La République ne peut être ni concordataire ni même néo-concordataire. On ne peut pas prétendre renforcer les principes républicains lorsqu’on agit au mépris de ces principes !
J'ai découvert, comme d'autres, lundi 18 janvier 2021 enfin de journée, avec stupeur que le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin avait adressé un courrier électronique à l'ensemble des parlementaires pour leur communiquer officiellement une « Charte de principes pour l'Islam de France » (ci-dessous) en ces termes : « Permettez-moi de vous adresser le texte de la charte signé par les représentants de l’Islam en France, ce matin, en présence de Monsieur le Président de la République. »
Il est sidérant que le Président de la République soit présent lors d'une réunion interne du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) visant à valider et signer une telle Charte. Voilà une démarche qui – pas plus que la cérémonie vaticane à laquelle il s'est plié comme certains autres de ses prédécesseurs et qui l'a fait Chanoine de Latran – n'est ni républicaine ni respectueuse de la laïcité.
Disons le clairement : je n'ai pas d'avis négatif en soi sur le fait qu'une organisation confessionnelle et ses membres décident en interne – comme c'est le cas dans d'autres organisations confessionnelles – d'exprimer leur attachement aux valeurs de la République. Je n'insulterai jamais des croyants, quels qu'ils soient, en expliquant que l'expression de cet attachement supérieur qui doit rassembler tous les citoyens français ferait d'eux des « hérétiques » ou des « mécréants », comme un candidat à l'élection présidentielle l'a fait récemment. Ce genre de considérations ne m'intéresse pas et ne devrait d'ailleurs pas tomber sous la plume d'un militant laïque. Il y a dans cette Charte des positions qui peuvent être intéressantes, d'autres qui sont au-delà de mes préoccupations (et peu importe).
Non, le problème vient bien de la démarche de l'exécutif commise par le Président de la République et le ministre de l'Intérieur. La loi de 1905 et le principe de laïcité séparent les Religions et l’État, elles garantissent l'intérêt général en empêchant que des convictions religieuses imposent leur vue à la conduite des affaires publiques, établissent définitivement la souveraineté populaire face à toute tentative d'imposer un « droit divin ». Mais elles établissent aussi la neutralité et la non intervention de l’État dans les affaires internes des associations cultuelles pourvu qu'elles respectent les lois de la République (tout comme les lois sur la liberté d'association en général).
Comment donc interpréter le mépris évident de ces règles de la part de l'exécutif ? Faut-il considérer que le CFCM et ses membres sans cette Charte contrevenaient aux lois républicaine ? Évidemment non !
L'interprétation la plus logique est donc que c'est bien l'exécutif - la Présidence de la République et le gouvernement - qui est à l'origine de cette Charte dans une logique concordataire aberrante et absurde, qu'il avait dit pourtant écarter le 2 octobre 2020 lors du discours d'Emmanuel Macron aux Mureaux, sans être capable d'expliquer comment il l'écartait et sans convaincre qui que ce soit ! Emmanuel Macron joue ici le rôle d'un petit Napoléon Bonaparte ! L'exécutif contrevient donc à un principe cardinal de la République française, mais il agit aussi de manière contre-productive : un tel texte émanant d'une initiative interne et spontanée pourrait être considéré comme positif ; or ce texte semble avoir été imposé de l'extérieur ce qui est la meilleure manière à la fois de créer une polémique, de donner un prétexte pour le dénoncer pour ceux qui parmi les associations cultuelles ont des positions au minimum ambiguës et de ralentir l'infusion nécessaire du ralliement à la République chez certains croyants.
C'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer ! En bas de la dite Charte transmise aux parlementaires, car il manque de manière visible plusieurs signatures… ce qui semble bien indiquer que le caractère interne de ce texte est plus que douteux. Enfin, le sénateur LREM des Français de l'étranger, Richard Yung, a hier vendu la mèche sur la nature profonde de la démarche en indiquant sur son blog que « Emmanuel Macron a par ailleurs donné deux semaines aux fédérations absentes pour signer le texte. » Le caractère néo-concordataire du locataire de l'Élysée est ici totalement démontré et c'est la République qui en fait les frais.
L'impératif du respect des principes républicains est valable par tous les citoyens français, qu'ils soient croyants, agnostiques ou athées, qu'ils soient président de la République ou Madame et Monsieur tout le monde.
Frédéric FARAVEL
"Charte de l'islam de France" transmise lundi 18 janvier 2021 aux parlementaires ... avec les signatures et celles qui manquent