Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
Me contacter

en savoir plus

 

Trouve

Gauche Républicaine & Socialiste

24 mai 2023 3 24 /05 /mai /2023 14:59

Tout à son souhait de faire oublier les mois de puissante mobilisation sociale contre sa réforme des retraites injuste et inutile, Emmanuel Macron a engagé une forte séquence de communication publique autour de la réindustrialisation. Après un tour à Dunkerque, comme chaque année, c’est le sommet Choose France organisé à Versailles pour les investisseurs étrangers qui est le point d’orgue de sa communication ; au demeurant, ce choix laisse une impression ambivalente : faut-il retenir que les mois de mai sont le seul moment où le chef de l’État se mobilise pour l’industrie et que seuls les investisseurs étrangers nous permettront de sortir de l’ornière ? Au-delà des effets d’annonces et des appels à projet, on peut encore s’interroger sur l’existence d’une réelle stratégie industrielle.

Il faut donc regarder la réalité et les effets concrets sur le terrain. Si quelques signes semblent encourageants, la structuration de notre balance commerciale nous enseigne qu’il y a encore énormément de chemin à parcourir. Il faut aussi interroger une stratégie qui, d’une part, miserait excessivement sur les investissements étrangers en sous-estimant notre dynamique interne et dont, d’autre part, aucun bilan solide n’a été réalisé au regard de la masse des crédits engagés.

Réindustrialisation : sans véritable stratégie, les satisfecits prématurés du Macronisme
Le juge de paix : la balance commerciale de la France

Les chiffres des douanes et de l’INSEE semblent prometteurs. En moyenne mobile sur trois mois, en mars 2023, le solde commercial de la France s’améliore (de +1,5 Md € après +2,4 Mds en février), pour s’établir à -8,4 Mds€, son niveau le moins dégradé depuis plus d’un an et demi.

Les importations poursuivent leur baisse (-1 Md après -2,4 Mds €), pour atteindre 59,3 Mds € ; c’est essentiellement un effet de la baisse des importations énergétiques à hauteur de 900 M€. Dans le même temps, les exportations sont en hausse (+500 M€), et s’établissent à 50,9 Mds €. Si les exportations d’énergie restant stables (nous n’avons pas résolu les difficultés rencontrées aujourd’hui par notre secteur énergétique), le solde des échanges de biens d’investissement s’améliore de 400 M€, celui des biens intermédiaires de 0,2 milliard et celui des biens de consommation de 100 M€. Notons cependant que notre solde énergétique s’établit en mars à -5,5 Mds €.

« Au 1er trimestre 2023, le solde commercial de la France bénéficie avant tout de la baisse de la facture énergétique. »

Hors énergie, le solde du commerce extérieur continue également de se redresser (+600 M€ comme le mois précédent) pour s’établir à -4,9 Mds€ : les exportations augmentent de 500 M€ et les importations diminuent de 100 M€. Le solde des biens d’investissement s’établit à –2,3 Mds€. Il s’améliore de 400 M€, du fait d’exportations, en hausse de 300 M€ sur le mois, portées par les produits automobiles et ceux de la construction aéronautique et spatiale ; les importations de biens d’investissement diminuent quant à elles de 100 M€.

Le solde des biens intermédiaires augmente de 200 M€ (après +300 M€) pour atteindre -2,5 Mds€, les exportations augmentant de 100 M€ et les importations diminuant du même montant. Enfin, le solde des biens de consommation augmente de 100 M€ (après +200 M€ en février) pour s’établir à –200 M€ ; dans ce domaine qui était déjà le moins déficitaire, Les exportations et les importations augmentent respectivement de 200 M€ et de 100 M€.

évolution mensuelle des échanges commerciaux de la France 2018-2023

évolution mensuelle des échanges commerciaux de la France 2018-2023

évolution mensuelle des échanges commerciaux de la France 2018-2023, distinguant l’énergie

évolution mensuelle des échanges commerciaux de la France 2018-2023, distinguant l’énergie

évolution mensuelle des échanges sur les biens d’investissements 2018-2023

évolution mensuelle des échanges sur les biens d’investissements 2018-2023

évolution mensuelles des échanges sur les biens intermédiaires 2018-2023

évolution mensuelles des échanges sur les biens intermédiaires 2018-2023

évolution des échanges mensuels en biens de consommation 2018-2023 et sur les quatre derniers mois pour les échanges de produits manufacturés par usage final

évolution des échanges mensuels en biens de consommation 2018-2023 et sur les quatre derniers mois pour les échanges de produits manufacturés par usage final

En conclusion, c’est mieux que si c’était pire. Il existe bien un frémissement mais comme tout frémissement il est fragile : une hirondelle ne fait pas le printemps et nous devrons regarder sur le bilan de l’année 2023 si les réductions mensuelles récentes des déficits se transforment en dynamique durable capable d’inverser la tendance et de démontrer notre entrée dans un processus de réindustrialisation vertueux. Autant il est bon de savoir saluer les trains qui arrivent à l’heure, autant il serait illusoire d’oublier que, pour le moment, les déficits mensuels s’ajoutent aux déficits mensuels : la seule chose que l’on peut espérer (sans garantie) c’est que le déficit 2023 sera moins abyssal que celui de 2022.

« En 2022, le pays a importé pour 163,6 Mds € de plus qu'il n'a exporté, presque le double qu'en 2021. »

En effet, les chiffres de l’année écoulée sont édifiants : le déficit commercial français a atteint un niveau record depuis 1949, au sortir de la guerre alors que la reconstruction était à peine engagée, à environ -7 % du PIB, selon un rapport publié par le Haut-Commissariat au Plan1 : le pays a importé pour 163,6 Mds € de plus qu'il n'a exporté, presque le double qu'en 2021. Sur les 9 781 produits étudiés par le Haut-Commissariat, les deux tiers sont en déficit. Si le prix de l’énergie a pesé en 2022 – ce qui semble s’atténuer cette année – il y a des caractéristiques structurelles au décrochage que nous avons subi : la France est en train de devenir un nain commercial. Ses exportations ne représentent plus que 2,4% du total mondial, contre 5,2% en 2001 et les multinationales ont aussi de plus en plus tendance à délocaliser la production de biens finaux destinés au marché national, ce qui habituellement est une caractéristique de pays en voie de développement2. Le Haut Commissariat au Plan a donc indiqué le 10 mai dernier que « le défi de la réindustrialisation de la France ne relève donc pas tant d’un rééquilibrage macroéconomique du solde courant que d’une réorientation des choix d’internationalisation de ses entreprises. À commencer par ses multinationales ».

D’une manière générale, il convient donc d’interroger la nature des investissements « industriels » dans notre pays.

1 - https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2023/05/hcp_note_commerce_exterieur.pdf

2 - http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2022/let427.pdf

Réindustrialisation : sans véritable stratégie, les satisfecits prématurés du Macronisme
Investissements étrangers, qu’en penser ?

L’étude sur l’attractivité de la France en 2023 par Ernst&Young (EY) sur laquelle s’appuie Emmanuel Macron pour défendre son projet de réindustrialisation présente depuis 4 années consécutives la France comme première bénéficiaire des investissements étrangers en Europe. Derrière l’apparente attractivité du pays, le bilan reste encore très mitigé. La France apparaît en effet à la première place en nombre d’investissement étrangers, mais lorsque que l’on s’intéresse à la masse financière ou encore au nombre d’emplois générés par ceux-ci son apparente réussite reste très relative.

Comme le rappelle EY, en 2022 plus d’investissements étrangers ont été contractés en France que chez nos voisins européens, on dénombre 1259 projets pour l’année soit une hausse de 1% par rapport à l’année précédente.

Le bilan en termes d’emploi est moins brillant. Plus précisément, ce rapport souligne une baisse de 15% de la création d’emploi en France liée à ces projets sur la période 2021-2022 avec une moyenne de 33 emplois par projets en deçà de la moyenne de nos voisins européens respectivement autour 59 et 58 emplois par projet pour l’Allemagne et le Royaume-Uni.

« Le bilan comparatif des investissements étrangers en France en termes d’emploi est moins brillant que chez nos voisins. »

Si on se réfère au poids relatif des investissements entrants dans les pays européens la France est bien placée mais pas non plus dans une position exceptionnelle : en 2021, cela représentait 3 % du PIB français, mais 4 % pour la Belgique, 3,1 % pour l’Espagne ou 2,6 % pour l’Autriche ; l’Allemagne était plus loin à 1,7 % et le Royaume Uni, empêtré dans le Brexit à 0,2 %. Cependant au regard des montants considérés, cela signifie la moyenne de l’investissement étranger en France est inférieur à ceux effectués chez nos voisins : 61 M€ par projets en moyenne France, contre 72 M en Allemagne, 85 M en Belgique et 115 M en Espagne… dont on peut donc espérer des effets plus massifs. Cela explique en réalité par le ciblage des investissements étrangers en France.

La France n’apparaît également pas comme premier pays en termes d’investissement dans de nouveaux projets : 65% des investissements sont des extensions de projets déjà existants. Le nombre de nouveaux projets est de loin inférieur à celui de nos voisins, puisque seul 35 % des projets Allemands et 30% des projets du Royaume Unis sont des extensions. Entendons nous bien : il ne s’agit pas de s’offusquer que des acteurs étrangers accroissent leurs investissements dans des projets déjà engagés ; si cela permet de confirmer une progression de notre capacité de production, voilà effectivement une nouvelle dont on ne peut que se réjouir. Mais il y a un biais dans la communication politique de l’Élysée, qui illustre son absence de cap stratégique clair : les équipes d’Emmanuel Macron prétendent mettre sur le même pied projets anciens et projets nouveaux, or ils n’ont pas la même portée ; les uns sont la continuité d’une promesse de production à venir et déjà annoncée les années précédentes, les autres sont de nouvelles promesses. Emmanuel Macron nous passe plusieurs fois le même plat : la France reçoit donc bien moins d’investissements pour de nouveaux projets créateurs d’emplois que ces voisins.

Réindustrialisation : sans véritable stratégie, les satisfecits prématurés du Macronisme

Le ciblage de ces investissements pose aussi question, les investissements étrangers se concentrent encore à hauteur de 8% sur la R&D en France. Il s’agit de la deuxième plus grosse augmentations des investissements étrangers après celle concernant les sites de production (13%). Là où le gouvernement voit une preuve de notre attractivité et de notre innovation, nous voyons aussi un danger pour nos savoir-faire et le risque de fuite vers l’étranger de nos brevets, car si ces entreprises étrangères profitent des capacité de recherche de notre pays, la production qui profitera de cette R&D ne se fera pas forcément en France.

Encore récemment la fermeture de l’entreprise Valdunes dernières entreprises de roues et essieux ferroviaires démontre le danger de ces investissements sans contrôles poussés et le risque de voir nos fleurons disparaître peu à peu. Cet exemple n’est d’ailleurs pas un cas isolé : le rapport annuel du trésor indique que Bercy a autorisé 131 rachats d'entreprises considérées comme stratégiques à des groupes étrangers en 2022, dont des entreprises hautement stratégiques telles qu’EXXELIA, fabricant français de composants passifs notamment pour le Rafale, qui appartient désormais au groupe américain Heico sans aucun veto de la part du gouvernement.

« La France n’est pas à vendre ! »

Comment réagir ? Notre stratégie devrait prendre en compte les nouveaux enjeux industriels de notre pays, la France doit se doter des moyens nécessaires pour élaborer de nouveaux projets afin d’attirer massivement de nouveaux investisseurs sur des projets industriel de production. Veiller à la durabilité de ces investissements devrait également être une priorité : de nombreux sites de productions ferment encore leurs portes cette année, majoritairement en raison du départ d’investisseurs étrangers. Cela pose question quant à leur fiabilité à long terme : des usines comme l’usine Nestlé de Caudry ferment leurs portes de la même manière que l’usine Valdunes.

Les investissements étrangers doivent être aiguillés sur de nouveaux projets innovants et pas sur le rachat de nos fleurons ! La France n’est pas à vendre ! S’ils sont nombreux à investir ou réinvestir en France ils sont aussi nombreux à délaisser nos sites de productions sans chercher de repreneurs, fragilisant d’autant plus des territoires déjà fortement impactés par le chômage depuis ces 10 dernières années.

Réindustrialisation : sans véritable stratégie, les satisfecits prématurés du Macronisme
Valoriser la mobilisation intérieure ?

Il est assez symptomatique que, depuis quelques jours, comme chaque année, la presse française croule sous l’avalanche de papiers concernant l’investissement étranger en France, sans jamais se poser la question des investisseurs français. C’est pourtant un sujet essentiel qu’il va falloir remobiliser.

Dans une note d’octobre 20183, France Stratégie indiquaient que les entreprises françaises manufacturières se distinguent de leurs homologues européennes par leur fort taux d’investissement dans l’immatériel. Il existe en France un certain contraste entre l’important investissement des entreprises dans l’immatériel et la relative faiblesse de l’investissement en actifs physiques : ce dernier point concerne notamment les machines et équipements, pour lesquelles « de part et d’autre du Rhin, l’écart de taux d’investissement est en 2015 de 1,5 point de valeur ajoutée au profit des entreprises allemandes ». C’est la raison pour laquelle nous étions en faveur du maintien des dispositions de sur-amortissements en matière d’investissements dans la robotique et la modernisation de l’outil de production. Car cette tendance à l’œuvre dès les années 1990 n’a fait que s’accentuer : entre les périodes 2003-2006 et 2012-2015, les dépenses d’investissement en machines et équipements ont baissé de 21 % en France, alors qu’elles ont augmenté de 19 % en Allemagne. Une explication possible serait que les industriels français choisiraient davantage de délocaliser à l’étranger une part importante de leur production tout en gardant la conception, et donc l’investissement immatériel, sur le territoire national. Le taux d’équipement en robots industriels est globalement plus élevé en Allemagne qu’en France aussi parce que l’industrie allemande est plus spécialisée dans des secteurs intensifs en robots tels que l’automobile : était-ce cependant une raison pour aggraver le différentiel ?

3 - https://www.strategie.gouv.fr/publications/linvestissement-entreprises-francaises-efficace

« Les industriels français choisissent davantage de délocaliser une part importante de leur production tout en gardant la conception et l’investissement immatériel sur le territoire national. »

On pourrait penser qu’à l’heure de la dématérialisation et de l’économie de la connaissance, l’investissement immatériel est d’autant plus pertinent et l’investissement matériel moins central comme déterminant des performances des entreprises. Or le diagnostic se révèle plus complexe. Les investissements en construction et de mise en conformité réglementaire n’ont pas freiné les investissements productifs. Ils n’ont pas non plus joué le rôle déterminant dans la perte de compétitivité des entreprises française qu’on leur attribue parfois. Et France Stratégie de conclure : « l’efficacité de l’investissement immatériel est aujourd’hui mesurée au regard des gains de productivité et de l’augmentation des parts de marché des entreprises françaises. Or si la stratégie des entreprises internationalisées est de concevoir en France et de produire à l’étranger, il serait plus judicieux de mesurer l’impact de l’investissement sur la profitabilité et non en considérant principalement le solde commercial, la productivité et la compétitivité ». En clair, les grandes entreprises françaises d’échelle internationale ont privilégié le profit sur la production et la compétitivité hors coût, comme on l’a vu plus haut ; on n’est dans la même logique que celle de « l’entreprise sans usines » rêvée par Serge Tchuruk, rêve qui n’habitait pas qu’un dirigeant privé mais aussi une bonne partie de notre haute administration.

La responsabilité de nos « grandes entreprises » est d’autant plus marquante que l’investissement s’est lui maintenu dans les TPE-PME. Ainsi la BPI notait en janvier dernier que 49 % des dirigeants de TPE-PME comptaient investir ou ont investi en 2022, malgré une dégradation de leur trésorerie. Le renouvellement et/ou la modernisation des équipements et installations sont, de loin, les principales destinations des dépenses d’investissement. Cependant, 24 % des dirigeants ont déclaré avoir réalisé des investissements « verts ». Majoritairement destinés au tri et au recyclage ou au renouvellement du parc automobile, cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir

Réindustrialisation : sans véritable stratégie, les satisfecits prématurés du Macronisme

Voilà un comportement qui serait à encourager car un investissement propre des entreprises françaises assure une maîtrise et un développement propres, autonomes, sans risque de constater des défaillances lorsqu’un investisseur étranger décide de réorienter ses fonds en emportant parfois avec lui les brevets et les machines, fermant au passage un site industriel qui sera d’autant plus difficile à relancer. Face à ces comportements, on peine à comprendre la faiblesse du capital public et de l’absence de stratégie de long terme pour garantir le maintien de l’activité sur des sites mis en danger ou pour accompagner leur mutation. Il est plus facile de faire muter une entreprise que de relancer un site désaffecté et aujourd’hui l’installation de nouvelles activités bute sur le manque d’espaces et de terrains disponibles pour les accueillir malgré l’existence de si nombreuses friches industrielles.

Répondre à ce défi suggère que l’État décide de reprendre la main en matière d’économie et impose un rapport de force plus ferme aux grandes entreprises du pays. C’est d’un retour de l’État-stratège, dont nous avons besoin : un État pilote d’une politique industrielle tournée vers l’avenir, c’est-à-dire la technologie, la qualité et la haute valeur ajoutée, ne peut se contenter d’être une force d’appoint saupoudrant les subventions, mais doit être une force de propulsion et d’orientation. Or c’est tout le contraire auquel nos dirigeants se sont habitués depuis plus de 30 ans et sans doute tout le contraire dont ils sont convaincus, comme le confiait Emmanuel Maurel en mars dernier dans la Revue Commune4. Et malgré la pandémie mondiale, qui a mis à jour la dépendance effarante de l’Europe en matière de production des biens essentiels, la Commission européenne continue aucune résistance de l’exécutif français de négocier une dizaine de traités de libre échange et s’apprête même à relancer les discussions pour un accord transatlantique avec les États-Unis d’Amérique5.

4 - https://g-r-s.fr/les-francais-doivent-recuperer-leur-etat-entretien-accorde-a-la-revue-commune-par-emmanuel-maurel/

5 - https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-donne-moi-ta-montre-europeenne-je-te-donnerai-lheure-americaine-1933589

« Plutôt qu’un État stratège, les gouvernements européens, dont l’exécutif français, continuent de privilégier le libre-échange ! »

La mobilisation ne saurait se limiter aux investisseurs français. Au sein des entreprises, nous gagnerons à ce que les syndicalistes, donc les salariés qu’ils représentent, soient davantage écoutés. Ils disposent d’un savoir considérable en matière de prévision des risques. Par exemple, les cadres qui remplissent les appels d’offre observent très bien comment évoluent les concurrents et donc les potentielles menaces. C’en est assez de voir les syndicalistes, les élus, constatant une prédation ou une fermeture d’entreprise, revenir bredouille d’un rendez-vous avec les services de Bercy où ils se sont entendu dire que tout cela est terrible, qu’ils regrettent, alors qu’ils laissent faire, n’ont pas voulu agir, ou n’ont pas pu agir car c’était trop tard.

C’est un des points majeurs de la stratégie nationale pour l’intelligence économique défendue dans la proposition de loi de Marie-Noëlle Lienemann déposée au Sénat en mars 20216.

6 - https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-489.html

Quelle efficacité des politiques publiques pour la réindustrialisation ?

La puissance publique a surtout agi ces dernières années en matière de politique fiscale, prétendant ainsi améliorer les marges des entreprises et favoriser les investissements. Et les sommes dépensées ou les pertes de recettes pour l’État ou la sécurité sociale sont terriblement conséquentes.

Le Crédit Impôt Recherche (CIR) coûtait 4,5 Mds € par an en 2008 ; il s’est stabilisé ces dernières années autour de 7 Mds € par an. Le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a coûté quelques 100 Mds d’euros en 3 ans de 2016 à 2019 ; son remplacement par des baisses de cotisations sociales pérennes coûtent chaque année en perte de recettes pour la sécurité sociale quelques 25 Mds € (qui se sont – plus ou moins partiellement – cumulées avec le CICE en 2019 et 2020, années de transition), dont l’État prétend qu’elles permettront en retour une hausse de recettes de l’impôt sur les sociétés de 6 à 7 Mds € par an. Mais dans le même temps, les gouvernements d’Emmanuel Macron se sont à nouveau attaqués aux « impôts de production » : dans le cadre du « plan de relance », une baisse de 10 Mds € est entrée en vigueur en 2021, en divisant par deux la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et deux impôts fonciers, la cotisation foncière des entreprises et la taxe foncière sur les propriétés bâties. La logique s'est étendue depuis avec la suppression totale de la CVAE étalée sur 2023 et 2024, un coup de pouce d’un peu moins de huit milliards d’euros par an pour les entreprises.

Ce n’est pas terminé puisqu’Emmanuel Macron a annoncé le 11 mai dernier la création d'un "crédit d'impôt industrie verte", pour soutenir la production de batteries, pompes à chaleur, éoliennes ou panneaux solaires, dans le cadre de la future loi pour l'industrie verte. Ce nouveau crédit d’impôt s’annonce substantiel puisqu'il pourrait représenter de 20% à 45% des sommes investies dans l'appareil productif, ou dans des actifs incorporels (brevets, licences), mais il n’est pas encore chiffré ; le président de la République, sautant les étapes, prétend cependant qu’il « permettra de déclencher 20 Mds€ d'investissements sur le territoire national d'ici 2030 ».

« Emmanuel Macron confond stratégie industrielle et crédits d’impôts. »

Les présidents de la CPME et du MEDEF

Les présidents de la CPME et du MEDEF

Les sommes déjà dépensées, engagées ou annoncées sont donc considérables ; elles s’accumulent et s’additionnent sans qu’aucun bilan sérieux de leur efficacité ne soit réalisé. En septembre 2020, France Stratégie, agence gouvernemental dirigée par Jean Pisani Ferry, indiquait « un fort effet emploi est trouvé chez le quart des entreprises les plus bénéficiaires du CICE, qui ne représentent qu’un huitième des effectifs, mais rien de significatif chez les autres. L’effet total reste estimé à 100 000 emplois environ, ce qui est faible, rapporté au coût du CICE. [...] De même, un effet sur l’investissement demeure difficile à établir, celui-ci ne ressortant notamment pas lorsqu’on distingue groupes fiscaux et entreprises indépendantes. » La même agence indiquait en juin 2021 sur le CIR qu’il existait « des effets positifs sur les PME, mais pas d'effet significatif établi en ce qui concerne les ETI et les grandes entreprises » et que « le CIR n'a pas suffi à contrecarrer la perte d'attractivité du site France pour la localisation de la R&D des multinationales étrangères. » Dans le même temps, on a aussi vu des grandes entreprises françaises, comme SANOFI, engager des processus de délocalisation de leur R&D.

La France a effectivement connu un choc massif de désindustrialisation dans les années 1990 et 2000, qui a très légèrement ralenti entre 2008 et 20167 ; Emmanuel Macron s’appuie sur le solde net des relocalisations depuis 2017 à hauteur de 300 entreprises contre les 600 délocalisations nettes dans la période précédente (2008-2016). Mais cela ne dit rien de leur efficacité en termes d’emplois.

Fait important, le terme relocalisation ne concernent que les entreprises françaises qui ont rapatrié des productions qu’elles réalisaient elles-mêmes ou qu’elles sous-traitaient à l’étranger. Le mouvement est donc amorcé, mais il reste encore marginal : En 2021, ça ne représente encore que 5% des créations d’emplois industriels. Les grandes entreprises sont restées un peu absentes de ces mouvements de relocalisations qui touchent surtout les PME et les ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire). Ce qu’il manque encore aujourd’hui c’est d’accrocher des grands projets en France, c’est-à-dire des projets à plusieurs milliers de salariés. Il y a de la marge pour que ça pèse significativement sur la reprise de l’industrie. Là aussi une hirondelle, une nouvelle usine de batterie, ne corrige pas encore les dégâts anciens. Les ouvriers du Nord-Pas-de-Calais restent inquiets. Ceux de l’entreprise sidérurgique Valdunes à Leffrinckoucke dans la banlieue est de Dunkerque viennent d’être lâchés par leur investisseur chinois, mettant le site en danger et montrant, en passant, la dure et cruelle réalité de ce que sont les « investissements étrangers » en régime de liberté totale de circulation de capitaux dans une économie ultra-financiarisée, qui évidemment ne sont jamais comptables des sommes qu’ils ont touchées de la puissance publique au moment où ils désertent. Mais les cas se multiplient dans les alentours comme l’a souligné l’intersyndicale locale dans un communiqué publié le 10 mai : outre Valdunes, les sites ArcelorMittal et Aluminium Dunkerque sont au plus mal.

7 - https://www.insee.fr/fr/statistiques/6667029?sommaire=6667157

« Pendant ce temps, les délocalisations continuent… »

Évidemment, on ne peut que se réjouir de voir une usine s’implanter en France et envisager, comme le fait ProLogium, de créer 2 000 à 3 000 emplois. Mais de là à en faire une preuve d’une réindustrialisation du pays,c’est excessif. Car cette « gigafactory », aussi « giga » soit-elle, n’est pas le gage que le nombre net d’emplois industriels va progresser et que les ouvriers touchés chaque jour par le phénomène de désindustrialisation pourront continuer dans l’avenir de travailler et exercer leurs compétences.

Dans la lettre de mai 2023 du Centre d’Études prospectives et d’informations internationales (CEPII), citée plus haut, cet organisme public rattaché à Matignon dénonce « un modèle d’internationalisation s’appuyant au moins en partie sur la délocalisation de certains pans de production, pour servir les consommateurs étrangers comme nationaux » des entreprises françaises à dimension internationale. Ces délocalisations ont été particulièrement destructrices en emplois et les entreprises concernées ne semblent toujours pas avoir changé de culture et de stratégie : ainsi une note de janvier 2022 de BpiFrance énonce que « parmi les répondants de la filière automobile (24 % de notre échantillon), 35 % ont été incités à délocaliser dans les cinq dernières années, 4 % veulent délocaliser dans les cinq prochaines et 26 % se disent indécis sur une délocalisation future. 5 % déclarent vouloir relocaliser. La filière de l’aéronautique présente des résultats similaires car les entreprises travaillent souvent pour les deux. »

Il est donc temps de faire un véritable bilan stratégique des politiques conduites par les gouvernements successifs depuis 2008 (au moins) pour mesurer leur efficacité et suggérer une réorientation – à tout le moins une meilleure utilisation – des crédits concernés.

Avoir une politique industrielle, c’est avoir une vision claire de là où on va, des besoins auxquels on estime nécessaire de répondre pour les trente prochaines années, de la place de l’industrie, d’organiser les compétences, de donner une feuille de route stable aux sous-traitants. C’est aussi faire des choix, car on ne peut pas tout faire et s’y tenir sur le long terme, parfois le très long terme, en assumant les ratés et les échecs... n'oublions pas qu’avant Airbus, il y a eu les échecs de Mercure et de Concorde.

Giga usine de batteries à Dunkerque

Giga usine de batteries à Dunkerque

« Il est temps de renouer avec une véritable politique industrielle qui se donne le temps de réussir et associe entreprises et salariés. »

Le plan France 2030 était censé tracer une esquisse de feuille de route : dix grands programmes ont été arrêtés, et une enveloppe de crédits de 54 Mds € sur cinq ans a été annoncée. Mais aucune organisation n’a été tracée, ni pour les filières, ni pour les compétences, ni pour savoir comment créer des écosystèmes. Par exemple, la France parle simplement de produire de l’hydrogène (et encore en se cantonnant à une seule et unique méthode de production, l’électrolyse, plutôt que de se donner les moyens d’explorer d’autres solutions et d’avoir plusieurs cordes à son arc, écartant le potentiel de l’énergie houlomotrice), quand l’Allemagne s’organise pour trouver des solutions industrielles à partir de l’hydrogène.

Il paraît donc au minimum nécessaire de retravailler le ciblage sur les plans de filières qui nous paraissent prioritaires pour l’avenir (en termes d’innovation et d’emplois) et déterminants pour notre souveraineté. Il convient également de réfléchir sur la répartition des crédits de manière cohérente en fonction des besoins industriels… et enfin, en intégrant cette logique dans une véritable stratégie d’intelligence économique, il convient de nous doter des outils juridiques et fiscaux qui offrent à la puissance publique les garanties que les crédits publics ne seront pas détournés par des investisseurs étrangers « indélicats » et donc au passage de sécuriser la production française et les emplois de nos compatriotes.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) de Bezons
Animateur national du pôle Idées, formation, riposte de la GRS

Partager cet article
Repost0

commentaires