Si les salaires stagnent, ce n’est pas la faute des 35 heures
Interview à l’Express : Le gouvernement s’apprête à réformer les 35 heures pour la sixième fois depuis 2003. (…) le député européen accuse Nicolas Sarkozy de préparer la privatisation du système de financement des retraites et de l’assurance chômage.
Le gouvernement va faire voter une nouvelle loi pour assouplir les 35 heures. Est-ce la fin de la RTT ?
C’est pire que ça. Il s’agit d’une remise en cause de la durée légale du travail. Les entreprises pourront désormais décider librement du contingent d’heures supplémentaires, ce qui va complètement dérégler les cadences et les horaires. Ce projet de loi constitue une attaque violente contre les conditions de travail des salariés. Cette régression se cache sous le terme de “modernisation”, et ça ne fait sursauter personne.
Personne, pas même au PS…
Ce n’est pas exact. Les socialistes ont appelé à participer à la manifestation du 17 juin, à l’appel de la CGT et de la CFDT. Certaines personnalités du parti sont peut-être plus gênées que d’autres sur cette question, ce n’est pas mon cas. J’étais dans le cabinet de Martine Aubry au moment où les lois sur les 35 heures ont été votées et je suis fier de cette réforme, qui a créé près de 400.000 emplois. Je ne nie pas les difficultés d’application, mais on oublie trop souvent les bénéfices considérables que les salariés en ont tiré.
Même en terme de pouvoir d’achat?
Si les salaires stagnent, ce n’est pas la faute des 35 heures. La droite a réussi à installer l’idée selon laquelle il fallait “travailler plus pour gagner plus”. Je crois pour ma part qu’on peut gagner plus en travaillant autant. Selon les chiffres de la Comptabilité nationale, la part des profits réalisés par les entreprises, et redistribués aux actionnaires, est passée de 25% dans les années 1970 à 65% dans les années 2000. Voilà pourquoi elles n’investissent plus assez, voilà pourquoi, aussi, elles rémunèrent mal le travail. La question des salaires doit être la priorité aujourd’hui.
Comment faire en sorte que les entreprises augmentent les salaires?
Il faut instaurer une fiscalité plus pénalisante sur les dividendes pour inciter les entreprises à distribuer une part plus grande des bénéfices aux salariés. Et il faut également leur donner une obligation de résultat dans les négociations salariales qui se déroulent chaque année. Ce n’est malheureusement pas le chemin qu’a pris Nicolas Sarkozy, qui fait avec la législation du travail ce qu’il fait avec l’audiovisuel public : donner des cadeaux à ses amis, notamment le Medef. Lorsque les 35 heures ont été mises en place, des allègements de charges ont été accordés aux entreprises. Cela représente aujourd’hui 20 milliards d’euros*, qui devraient être affectés aux systèmes de retraite et d’assurance chômage. Les 35 heures sont remises en cause, mais pas ces allègements. Le patronat a le beurre, et l’argent du beurre. Nicolas Sarkozy organise la faillite du système français de solidarité pour pouvoir dire qu’il ne fonctionne plus, et le privatiser.
*NDLR. Les allègements de charge représentent bien 20 milliards d’euros, mais seuls 12 milliards correspondent à la réduction du temps de travail. Ces allègements ont été accordés pour en contrepartie du passage aux 35 heures sans baisse de salaire, et pour compenser l’harmonisation à la hausse des différents Smic intervenue entre 2003 et 2005.