Le congrès de Reims aurait pu offrir aux socialistes une occasion de sortir de l'embourbement politique dans lequel ils se sont enfoncés depuis 11 ans et plus encore depuis 2002. Depuis plusieurs années, les responsables socialistes ont fui les débats qui divisaient le parti, ils ont habitué les militants socialistes à des choix reposant essentiellement sur des questions de personnes ou sur des rapports de force fondés essentiellement sur la capacité à distribuer emplois ou investitures électorales. Lors du seul débat interne de fond qu'a tenu à organiser la direction sortante du PS autour de François Hollande, sur le projet de traité constitutionnel européen, les conditions de mise en oeuvre de ce débat l'ont fait versé dans la caricature démocratique, biaisant les résultats de la consultations militantes et ouvrant la voie à une division plus grave encore du PS. La "Une" de Charlie Hebdo en fin de campagne référendaire nationale plusieurs mois plus tard aurait tout aussi bien pu illustrer la qualité des débats qui s'étaient tenus au P, Darth Vador disant de sa voix chuitante et mécanique "si vous votez "non", je détruirai la terre !".
Depuis mars 2008, les différents prétendants (plus ou moins vélléitaires) au congrès du PS ont tous promis un débat de fond qui permette à la fois de règler la question de l'orientation et du leadership, loin des synthèses molles et inopérantes, loin des querelles personnelles. Un tel congrès ils le doivent aux militants socialistes, ils le doivent à toute la gauche, ils le doivent aux catégories populaires et moyennes qui désespèrent qu'une alternative crédible, forte et ambitieuse émerge enfin face au Sarkozisme.
Au sortir du 23 septembre, le nombre et la qualité des motions représentées reflétaient assez bien les clivages sous-jacents au sein du PS depuis de nombreuses années sans sortir d'une identité commune socialiste et auraient pu permettre un débat salutaire ouvrant un choix tout autant salutaire des militants. La motion A avec Bertran Delanoë et François Hollande devéloppant une orientation sociale-libérale libertaire ; la motion B, maintenue de manière quelque artificielle, reflète la préoccupation écologique récente du PS ; la motion C de Benoît Hamon appelle à la lucidité sur les fondamentaux et les conséquences du système capitaliste et réclame un contenu des réformes un peu radical que ce qui se disaient jusqu'alors au PS ; la motion D reflète la tradition ancienne d'un PS social-démocrate ; la motion E de Gérard Collomb et Ségolène Royal traduit une orientation sociale-libérale autoritaire ; enfin la motion F, Utopia, est l'expression d'une sensibilité marginale mais bien vivante post-matérialiste au sein de la gauche française.
C'est pour cela qu'avec Benoît Hamon nous avons appelé depuis la phase des contributions générales du congrès à écarter les faux débats. C’est ce que nous avons fait en adoptant une nouvelle déclaration de principes qui peut être considérée comme une « carte d’identité » du Parti socialiste, un socle ommun sur la base duquel nous devons réfléchir à l’avenir que nous voulons bâtir.
Premier faux débat. On voudrait nous faire croire que s’opposent, au Parti socialiste, artisans et adversaires de l’économie de marché que nous avons tous acceptée depuis longtemps. Pas de collectivistes chez les socialistes mais des partisans d’une « économie sociale et écologique de marché régulée ». Pour nous, la question n’est pas celle de l’acceptation ou non d’un système, mais celle des réponses politiques proposées pour le réguler et redistribuer les richesses. C’est pourquoi nous entendons laisser en dehors de la sphère marchande un certain nombre d’activités correspondant à des droits fondamentaux.
Deuxième faux débat. Les clivages opposeraient les « modernes » aux « archaïques ». Comme si la modernité se résumait à la soumission docile aux modèles dominants imposés par ceux qui en bénéficient et l’archaïsme s’incarnait dans l’espoir d’une réduction des inégalités. La modernité ne peut être entendue comme l’acceptation d’un libéralisme aujourd’hui dépassé.
Troisième faux débat. Les socialistes se diviseraient entre « audacieux » - ceux qui voudraient « lever les tabous » - et « timides » - ceux qui voudraient « occulter certains problèmes ». Nous devons être en capacité d’aborder collectivement l’ensemble des débats. Pour autant cela ne peut signifier qu’il y aurait un courage politique particulier à parler de sujets relevant traditionnellement du champ lexical de la droite !
Quatrième faux débat. Les divergences qui existent entre nous opposeraient individualistes et collectivistes. Pour nous, c’est autour d’un projet collectif que s’articule le combat pour les libertés individuelles qui ne peuvent jamais être déconnectées des questions sociales, sans prendre le risque de les voir confisquées par quelques privilégiés. Alors que les conservateurs veulent démanteler le droit du travail afin, justement, de ramener les rapports sociaux à de simples relations individuelles, nous devons combattre avec la même ténacité pour toutes les libertés et tous les droits, qu’ils soient individuels ou collectifs.
Parmi ces faux débats peu ont été évité par les tenants des motions issues de la direction sortante (A, B, D, E). En premier lieu, les grands élus locaux issus de la contribution "La Ligne Claire" ont versé dans la caricature dénonçant l'impossibilité que le PS aurait à dépasser le débat entre "révolutionnaires" et "réformistes", enfilant en celà les perles que les médias leur préparent, alors que la déclaration de principes adoptée en juin 2008 mettait un terme définitif à cette interrogation (pour ceux qu'elle agitait encore), que les socialistes français ont fait le choix de la démocratie contre la violence en politique lors du congrès de Tours de décembre 1920, et que l'acceptation de l'économie de marché comme outil de production a été réelle dans les années 1980 et a fait l'objet de suffissamment de débats pour que les socialistes n'aient plus à s'en justifier.
Faux débats aussi, sur les audacieux et les timides (intituler sa motion "courage, clarté, créativité" c'est un lapsus quand on lit la liste des signataires) car qui depuis son poste à la direction du PS a permis d'aborder des débats de fond qui traversait le PS dans ses rivières souterraines sans jamais être débattus (le libre-échange, le rôle et les marges de manoeuvre de la puissance publique, etc.) : personne.
Faux débat encore quand tout au long de la campagne interne du congrès, Bertrand Delanoë lui-même et les intervenants de sa motion dans chaque section insinuent ou dénoncent explicitement qu'eux seuls seraient de véritables "libéraux", défenseurs des libertés publiques et individuelles, quand la gauche du Parti serait finalement dangereusement liberticide (voire en rupture avec l'universalisme) ; j'ai même rencontré un camarade de la motion A expliquant doctement dans une section rurale l'identité existant entre "universalisme" et "libre-échange" et refus de notre supposé "protectionnisme". Outre le fait que la volonté de réactiver le tarif extérieur commun (que seule la motion C propose) afin de rétablir un peu d'équilibre en face de marchés protégés comme ceux des Amériques, du Japon, de la Russie, de la Chine ou de l'Inde (seule l'union européenne s'enorgueillit d'être un passoire commerciale internationale, par choix idélogique d'ailleurs), j'aurais pu lui faire remarquer que la définition "universaliste"et pro-libértés était à géométrie variable : motion A et E prétendent finalement s'aligner sur une "immigration choisie" quand d'autres proposent la régularisation des travailleurs sans-papiers et de leurs familles. Bref, le libre-échange, la libre circulation c'est bon pour les capitaux ou les marchandises mais pour les hommes on repassera !?!
Il serait tellement évident de rappeler les propositions de la motion C en faveur de nouveaux droits et de nouvelles libertés collectives, ici, que je ne le ferai pas.
J'aimerais dire quelle est ma conviction profonde sur la manière de refermer la séquence ouverte par Sarkozy en 2007. Je suis convaincu que le président de la République a gagné au printemps 2007 en développant devant les Français sa vision structurée de la société, quand ses adversaires étaient confus donc inquiétants. Avec Sarkozy, tout le monde savait à quoi s'en tenir, pour lui la société se structure en fonction de "gagnants" et de "perdants" ; la séquence électorale l'a amené à faire croire à ceux qui le voulaient bien qu'avec lui ils feraient partie des "gagnants"et il était évident que la réalité du sarkozisme ferait apparaître rapidement la supercherie.
Mais face à cela la candidate de la gauche a inquiété par son absence de vision cohérente, et sa façon de courrir après le candidat de la droite (Nation, Valeur travail, drapeau, sécurité, etc.) ; faisons lui grâce que le PS n'était pas exempt de reproches : l'absence de travail de fond mené par François Hollande n'avait aucunement permis à ce parti de proposer quelque chose de concret, il a même pavé la voie à l'émergence de Ségolène Royal, transformant aux yeux des médias et d'un peuple de gauche déboussolé ce qui n'était que de pâles intuitions (souvent fausses d'ailleurs) en vision audacieuse. On l'a vu dénoncer l'assistanat plutôt que défendre et rénover la solidarité, proposer la casse de la carte scolaire plutôt de renouveller le contrat républicain pour l'école.
Mais aujourd'hui cela continue. Quand la motion E prétend défendre une VIème République parlementaire, son premier signataire Gérard Collomb et François Rebsamen et actuel n°2d u parti proposent l'alignement du PS sur la présidentialisation et les institutions de la Vème République. On ne peut pas un jour expliquer que proposer la généralisation des 35h était une erreur, que parler d'un SMIC à 1500€ en 5 ans était une erreur, puis annoncer en meeting musical sa volonté d'interdire les licenciements !
Martine Aubry, elle-même n'est pas exempte de confusion. Il faut être sérieusement solide pour comprendre ce qui justifie les alliances locales avec le MODEM quand on les refuse tout aussi catégoriquement que la motion C au niveau national, sur des arguments comparables. Le discours de ses soutiens dans la sections sur "nous ne voulons pas d'une minorité de gauche dans le parti, qui aiguillonnerait de l'extérieur la majorité, nous voulons que le PS soit à gauche" est d'un ridicule quand on a vu comment Jean-Christophe Cambadélis et elle ont refusé de travailler avec Benoît Hamon et Marie-Noëlle Lienemann alors que cette solution aurait bien sûr évité la "stigmatisation" réthorique contre l'odieuse et infréquentable "gauche du parti" mais au contraire aurait placé l'ancrage à gauche au coeur du PS !
Il apparaît aujourd'hui que ces infréquentables, ces trublions sont désormais à la mode, remis au goût du jour par une crise financière mais plus largement un crise du capitalisme, dont ils n'avaient cessé de démontrer les failles dangereuses. Aujourd'hui, les dirigeants sortants du PS semblent redécouvrir la "pierre philosphale" de la régulation et de la limitation du libre-échange, dénonçant la supercherie sarkozienne de son discours régulateur international quand il continue à déréglementer à tour de bras dans le pays. Que ne l'ont-ils fait plus tôt car à force d'avoir accompagné le discours ambiant des 15 dernières années, ces socialistes-là ne sont plus crédibles pour revendiquer comme leurs les positions de fond d'une sociale-démocratie efficace et volontariste ; les Français semblent aujourd'hui plus enclins à croire la conversation internationale de Sarkozy que la sincérité de la redécouverte par les Delanoë ou les Royal des outils du socialisme démocratique.
Alors il faut leur proposer une transformation réelle et un peu enthousiasmante. Le congrès de Reims ne sera réellement utile que s’il permet de clarifier les orientations stratégiques de notre Parti. Les ambiguïtés sont en effet loin d’être levées. Nous revendiquons une stratégie claire de refus d’alliance avec le centre. Nous proposons d’engager une démarche politique pour l’émergence d'un "Parti de la Gauche".
Voter pour la motion C "Un monde d’avance" c’est :
1) Affirmer une orientation à gauche pour notre parti. La Gauche est victorieuse lorsqu'elle est la Gauche, comme en 1981 ou en 1997. Elle est défaite lorsque les électeurs ne savent plus qui elle est, comme en 2002 ou 2007. Pour gagner en 2012, le PS doit donc s'affirmer à gauche.
2) Vouloir un changement réel par rapport à la direction sortante du PS dont sont issues les 3 autres principales motions.
3) Faire le choix du renouveau : le PS a besoin d’un nouveau souffle, d’un sursaut, que porte la candidature de Benoît Hamon plus que toute autre.
Ce Congrès doit être celui du changement d’orientation et de pratique du parti. Il n’y aura pas de vote utile car il n’y aura pas de motion qui dépassera les 50% des suffrages exprimés le 6 novembre au soir. Il n’y a aura pas de motion qui, plus que la nôtre, aura rassemblé ce qui semblait épars sur une même ligne politique. La motion propose le rassemblement autour d’un candidat de 41 ans, fil d’ouvrier et fier d’être de gauche. Les militans socialistes ne doivent pas se faire voler ce Congrès. Le 6 novembre ils peuvent voter en fonction de lerus convictions ; le choix des personnes, ne viendra que dans un second temps.