François Fillon est alité depuis son accident de scooter en Italie. Heureusement, l'ancien Premier Ministre dispose d'hôtes de qualité qui prennent soin de lui et l'autorise ainsi à se concentrer sur son activité intellectuelle, prélude essentiel à la conquête de l'appareil politique conservateur français.
Comment remporter l'adhésion des militants UMP si ce n'est en se faisant la chambre d'écho de la déliquescence politique de ce parti, résultat de 7 ans de Sarkozisme et de sa défaite finale devant les Français en mai dernier… François Fillon a choisi d'entrer pleinement dans cet exercice, en se plaçant au niveau de son principal compétiteur, l'actuel secrétaire général du parti, Jean-François Copé. Sa tribune de ce matin (lundi 13 août dans Le Figaro) en est ainsi l'illustration complète.
Le premier tiers de l'article consiste à énoncer des caricatures ridicules pour travestir le contexte sur lequel repose son analyse :
- « silence » des socialistes sur Gbagbo alors qu'ils l'ont bel et bien condamnés (il suffit de se rappeler les crépusculaires et quotidiennes manifestations hystériques des relais hexagonaux devant le 10, rue de Solférino pendant les semaines du conflit ivoirien. Ils ne manifestaient pas contre le siège de l'UMP) ;
la complicité gênée (rappelez-vous MAM proposant l'expertise de la police française) du gouvernement Fillon avec Ben Ali dans les jours précédant la chute de son régime est présentée par euphémisme comme une « inaction supposée », condamnée par le PS (donc forcément fausse), face au Printemps arabe ;
le soutien (profil bas mais très répété) du PS à l'intervention franco-britannique en Libye est transformée en « commentaires inutiles et suffisants » ;
mise en avant d'une revendication d'intervention militaire en Syrie par les socialistes et François Hollande, quand ceux-ci s'alignaient sur les positions du ministre Alain Juppé, membre du gouvernement Fillon, et désormais désavoué a posteriori par son ancien patron ;
enfin, les socialistes auraient critiqué l'absence de la France sur la scène internationale, alors qu'ils critiquaient le « bougisme » ou l'agitation du Sarkozisme conçue pour masquer son alignement sur les politiques allemande (en Europe) ou américaine (dès 2007-2008 en Afghanistan) ou les fautes politiques commises en Tunisie.
Enfin, histoire de faire « populaire » – tout du moins dans l'acception qu'ont les réactionnaires de ce terme –, l'ancien Premier Ministre se fend d'un gros mot : « droit-de-l'hommistes ». Ce terme n'est généralement utilisé que par le Front National et la galaxie d'extrême droite, ainsi que par la Droite populaire. Donc la collusion dénoncée avec les grands dictateurs et bourreaux arabes (Khaddafi, Ben Ali, Moubbarak, Assad) ne serait qu'une éructation « droit-de-l'hommiste ».
Cependant, le plus grave si c'était encore possible n'est pas là. Rejetant l'échec de la communauté internationale à stopper le massacre syrien et à obtenir la neutralité sino-russe, sur les seules épaules de François Hollande, alors que le gouvernement français n'était pas plus leader dans les solutions avant le 6 mai, François Fillon fait une proposition irresponsable supposée permettre d'emporter le soutien de Vladimir Poutine.
Au moment où se dévoile totalement la supercherie de la « démocrature » russe et ce saute-mouton entre Poutine et Medvedev fondé sur la fraude électorale et le clientélisme maffieux ; au moment où ce régime démontre jusqu'à l'absurde la collusion entre un fascisme soft (et botoxé) et un cléricalisme orthodoxe réactionnaire, par le procès ridicule et dramatique des Pussy Riot… François Fillon propose rien de moins que d'abandonner l'ensemble de nos valeurs sur l'autel du compromis avec Vladimir Poutine.
Ainsi pour faire sauter le verrou de Moscou, il faudrait contrevenir à une certaine idée de la laïcité et mettre fin au projet européen :
- « Au lieu d'humilier [le gouvernement russe] en bloquant la construction du centre orthodoxe du Quai Branly », le gouvernement français devrait donc céder (au passage, on notera qu'il y a identité entre l'église orthodoxe et le Kremlin).
Et surtout, car « L'ours russe n'est dangereux que quand il a peur. Offrons-lui sans détour la perspective d'un accord historique d'association avec l'Europe. »
Ainsi donc « l'ours russe » aurait peur des Européens. Une caricature très expressive de Plantu me revient, croquée en 2008 lors de la crise géorgienne : un officier russe lit une lettre de l'UE à un autre officier russe « L'Europe exige que nous nous retirions de Géorgie, sinon… ! Rien… ». Ce dessin illustre à la fois les l'échec du « bougisme » de l'ancien président de la République française – qui avait présenté son action pour la Géorgie comme l'intervention du Messie (rappelons que depuis cet État caucasien pro-européen est vraisemblablement définitivement amputé de toutes ses anciens régions ou républiques autonomes au profit de l'ours russe) – et l'absence totale de crainte russe vis-à-vis d'Européens pusillanimes et objectivement impuissants. Je veux bien qu'il craigne la contagion islamiste en Syrie, qu'il craigne les progressions militaires américaines alors que les USA étaient jusqu'ici sur le reculoir, qu'il craigne l'immigration et le soft power chinois, mais certainement pas l'Union Européenne.
La droite française par l'intermédiaire de François Fillon acte en fait sa peur de l'ours russe : pour de multiples raisons, notamment militaires et énergétiques, les conservateurs français et européens sont prêts à se coucher devant Poutine (quand les sociaux-libéraux à la retraite comme Schröder ou Blair sont prêts à être rémunérés par lui…). Que signifierait « un accord historique d'association [de la Russie] avec l'Europe » ; il est probable que le pseudo-héritier du gaullisme que voudrait être François Fillon se drape dans les mots du Général De Gaulle pour rappeler sa vision européenne « de l'Atlantique à l'Oural »… à d'autres !
C'est une vision qui fait fi du projet européen dans ce qu'il a de démocratique, puisqu'il suppose d'abandonner comme référence les valeurs universalistes que ne partage pas le pouvoir russe actuel ; c'est une vision qui n'envisage comme seul objectif le marché unique fondé sur le libre-échange, dans le but de sécuriser la livraison de l'Europe occidentale en énergies fossiles.
Ainsi, au prétexte de faire tomber le seul Bachar El-Assad « comme le fruit pourri qu'il est » (« ouhlala ! vous avez vu : je suis super ferme ! »), François Fillon propose de soumettre l'Europe au chantage énergétique permanent de la Russie poutinienne, de lui apporter une reconnaissance en termes de valeurs, et de sauver son économie enferrée dans la rente.
L'Europe est déjà bien mal engagée avec un Traité Merkozy qui l'entraînera vers une séquence post-démocratique et l'implosion résultant de l'éloignement continu des peuples de la construction européenne ; et c'est bien cela qu'il faudrait reprocher désormais à François Hollande plutôt que son action sur la Syrie. Pour le bien de nos sociétés européennes, pour qu'elles parviennent à faire prévaloir dans le monde une vision universaliste et humaniste, la construction européenne a besoin que l'on mette fin à l'austérité économique, qu'on rétablisse la souveraineté populaire, qu'on affirme haut et fort notre détermination politique : tout le contraire de ce qui serait symbolisé par l'association avec l'actuelle fédération de Russie !
La tribune de François Fillon marque une défaite morale et intellectuelle de l'ancienne droite républicaine française, lourde de dangers pour notre démocratie.
Frédéric FARAVEL
Secrétaire fédéral du PS Val-d'Oise en charge des relations extérieures