffe et il y a tellement de marge que cela ne signifie pas grand-chose.» Lui veut croire mordicus que le meeting de Rezé peut être le tournant de la campagne. «Tout ce qu'on a tenté jusqu'ici pour imposer des thèmes n'a pas réussi à faire monter la mayonnaise. Mais il suffit parfois d'un coup de cuiller pour que ça prenne.»
Le député François Lamy, proche de Martine Aubry, se veut stoïque: «Arrêtons l'intox des sondages, qui sont en plus perturbés par le très grand nombre de listes en présence depuis l'entrée en campagne officielle. Je comprends bien la symbolique que la presse, et donc l'opinion, pourra attacher au fait que l'on termine au-dessus ou en dessous des 20%, mais avant de hurler à la déroute, il faudra aussi regarder l'écart avec l'UMP, ainsi que le total de la gauche.»
Même à «16-17-18», l'actuelle direction semble ne pas trop se faire de bile, et ne pas craindre un éventuel renversement de majorité, imaginé par certains proches de François Hollande sur le modèle de la mise sous tutelle du parti en 1994, après les 14% de Michel Rocard. Le strausskahnien Jean-Christophe Cambadélis, devenu lieutenant d'Aubry au PS, joue la sérénité: «La démission d'Aubry n'aurait aucun sens, ce serait ajouter de la crise à la crise. Et puis il n'y a tout simplement pas de majorité alternative.»
François Lamy ajoute, lapidaire: «Tout le monde est à la direction, tout le monde était sur les listes et tout le monde était en campagne.» David Assouline confirme: «Ce n'est pas Martine Aubry qui serait à terre, ce serait tout le parti qui serait à terre. Nous ne participerions sûrement pas à un quelconque putsch. Les militants en ont marre des couteaux qui ressortent tous les quatre matins.» Mais il prévient: «Il y a deux issues possibles: soit un réflexe de bunkerisation, soit une plus large ouverture encore, notamment au niveau du premier cercle de décision.»
Autre réalité qui devrait permettre de sauver la tête de Martine Aubry en cas de mauvais score, l'imminence des élections régionales, qui devrait contraindre tous les courants à l'apaisement. La première secrétaire en a conscience et entend garder la main, ainsi qu'elle l'a évoqué lors d'une discussion avec la presse dans le TGV l'emmenant de Paris à Nantes.
«À l'étranger, la droite a au moins le courage de défendre son projet européen…»
Depuis son élection à la tête du PS, Martine Aubry a été plutôt avare de ces fameux «briefings avec les médias» qui oscillent bizarrement entre le "on" et le "off", la fausse confidence et la libre discussion. Avec franchise, elle a accepté de se livrer à l'exercice sans goût pour le secret («Le "off" ne sert à rien, vu le nombre de journalistes présents [une bonne quinzaine], tout sera de toute façon écrit»).
Avec un style «à la Raymond Domenech», mi-cassante mi-blagueuse, la première secrétaire socialiste a fait le point sur sa première campagne de chef de parti. «Ce serait formidable d'avoir de vrais débats sur l'Europe, soupire-t-elle, en expliquant être demandeuse d'un débat avec Xavier Bertrand. Mais que voulez-vous: Bayrou ne parle que de lui et Sarkozy a axé son discours sur la sécurité nationale et la Turquie, avant de nous refaire le coup de l'immigration dans quelques jours! À l'étranger, la droite a au moins le courage de défendre son projet européen…»
Selon elle, «s'il y a un échec qui est annoncé, c'est celui de Sarkozy. Autour de 25%, quand en 2004, l'UMP et l'UDF en faisait plus de 40… En ce qui nous concerne, je tiens à rappeler qu'en 1999, alors que Lionel Jospin était au plus haut dans l'opinion et que tout allait bien au gouvernement, on n'avait fait que 22%».
Si elle reconnaît des difficultés, elle assume totalement le bilan de ses six premiers mois à la tête du parti: «Au sortir du congrès de Reims, qui a donné, c'est le moins qu'on puisse dire, une mauvais image du PS, on a trouvé un parti qui n'avait plus travaillé depuis bien longtemps, et j'en prends ma part de responsabilité. Mais on s'est remis au boulot.»
Elle détaille: «On a réinvesti le PSE qu'on avait déserté avec suffisance. On a planché sur le contre-plan de relance économique. On parle à nouveau d'une seule voix au Parlement. Et je continue de penser qu'on a raison de se mobiliser sur la question des libertés, même si vous avez parlé de bide, vu la société autoritaire que l'on voit émerger chaque jour un peu plus.» Et de certifier: «Si on n'avait pas fait ce boulot-là, on serait à 14% dans les sondages.»
Laissant entendre qu'une ébauche de programme politique pourrait être dévoilé en juillet, fruit du travail des secrétaires nationaux depuis leur entrée en fonction, Aubry indique que le renouvellement et la diversité qu'elle a promus sur les listes européennes serait également de mise pour les régionales. Une mission en ce sens a été confiée à Claude Bartolone et à Arnaud Montebourg.
Elle n'entend pas modifier sa présence intermittente rue de Solférino (deux jours par semaine): «Même si ça déplaît à certains que je ne sois pas à Paris 24h sur 24, j'aime trop le terrain et Lille pour m'enfermer dans une tour d'ivoire.» Quant à Ségolène Royal, elle dit n'avoir «jamais douté que l'on se retrouverait. Il était temps que ça se termine, vous savez qu'un de vos confrères m'a appelé quatre fois pour savoir si on s'était concertées pour notre tenue vestimentaire! franchement, vous nous imaginez?!»
Links:
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/stephane-allies
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/230509/apres-la-crise-quelle-social-democratie
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/230509/l-autocritique-europeenne-d-un-techno-social-democrate
[4] http://www.mediapart.fr/journal/france/250409/toulouse-l-eurovision-sociale-democrate-lance-la-campagne-electorale
[5] http://www.mediapart.fr/journal/france/120509/segolene-royal-toujours-dans-l-evitement-du-ps
[6] http://abonnes.lemonde.fr/elections-europeennes/article/2009/05/28/europeennes-le-ps-decroche_1198834_1168667.html#ens_id=1166395